Le pendu de Londres (Лондонская виселица) - Сувестр Пьер 4 стр.


Et puis, soudain, brusquement, au beau milieu d’une journée monotone où Fandor réussissait à affranchir définitivement ses mains du terrible lien des menottes, une nouvelle surprise…

Il lui avait semblé que son logis bougeait…

Et Fandor, abruti d’étonnement, se demanda :

— Mais sapristi de sapristi, qu’est-ce que cela veut dire ? suis-je donc dans une caisse, ou bien dans une roulotte automobile… et puis où m’emmène-t-on ? que va-t-on faire de moi ? ah ! Juve ! Juve !… je crois que si vous n’arrivez pas…

4 – UNE ENQUÊTE À PUTNEY

Superbe dans son uniforme sombre, coiffé d’un casque irréprochable, le policeman qui surveillait le 4 eîlot de Elsted Street avisa un mendiant qui, depuis quelques minutes déjà, s’appuyait à la courte grille d’une des petites villas élevées au long de l’allée, villas élégantes, luxueuses, d’aspect uniforme, exactement semblables à toutes les villas que l’œil pouvait apercevoir à perte de vue, depuis le commencement jusqu’à la fin de la voie percée en droite ligne, et déserte encore à cette heure matinale.

Le policeman traversa la chaussée, s’approcha de l’individu :

— Qu’est-ce que vous faites-là ?… ce n’est pas un lieu pour dormir. Partez…

L’autre, le misérable, le contempla avec une grande gravité, et tout le respect dû à la haute situation de « policeman ».

— Je ne fais rien, officier… je ne dormais pas… j’attendais…

— En vérité !… quoi donc ?

Le mendiant eut un geste vague, un sourire parut flotter sur ses lèvres :

— Officier, répondit-il enfin, j’attendais qu’il passe quelqu’un que je connais. Mais ce damné garçon a dû trop boire de whisky hier, et je le suppose en retard. Oui, vraiment. Ce qui fait que je vais m’en aller…

Et tandis qu’il s’éloignait, le policeman, flegmatiquement, suivait des yeux le pauvre bougre.

— Je n’aime pas, pensait le digne policeman, que de pareils individus se reposent ici.

Et toujours digne, l’air sévère, le maintien imposant, le policeman reprit sa promenade, marchant soigneusement au centre de la rue où les voitures, avec une régularité admirable, un respect de l’ordre extraordinaire, tenaient rigoureusement leur gauche…

***

Cette courte scène se passait à Putney, dans un des quartiers les plus luxueux de Londres, l’un de ceux où se trouvent les plus somptueux petits hôtels habités par les riches commerçants de la Cité qui, chaque soir les heures de travail terminées, les affaires achevées, reviennent à grand renfort d’ « autos », de « cabs » ou même de « métropolitain » rejoindre cet endroit paisible.

C’était lundi matin. Après le triste dimanche anglais, Londres se ranimait, reprenait son va-et-vient accoutumé, un va-et-vient d’aspect bizarre, très affairé, certes, un va-et-vient de gens pressés, un va-et-vient de gens silencieux. C’était partout la rumeur des choses en mouvement, des roues de voitures qui sautent sur le pavé et des pas qui martèlent les trottoirs, mais aucune exclamation, aucun rire, aucune parole.

Tous ceux qui suivaient Elsted Street se rendaient évidemment quelque part, et trouvaient naturel de ne pas penser – en quelque sorte, de ne point vivre – jusqu’à ce qu’ils y fussent arrivés.

Par exception d’ailleurs, il faisait ce matin-là un clair soleil de printemps. Huit heures venaient de sonner. À chaque villa, les jalousies s’ouvraient sur les bow-windows, les gens de service commençaient à faire le ménage, petites bonnes blondes bien proprettes, coiffées de bonnets élégants, portant des tabliers à bavette, comme les plus coquettes femmes de chambre de France, valets, roux, graves, dignes, froids, effectuant avec un sérieux comique les besognes les plus ordinaires, frottant une vitre avec des airs de Vinci en train de peindre la Joconde.

Putney s’éveillait. Putney faisait toilette.

Après le repos du dimanche, le quartier redevenait ce qu’il était habituellement, bourgeois, cossu, riche aussi. Un quartier privilégié, en vérité, où les pourboires étaient nombreux, où l’usage était que chaque propriétaire de villa donnât lui-même, chaque semaine, quelques pences aux petits ramasseurs de crottin.

