L'Arrestation de Fantômas (Арест Фантомаса) - Сувестр Пьер 10 стр.


— Brigadier, dit Pancrace, ces deux hommes…

Le brigadier Sosthène était homme de devoir.

Bien qu’intérieurement, au plus profond de sa conscience, il eût fort envie à ce moment d’envoyer au diable son zélé subordonné, il se rendit compte qu’il devait se rendre à sa prière. Et en avant pour l’interrogatoire d’identité des deux suspects.

Les deux pauvres bougres se regardèrent ayant l’air fort interloqués.

— Dame, commença celui qui paraissait le plus âgé ; dame, mon brigadier, ça n’est pas de refus. Si c’est que vous voulez savoir, comment nous nous appelons, on va vous le dire.

— Et plus vite que ça.

— Eh bien voilà, mon brigadier. Mon compagnon, c’est Victor et moi c’est Jean, Jean-Émile ou Émile-Jean comme vous voudrez.

À la vérité, cette réponse n’offrait aucun caractère suspect.

Tout autre que le brigadier Sosthène eût même estimé qu’il était parfaitement légal de s’appeler Victor et Émile-Jean, mais le brigadier Sosthène se targuait d’un flair exceptionnel.

Toujours pour étonner la petite servante, qui maintenant le considérait avec des yeux stupides, car elle commençait à le trouver fort beau dans l’exercice de ses fonctions, le brigadier Sosthène se mit à hurler :

— Je m’aperçois mon gaillard, que vous êtes des fortes têtes. Victor, eh, eh, comme le prince Napoléon ? Tiens. Et la République alors ? Moi, je crois que votre cas va être clair. Alors, votre camarade s’appelle Victor et vous Émile-Jean ? Gendarme, écrivez cela. Vous avez des papiers sans doute ?

Le pauvre bougre, qui paraissait maintenant complètement ahuri sous le flot de paroles du brigadier, hocha négativement la tête :

— Non. On n’a pas de papiers. Dans notre profession…

— Je vois ce que c’est votre profession ? Qu’est-ce que vous faites ?

— Mon brigadier, on est « sur le trimard », mais on est quand même de braves gens.

— Suffit, dit le brigadier Sosthène, gendarme, buvez votre pichet de cidre, et fouillez-moi ces personnes. Il n’y a pas d’honnêtes gens là où il n’y a pas de papiers.

Évidemment l’affaire se corsait.

Les deux gendarmes étaient partis le matin même en tournée d’inspection, sur un ordre de leur colonel qui leur avait enjoint de mieux surveiller les routes où pullulaient les gars de batterie, les chemineaux sans abri. Ils songeaient vraisemblablement que le hasard venaient de les mettre en présence d’un de ces « dangereux » individus qui n’hésitent pas à voler des pommes et même à assassiner les poules.

Il fallut une seconde à peine au gendarme Pancrace pour avaler son pichet de cidre, et encore le fit-il avec une si grande précipitation qu’il manqua s’étrangler.

Et merveilleux de dignité, le képi en arrière, les bras grands ouverts, le gendarme Pancrace s’approcha des deux chemineaux.

Et il s’apprêtait à fouiller, de force, dans les poches du plus âgé des trimardeurs… lorsque, soudain, avec une souplesse dont on ne l’aurait pas cru capable à première vue, le misérable glissa sous les bras du pandore, sauta d’un bond auprès du brigadier, qui, déjà légèrement apeuré, fit de vains efforts pour sortir du fourreau son sabre gigantesque.

— Brigadier, déclara le trimardeur, conformément à la Loi, je réclame le droit de ne parler qu’à la gendarmerie devant votre colonel.

Et, en même temps, le trimardeur tirait de sa poche un grand portefeuille rouge qu’il agitait triomphalement :

— Oui, j’ai des papiers. Mais ce n’est pas à vous que je vais les confier. C’est au colonel.

Tandis que la petite servante pensait s’évanouir d’effroi et hurlait maintenant d’inintelligibles invocations à la vierge Marie, à sainte Anne d’Auray, à saint Joseph son patron, les deux gendarmes échangèrent des œillades affolées.

— Diable de diable, dit Pancrace, c’est à n’y rien comprendre du tout, brigadier. Il disait tout à l’heure qu’il n’avait pas de papiers, et puis maintenant il a un portefeuille, et puis il a à parler au colonel. Bon dieu de bonsoir, qu’est-ce que signifie tout cela ?

