— Monsieur Fuselier, hurla le bandit, vous pouvez m’inculper de tous les crimes qu’il vous plaira, mais je vous interdis une accusation aussi lâche, aussi mensongère ! Si je suis ici, si je suis prisonnier, c’est précisément parce que j’ai voulu prouver à Juve que je n’étais pour rien dans la mort de lady Beltham. Certes, j’ai de nombreux meurtres sur la conscience, je ne m’en cache pas, je ne nie rien. Je suis supérieur à la destinée et vous n’êtes pas encore près de m’entendre demander pitié. Mais il y a quelque chose que je ne saurais admettre, c’est que l’on m’accuse d’avoir tué une femme que j’aimais, une femme qui, jadis, a donné sa vie pour moi. Je suis un assassin, soit, je ne suis pas un lâche.
Il y avait quelque grandeur et de la sincérité dans la protestation de Fantômas. M. Fuselier le sentit si bien qu’il n’insista pas.
— Nous verrons, dit-il simplement, à étudier cela plus tard. Ce ne sont point les motifs d’accusation qui manquent.
— En effet, railla Fantômas. Et je crois, monsieur Fuselier qu’il se passera quelque temps avant que vous puissiez clore votre dossier.
Fantômas allait encore plaisanter, mais le magistrat, d’un geste l’interrompit.
— Il suffit, je vais procéder à l’interrogatoire d’identité. Votre nom ?
Or, à ces mots, Fantômas déjà changeait d’attitude, il eut un grand sourire :
— Monsieur Fuselier, s’il vous plaît, une question.
— Laquelle ?
— N’y a-t-il pas un article du code qui m’autorise à ne point vous répondre tant que je ne suis pas assisté d’un avocat ?
— En effet.
— Alors, faites-moi reconduire dans ma cellule, je n’ai pas choisi de défenseur.
Et comme M. Fuselier demeurait muet en face de cette exigence, des plus légales d’ailleurs, Fantômas ajoutait :
— Oh ne croyez pas, d’ailleurs, que j’aurai beaucoup de mal à me trouver un défenseur, monsieur Fuselier. Depuis hier soir, j’ai reçu exactement cent quarante-quatre lettres de jeunes avocats désireux de plaider pour moi, et de se faire ainsi une fructueuse publicité. Mieux, mon gardien, je le tiens de lui-même, a reçu sept gratifications de sept grands maîtres du Barreau, qu’il m’a d’ailleurs, tous, également recommandés. Enfin, je pense que le directeur de la prison, le directeur du Dépôt plutôt, ne s’est pas, pour rien, donné la peine de descendre me rendre visite. Il a prononcé un nom, le nom d’un des plus célèbres membres du Conseil de l’Ordre, je ne doute pas qu’il n’ait voulu rendre service à l’un de ses bons amis. Même vous, monsieur Fuselier, vous avez sans doute quelqu’un à me recommander ?
La raillerie était si forte, si dure, Fantômas semblait si bien rabaisser la dignité de l’ordre des avocats, en estimant que chacun désirait défendre sa cause pour se tailler une réclame, que M. Fuselier sentit la colère l’envahir :
— Assez, ordonna-t-il, taisez-vous ! Vous êtes ici un prévenu et vous ne devez parler que lorsque je vous interroge. Vous ne voulez me répondre qu’en présence d’un avocat, soit, c’est votre droit, mais mon droit est aussi de vous contraindre à prendre un défenseur. Je vous donne quarante-huit heures pour choisir qui vous voudrez. Si dans ce délai vous n’avez pas désigné un défenseur, Fantômas, je demanderai qu’il vous en soit commis un d’office.
— Ce sera bien inutile.
Il allait ajouter un mot de dédain encore. M. Fuselier ne lui en laissa pas le temps :
— Reconduisez l’inculpé en cellule, ordonna-t-il.
Les gardes entraînèrent Fantômas. Mais comme la porte du cabinet d’instruction s’ouvrait, le bandit se retournait vers le juge :
— Voyez, disait-il, toutes ces robes noires qui m’attendent.
Et Fantômas ne mentait point. Il y avait en effet, dans les couloirs, une nuée d’avocats, tous venus là dans l’espoir d’approcher le bandit et d’obtenir de lui d’être chargé de le défendre.