Le policeman continuait sa promenade de long en large, inspectait toute chose de son air de grand seigneur.

Des soldats, en éclatants uniformes rouges, passèrent.

Puis, un prédicant tenta de rassembler quelques badauds pour leur reprocher de n’avoir point assez sanctifié la veille, et, découragé, alla prêcher plus loin la bonne parole…

Et ce fut la sortie des bonnes allant porter les commandes, que les fournisseurs s’empresseraient de faire livrer.

Le policeman avait quitté le milieu de l’avenue.

Debout sur le bord d’un trottoir, il surveillait le passage des domestiques, échangeant avec certaines petites cuisinières de glorieux sourires.

— Salut, miss Mary…

— Salut, officier…

Et jamais, ni lui, ni elles n’ajoutaient une phrase de plus…

Pourtant, comme fatigué de sa station immobile, le policeman recommençait à faire les cent pas, il parut sortir de son apathie, et fronçant les sourcils, traversa rapidement la chaussée, se dirigeant vers l’autre côté de la rue.

— Hep ! siffla-t-il, je vous ai déjà dit de passer votre chemin… que voulez-vous ?

La demande s’adressait une seconde fois au mendiant que tout à l’heure il avait prié de s’écarter.

Ah ça ! cet homme, allait-il le contraindre à sévir ? Le policeman, répéta :

— Je vous ai prévenu que ce n’était point un lieu pour dormir ?… vous m’avez compris ?

Comme précédemment, le mendiant s’inclina :

— Dieu gracieux, officier, je vous ai parfaitement compris ! mais j’attends un damné garçon, et je ne saurais en vérité…

Tout en répondant le mendiant avait souri, et, fouillant dans sa poche, regardant le policeman, il lui tendait, dissimulée dans sa main, une petite carte rouge, ajoutant rapidement :

— Excusez-moi, policeman, mais il est nécessaire que je stationne ici, et que vous ne me fassiez point remarquer…

Le policeman, cette fois, battit en retraite :

— Oh ! pardon ! monsieur, fit-il, je ne savais pas ?… je ne pouvais pas me douter…

Et il allait s’éloigner, lorsque le mendiant le rappela :

— Hep, policeman ?

— Monsieur ?

— C’est bien au 33 qu’habite le docteur Garrick ?

Le policeman ouvrit des yeux effarés :

— Oui, monsieur, c’est bien là… est-ce que… ?

— Qu’alliez-vous dire, policeman ?

— Monsieur, répondit l’autre, je vous prie de m’excuser, car je n’ai évidemment pas de questions à vous adresser…

— Je le sais pardieu bien, mais je vous autorise à parler…

— Eh bien, monsieur, j’allais vous demander si c’était relativement au docteur Garrick que vous vous trouviez dans le quartier… ?

— Cela vous étonnait policeman ?

— Je n’ai pas dit cela…

— Vous avez entendu parler des habitants du 33 ?

Et le pauvre diable, montrant du doigt une somptueuse petite villa dont les stores demeuraient obstinément clos, poursuivit :

— Est-ce qu’il n’y a personne ?

Le policeman eut un geste de doute :

— J’ignore, monsieur, mais j’ai entendu beaucoup parler du docteur Garrick…

— Vous le connaissez ?

— Je l’ai souvent vu…

— Son signalement ?

Le policeman parut faire un effort extraordinaire pour réfléchir, il répondit enfin :

— Il y a, monsieur, en vérité, plus de huit mois que j’ai charge de cet îlot, et je connais tous les habitants…

— Le docteur Garrick seul m’intéresse…

— C’est, monsieur, un homme de quarante-cinq à cinquante ans, très brun. Il porte les favoris et la moustache. Ses cheveux sont longs et bouclés…

— Bien !… riche ?

— Il est dentiste.

— Beaucoup de clients ?

— Non, il exerce à son idée, presque en amateur…

— C’est bien… Nous avons assez causé. Vous êtes de garde jusqu’à quelle heure ?

— Jusqu’à midi, monsieur.