Le brigadier n’était pas beaucoup plus rassuré.

Lui aussi, d’un œil sans expression, mais où se lisait un ahurissement absolu, contemplait le chemineau qui avait déclaré s’appeler Émile-Jean, et qui, maintenant, debout à ses côtés, le visage dur, l’air impassible et furieux, semblait attendre qu’il prît une décision.

— Bon dieu de bonsoir de bois et nom d’un ventre rouge de nom de gendarme, jura le brigadier Sosthène. Gendarme Pancrace, au nom de la Loi, je crois qu’il convient nécessairement de mettre en état d’arrestation et d’incarcération ce particulier-là ?

Puis, soudain, considérant que le chemineau Émile-Jean avait un compagnon, le brigadier Sosthène ajoutait :

— Mais, voyons un peu à voir, gendarme Pancrace, si le nommé Victor, susdit et désigné, n’a rien de dangereux ni de compromettant sur lui ?

Le gendarme Pancrace n’écouta que son courage.

Tout comme il avait voulu le faire pour le chemineau Émile-Jean, il s’avança donc les bras ouverts dans la direction du chemineau Victor.

Le digne Pancrace n’avait pas fait deux pas dans la direction du second chemineau, qu’exactement à la façon dont Émile-Jean avait agi, Victor se glissait sous ses bras, échappait aux mains velues qui se dirigeaient vers lui.

Le second trimardeur cria, lui aussi :

— Brigadier, arrêtez-moi si vous voulez, mais je ne parlerai que devant votre colonel.

***

Sept kilomètres sont peu de chose.

Si ce n’est lorsqu’il faut franchir ces sept kilomètres menottes aux mains et marchant à pied entre deux gendarmes qui se prélassent, eux, sur leur robuste monture.

Or, c’était à pied, entre leurs deux chevaux, et les tenant par de longues menottes dont il gardait la chaîne en main, que le brigadier Sosthène et le gendarme Pancrace avaient ramené à la gendarmerie leurs deux prisonniers.

Il n’était donc pas étonnant qu’Émile-Jean, tout comme Victor, les deux trimardeurs, fussent littéralement rompus de fatigue au moment où, toujours grave et digne, le brigadier Sosthène vint les chercher dans la chambre de force où on les avait bouclés, pour les conduire auprès du colonel de gendarmerie, averti de leur arrestation, et probablement désireux de les interroger.

— Criminels, ordonna le brigadier Sosthène, mettez-vous debout, et pas à pas en marchant, suivez-moi. Vous allez voir le colonel.

Le brigadier Sosthène, cependant, qui n’était pas peu fier d’avoir arrêté deux assassins, qui « devaient être » prochainement « convaincus d’assassinat », avait-il affirmé à tous ses collègues, devait aller de désillusion en désillusion.

À peine, en effet, le digne sous-officier eut-il conduit dans le cabinet du colonel de la gendarmerie les nommés Victor et Émile-Jean, que le colonel, d’un geste aimable de la main, congédiait le brigadier Sosthène.

— Cela va bien, mon ami, je vous rappellerai tout à l’heure.

Puis, l’ordre donné, le colonel avait ajouté, comble d’ingratitude :

— Fermez la porte, n’est-ce pas, et mettez un planton devant mon cabinet. Je désire que personne n’entende l’interrogatoire de ces deux hommes.

***

Pourquoi le colonel de gendarmerie avait-il renvoyé le brigadier Sosthène au moment où il s’apprêtait à interroger les deux trimardeurs ?

L’inséparable compagnon du gendarme Pancrace se le demandait, certes, mortifié.

Il eût été bien autrement ahuri, si la porte une fois refermée sur lui, il avait pu apercevoir le sourire qui flottait sur les lèvres de son chef. Car, en vérité, le colonel Mastillard souriait.

Il souriait même des plus ostensiblement, en regardant les deux trimardeurs, en leur disant, d’une voix fort aimable :

— Êtes-vous satisfaits, messieurs ? Mais, avant tout, désirez-vous prendre quelque rafraîchissement ? Croyez que je suis au regret de n’avoir pu adoucir votre sort, mais je tenais à exécuter fidèlement la consigne qui m’avait été transmise.