Fantômas, malheureusement pour ces avides orateurs, n’était pas homme à se décider à la légère. Il repoussa tous ceux qui tentaient de l’approcher, il eut un « non » sec et cassant pour toutes les sollicitations. Sans avoir rien promis, sans avoir écouté personne, il réintégra sa cellule.
Mais, à peine Fantômas était-il dans son cachot, à peine la porte verrouillée s’était-elle refermée sur lui, qu’il se prit à réfléchir.
— Parbleu, disait le maître de l’Épouvante, c’est évident, il faut que je prenne un avocat, mais à qui m’adresser ?
Il réfléchit longtemps, puis, un sourire passa sur ses lèvres :
— Je suis le roi des Bandits, avait murmuré Fantômas, il me faut le roi du Barreau.
4 – AU CABARET DES RACCOURCIS
— C’est entendu, monsieur Sunds, je vous laisse ce vase pour trois cent cinquante francs, y compris le prix de la copie que vous devez en faire, pour que mon mari ne s’aperçoive pas de la vente.
Le personnage à qui s’adressaient ces paroles était le Danois Érick Sunds, chineur de son métier, qui venait de traiter avec M me Faramont, femme du célèbre bâtonnier, un marché des plus avantageux pour lui.
M me Faramont, en effet, qui estimait que les objets d’art dont son mari aimait à s’entourer étaient ruineux, avait trouvé une combinaison tout à fait ingénieuse ; elle les revendait au Danois Érick Sunds pour des prix évidemment peu élevés. Mais M me Faramont préférait revendre à perte que de garder une collection artistique absolument inutile, à son avis.
Pour que M e Faramont ne s’aperçût de rien, le Danois, qui était très habile artiste, faisait une copie des objets d’art ainsi rachetés, et le bâtonnier, ravi de sa collection, vantait à tous ses précieux bibelots, qui n’étaient que des copies réussies.
— Alors, au revoir, monsieur Sunds.
Le Danois semblait hésiter à s’en aller, lorsque M e Henri Faramont entra lui-même dans la pièce :
— Tiens, bonjour, cher monsieur, fit-il s’adressant à Sunds, comment va ?
— Très bien, maître, je venais justement vous voir pour vous proposer une affaire intéressante.
M me Faramont, un peu gênée, car elle se sentait légèrement coupable vis-à-vis de son mari, se retira, et le bâtonnier, rapidement, se dirigea vers la salle à manger où l’attendait son déjeuner.
— Venez avec moi, monsieur Sunds, je suis horriblement pressé, nous parlerons, si vous le voulez, pendant que je déjeunerai.
Les deux hommes pénétrèrent dans la pièce et tout en offrant un siège au chineur, M e Faramont reprenait :
— Alors quelle est-elle, cette superbe affaire ?
— Voici, fit Sunds. En ce moment, je connais une potiche admirable dont le détenteur, ou plutôt la détentrice, se déferait à bon compte. Il s’agit d’un brûle-parfum ancien. Un chine de la famille verte de la plus belle et authentique espèce.
— Ah, s’écria M e Faramont fort intéressé, et où peut-on voir cette potiche ?
— Tout près de chez votre beau-frère, à Ville-d’Avray, dans une villa voisine de chez lui.
— Tiens, justement je dois y aller dîner après-demain, nous prendrons rendez-vous, si vous le voulez, et j’irai voir avec vous cette merveille. Vous me retrouverez à la gare Saint-Lazare.
— C’est entendu, maître, je vous attendrai au train de six heures, après-demain soir, nous ferons route ensemble.
Les deux hommes échangèrent une cordiale poignée de main et M e Faramont, ayant terminé son repas, se dirigea vers son cabinet de travail, où son fils Jacques, avocat depuis quelques jours, s’occupait à dépouiller le volumineux courrier du bâtonnier.
— Y a-t-il quelque chose d’intéressant, Jacques ? demanda M e Faramont.
— Deux lettres de l’avoué d’Orléans, répondit Jacques, puis voici un nouveau client, je ne connais pas son nom, il annonce sa visite pour demain, papa.
— Et cette lettre ? demandait l’avocat en voyant que son fils dissimulait une enveloppe de laquelle il venait de retirer un papier mauve.
