Le pendu de Londres (Лондонская виселица) - Сувестр Пьер 19 стр.


Or, il manquait au rendez-vous… Cela était inadmissible.

Tom Bob jeta sur Shepard un coup d’œil interrogateur, mais le détective éclairé en pleine lumière dans le box des témoins, ne sourcilla pas à l’interrogation muette de l’individu qui, peut-être jusqu’alors, avait été pour lui un chef, mais qui désormais n’était plus qu’un accusé sur le sort duquel la justice devait se prononcer.

En attendant l’arrivée si désirée de French, l’accusation avait décidé de faire défiler devant le jury un certain nombre de témoins à charge.

C’était Miss Editha, la bonne du couple Garrick, dont les déclarations allaient produire une énorme impression. Ensuite l’épicier Bouch, dans la boutique duquel il était d’usage de venir jaser. Puis le cocher Sammy qui, comme d’ailleurs l’épicier, croyait fermement à la culpabilité du docteur. L’expert commis pour examiner les vestiges humains trouvés dans la cave, fut formel également.

Il s’agissait là des restes d’un corps qui avait été plongé dans un bain chimique, après avoir été calciné.

Il n’était plus possible d’identifier le sexe de la victime, mais il y avait certainement eu une victime humaine.

Quant à l’inhumation de ces vestiges, elle remontait à quinze jours environ. Elle coïncidait avec le pseudo départ de M meGarrick…

L’audience fut un instant interrompue par l’arrivée d’une dépêche que le service de la police côtière adressait de New-Haven au juge-président.

On disait à ce dernier que, contrairement à la demande qui venait d’être adressée par les avocats du procès, aucun détective du nom de French ne s’était trouvé à bord des paquebots arrivés la veille au soir, ou le matin même, venant de la côte française.

— J’en déduis, messieurs, déclara l’avocat de l’accusation, que le détective French ne s’est nullement embarque hier à Dieppe, ainsi qu’il est dit dans la première dépêche dont vous avez eu connaissance, car s’il s’était embarqué, comme l’affirme ce document, il serait arrivé.

« La première dépêche doit donc être l’œuvre d’un imposteur, je demanderai au jury de ne point en tenir compte et de considérer, s’il le veut bien, que les recherches du détective French sont demeurées vaines.

« Au surplus, si M meGarrick vivait encore, elle aurait certainement appris l’inculpation qui pèse sur son mari. Il n’y a aucun doute à ce sujet, il me semble.

L’avocat de l’accusation se rassit.

Les quelques paroles qu’il venait de prononcer valaient un réquisitoire.

Garrick manifesta le désir de parler :

— J’ai, fit-il en s’adressant au juge, une déclaration à faire.

Le prisonnier était aussitôt rendu libre, il quitta l’endroit qui lui était réservé pour monter à l’estrade des témoins.

C’est en effet là l’une des curieuses dispositions de la loi anglaise, qui permet toujours à un inculpé de venir déposer comme un véritable témoin au procès même que l’on instruit contre lui.

Après s’être recueilli un instant, Garrick, calmement, posément, mais sur le ton de la plus grande sincérité, déclara :

— Je jure être innocent du crime qui m’est reproché. Ma femme, M meGarrick, m’a brusquement quitté sans me prévenir et uniquement parce qu’elle était jalouse de l’amour que j’éprouve pour une autre personne. Les apparences sont évidemment contre moi puisque j’ai été arrêté au moment où je semblais être en fuite. Il ne s’agit là que d’une coïncidence fâcheuse ; je partais en Amérique par hasard, n’ayant eu, en montant à bord du Victoria,que l’intention de rejoindre ma maîtresse qui croyait que son enfant avait été enlevé par son mari habitant le Canada. Si ma femme connaissait l’inculpation qui pèse sur moi, elle reviendrait. Je ne suppose pas qu’elle m’en veuille au point de me laisser condamner en se taisant…

La déclaration de Garrick était accueillie avec un calme glacial, et c’était dans un silence absolu que l’accusé regagnait sa place au milieu de la salle d’audience. Toutefois on ne pouvait rien préjuger de cette attitude du public, moins encore de celle des jurés.

