Le pendu de Londres (Лондонская виселица) - Сувестр Пьер 25 стр.


— Ma foi, monsieur Shepard, ça n’est pas de refus ; bien que n’étant pas de service, je n’ai pas mal travaillé.

Les deux policiers, qui, une demi-heure auparavant, étaient encore dans l’immeuble louche et mal fréquenté de Belmont Street, profitaient désormais du petit jour levé, et de l’ouverture de quelques boutiques pour se réconforter.

Un bar avait relevé sa devanture et le patron de l’établissement, tout en fourbissant ses cuivres dès l’aube, était enchanté de servir à boire à des consommateurs levés dès potron-minet, ou alors pas encore couchés, pensait-il.

Les tenanciers de bar sont toujours satisfaits de voir venir chez eux les policemen ; la présence dans leur boutique des représentants de l’autorité est pour eux une garantie de bon renom et nombreux sont les patrons, à Londres, qui sont trop flattés de désaltérer pour rien ces messieurs les agents qui, cependant, sont des gens ayant bien souvent soif.

Shepard et son compagnon, debout le long du comptoir, devisaient à voix basse.

Shepard semblait ennuyé.

Aucun résultat intéressant. En dépit de ses efforts, il n’avait pu mettre la main sur le Bedeau qu’il recherchait depuis plusieurs jours.

C’était vexant, mais la partie n’était pas perdue. Shepard avait sa conviction, en dépit de ce que lui avait déclaré Beaumôme, que le Bedeau n’était pas à Paris, mais à Londres…

Il exposait sa façon de voir avec un grand luxe de détails, et le policeman, pendant ce temps, tout en se grattant violemment la gorge comme quelqu’un qu’étoufferait un whisky trop fort, prenait l’air d’un imbécile qui approuve de temps à autre, par des hochements de tête, les pronostics et déductions de son chef…

— Mais, interrogea-t-il enfin, pourquoi recherchez-vous ce Bedeau ?

Shepard toisa le policeman. Quelle question idiote. Il répondit néanmoins :

— Parbleu, j’ai mes raisons pour croire que cet individu est coupable d’avoir fait disparaître un détective de nos collègues… le détective French, qui était en mission en France pour retrouver… Mais, au fait, cela ne vous regarde pas…

— Vous avez raison, continua le policeman, cela ne me regarde pas de savoir que French, membre du Conseil des Cinq, était parti pour Paris afin de retrouver M meGarrick, si toutefois celle-ci existait…

Shepard, cette fois, regarda le policeman, les yeux ronds.

Décidément, cet homme n’était pas un imbécile… Il n’y avait pas lieu de faire de mystère avec lui…

Shepard, alors, auquel le whisky déliait la langue, d’autant plus qu’il se trouvait en tête à tête avec un subordonné sympathique, confia au policier toutes ses appréhensions, toutes ses craintes.

Il lui racontait l’extraordinaire disparition de French, le vol non moins surprenant des photographies découvertes par M meDavis dans l’officine de Sigissimons…

Le policeman l’arrêta pour déclarer :

— Dans toutes ces aventures, monsieur Shepard, il ne me semble pas que vous ayez eu la moindre communication avec la personnalité policière que French, votre collègue, était allé voir à Paris ?… Ce M. Juve, ce « fameux Juve », comme on dit, ne s’est-il donc pas mis en relations avec vous ?…

— Ma foi non, répondit Shepard, maintenant que j’y pense, je trouve ça surprenant…

Le policeman cligna des yeux, regarda fixement Shepard et, avec un léger sourire, lui demanda :

— Le connaissez-vous personnellement ?

— Qui donc ?

— Hé ! parbleu, Juve, M. Juve…

— Non, fit Shepard brusquement, mais peu importe, ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Je regrette vivement que la perquisition de cette nuit ne m’ait pas donné satisfaction. J’ai manqué le Bedeau, peut-être de quelques minutes seulement. Par contre, j’ai perdu mon temps avec des gens insignifiants… ce jeune apache… ce Beaumôme ne m’inspire certainement pas grande confiance, mais, en tout cas, je n’ai rien à lui reprocher… ce nègre, ivrogne et imbécile, qui est tombé dans l’escalier, s’est cassé trois ou quatre dents… et enfin cette femme perdue, cette malheureuse Française, cette Nini Guinon…

— Nini… interrompit le policeman, l’avez-vous vue tout à l’heure ?…

— Eh bien, oui, fit Shepard, elle était installée chez une voisine…

— Elle ne vous a rien dit ? Elle ne s’est plainte de rien ?