Le jeune homme rougit jusqu’aux oreilles.
— Ce n’est pas pour toi, dit-il, mais c’est pour moi. C’est personnel.
Le bâtonnier sourit.
— As-tu donc déjà des clients ?
— Mais pourquoi pas ? fit Jacques. Je suis inscrit à l’assistance judiciaire.
— Ce ne sont pas les clients de l’assistance judiciaire qui vous envoient des lettres qui sentent aussi bon. Enfin, petit, cela te regarde, je ne suis pas un père sévère.
Jacques changea volontiers le sujet de la conversation, car la lettre qu’il avait découverte mêlée au volumineux courrier de son père, bien qu’elle lui fût destinée, provenait en effet de sa petite amie, Brigitte.
Elle lui demandait un rendez-vous et Jacques, tout en continuant à dépouiller le courrier paternel, cherchait un moyen de s’éclipser le soir même pour aller la retrouver, lorsque, brusquement, de ses doigts tomba une nouvelle lettre qu’il tenait.
— Ah par exemple, dit-il, voilà quelque chose, papa, qui n’est pas ordinaire !
L’avocat, qui précisément venait de se lever de son bureau pour aller à sa bibliothèque chercher dans un livre un renseignement de jurisprudence, ne s’étonna pas outre mesure de la surprise manifestée par son fils. Il savait par expérience que les avocats, et surtout le bâtonnier, reçoivent des lettres de toute nature.
Le bâtonnier prêta l’oreille, son fils venait d’annoncer :
— La lettre porte le cachet de la prison de la Santé.
Puis le jeune homme lut à haute voix :
Monsieur le bâtonnier.
Le roi des criminels doit être défendu par le roi des avocats. Hiérarchiquement, vous êtes leur chef suprême eu égard à votre qualité de bâtonnier, et c’est pourquoi j’ai estimé qu’il était correct de ma part de vous accorder l’honneur de m’assister à l’instruction de mon procès et de me défendre, s’il y a lieu, devant la cour d’Assises. Je vous recevrai volontiers quand il vous plaira de me rendre visite, à ma cellule de la Santé, où je viens d’être transféré.
L’avocat interrompit son fils.
— C’est une mauvaise plaisanterie, fit-il, et quel est l’impertinent qui se permet de m’adresser une semblable lettre ?
— Père, père, cette lettre porte la signature de Fantômas.
***
Quelques heures après, le soir même de l’arrivée de cette lettre bizarre, M e Faramont était assis dans son salon entre sa femme et son fils. On avait fini de dîner. Jacques n’était pas sorti, contrairement à ses intentions premières et avait envoyé un télégramme à Brigitte pour lui demander de remettre le rendez-vous au surlendemain.
L’heure était grave, en effet, et le jeune homme n’avait pas osé quitter la maison de ses parents. Pendant tout le dîner on avait parlé de choses vagues, insignifiantes, mais sitôt les domestiques éloignés, la conversation s’engagea entre les deux époux et leur fils sur le sujet qui leur tenait à cœur depuis le matin.
— Mon cher ami, risqua M me Faramont d’un ton un peu hésitant, si vous voulez que je vous donne un conseil, c’est de ne pas vous charger de cette cause.
M e Faramont hocha la tête.
— C’est en effet mon intention, je ne veux pas défendre Fantômas et, au surplus, il y a beaucoup d’autres avocats plus qualifiés que moi pour présenter la défense de ce monstre abominable.
Le bâtonnier ajouta en souriant :
— Je n’ai rien dit cet après-midi au Palais de la proposition que m’a faite ce bandit, mais j’ai appris que tous les avocats d’Assises passent leur temps depuis l’arrestation de Fantômas, soit dans les couloirs de l’instruction, soit au greffe de la Santé et font leurs offres de service à ce sinistre individu.
Le bâtonnier se retourna vers son fils :
— Et c’est même là, mon cher enfant, un exemple dont tu feras bien de t’inspirer pour ne pas le suivre. Rien n’est dégradant, incorrect même de la part d’un avocat, comme de solliciter des causes, même des causes importantes.
Jacques approuvait son père. Il objecta cependant :
— Le procès de Fantômas sera une cause célèbre et l’avocat qui sera chargé de sa défense passera du coup à la postérité.