— En ce cas je vous reverrai sans doute… vous savez mon nom ? Non ? Le voici, j’aurai peut-être à vous faire porter un billet… Détective Shepard…

Cette fois le policier n’en croyait plus ses oreilles ! Quoi ! ce mendiant, c’était le célèbre Shepard ? membre du Grand Conseil des Cinq !…

Mais déjà Shepard reprenait la parole :

— Je suis sur une piste intéressante… Mais ceci ne vous regarde pas… Dites-moi qu’elle est la plus grande épicerie du quartier ?

— La prochaine, au coin de la rue…

— C’est bien… à tout à l’heure…

— Je vous souhaite le bonjour…

L’extraordinaire mendiant, quelques secondes plus tard, pénétrait dans la boutique d’épicerie qu’on venait de lui indiquer et y commandait – sortant des pences de sa poche pour inspirer confiance, car sur sa mine, les garçons l’eussent peut-être chassé – une série de petits paquets d’épices concassées, demandant un certain temps de préparation.

Dans l’épicerie, correcte, des cuisinières et des maîtres d’hôtels causaient…

— Et cela va chez vous, John ? s’informait une petite brunette…

— Ni bien, ni mal, miss Betsy ! Hier, sur la Tamise, notre bateau a chaviré, et cela m’a fait ce matin bien des habits à brosser…

— Oh, John… vous vous plaignez toujours…

— Non pas, miss Betsy, mais je regrette que mes jeunes maîtres soient de si forts canotiers… en vérité, je les aimerais mieux faisant du football ou du cricket.

Une grosse cuisinière intervint :

— Dieux gracieux, s’écria-t-elle, vous ne savez pas ce que vous dites, John, les footballeurs se blessent chaque dimanche, et chez nous, par exemple, il y a tout le temps des cataplasmes à préparer, des soins à donner. On n’en finit plus.

Un autre valet surenchérit :

— C’est la pure vérité. Toutes les places où il y a de jeunes messieurs sont des places désagréables…

Mais les domestiques s’interrompirent d’un commun accord, une cuisinière venait d’entrer dans l’épicerie, et son arrivée avait provoqué un mouvement de curiosité.

— By Jove, mais c’est vous, miss Editha ?…

— Moi-même, John.

— Et quelles nouvelles ?

— Aucune, John.

Sur quoi, un grand silence terrifié. Miss Mary hasarda :

— Sûr comme le vrai jour, « il » l’a tuée…

Et le chœur des gens de maison qui se trouvaient dans la boutique répéta :

— Oui, oui, « il » l’a tuée…

Le mendiant se rapprocha :

— Allons, fit-il, se mêlant à la conversation générale… pourquoi voulez-vous qu’il l’ait tuée ?…

À cette simple question, répondit l’hilarité générale. John, orateur de l’assemblée, prit la parole :

— Parbleu, mon brave homme, vous n’êtes certainement pas du voisinage, pour poser une telle question. Pourquoi le docteur Garrick a tué Mistress Garrick ? mais pour aller vivre tranquillement avec sa bonne amie…

— Il a donc une maîtresse ?

— Vous n’êtes donc pas du quartier, mon ami ?

— Non, non, dit le mendiant, mais j’ai entendu parler de cette affaire.

— Bien mal, alors…

— Peuh, c’est possible… et puis cela me semble si extraordinaire ce que l’on raconte ?…

On faisait cercle, maintenant, autour du détective. Et si l’on ne riait plus, on s’entre-regardait stupéfait de l’incrédulité du bonhomme…

Un grand garçon pénétrait, la figure souriante, dans l’épicerie. John le héla :

— Hello, Sammy, venez un peu, mon garçon, il y a là un gentleman qui n’est pas du quartier et qui ne croit pas que le docteur Garrick a tué M meGarrick.

Sammy, le nouveau venu, qui s’était arrêté à l’apostrophe de son camarade, s’administra, en signe de profonde stupéfaction, deux vigoureuses claques sur les cuisses.

— Vraiment ? fit-il, et pourquoi le gentleman ne croit-il pas à ce que nous savons tous ?

