L'Arrestation de Fantômas (Арест Фантомаса) - Сувестр Пьер 2 стр.


— Nadine, interrogea-t-il, que fait votre patronne ?

— Elle sort, ce soir, monsieur Ellis, elle part en automobile.

— Parbleu, je m’en doutais.

— Voilà, fit-elle, que vous allez encore être jaloux.

— Nadine, vous m’avez dit que madame partait en automobile. Où va-t-elle ?

— Mais je ne sais pas, déclara la servante, je sais seulement qu’il doit s’agir d’un assez long voyage.

— Dans combien de temps part-on ?

— Dès que madame sera changée, dans une heure peut-être ?

Ellis Marshall tourna les talons.

— Monsieur, appela doucement la soubrette.

— Qu’y a-t-il ?

— Je suis sûre que vous allez encore suivre madame ? Vous allez essayer de la rencontrer.

— Parbleu.

— Mon Dieu, madame va bientôt s’apercevoir que c’est moi qui vous renseigne. Ah, si je n’étais pas sûre que vous l’aimez tant…

— Voyons, Nadine, vos appréhensions sont ridicules. Vous savez bien que la princesse Sonia finira par être touchée de mon amour si ardent et si respectueux. Vous savez bien que je finirai par l’épouser.

***

Dans la nuit noire, se dirigeant vers Versailles, l’automobile de course pilotée par Ellis Marshall trouait l’obscurité de ses phares.

Mais, soudain, les freins grincèrent, les roues dérapèrent, l’automobile s’arrêta. Son conducteur venait de s’apercevoir qu’une autre voiture était arrêtée à quelque distance devant lui. Le mécanicien en était à demi enfoui sous le châssis. La carrosserie, une limousine confortable, était hermétiquement fermée, l’intérieur n’était pas éclairé.

Ellis Marshall eut un sourire de triomphe. Ayant rangé son engin de course sur le bas-côté du chemin, il s’approcha à pied du véhicule en panne.

— Vous n’avez besoin de rien ? demanda-t-il.

Et, feignant soudain la plus grande surprise, il s’écria, assez haut pour être entendu de la personne qui se trouvait à l’intérieur :

— Ah, par exemple, mais je ne me trompe pas, c’est bien l’automobile de la princesse Sonia Danidoff.

Précisément la glace de la portière s’abaissa à ce moment, une tête de femme parut :

L’Anglais, exagérant encore son étonnement, leva les bras au ciel.

Ironiquement, il poursuivit :

— Et c’est même madame la princesse Sonia Danidoff. J’imagine, chère princesse, que votre migraine va beaucoup mieux, puisque vous voici sur la route ?

— Ma migraine, monsieur, répondit la princesse, ne va pas mieux, mais je la promène, voilà tout. Et vous-même, baronnet, où allez-vous donc ?

— Promenez ma neurasthénie, madame, et puis, j’ai eu comme qui dirait l’intuition que vous alliez partir. Partir en voyage, que peut-être vous auriez besoin de moi. J’ai eu la chance d’être sur la même route que celle que vous suivez. Où qu’on aille, il est très difficile de sortir de Paris sans prendre le chemin de Versailles, c’est d’ailleurs, n’est-il pas vrai, votre direction ? ne comptez-vous pas vous diriger vers la Vendée ? la Bretagne ?

La princesse tressaillit. Elle se rejeta au fond de la voiture, cependant qu’Ellis Marshall, par discrétion, descendait du marchepied sur lequel il était monté.

Il y eut un léger silence, pendant lequel on entendait les sourds jurons poussés par le mécanicien, et puis, celui-ci, tout couvert de graisse et de boue, sortit enfin de dessous la voiture :

— On est en panne, madame la princesse.

— Ce sera long ? demanda celle-ci, anxieuse.

— Nous en avons pour deux jours.

Et l’homme s’embarqua dans une explication confuse, compliquée, annonçant qu’il s’agissait d’une rupture de pièce, qu’il faudrait remorquer la voiture jusqu’à l’usine.

Ellis Marshall l’interrompit :

— Je vous emmène, madame, dit-il, ma voiture n’est pas confortable comme la vôtre, mais elle est plus rapide, veuillez y accepter une place, demain nous serons arrivés.

— Demain, savez-vous donc où je vais ?

— Parbleu.