— C’est exact, évidemment.
— Vraiment ?
— Fantômas, reprit le bâtonnier, est le plus grand criminel qui soit connu de nos jours et il ne semble pas qu’il puisse mériter la moindre pitié. Toutefois, le rôle de l’avocat chargé de sa défense sera beau entre tous. Il y aura vraiment des trésors d’éloquence à dépenser au sujet de cet assassin, mais de cet assassin génial et malgré tout, il faut l’avouer, véritablement supérieur comme intelligence et habileté.
— Papa, s’écria Jacques, pourquoi ne plaiderais-tu pas pour Fantômas, après tout ?
— Mais pour plusieurs raisons, mon enfant ! D’abord, je ne suis pas un avocat d’Assises mais bien un avocat d’affaires. Je ne tiens guère, en outre, à avoir un semblable client. Enfin, il ne manquera pas de collègues pour remplir ce devoir, et j’insiste sur le mot, car ce sera un « devoir » non un plaisir, que de plaider pour Fantômas.
M me Faramont intervint :
— J’en suis à me demander si vous ne devriez pas accepter. En somme, il vous a choisi. Et puis, si réellement ce procès est sensationnel…
— C’est vrai, reconnut le bâtonnier, il m’a choisi, mais il m’a plutôt choisi en qualité de bâtonnier qu’en qualité d’avocat.
— Eh bien, fit Jacques, n’est-ce pas là une preuve de délicatesse de sa part ? Je sais bien que sa lettre était un peu cavalière et que Fantômas semblait prétendre te faire un grand honneur en te désignant pour son défenseur, mais enfin, cela n’empêche qu’il n’a pas manqué de perspicacité.
M me Faramont revint à la charge :
— Il est d’ailleurs difficile de refuser ces choses-là. Oh, bien entendu, je comprends que vous n’alliez pas le solliciter, mais puisqu’il vient à vous, il faudrait peut-être accepter ? Et puis, poursuivait la brave femme, Fantômas est si puissant, si terrible… Peut-être vous voudrait-il du mal si vous refusiez de prendre sa cause en main ?
— Ce n’est pas là une considération qui pourrait me décider. Mais, si j’accepte cette cause, ce sera uniquement parce que je me considérerai comme ayant été désigné d’office. Fantômas, en somme, n’a pas de préférence et, au lieu de s’en rapporter au bâtonnier sur le choix de son défenseur, il demande à ce dernier d’être son avocat. Évidemment, il y a là une question de conscience qui me fait réfléchir.
— Henri, s’écria solennellement M me Faramont, vous venez de trouver l’argument juste, il va falloir défendre Fantômas !
***
— Allez, rappliquez, mam’zelle, il ne faut pas vous effrayer si c’est haut. Quand on est monté sur le toit de Paris, on n’a plus qu’à descendre. C’est égal, qu’est-ce qu’elles prennent, mes vieilles guibolles !
Soufflant, suant et geignant sans interruption depuis qu’il avait commencé l’ascension des escaliers qui mènent au Sacré-Cœur, Bouzille s’arrêtait en cours de route, à quelque distance du sommet de la butte.
Il était environ six heures du soir et la jeune femme qui l’accompagnait, en le voyant si essoufflé, ne pouvait s’empêcher de sourire :
— Mon pauvre Bouzille, murmura-t-elle, je suis vraiment désolée de t’imposer une promenade pareille.
Mais le vieux chemineau était aussitôt consolé par cette bonne parole. Un large sourire illumina sa face sur laquelle ruisselaient de grosses gouttes de sueur.
— Mam’zelle Hélène, fit-il, vous savez bien que pour vous j’irais jusqu’au bout du monde et que je grimperais par une corde lisse jusqu’au sommet de la tour Eiffel.
Il ajouta cependant :
— Et j’aime à croire que ce serait moins dur que de monter à Montmartre.
Après avoir soufflé un instant, les deux compagnons, cependant, achevèrent leur ascension.
La fille de Fantômas, ainsi qu’elle l’avait promis quelques jours auparavant à Bouzille, était venue lui rendre visite et le chemineau l’avait renseignée sur le sort de la voiture automobile confiée à ses soins :