— Et nous vous remercions, précisément, mon colonel, de la façon dont cette consigne a été exécutée.

Car, en vérité, ce trimardeur, cet Émile-Jean, cet assassin présumé, paraissait fort à l’aise et répondait, sans le moindre embarras, au colonel Mastillard.

Son compagnon, d’ailleurs, ne faisait pas montre d’une moindre assurance.

Lui aussi semblait de fort bonne humeur :

— Cher monsieur, dit-il, tout en se laissant tomber dans un fauteuil garnissant la pièce, cher monsieur, je vous avoue que j’accepterais volontiers, pour ma part, un verre d’eau fraîche. Je n’avais encore jamais été arrêté par des gendarmes, et, ma foi, l’impression que je rapporte de cette aventure est une impression de soif. Pristi que l’on avale donc de poussière, en marchant entre deux chevaux.

Et, là-dessus, Victor éclata de rire, cependant que son compagnon haussait les épaules, amusé, et que M. Mastillard se précipitait vers un angle de son cabinet et saisissait sur un plateau des verres de sirop, tout préparés, qu’il offrait avec de profondes révérences aux deux chemineaux :

— Messieurs, messieurs, encore une fois, buvez donc et, encore une fois, excusez-moi.

Ils burent.

— Savez-vous, messieurs, comment j’ai été prévenu ? reprit le colonel.

— Parfaitement. C’est nous qui vous avons fait télégraphier.

— Vous, et comment cela ?

Le chemineau Victor à son tour s’était levé.

— Vous permettez ? demanda-t-il.

Et, sans attendre la réponse, il prit sur la table du colonel Mastillard un télégramme, qu’il lut à haute voix :

Par ordonnance et sur réquisition de M. Noyot, juge d’instruction à Brest mandement est fait au colonel Mastillard d’envoyer deux hommes de sa brigade sur la route nationale n° 320, avec mission d’arrêter deux trimardeurs de mauvaise mine qui ne sont autres que le policier Juve et le journaliste Jérôme Fandor, tous deux chargés de missions du Gouvernement, tous deux astreints à se dissimuler, tous deux devant passer pour trimardeurs, être arrêtés comme tels ce jour même et relâchés demain matin, après en avoir conféré avec le colonel Mastillard.

Ce texte lu, le jeune chemineau éclata de rire :

— Savez-vous Juve, que ce télégramme était simplement incompréhensible ? dit-il après avoir ri.

Et Juve approuva :

— Tout à fait incompréhensible. Tu as raison.

Juve n’en dit pas plus, mais le colonel Mastillard, satisfait de la remarque, surenchérit :

— Si incompréhensible, messieurs, avouait-il, que je n’y ai rien compris du tout. Pouvez-vous me fournir quelques explications ?

— En deux mots, expliqua le policier, voici ce qui s’est passé : nous sommes, mon ami et moi, obligés par une mission d’État, dont il ne nous est pas permis, mon colonel, de vous révéler la nature, à voyager par la route jusqu’à Paris. Que faire pour ne pas être attaqués en route ? Que faire, surtout pour nous procurer, la nuit, chaque nuit, un gîte où nous soyons complètement à l’abri ? Mon colonel, nous avons tout bonnement eu cette idée : nous déguiser en trimardeurs, vous faire envoyer par le Parquet de Brest une dépêche vous signalant qu’il était urgent de nous arrêter, nous faire arrêter, donc, nous faire jeter par vous en prison et, de la sorte, voyager le jour sous la garde de deux de vos hommes, puis dormir, la nuit, dans votre chambre de force.

C’est une ruse, mon colonel, rien d’autre.

***

— Entends-tu, Fandor ?

— Quoi ? Non, rien du tout.

— Il m’a semblé qu’un cri…

— Vous avez rêvé, Juve.

— Non, écoute.

— Eh, j’écoute bien. Mais je n’entends rien, je vous assure.

— Pourtant.

— Je vous dis que vous avez le cauchemar.

Fandor venait d’être réveillé par Juve, qui tranquillement l’avait tiré par l’oreille, ce qui était sa façon habituelle, la nuit, d’attirer l’attention de son ami.

Ils se trouvaient, en ce moment, tous deux dans la « chambre de force » où, suivant leur désir, on les avait incarcérés, sans d’ailleurs fournir aux gendarmes étonnés la moindre explication.