Et, comme la princesse esquissait un geste d’incrédulité, l’Anglais prononça tout bas, pour n’être entendu que d’elle, ces paroles étranges :

— Moi aussi, j’ai des yeux qui savent voir, moi aussi, j’ai des oreilles qui peuvent entendre. Au lieu de marcher l’un contre l’autre, princesse, voulez-vous que nous soyons alliés ?

La princesse regarda Ellis Marshall franchement :

— Soit, consentit-elle, j’accepte, mais chacun pour soi, n’est-il pas vrai ?

— All right, dit l’Anglais.

2 – L’UNIQUE SOLUTION

Avec un grand fracas métallique le train express venant de Paris pénétrait en gare d’Angers. Lancé à toute vitesse, le convoi ralentit soudain dans le gémissement confus des freins bloqués.

Ce tapage avait réveillé en sursaut un voyageur étendu sur la banquette d’un compartiment de première classe du wagon à couloir qui se trouvait en tête de l’express de Paris.

Ce voyageur se redressa brusquement, se frotta les yeux et d’une voix égarée, demanda à son compagnon de voyage, un homme blond, d’une trentaine d’années environ, à la fine moustache, et qui fumait cigarette sur cigarette :

— Fandor, où sommes-nous donc ?

— Nous sommes en gare d’Angers, Juve, il est déjà cinq heures du soir et vous dormez comme une souche depuis notre départ de Paris… Juve, mon bon ami Juve, je ne suis pas exagérément curieux, mais il n’empêche que je voudrais bien être renseigné sur quelques petits détails de nos existences respectives. J’étais à peine revenu de Monaco, où nous avons vécu ensemble des heures qui, pour n’avoir pas été toujours heureuses, sont néanmoins inoubliables. J’espérais goûter un peu de repos. Hier soir, couché de bonne heure, je m’endors avec l’intention de me réveiller fort tard et de me lever plus tard encore. C’était mon droit, pas vrai ? Or, voici qu’au milieu de la nuit, dès les premières heures du matin, pour mieux dire, vous m’arrachez au sommeil par un de ces coups de téléphone laconiques dont vous avez le secret. Il a fallu me préparer de toute urgence, venir vous joindre à la gare à midi vingt-cinq. Entre temps, je devais me munir d’un attirail complet de navigateur : boussole, vêtements imperméables, gilets de sauvetage, je ne sais quels accessoires encore, ce que j’ai d’ailleurs fait aux dépens de ma bourse, entre parenthèses, sérieusement écornée. Bien, j’arrive donc à la gare à midi un quart, dix minutes avant le départ de l’express. Je vous trouve sur le quai, en proie à une fébrile impatience, vous m’agonisez de sottises sous prétexte que j’aurais pu manquer le train, vous me poussez dans un compartiment sans que j’aie le temps de prendre le moindre billet, sans même me dire où nous allons, et puis, sitôt que le convoi s’ébranle, vous vous étendez sur la banquette et vous me déclarez : « Maintenant, petit, fiche-moi la paix et laisse-moi dormir, car j’ai passé une nuit blanche, et je n’y tiens plus. » Vous reconnaîtrez, Juve, que j’ai respecté votre sommeil, et vous admettrez que, sans être particulièrement curieux, j’éprouve un certain désir de savoir ce que vous prétendez faire de moi et où vous me conduisez ? Juve, vous avez la parole.

Lorsque Fandor eut fini, Juve s’écria brusquement :

— Angers, m’as-tu dit ? bon, ça va bien.

Et, laissant le journaliste de plus en plus interloqué, Juve se précipita comme un fou par la portière du wagon, descendit sur le quai, traversa la voie qui le séparait des bâtiments de la gare, puis se perdit dans l’intérieur des salles.

Fandor, qui le suivait des yeux, haussa les épaules. Puis il murmura simplement :

— Je crois que Juve devient fou.

Le journaliste, résigné à cette éventualité, retourna à sa place, s’enfonça dans son coin, puis il ferma les yeux, jurant d’observer un mutisme absolu jusqu’au moment, proche ou lointain, où son compagnon daignerait enfin lui fournir des explications.

L’express de Paris n’allait d’ailleurs par tarder à repartir en direction de Nantes et de Quimper.

Déjà, les employés émettaient de pressants appels, et Fandor ne voyait toujours pas revenir Juve.