— Non…

Il y eut un silence. Le policeman sembla réfléchir profondément avant de reprendre la parole. Enfin, préoccupé, soucieux, il demanda à son supérieur :

— Que diriez-vous, monsieur Shepard, si une femme, une mère à qui l’on vient de voler son enfant avait, après le vol, la chance inespérée de rencontrer des représentants de l’autorité, et qu’elle n’en profite pas pour les aviser de ce malheur ? Si, au contraire, elle taisait prudemment les détails de ce vol, dissimulait son émotion et son chagrin ?…

— Où voulez-vous en venir ? interrogea Shepard…

— À rien, poursuivit le policeman, je demande simplement ce que vous penseriez d’une femme qui aurait une telle attitude ?

— Ma foi, déclara le détective, je me demanderais si cette femme n’est pas elle-même bien suspecte, bien sujette à caution pour hésiter ainsi à solliciter l’appui de la justice…

— C’est ce que je voulais vous faire dire, conclut le policeman… Voulez-vous, monsieur Shepard, accepter un autre whisky chaud ?

***

Une heure après seulement, le détective et le policeman sortirent du bar.

Ils avaient absorbé de nombreux verres d’alcool et plusieurs sandwichs au jambon…

Shepard éprouvait désormais la plus grande sympathie pour ce policeman décidément intelligent et qui, chose curieuse, semblait, quoique n’étant pas du quartier, fort bien connaître tous les habitants de Belmont Street, et fréquenter la petite colonie française dont les apaches, tels que Beaumôme, le Bedeau, les femmes telles que Nini, le nègre tel que Job, étaient les plus beaux ornements…

Quant au policeman, il s’était prodigieusement amusé lorsque Shepard avait parlé du policier français, Juve en particulier.

***

C’était le matin, le mouvement recommençait dans Whitechapel, quartier sinistre la nuit, mais qui, au grand jour, avait repris le caractère nettement commercial de tous les autres quartiers de Londres.

Shepard et le policeman allaient se séparer, mais au moment des adieux le détective qui, depuis quelques instants semblait préoccupé, soucieux, dit à son compagnon :

— Écoutez, policeman, un vieux dicton anglais prétend que pour exercer votre métier, il faut être à la fois grand et bête… or, vous n’êtes ni l’un ni l’autre et, sans que je sache d’où vous tenez vos renseignements – ce qui ne me regarde pas mais fait honneur à vos capacités – j’estime qu’en me renseignant sur cette colonie française vous m’avez rendu cette nuit un signalé service… Je veux que vous m’en rendiez un autre. Les bons comptes ensuite feront de bons amis… Vous pourrez espérer ma protection… Policeman, êtes-vous disposé à m’aider de votre mieux pour sauver un innocent qui est en même temps un collègue ?

Énigmatique, le policeman répondit :

— Chef, je serai toujours à votre disposition.

— Il faut être mieux qu’à ma disposition, policeman. Il faut être presque mon associé… Je vous ai prévenu qu’il s’agissait d’une affaire délicate, puis-je compter que vous m’aiderez ? Naturellement, j’obtiendrai de votre chef de brigade l’autorisation de vous employer, mais je ne lui dirai pas à quelle besogne…

Le policeman scruta du regard le visage de Shepard pour bien lire le fond de sa pensée :

— Vous voulez, demanda-t-il, que je m’engage à commettre avec vous… même une illégalité ?

— Peut-être… avoua Shepard…

Le policeman baissa les yeux, considéra attentivement la pointe de ses souliers, puis, relevant la tête, il déclara :

— Je suis assez ambitieux et désireux d’arriver rapidement au grade de « sergeant ». Votre protection me sera fort utile. Si je vous promets mon dévouement, pourrai-je compter sur vous à mon tour ?

Le détective sourit. Du geste, il interrompit le brave policeman : on pouvait compter du lui.

Changeant alors de ton, le policeman interrogea :

— Quand avez-vous besoin de moi, chef ?

