L'Arrestation de Fantômas (Арест Фантомаса) - Сувестр Пьер 3 стр.


— À peu près, observa le journaliste.

— Moi aussi. À nous deux, on pourrait s’en tirer.

— Pourquoi pas ?

— Eh bien, conclut le policier, il faut donc risquer le tout pour le tout. Pour une fois, nous nous mettons bandits et voleurs.

— Mais, pardon Juve, qu’allons-nous faire ?

— Voilà. Toi, qu’on ne connaît pas Fandor, tu vas d’abord aller t’enquérir auprès de ces gens des causes de leur arrêt. Ellis Marshall vient de remettre son moteur en route, c’est donc que vraisemblablement il n’a eu qu’une panne de pneus. D’autre part, Sonia Danidoff n’est pas encore remontée en voiture. Tu vas, sous prétexte de savoir s’ils n’ont besoin de rien, te rapprocher d’eux, examiner rapidement le mécanisme pour être sûr de démarrer proprement et puis, dame, au petit bonheur.

— Au petit bonheur ?

— Oui, sur un signe que tu me feras, j’aborderai par derrière le baronnet anglais. J’ai l’habitude de passer les menottes aux gens sans même me faire voir d’eux. Tu connais le mouvement, pas vrai, Fandor ? un coup de genou dans les reins, cependant que l’on empoigne solidement les deux coudes et que l’on attire les avant-bras derrière le dos, c’est l’affaire d’une seconde. Pendant ce temps-là tu sautes au volant et moi je te rejoins.

À pas tranquilles, le journaliste se rapprocha de la voiture automobile. Le cœur lui battait un peu à l’idée de l’agression brutale qu’il allait commettre, d’accord avec Juve. Ce qui l’impressionnait surtout, c’était l’idée que l’affaire devait être bien importante, que le désir d’arriver à la pointe du Raz tenait bien Juve à cœur pour que lui, l’homme de devoir et de conscience par excellence, eût imaginé un tel plan.

Fandor, s’étant rapproché de l’automobile, salua discrètement la princesse Sonia Danidoff qui ne le reconnaissait en aucune façon. Puis, Fandor interrogea Ellis Marshall. Il s’était rapproché de lui et très adroitement placé entre l’automobiliste et sa voiture.

Ellis Marshall répondit avec politesse aux interrogations de Fandor. Il le remercia.

— Non, tout marche à merveille, je viens simplement d’avoir un pneu crevé.

Mais, à ce moment, Fandor levait le bras en l’air.

Aussitôt, le baronnet poussa un hurlement terrifié : il tomba à la renverse et roula dans la poussière.

Fandor, cependant, bondissait au volant de la voiture. En quelques gestes précipités, il s’assurait de la disposition des leviers. Certes, il fit un peu grincer les engrenages, mais il réussit quand même à démarrer la voiture.

En l’espace de quelques secondes il en était maître.

— Allons-y, fous le camp, cria Juve.

Un instant après, le policier était aux côtés du journaliste et Fandor, poussant le levier dans le cran de la deuxième vitesse, faisait accélérer l’allure.

— Ça y est, conclut flegmatiquement le journaliste, la voiture s’en va bien, elle est puissante et si nous pouvons marcher comme cela, nous ne tarderons pas à atteindre…

Il s’interrompit brusquement : un sifflement aigu frôla son oreille, cependant que deux détonations successives retentissaient.

— Diable, avait grogné Juve, tandis que Fandor poursuivait, de plus en plus flegmatique :

— … À moins que l’une des balles que l’on vient de tirer sur nous ne parvienne à destination. C’est qu’il n’y va pas de main morte, cet Anglais de malheur.

— L’Anglais, rectifia Juve, ce n’est pas lui qui tire, c’est Sonia Danidoff.

— Eh bien, j’aime autant cela, fit Fandor. À moins d’être la fille de Fantômas, une femme est rarement un tireur de premier ordre.

Mais déjà ils étaient loin.