Malgré sa résolution de demeurer impassible, le journaliste ne pouvait s’empêcher de redouter que l’inspecteur de la Sûreté ne manquât le train.

— C’est du coup, pensa-t-il, que je n’y comprendrais plus rien.

Et le journaliste n’aurait pas hésité à descendre de son compartiment si le convoi était parti avant le retour de Juve. Mais, au moment où le train allait s’ébranler, le policier émergea du fond de la gare, à grande allure. Il était temps, l’express roulait déjà.

— Fandor, s’écria Juve, dont le visage s’illuminait, lis, mon petit, lis.

Le policier tendait une dépêche au journaliste. Fandor en prit connaissance. Elle était ainsi conçue :

Latitude 47,5, longitude 7, 1 1/2. Nord-nord-est, 16 nœuds.

— Eh bien ? fit Fandor.

— Eh bien, répliqua Juve, tu ne comprends pas ?

— Ma foi, non.

— C’est vrai, fit-il, en le considérant narquoisement, tu ne comprends pas ! D’ailleurs, ce n’est pas ta faute, tu ne peux pas comprendre.

Au surplus, sans plus se préoccuper de fournir des explications, Juve sortit de la poche une carte qu’il étalait sur le coussin du wagon. C’était une carte des côtes de la Bretagne. Juve pointait avec un crayon, notait des chiffres dans la marge, faisait des calculs :

— Nous y serons, murmura-t-il, vers une heure du matin.

Puis, il ajouta d’une voix triomphante :

— Nous le prendrons au passage, crois-en ton vieil ami Juve, mon bon Fandor.

— Prendre qui ? quoi ?

Juve, comme s’il sortait d’un rêve, déclarait :

— Prendre le Skobeleff, mon vieux, le prendre d’assaut, ou, pour être plus exact, nous faire admettre à son bord. Après quoi, nous verrons.

Cette simple déclaration éclaira subitement l’esprit de Fandor.

— Oui, Fandor, reprenait Juve, tout cela peut paraître ahurissant, invraisemblable, extraordinaire, et pourtant cela est : nous allons rejoindre le Skobeleff. Le train dans lequel nous nous trouvons nous amènera à Quimper, ce soir, vers les onze heures. Une automobile nous attend à la gare, je l’ai retenue par dépêche. Nous nous rendrons à la pointe du Raz, là, nous aurons une barque à notre disposition, dans laquelle nous irons au-devant du cuirassé à bord duquel se trouve Fantômas.

Fandor allait répondre, mais Juve l’en empêcha :

— Tu ne sais encore rien, petit, déclara-t-il, et nous n’avons pas trop de la fin de la soirée pour que je te mette au courant, et que nous discutions aussi de l’attitude qu’il convient d’observer dans l’entreprise folle, je le reconnais, où nous nous lançons.

Juve, alors, raconta à Fandor l’entretien qu’il avait eu la veille avec l’ambassadeur extraordinaire de Russie, le comte Vladimir Saratov.

Fandor, avec la plus grande attention et le plus vif intérêt, avait écouté les explications de son ami.

— Donc, conclut-il lorsque ce fut terminé, nous avons actuellement deux missions : l’une officielle, celle qui consiste à retrouver le portefeuille, l’autre officieuse, celle qui consiste – et ce n’est pas la moins importante –, à nous emparer de Fantômas et à mettre le bandit hors d’état de nuire ?

— Exactement.

Les deux hommes, seuls heureusement dans leur compartiment, continuèrent à s’entretenir des détails éventuels de la périlleuse mission qu’ils allaient entreprendre.

C’est à peine s’ils s’accordèrent quelques instants pour dîner sur le pouce. Ils causaient encore, la nuit venue, et à onze heures moins dix, le train atteignait Quimper.

— Nous sommes arrivés, s’écria le policier. Voici la première étape de notre voyage terminée, c’est aussi la plus facile. En route.

À peine les deux hommes étaient-ils sortis de la gare que Juve s’immobilisa, en constatant qu’à part trois omnibus d’hôtel et une misérable tapissière attelée d’un cheval, rien.

— Et l’automobile ?

En vain Juve s’adressait-il à des employés de la gare, ceux-ci ne pouvaient le renseigner ; ils n’avaient pas vu d’automobile, ils ne savaient pas ce que Juve voulait dire.