Le faux mendiant, qui gardait le visage souriant et l’air bonhomme, se contenta de hausser les épaules :

— Je ne crois pas, répondit-il, vous allez vite en besogne… je n’ai pas dit ça, j’ai dit : c’est douteux… et voilà tout. D’abord, qu’est-ce que vous croyez vous tous ?…

Du geste, Sammy invita John au silence. Il précisa :

— Ce que nous croyons, garçon ? tenez, voilà : c’est que le docteur Garrick est un vilain merle, un bourru, désagréable, avare, qui n’est jamais chez lui, qui a de l’argent et qui ne le dépense pas. Il ne travaille pas. Personne ne sait seulement où il va à l’église.

— Cela ne prouve pas qu’il a tué sa femme ?…

— Si, vraiment… Miss Editha, vous en dirait bien quelque chose… Est-ce vrai, Miss Editha ?

— Ce qu’il y a de plus vrai, Sammy…

— Vous le voyez bien, garçon ?… donc cet homme bourru est le légitime époux de la plus jolie femme de tout Putney…

— M meGarrick est si jolie ?

— Mieux que jolie ! grande, blonde, gaie, enjouée, généreuse, enfin charmante… le vrai mariage d’un ours et d’une colombe…

Et comme la comparaison faisait rire la compagnie, Sammy, enchanté de son effet, poursuivit :

— Donc, il n’est pas étonnant que l’ours ait assassiné la colombe… D’ailleurs, en vérité, je vous l’affirme, mais Editha nous l’a assez souvent dit, ce n’était pas un ménage uni…

— C’est vrai, dit Miss Editha, pauvre M meGarrick… Elle n’était pas heureuse avec monsieur…

Le mendiant n’avait pas l’air convaincu pour autant.

— Tout cela, je le veux bien, dit-il, c’est la pure vérité, mais je soutiens toujours que rien ne prouve, comme on le dit dans le quartier, comme vous l’affirmez du moins, que le docteur Garrick ait tué sa femme…

C’est encore Sammy qui répondit :

— Si donc… et d’abord, que voulez-vous qu’elle soit devenue, M meGarrick ? puisque depuis sept à huit jours elle a totalement disparu…

— Elle est peut-être en voyage ?

— Mais non, miss Editha n’a pas fait de malles…

— Elle a pu n’emporter qu’une valise…

— Mais si elle était en voyage, garçon, elle aurait dit adieu à ses amis ?… or, personne n’a été prévenu de son départ…

— M meGarrick a pu partir à l’improviste…

— Nous l’avons tous cru, mais elle aurait écrit au docteur…

— Et vous êtes sûr qu’elle n’a pas écrit ?…

— J’en suis certaine, affirma Editha, je lis les lettres de Monsieur, ainsi…

Le faux mendiant, qui faisait si habilement causer les domestiques de Putney, parut hésiter quelques instants, puis il reprit :

— Vous direz tout ce que vous voudrez, mais rien de tout cela n’est grave, en somme. Vous accusez le docteur Garrick d’avoir tué sa femme, tout simplement parce que celle-ci, depuis huit jours, a disparu de sa maison. Si vraiment le docteur Garrick était un assassin quelconque, il ne serait pas resté à Putney… il se serait enfui… et…

Miss Editha lui coupa la parole :

— Eh, justement, depuis la disparition de Madame, le docteur n’est plus jamais là. Il est vrai qu’il est peut-être chez sa maîtresse, et avec son enfant… Ah, c’est un vilain homme, bon, allez, un homme qui, j’en mettrais ma main au feu, a dû tuer sa pauvre malheureuse femme…

Dans la boutique, où d’autres clients se faisaient servir, indifférents, tous les domestiques approuvèrent.

***

— Hop, policeman…

— Monsieur ?…

— Que disiez-vous, tout à l’heure sur le docteur Garrick ?… vous connaissez les bavardages du quartier ?

— Oui, monsieur…

— Et vous y ajoutez foi ?

Le policeman hocha la tête, regarda le faux mendiant d’un air craintif.

C’est que Shepard, membre du Conseil des Cinq – l’un des plus célèbres et des plus grands détectives d’Angleterre – paraissait de fort méchante humeur…

On accusait partout le docteur Garrick d’avoir tué sa femme…

Cela c’était indiscutable…

D’autre part, le coroner, l’avant-veille, avait paru à la fois intrigué et troublé en apprenant les premiers détails de cette affaire, et il avait donné ordre de commencer l’enquête.

Pourtant, Shepard se demandait s’il devait poursuivre ou arrêter ses recherches.

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