Le peuple anglais, non seulement est très froid, non seulement il manifeste rarement ses impressions par des démonstrations extérieures, mais encore il est trop respectueux de la justice pour se permettre de manifester son sentiment intime dans un lieu comme un tribunal, où des jurés sont spécialement chargés d’avoir un avis motivé et de se prononcer en connaissance de cause.

En l’espace d’une demi-heure, les avocats intéressés présentèrent le réquisitoire et la défense, puis le juge-président, qui jusqu’alors n’avait fait qu’assister aux débats, se contentant de les présider, prenant exclusivement des notes, intervint enfin.

Lord Pilgrim, d’une voix lente et monotone, à l’usage des jurés, résuma l’affaire, telle qu’il la comprenait. Résumé impartial mais précis, au cours duquel le haut magistrat plaça en parallèle les médiocres arguments invoqués d’une part par Garrick et la défense, de l’autre les preuves et les présomptions qu’avait su réunir contre l’accusé, l’avocat de l’accusation.

Puis le Jury se retira : l’audience était suspendue.

La salle des Assises se vida instantanément.

Tous ceux qui avaient assisté à ce débat éprouvaient le besoin d’aller se dégourdir les jambes et d’arpenter la salle des Pas Perdus.

Mirat avait, au cours de l’après-midi, lié connaissance avec son voisin, un confrère du Times, grave personnage qui parlait lentement, mais s’exprimait en français avec une correction parfaite.

— C’est épatant, s’écria Mirat, comme cette audience m’inspire peu… dieu, que c’est simple ici… plat, banal… rien dans cette Criminal Courtne parle à l’imagination, n’impressionne l’esprit… Que diable, chez nous…

Le journaliste fit à son confrère l’enthousiaste description de la Cour d’Assises Française, et de la solennité avec laquelle les procès criminels s’y jugeaient.

Sourire silencieux du confrère.

Lorsque Mirat eut fini :

— Je connais, dit-il, votre Cour d’Assises, elle impressionne en effet, elle impressionne même trop… Excusez-moi d’exprimer ma pensée si brutalement, mais j’estime que la justice criminelle chez vous, ce n’est pas de la justice, c’est du théâtre… En outre, dans la bataille qui s’engage devant le jury, vous avez des adversaires partiaux l’un et l’autre. Le procureur, dont le métier est sans cesse de requérir et pour qui la condamnation constitue un succès. L’avocat, d’autre part, dont le métier est toujours de défendre, et pour qui la condamnation constitue une défaite. Chez nous, il ne se mêle dans les débats, aucune question d’amour-propre, aucune question professionnelle : l’accusateur d’aujourd’hui sera défenseur demain. Les deux adversaires, si l’on peut employer ce mot, que les hasards de l’audience mettent en présence, ne luttent pas l’un contre l’autre, ils recherchent simplement ensemble, bien qu’avec des objectifs différents, à faire la lumière, à découvrir la vérité…

— Vous n’en saurez pas davantage sur cette grave question…

Une sonnerie venait de retentir, elle annonçait le retour du jury.

Celui-ci avait délibéré pendant vingt minutes à peine, il revenait avec un verdict qui, aux termes de la loi, devait être unanime.

***

Pendant ces vingt minutes d’attente, le détective Shepard qui connaissait comme sa poche les couloirs de Old Bailey, avait réussi – encore que cela ne fût pas très « correct » – à rejoindre Garrick dans la cellule qu’il occupait, tout à côté de la salle d’audience.

Shepard, connu par le policeman chargé de la garde du prisonnier, avait pu pénétrer dans la cellule, s’entretenir, un instant, seul à seul avec l’accusé.

Les deux hommes s’étreignaient les mains :

— Eh bien, Shepard ?

— Eh bien Tom Bob ?

— Eh bien, Shepard, que pensez-vous de cette audience ?

Shepard fit la grimace :

— Je suis, déclara-t-il, fort ennuyé de l’absence de French. Certes ces jurés seront des imbéciles s’ils ne croient pas à l’authenticité de sa dépêche… elle provient assurément de French, cette dépêche… mais… et puis qu’est-ce que diable a pu l’empêcher de revenir ?…

Tom Bob regarda fixement dans les yeux son collègue :

— Shepard, fit-il…

— Tom Bob ?

