L'Arrestation de Fantômas (Арест Фантомаса) - Сувестр Пьер 9 стр.


Le policier soudain, éclata de rire :

— Ma foi, Fandor, continua Juve, – mais maintenant le policier parlait à voix basse, – je crois que nous avons merveilleusement joué notre comédie. Tu entends ce ronflement de moteur ? Il y a gros à parier que c’est la voiture de Sonia et d’Ellis Marshall qui démarre. Quand j’ai dit : « Nous coucherons à Morlaix », j’ai parfaitement vu le couple tressaillir de joie. Ces imbéciles vont aller nous attendre sur la route. Ces imbéciles vont nous arracher ce fameux maroquin.

— Qu’ils ne nous enlèveront pas.

— Et pour cause.

Puis Juve, amicalement, pressa Fandor :

— Et maintenant, mon petit, allons acheter quelques vêtements de rechange, une valise et filons tout droit sur Morlaix, comme je te le disais tout à l’heure.

8 – DEUX MONSTRES

Un bruit de pas, un froissement d’herbe, quelques grognements sourds, le bruit d’une lutte rapide dans l’ombre, puis soudain la lueur blafarde d’un rayon de lune perçant la dentelure des ruines de la cathédrale gothique édifiée jadis sur la pointe Saint-Mathieu.

Deux hommes se trouvaient en présence, ils haletaient l’un et l’autre. Ils venaient de se battre.

Ces deux hommes étaient seuls dans la nuit et celle-ci se poursuivait, froide, sombre, silencieuse ; au large, la mer s’était calmée. On n’entendait plus que le bruit discret et monotone des vagues longues et nonchalantes déferlant au loin.

Les deux hommes s’examinaient sans songer à reculer ou à avancer d’un pas. Farouches, mais autant l’un d’eux paraissait lourd, vulgaire, robuste, massif, autant l’autre avait une apparence fine, distinguée, élégante et majestueuse.

Le premier de ces hommes était Jean-Marie.

Jean-Marie, soudain, s’était senti empoigné à l’épaule, il n’avait pas autrement résisté. Depuis vingt-quatre heures qu’avait eu lieu le naufrage du Skobeleff, il vivait dans la crainte, redoutant à chaque instant que sa complicité avec les naufrageurs n’eût été soupçonnée, qu’on ne vînt l’arrêter.

Mais peu à peu, après la résistance machinale qu’il avait opposée à l’homme surgi de l’ombre pour se précipiter sur lui, Jean-Marie l’étudiait avec une certaine curiosité.

Il était enveloppé dans un grand manteau noir. Sur son front s’abaissait un chapeau mou noir, à grands bords souples.

— Que fais-tu par ici, Jean-Marie ?

— Vous regarde pas.

— Parle, je veux savoir.

— On m’interrogera plus tard si l’on veut, pour le moment je ne dirai rien, j’aurai bien le temps de causer au poste, fit Jean-Marie.

— Me prends-tu donc pour un gendarme ?

— Non, mais pour un flic en civil.

— Tu te trompes, Jean-Marie. Je suis mieux que cela, tu ne m’as donc pas reconnu ?

— Non.

L’homme se pencha plus près encore de l’oreille du Breton, et, lentement :

— Je suis Fantômas, dit-il.

— Ah, répondit Jean-Marie, tant mieux, ou tant pis pour vous.

— Jean-Marie, poursuivit le bandit, sais-tu qu’il me suffirait d’une seconde de volonté pour t’abattre immédiatement à mes pieds. Tu n’as pas d’arme.

Jean-Marie haussa les épaules :

— À quoi cela vous servirait ? Vous êtes donc fou ? ou alors est-ce que vous avez l’intention de tuer pour le plaisir ?

— Je ne tue jamais sans raison. J’ai simplement voulu, Jean-Marie, te faire remarquer que tu étais en mon pouvoir.

Le Breton secoua lentement la tête :

— Je ne dépends de personne, on ne peut s’assurer les services de Jean-Marie qu’en lui donnant un peu d’or, le reste me laisse froid, je n’ai qu’un amour au monde, je n’ai qu’une passion.

Fantômas glissa dans la main velue du Breton quelques louis.

— Quel est donc ton métier ?

— Pourquoi me demandez-vous cela ?

— Pour savoir. On pourrait t’employer.