Le policier réveilla le cocher de la tapissière :

— Hé là, mon brave, fit-il, qu’attendez-vous ?

— Je ne sais pas, fit le Breton, c’est l’patron qui m’a dit comm’ ça : « Yvonnik, tu iras au train de 10 h. 50 avec la tapissière attendre un voyageur… »

Yvonnik donnait le nom de son patron.

Juve grommela :

— Mais c’est précisément à ce bonhomme-là que j’avais commandé une automobile.

— Ah, c’est vous qui vouliez une automobile, j’ai entendu parler de ça, en effet, même que l’patron m’a dit comme ça : « Yvonnik, tu diras au voyageur qu’on n’a pas d’automobile à louer, excepté pendant la saison, tu le conduiras avec le cheval où il voudra. »

— Sacré bon Dieu ! jura Juve, nous sommes fichus.

— Quelle distance y a-t-il, interrogea-t-il, exactement entre Quimper et la pointe du Raz ?

— Au moins dix lieues. Oh, mon bidet est résistant, c’est pas qu’il aille bien vite, mais on peut faire trois lieues à l’heure, et des fois que vous voudriez déjeuner à la pointe du Raz, en partant de bonne heure demain matin…

— Mais, triple animal ce n’est pas demain matin, c’est tout de suite qu’il faut y aller.

— Dans la nuit ?

— Dans la nuit, oui, certainement.

Après dix minutes de pourparlers, grâce à un généreux pourboire offert d’avance, Juve décida le Breton à le conduire le plus rapidement possible. Mais, à peine avait-on passé les dernières maisons des faubourgs que la tapissière ralentit, le cheval se mit au pas. On montait une côte.

— Une côte longue d’au moins quatre kilomètres, dit le conducteur.

Soudain, le policier poussa une exclamation étouffée :

— Une auto, dit-il à Fandor…

Le journaliste se pencha pour mieux voir : à cinquante mètres devant eux, se trouvait, en effet, une voiture arrêtée sur le bord de la route :

— C’est même une auto en panne.

— En panne, pas absolument, ils ont eu une crevaison de pneus.

— Ça m’a l’air d’une voiture puissante, on dirait une voiture de course, faudrait décider ces gens-là à nous prendre avec eux, à nous conduire coûte que coûte.

— Mais s’ils refusent ? demanda Juve.

— Bah, c’est douteux, on leur expliquera.

Mais Juve pinça le bras de Fandor :

— Ils refuseront.

— Et pourquoi donc ?

— Parce que je sais qu’ils refuseront.

Juve, bénéficiant de la lueur d’une lanterne qui éclairait en plein visage l’homme en train de changer sa roue, l’avait reconnu.

C’était le baronnet Ellis Marshall, que, la veille au soir, il avait aperçu dans l’entrebâillement de la porte du cabinet où il s’entretenait avec l’ambassadeur extraordinaire de Russie.

Or, Juve, avec la perspicacité qui lui était habituelle, avait à ce moment-là, dans l’espace d’une seconde, acquis la conviction nette que le riche gentilhomme anglais ne s’était pas du tout égaré dans l’hôtel de l’ambassadeur et que son prétexte de chercher le fumoir n’était qu’une excuse.

Juve connaissait trop le monde de la police politique secrète et de l’espionnage international pour ne pas avoir soupçonné aussitôt le baronnet anglais d’être l’agent d’une puissance étrangère.

Juve, en une seconde, avait envisagé les diverses hypothèses qui se présentaient à l’esprit. À coup sûr, cet Anglais ne devait pas lui être favorable. À plus forte raison, il convenait d’arriver au but le plus vite possible, il convenait aussi que l’Anglais ne pût atteindre ce but vers lequel vraisemblablement il se dirigeait.

Fandor, auquel Juve communiquait sa pensée, poussa lui aussi une exclamation étouffée : quelqu’un accompagnait l’automobiliste : une femme. Et Fandor reconnaissait la princesse Sonia Danidoff :

— Cela se complique, évidemment, soupira le journaliste.

Juve, déjà, échafaudait tout un plan. Il avait fait signe à son cocher d’arrêter. Juve, à mots précipités, interrogea Fandor :

— Dis donc, petit, fit-il, tu sais conduire ces machines-là, pas vrai ?

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