— Shepard, répondez-moi franchement. Vous avez mieux que personne l’habitude de ces audiences… eh bien, qu’en pensez-vous, je vais être condamné, n’est-ce pas ?

Sans répondre directement à l’interrogation de son collègue qui le faisait tressaillir, Shepard répliquait :

— Tom Bob, à votre tour, dites-moi la vérité, avez-vous, oui ou non, tué votre femme ?

— Non, Shepard, je ne l’ai pas tuée.

Shepard poussa un soupir de soulagement.

— Nous vous sauverons, Tom Bob, quoi qu’il arrive, nous vous sauverons. Quant à…

Shepard s’interrompit.

Lui aussi avait entendu la sonnerie.

En face de Garrick, debout au milieu de la salle, le président du jury après avoir prêté le serment solennel, déclarait qu’il rapportait un verdict affirmatif… un verdict de culpabilité !

Nul ne broncha dans la salle.

Garrick restait impassible.

Il demeura de même, tout le temps que le juge, plus ému assurément que lui mettait à prononcer la fatale sentence, la condamnation à la peine suprême dont l’énoncé s’achevait par cette sinistre formule :

—  Garrick, vous êtes condamné à être pendu par le cou jusqu’à ce que mort s’ensuive.

16 – LA NUIT TOUS LES CHATS SONT GRIS

— Avec tout ça, elle est épatante, la gerce !… elle me passe la consigne comme le colonel au deuxième bibi. Balayez la chambrée, qu’elle me dit… J’ai pas de balai… J’veux pas l’savoir…. Ma foi, c’est à peu près le sens de notre conversation… Faut maintenant que je me paie un aller et retour en première à Dieppe… et nib de pèse. Est-ce qu’elle s’imagine qu’on me véhicule gratis ?… Est-ce qu’elle me prend pour un actionnaire de la Compagnie ?… Et puis c’est pas tout ça, faut qu’je m’dégrouille !…

***

Nini venait de s’en aller… Sur les berges brumeuses, sa silhouette s’était estompée, avait disparu, s’était fondue dans la nuit, et Beaumôme, resté seul, grommelait, furieux de l’aventure.

Oh ! ce n’était pas, à la vérité, qu’il lui fut désagréable d’avoir à suriner le détective French.

Ce qui taquinait Beaumôme, c’était tout bonnement qu’il n’avait pas d’argent, pas un rouge liard pour se rendre à Dieppe, à Dieppe où il devait rencontrer French, sa victime…

— Faut voir, pensait Beaumôme, à se procurer des rotins… bon… si j’en demandais au roi, il est probable qu’il m’en refuserait… donc c’est pas lui que je dois aller trouver… qui, alors ?…

Et Beaumôme, avec un désespoir comique, était obligé de s’avouer qu’à Londres il connaissait, vraiment peu, trop peu de monde pour pouvoir facilement emprunter la centaine de francs qui lui était nécessaire en ce moment…

— Ah ! elles sont propres, mes relations… fameuses… tous des baigneurs dans la purée… Rien à faire de ce côté… personne à taper… et quant au banquier qui me sert mes rentes, il y a longtemps qu’il a foutu le camp en Belgique… Si longtemps même que je ne l’ai jamais connu…

Beaumôme venait de remonter le petit escalier qui conduit aux berges, il se trouvait maintenant à l’extrémité de London Bridge, perplexe, hésitant sur ce qu’il devait faire.

— Ah ! reprit-il soudain, comme illuminé, c’est les ratichons, pour un coup, qui vont me tirer d’embarras… mince de magne, que je m’en vais leur demander leur avis… pour une fois le produit de la quête ne sera pas perdu…

À grands pas, Beaumôme s’éloigna, suivit une infinité de petites rues tortueuses, et finit par arriver à l’une des églises catholiques qui se dresse en plein centre de Londres.

Beaumôme, poliment, en homme qui connaît les usages, retira sa casquette, entra dans le saint lieu et même, pour ne point se faire remarquer, prit de l’eau bénite, en esquissant un signe de croix…

Mais Beaumôme en était pour sa sacrilège comédie.

La vaste nef était déserte.

Beaumôme fit lentement le tour de l’édifice. Il avait sans doute son idée, et sans doute aussi tenait à s’assurer que nul ne pouvait être témoin de ses faits et gestes.