— Je sais tuer comme personne : je suis équarrisseur. Voilà longtemps, très longtemps déjà que je n’ai rien fait. Il faut que je reprenne le métier, je regrette Paris, voyez-vous, et j’y retournerai bientôt.

— C’est là, sans doute, Jean-Marie, que tu retrouveras tes amours. J’ai entendu dire qu’une certaine Fleur-de-Rogue…

— Je me moque des femmes, et ne ferais pas un pas pour elles. Je n’ai qu’un amour, vous ai-je dit, qu’une passion.

— Laquelle ?

— Le sang, je veux voir couler du sang.

Fantômas, qui avait maintes fois entendu parler, dans les milieux d’apaches auxquels il commandait mystérieusement, de Jean-Marie l’équarrisseur et de sa cruauté proverbiale, se disait qu’il y avait évidemment là un serviteur précieux dont il convenait de s’assurer les bonnes grâces.

Fantômas, généreux, glissa encore dans la main du Breton quelques louis d’or que l’homme accepta avec une satisfaction visible, puis Jean-Marie, peu à peu, se familiarisa, raconta ses projets :

— Tenez, fit-il, soudain, Fantômas, vous me plaisez, comme j’ai besoin de vous pour une affaire, je vous propose d’y participer avec moi.

— De quoi s’agit-il ?

— De tuer et de tuer pour voler ensuite.

— Bonne idée, le projet ?

— Je suis embauché en qualité de domestique dans un manoir voisin d’ici, au manoir de Kergollen, chez une certaine dame Brigitte. Elle vit seule, isolée, elle est vieille, elle est riche. Je sais qu’elle a de l’or.

— Jean-Marie, dit Fantômas, il ne faut pas commettre ce crime, je ne le veux pas.

— Bien, fit-il, je le commettrai donc tout seul.

— Non, ordonna Fantômas, tu ne toucheras pas à un seul cheveu de la tête de cette femme, tu ne lui prendras pas un centime.

— J’agirai comme il me plaira.

— Jean-Marie, il ne faut pas songer un seul instant à enfreindre ma colère, sans quoi tu pourrais t’en repentir.

— Je ne me repens jamais et je n’ai peur de rien.

Jean-Marie était brutal et entêté, mais Fantômas était habile.

Dominant ses sentiments de colère, le génie du crime se fit soudain aimable et séduisant. Il tendit la main à l’équarrisseur :

— Jean-Marie, tu me plais, car tu es brave, j’ai voulu t’éprouver. Oui j’accepte de m’associer avec toi pour l’affaire dont tu parles et je sais que tu ne la commettras pas sans moi, car nous n’avons l’un et l’autre qu’une parole. Si j’ai voulu t’empêcher d’agir, c’est pour te protéger. Crois-moi, le coup ne peut pas réussir en ce moment, mais il sera bon dans trois jours.

— Dans trois jours ?

— Oui. J’ai des raisons que je t’expliquerai.

Fantômas finit par convaincre Jean-Marie. D’accord, ils allaient se séparer, ils se retrouveraient dans trois jours, dix heures et quart précises du soir, à l’entrée des offices du manoir de Kergollen. Jean-Marie guiderait le génie du crime à travers les couloirs du vieux manoir, et Fantômas agirait, tuerait la vieille dame, pendant que Jean-Marie s’emparerait des trésors.

Ils allaient se séparer. Jean-Marie rappela Fantômas :

— Écoutez, j’ai quelque chose à vous dire. Une amabilité en vaut une autre.

— Parle.

— Tout ce qui concerne le naufrage du Skobeleffvous intéresse je suppose.

— Exact.

— Eh bien, fit Jean-Marie, j’ai vu…

Le bandit raconta la scène dont il avait été témoin à la fin de la nuit précédente. Il avait vu un officier aller se dissimuler dans une masure, après avoir troqué son uniforme contre des vêtements de femme :

— Cet homme habillé en femme est allé ensuite à deux kilomètres d’ici et a découvert dans la falaise une anfractuosité dans laquelle avec mille précautions, il a enfermé quelque chose, d’évidemment précieux.

— Alors ?

— Alors, fit Jean-Marie, voilà tout. C’est intéressant ?

— Non. Toutefois une chose m’intéresse cependant, cet homme déguisé en femme, cette femme qu’est-elle devenue ?

Jean-Marie n’en savait rien. Fantômas le lui apprit :

— Cette femme, car c’est une femme, en effet, a eu d’impérieuses raisons pour se dissimuler, pour fuir. Il faut absolument la retrouver et rien ne nous sera plus facile, car tu connais son signalement, et je vais te mettre sur sa piste.