Une obscurité d’encre les entourait de toutes parts, l’obscurité impénétrable des locaux hermétiquement clos.

— Bah, cela n’avance à rien de se faire du mauvais sang.

— D’accord, Fandor, mais tout le monde n’a pas ton heureux caractère.

Le journaliste s’était endormi tout de suite. Il avait ronflé. Juve, plusieurs fois, l’avait tiré de son sommeil pour le lui reprocher.

Et puis les heures avaient passé.

Juve, à son tour, s’était laissé aller à une profonde somnolence, il avait complètement perdu la notion des choses, oublié sa mission, oublié même qu’il était arrêté, emprisonné en compagnie de Fandor, lorsque, soudain, à près de deux heures du matin, l’excellent policier avait sursauté, croyant entendre une sorte de plainte, de gémissement provenant de la pièce voisine, de la pièce contiguë à la « chambre de force », où, sur sa demande, le colonel Mastillard devait faire veiller un gendarme sous le fallacieux prétexte de les surveiller, Fandor et lui.

Déjà d’ailleurs, le journaliste était retombé au sommeil. N’entendant plus rien, Juve allait en faire autant, quand déchirante, sinistre, une plainte s’éleva de nouveau :

— Au secours, à moi, à l’aide, à l’assassin.

En un instant, Juve fut debout.

Le policier se précipita sur la porte de sa cellule, y cogna à grands coups de poing.

Mieux inspiré, derrière lui, Fandor avait bondi :

— Reculez-vous, Juve, reculez-vous.

Et, sans laisser le temps au policier de comprendre ses intentions, Fandor empoigna Juve à bras le corps, l’écarta de la porte, dont, il fit sauter la serrure à coups de revolver :

— Un coup d’épaule, Juve et nous passons.

En un clin d’œil, la porte de la chambre de force, en effet, tombait, arrachée de ses gonds.

Mais, au moment même où Juve et Fandor s’échappaient ainsi de leur prison pour courir dans la direction où ils venaient d’entendre appeler au secours, on venait à la rescousse.

Emportés par leur élan, trébuchant, les deux hommes venaient, en effet, de buter dans une troupe de gendarmes à demi éveillés, qui descendaient des étages de la gendarmerie portant des falots et plus grotesquement armés les uns que les autres, qui, d’un pistolet, qui, même d’un simple balai.

Dans la petite pièce qui attenait à la chambre de force, ce fut, alors une sombre mêlée.

— Au secours, à l’aide, par ici.

— Mais où diable est Pancrace ?

Un vrai tohu-bohu.

Par bonheur, l’arrivée du colonel Mastillard suffit à rétablir l’ordre.

— Taisez-vous donc, nom d’un chien, hurla le chef, que se passe-t-il donc ?

C’était la voix de Juve qui répondit :

— Mon colonel, criait Juve, c’est épouvantable. Votre malheureux gendarme vient d’être assassiné.

Et Juve montrait sur le sol, le corps du brave Pancrace, au flanc gauche traversé d’un poignard.

Au petit jour, Juve et Fandor partirent, toujours vêtus en trimardeurs.

— Mon pauvre Fandor, disait Juve, as-tu compris pourquoi ce malheureux Pancrace est mort ?

— Oui.

— Alors pourquoi ?

— Pour moi, Juve, Fantômas a tué ce malheureux qui veillait à notre porte pour arriver jusqu’à nous.

— Non, Fandor, tu te hâtes trop de deviner. Si Fantômas, réellement, avait voulu s’attaquer à nous, il se serait contenté d’immobiliser le gendarme Pancrace, il ne l’aurait pas tué. Crois-moi, ce n’est pas à nous, c’est bien à Pancrace que le bandit en voulait.

— Ah ?

— Écoute, Fandor, il s’est imaginé que pendant notre sommeil nous avions confié le portefeuille rouge au planton qui nous veillait. Et c’est pourquoi Pancrace a été tué, tué à notre place. Sais-tu, Fandor, que nous n’avons peut-être jamais joué partie aussi grave que celle que nous disputons en ce moment pour ce fameux portefeuille rouge ?

— Que vous avez dans votre poche, Juve.

Chose curieuse, le journaliste, en disant cela, avait un vague sourire au coin des lèvres.

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