— Dans sept jours et pour quarante-huit heures, particulièrement les 14 et 15 juin…

Les deux hommes allaient se quitter. Au moment où ils se séparèrent, le policeman lâcha un dernier mot :

— La nuit du 14 au 15 juin… c’est à cette date, n’est-ce pas, que doit avoir lieu l’exécution de Garrick ?

Shepard eut un haut-le-corps : décidément ce policeman était d’une rare intelligence, il comprenait à demi-mot… il devinait avant qu’on lui expliquât.

— Oui, dit Shepard, c’est en effet, pour l’exécution de Garrick que j’ai besoin de vous.

Puis il s’éloigna à grands pas, cependant que le policeman demeuré immobile sur le trottoir souriait silencieusement en le regardant partir.

20 – TOUS POUR UN, UN POUR TOUS

Garrick marchait de long en large dans l’étroite cellule où il attendait la mort…

Il faisait clair dans ce réduit qu’éclairait une petite fenêtre, parcimonieusement percée dans une muraille épaisse à enlever tout espoir d’évasion possible…

Le condamné pouvait juste faire quelques pas de la lourde porte à la muraille.

Pour tout meuble, une couchette de bois, un escabeau dont les pieds de fer étaient fixés au sol.

Les mains derrière le dos, le front sombre, la mine soucieuse, Garrick, en sa promenade écourtée, donnait l’impression d’un fauve en cage, perpétuellement soucieux de découvrir entre les barreaux un moyen d’évasion…

Il est plus facile de fuir la cage de fer qu’une prison britannique, et Garrick condamné à être pendu par le cou savait qu’il le serait, obligatoirement, nécessairement, sans rémission. Chaque moment, chaque mouvement du balancier hâtait la terrible minute. Chaque instant vécu dans l’angoisse de la mort prochaine rendait encore plus certaine la venue de celle-ci.

Et Garrick, inlassablement se répétait ces quelques mots qui finissaient par n’avoir plus de sens à son oreille, mais qui reprenaient toute leur valeur dans l’éclair d’une pensée :

— Je vais mourir.

Soudain, le condamné s’arrêta.

Se trompait-il ? Était-il victime d’une de ces hallucinations comme en ont les condamnés, précisément ? Mais non, il avait reconnu le pas du gardien. La clef grinçait déjà dans la serrure… La porte s’ouvrait :

— Garrick, visite de l’aumônier.

— C’est vrai, j’avais oublié, se dit Garrick. Faisons bonne figure.

Et à voix haute et calme :

— Vraiment ? demanda-t-il, l’aumônier de la prison, ou un autre ?

« Ah ! le Révérend William Hope !… Dieu soit loué ! qu’il entre !

Soudain la figure de Garrick s’était éclairée.

L’ombre d’un sourire avait même distendu ses traits tandis qu’il demandait qu’on fasse venir le Révérend.

C’est que pour Garrick, pour Garrick qui était Tom Bob, même si le bas personnel de la prison l’ignorait, le Révérend William Hope n’était pas seulement un aumônier quelconque… c’était surtout un collègue, un camarade, un ami presque.

Garrick allait avoir cette dernière consolation de pouvoir causer à cœur ouvert, une fois encore, avant d’aller tendre le cou à la corde de la potence.

Le gardien, toutefois, s’était retiré. Il avait soigneusement verrouillé la porte, Garrick entendait son pas s’éloigner puis se rapprocher. Les grincements de serrure se firent de nouveau entendre, la porte s’entrebâilla une seconde fois, le geôlier, respectant les formes, annonçait suivant l’usage :

— Garrick, voici l’aumônier, le Révérend William Hope ! Monsieur le Révérend, vous êtes autorisé à passer une heure avec le condamné. Dans une heure je reviendrai vous prendre, mais si vous vouliez vous en aller avant, vous n’auriez qu’à frapper trois coups contre la porte…

Puis le geôlier se retira, enfermant le Révérend William Hope en tête à tête avec Garrick.