— Pourquoi faire ?

— Pour la protéger. Je veux que ce soit toi seul qui le fasses, tu seras largement payé.

Il promit de l’or à l’équarrisseur.

Lorsqu’ils furent d’accord, Fantômas expliqua :

— Tu vas partir, Jean-Marie, partir tout de suite, tu iras sur la route à Morlaix, à Saint-Brieuc, à Dinan, plus loin encore si c’est nécessaire, jusqu’à ce que tu aies retrouvé une roulotte brune, traînée par un cheval gris pommelé. Dans cette roulotte habitent deux bohémiens, que l’on connaît sous le nom du père et de la mère Zizi. Ils étaient hier encore dans les faubourgs de Brest. Tu rejoins cette roulotte, la femme que nous cherchons et qu’il faut protéger y est montée, et tu la suis.

— Et qu’est-ce que je fais, après ?

— Tu la suis, tu ne la quittes pas d’une semelle et, quoi qu’il arrive, tu la protèges contre tous ceux qui lui voudraient du mal, qu’il s’agisse des copains de notre bande ou de la police.

— Combien de temps, ça ?

— Dans trois jours, Jean-Marie, je t’aurai rattrapé. Est-ce entendu ?

Jean-Marie n’avait qu’une parole.

Certes, il ne comprenait pas très bien le but que se proposait Fantômas, mais si grande était la fascination qu’exerçait sur tous ceux qui l’approchaient, le bandit, que l’indomptable Jean-Marie lui-même finissait par trouver naturel de lui obéir. Il irait donc, il agirait comme l’avait ordonné le bandit et cela arrangeait l’équarrisseur somme toute, de s’éloigner momentanément, sans regagner immédiatement Paris toutefois, où la police devait s’inquiéter du retour des apaches.

Jean-Marie s’éloigna dans la nuit, heureux d’entendre tinter l’or au fond de sa poche.

Et il combinait déjà sa nouvelle existence.

Tout d’abord, il allait passer au manoir, prétexter auprès de dame Brigitte d’une indisposition qui l’obligeait à entrer à l’hôpital. Il partirait ensuite sur les traces de la mystérieuse roulotte, mais à part soi, Jean-Marie se promettait, coûte que coûte, de revenir au manoir dans trois jours, d’être fidèle au rendez-vous.

Une fois seul, Fantômas s’assit à l’ombre d’un rocher et réfléchit, humilié d’avoir été obligé de pactiser avec cet obscur bandit, avec cette brute inhumaine sur laquelle aucune influence n’agissait, qui ne redoutait rien, pas même la mort, et qu’on ne pouvait séduire qu’en lui promettant de faire couler des flots de sang.

Fantômas s’applaudissait toutefois de n’avoir pas tué comme une bête venimeuse l’être qui, deux heures auparavant, avait osé lui résister. Il s’applaudissait de l’avoir fait parler : le Roi du Crime paraissait tout heureux d’avoir découvert les intentions de Jean-Marie, relativement à dame Brigitte et surtout, il semblait enchanté d’avoir lancé le Breton sur la piste étrange de la jeune femme partie dans la verdine des Bohémiens.

Soudain, Fantômas eut un sursaut, le récit de Jean-Marie lui revenait à la mémoire, l’équarrisseur n’avait-il pas vu Hélène s’en aller au creux de la falaise dissimuler quelque chose ? Eurêka. Le portefeuille, le fameux portefeuille rouge que Juve et Fandor étaient venus prendre à bord du Skobeleff, c’était Hélène, sa fille Hélène, qui s’en était emparée, Hélène, plus habile que les policiers, plus adroite, même, que son père.

Mille petits détails revenaient à l’esprit de Fantômas et le confirmaient dans cette supposition et plus il y réfléchissait, moins il éprouvait de doute. Si Juve et Fandor avaient eu le portefeuille, ils seraient immédiatement partis avec pour Paris. Or, Fantômas les savait encore à Brest.

Mais pourquoi sa fille, au lieu de garder sur elle le précieux document, l’aurait-elle caché avant son départ ?

Et soudain, Fantômas partit à grands pas en direction de la falaise, à l’endroit désigné par le seul et unique témoin de ces mystérieux incidents : Jean-Marie.