À part une vieille femme qui, dans la chapelle de la Vierge, s’occupait sans utilité apparente à changer des cierges de place, à part une jeune femme qui, tout en haut du chœur, demeurait agenouillée dans une prière trop fervente pour être sincère (cette jolie catholique devait attendre quelque rendez-vous) Beaumôme ne vit personne…

— Ça va bien, se dit-il, pas la peine de m’épater. Tout marche comme sur des patins à roulettes…

Beaumôme était redescendu dans le bas de l’église, délibérément il avisa un tronc – le tronc de Saint Antoine – placé dans un renfoncement plus sombre encore que le reste de l’église…

— Et allez donc ! fit Beaumôme, pour une fois le cochon jeûnera, c’est moi qui me nourrirai à sa place… M. Saint Antoine, vous ferez mes excuses à votre animal…

Beaumôme, tout en monologuant, ne perdait pas son temps.

L’apache avait évidemment une grande habitude des opérations de la nature de celle qu’il effectuait en ce moment.

En deux tours de mains, il avait réussi à introduire sous la petite porte du tronc une minuscule pince monseigneur qui ne quittait jamais la doublure de son veston. Puis, il avait opéré une pesée, et la porte du tronc s’était ouverte…

— Personne en vue ?… non ?… passez muscade…

Beaumôme, après un coup d’œil circonspect qui le rassurait sur le danger d’être vu, rafla la monnaie qui se trouvait à l’intérieur du tronc, dont il rabattit la porte. Jugeant alors qu’il n’était pas nécessaire de s’attarder plus longtemps, il fila.

— Pas mauvais, monologuait-il, en descendant les marches du perron. On n’aura pas froid, il y a de la braise.

Beaumôme, en effet, avait réussi un coup assez important.

Certes, il n’avait pas volé une énorme somme, mais enfin, une soixantaine de francs en menue monnaie, en pence, en sous français, parfois en shillings, sonnaient dans sa poche…

— Mon vieux, se déclarait Beaumôme qui, dans ses moments d’expansion, éprouvait une vive sympathie pour lui-même et se tutoyait, tu n’as plus qu’à aller prendre le chemin de fer et à t’appuyer le petit voyage de Dieppe… ah ! j’y songe, faut pourtant que je visite le repasseur…

Beaumôme, en effet, s’attarda quelques instants chez un brave coutelier qui, connu parmi les membres de la pègre de Londres, se gardait de toute question indiscrète, tandis qu’il affûtait, soigneusement, le superbe « Eustache » que Beaumôme confiait à ses soins…

— Et maintenant, allons-y…

Beaumôme enfonça son arme dans sa poche, il était prêt à partir…

Encore une précaution.

— C’est pas que je vais dans le monde, grommela-t-il, mais c’est tout bonnement que mes signalements m’indiquent tous comme porteur d’un complet à carreaux… Tant qu’à faire, j’aimerais autant changer ma mise…

Beaumôme passa donc chez un marchand d’habits ou il se rhabilla de neuf, à bon marché, avec de très vieux vêtements qu’un nettoyage savant avait rappropriés…

Puis il se rendit enfin à Victoria Station où d’une voix de stentor, après avoir mûrement réfléchi, il demanda un aller et retour, première classe, pour Paris..

— Je m’arrêterai à Dieppe, pensait l’apache, l’air de Pantruche ne vaudrait rien pour ma toux mais, ma foi, si dans l’avenir quelque policeman voulait cavaler sur mes chausses, j’aime autant prendre un billet pour Paris. Cela me permettra toujours d’embrouiller la question…

Beaumôme était grand et généreux…

— C’est d’ailleurs pas la peine de me priver remarquait-il, puisque ce sont les ratichons qui payent.

***

— Première classe, monsieur ? à l’arrière…

Beaumôme avait parfaitement calculé son affaire…

Arrivé par le bateau du matin à Dieppe, il ne s’était pas attardé dans la ville, ce qui pouvait être dangereux. Beaumôme avait fait rapidement, dans une charcuterie, puis chez un marchand de vins, quelques emplettes nécessaires pour passer le temps, et il s’était enfui dans la campagne, où, toute la journée, il avait vagabondé. Beaumôme avait bu…

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