À peine étaient-ils seuls que les deux hommes, les mains tendues, échangeaient une étreinte rapide :

— Mon bon ami murmura William Hope… Du courage…

— Du courage ? j’en ai, riposta Garrick-Tom Bob ; j’en ai à revendre, du courage… mais c’est affreux quand même…

Le Révérend William Hope, la tête basse, l’air profondément ému, laissait parler le prisonnier…

Il se dégagea enfin de la poignée de main que Garrick éternisait, repoussa le malheureux vers le lit, cependant que lui-même s’installait sur l’escabeau…

— Tom Bob, dit-il d’une voix tremblante, ne perdons pas de temps… les minutes sont précieuses… je viens ici en ambassadeur, je viens au nom de tous les membres du Conseil des Cinq. Tom Bob il ne faut pas que vous mourriez…

Garrick en entendant ces étranges paroles – car il était, en vérité, étrange que les membres du Conseil des Cinq eussent seulement pensé à sauver leur malheureux chef, certes, injustement condamné, mais hélas bel et bien condamné, irrémédiablement perdu de ce fait – Garrick avait pâli…

Il se leva…

— William Hope, vous venez au nom des Cinq ?…

— Oui !

— Alors, jurez-moi, sur votre honneur – c’est la dernière consolation que je puisse espérer – que pas un de nos collègues ne doute de moi ? qu’aucun ne se refuse à admettre mon innocence ?

Devant l’émotion de son chef, ne cherchant plus qu’à mourir avec une réputation intacte, le pasteur se sentit encore plus troublé…

— Vous ne comprenez pas, Tom Bob, l’importance des paroles que je viens de prononcer… Le serment, je vous le fais bien volontiers, mais, pour Dieu, il est inutile, puisque si je suis ici, c’est pour vous demander, à vous, Tom Bob, comment nous pouvons vous sauver ?

— Me demander cela ? à moi ?

— À vous ….

— William Hope, je ne vous comprends pas ?…

— Tom Bob, reprit le révérend, calmez-vous je vous en prie, calmez-vous, ce que je vous dis est simple et j’ai besoin de toute votre attention… Écoutez-moi, Tom Bob : ce matin nous nous sommes tous réunis… Tous, hélas, nous ne sommes plus très nombreux. French est mort sans aucun doute… notre pauvre Conseil des Cinq est réduit à trois membres : Shepard, Mistress Davis et moi… eh bien, nous trois, Tom, nous trois, vous m’entendez, voyant que vous alliez être irrémédiablement exécuté, que nous n’avions aucun moyen légal de vous tirer d’affaire, nous avons résolu, de vous sauver quand même… de vous sauver, Tom Bob, je le répète, quand même…

— Hélas, Hope, on ne peut plus me sauver…

— Tom Bob, ne parlez pas ainsi…

— Vous avez donc un plan, Hope ? un plan d’évasion ?

Le Révérend secoua la tête :

— Non ! avouait-il, non, Tom. Tenez, ce matin, nous avons discuté, trois heures durant, nous avons échafaudé les projets les plus fous, nous avons envisagé les combinaisons les plus téméraires… nous n’avons pu rien arrêter… Tom Bob, en conseil, nous avons décidé, nous, les chefs de la police anglaise, que nous ne voulions pas que vous mouriez… nous nous sommes, hélas, avoué, aussi, que nous ne savions pas comment empêcher votre mort… Si je suis ici, Tom, c’est que Mistress Davis, oui, Mistress Davis, c’est à elle que revient l’honneur de cette idée, Mistress Davis nous a dit : « Il n’est qu’un homme assez habile pour pouvoir trouver un moyen de faire évader Tom Bob, et cet homme, c’est Tom Bob lui-même… » C’est pourquoi Tom, je suis ici… Ce que vous déciderez, nous le ferons. Ce que vous demanderez, encore une fois, nous l’exécuterons. Nous voulons vous sauver la vie, mais vous seul pouvez nous guider… parlez, Tom Bob, ce sont vos ordres que je viens prendre ?…

Garrick était bouleversé. Il n’ignorait pas que ses collègues du Conseil des Cinq lui vouaient une admiration profonde et une affection vraie. Mais…

Certes. Mais de là à croire que ce sentiment résisterait aux épreuves et au doute le plus légitime !… Eh bien oui, ces défenseurs de l’Ordre, voilà que pour le sauver, ils n’hésitaient pas à se révolter contre la Loi… Et, à mesure que William Hope parlait, Tom Bob se sentait les yeux humides. Mais il fallait garder son sang-froid. C’était le moment ou jamais.

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