Deux heures plus tard, Fantômas revenait lentement dans le voisinage du manoir de Kergollen. Le jour commençait à poindre et le bandit songeait à se dissimuler dans l’épaisseur obscure des bois qui s’étendent à droite du manoir.

Fantômas avait son air soucieux, son visage farouche. Avait-il échoué dans ses recherches ?

Fantômas, lorsqu’il était arrivé à pied d’œuvre, avait trouvé dans le sable, la trace nette et distincte des chaussures de sa fille. En même temps, le bandit avait trouvé, plus profondes, plus fraîches peut-être, des empreintes d’homme : ces empreintes, Fantômas en avait eu le pressentiment, puis la certitude, étaient celles de Juve et Fandor.

En vain, Fantômas avait exploré les coins et les recoins de ce rocher dentelé qui comportait mille cavités : pas de portefeuille. Hélène devait avoir été jouée par Juve et Fandor.

Il ne pouvait admettre que ce portefeuille, Hélène ne l’avait dissimulé que pour permettre à Juve et à Fandor de le retrouver.

Cela Fantômas ne pouvait, ne voulait pas le croire, et cependant…

Fantômas s’enfonçait dans l’obscurité créée par l’ombrage des chênes majestueux, il serra les poings, grommela :

— J’en aurai le cœur net, car il faut que je sache.

Puis il ajouta, comme s’il se donnait un ordre :

— En tout cas, Juve et Fandor ne doivent pas arriver à Paris, s’ils sont possesseurs du portefeuille. Or, j’ai le pressentiment, la conviction que ce document est désormais entre leurs mains.

Et le bandit ajouta avec un ricanement féroce :

— Pas pour longtemps.

9 – LA CHAMBRE DE FORCE

Le brigadier et le gendarme décidèrent de boire un pichet de cidre.

— Hue, Blanche Étoile, commença le brigadier.

— Hue, Fleur de Mai, dit son compagnon.

Blanche Étoile et Fleur de Mai, qui étaient de braves bêtes, prirent le trot, un trot pas pressé, d’ailleurs, car, dans la gendarmerie, surtout en service commandé, on a toujours le temps, et de la sorte, dans un grand cliquetis d’armes, dans le martèlement du sabot de leurs chevaux, soulevant une épaisse poussière, reluisants à tous les rayons du soleil grâce à leurs boutons de cuivre astiqués, à tout leur harnachement voyant, les policiers – car les gendarmes sont des policiers – gagnèrent le cabaret des Trois-Écus, signalant leur présence d’une lieue à la ronde à tous ceux que, par devoir, ils devaient s’efforcer de surprendre en flagrant délit.

***

— Dis donc, camarade, qu’est-ce que tu dirais d’un verre de rouge ?

— Merci, vieux, je préférerais une croûte de fromage et du pain.

— L’un ne va pas sans l’autre… Eh, tavernier, du pain et du fromage. Tiens, la maréchaussée !

À l’intérieur du mastroquet, – car c’était un véritable mastroquet que cette sordide auberge des Trois-Écus, construite au croisement de deux routes, en plein champ, où se réunissaient tous les rouliers d’alentour – deux pauvres hères, l’un d’une quarantaine d’années, l’autre plus jeune, s’apprêtaient à « casser la graine », quand dans l’encadrure de la porte, la silhouette des deux Pandores s’était dessinée.

Les gendarmes sont gens du monde.

— Messieurs, dames, nous vous saluons, commença le brigadier. Deux pichets de cidre. Versez-nous à boire la belle enfant.

Mais si le brigadier pouvait – ainsi que son grade l’y autorisait – regarder les belles, le simple soldat qui l’accompagnait estimait que son devoir était de rester toujours correct dans le service. Ne prêtant donc pas attention à la conduite de son chef, il s’occupa à examiner, hautain et dédaigneux, les consommateurs qui se trouvaient déjà dans le débit.

Le compagnon du brigadier Sosthène, plus exactement le gendarme Pancrace, n’eut pas grand-peine, d’ailleurs, à s’acquitter de sa mission bénévole, puisque aussi bien ces consommateurs n’étaient qu’au nombre de deux, les deux miséreux entrés quelques minutes auparavant aux Trois-Écus.

Des miséreux ?

Pour l’œil d’un gendarme – d’un gendarme qui aime son métier, qui se délecte aux arrestations faciles, qui trouve superbe d’emmener au long d’une route, lui-même étant à cheval, un pauvre bougre quelconque surpris en train de braconner – il n’est pas de pauvre hère.

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