— Pauvre Sonia, pauvre Ellis Marshall, s’écria le policier dont la conscience était bourrelée de remords, nous venons tout de même de leur jouer un bien sale tour.

— Mais, dites-moi, Juve, sommes-nous sur la bonne route ?

À la lueur des phares, le policier consulta les bornes :

— Cela va bien, dit Juve, et si nous n’avons pas d’accidents, nous arriverons à Plogoff dans moins d’une heure.

Après avoir traversé une région pittoresque et passé dans les rues étroites d’Audierne, l’automobile, pilotée par Fandor, s’était engagée sur la route aride et déserte qui mène à la pointe du Raz.

Juve, au bout de quelques kilomètres parcourus sur un chemin qui longeait la mer à quelque distance, aperçut l’amorce d’un petit sentier tortueux qui semblait descendre le long d’une falaise.

— Arrête, Fandor, dit-il, c’est là.

— Jamais, objecta le journaliste, l’automobile ne prendra ce chemin. Si nous nous y aventurons, on chavirera dans les cinq minutes.

— Grosse bête, il ne s’agit pas de descendre en voiture, mais bien à pied. Au surplus, si mes calculs sont exacts et mes ordres exécutés, nous devons trouver une barque au bas de cette falaise.

— Et l’automobile ? interrogea Fandor…

— L’automobile ? fit Juve, eh bien, laissons-la sur la route, il n’y a pas autre chose à faire.

— Dommage, murmura Fandor, qui quittait à regret le volant, elle tournait joliment bien.

— Elle nous a rendu un fier service, car nous n’avons rendez-vous avec le Skobeleffqu’entre une heure et deux heures du matin. Or, il est minuit à peine.

— Drôle de rendez-vous. Enfin, Juve, c’est vous le chef de l’expédition, je vous suis comme un caniche. Montrez le chemin ?

Pendant vingt minutes environ, le policier et le journaliste jouèrent aux acrobates.

C’était, en effet, vers l’enfer de Plogoff qu’ils se dirigeaient. Lieu sinistre, tombeau de tant d’êtres, embûche tendue par la nature aux navigateurs inexperts ou mal renseignés, vestibule de ce chaos formidable que constitue l’ensemble de la pointe du Raz, derrière laquelle, au nord, à l’opposé de l’enfer de Plogoff, se trouve la baie des Trépassés.

Il fallait toute l’adresse merveilleuse de Juve et de Fandor pour s’aventurer de nuit, là où les chèvres elles-mêmes hésitent à passer le jour.

Juve et Fandor, cependant, parvenaient au pied de la falaise que battaient avec une précipitation rageuse les lames courtes, toutes couronnées de mousse jaune.

Juve poussa un cri de triomphe.

À demi à sec sur la grève, une barque à l’intérieur de laquelle étaient deux avirons. Sur l’ordre formel de la préfecture, les douaniers de la côte avaient dû la disposer, ignorant complètement à quel usage les autorités la destinaient.

De leurs yeux qui s’étaient accoutumés à l’obscurité, Juve et Fandor considéraient, un peu interloqués, l’ensemble des obstacles qui les entouraient.

De part et d’autre, d’immenses falaises dentelées, dans lesquelles le vent qui s’engouffrait résonnait avec un bruit sinistre. Puis, c’étaient par moments des clapotements, comme des cris humains, comme des soupirs que pousseraient des géants oppressés, cependant que de temps à autre leur succédaient des sifflements doux et plaintifs, gémissements du vent peut-être, mais que dans le pays on prend pour le chant des sirènes.

— Tout cela, fit Fandor, rompant enfin le silence impressionnant, est très pittoresque, mais vraiment ça manque de gaieté, et j’estime, Juve, que l’on a bien nommé cet endroit en le baptisant du nom d’ « Enfer ». Dante n’aurait pas trouvé mieux.

— Fandor, interrogea Juve, c’est ici que commence la partie la plus périlleuse de notre entreprise, j’ai des scrupules de t’entraîner, es-tu bien décidé à venir ?

— Ah ça ! Juve, fit Fandor de sa bonne voix gouailleuse, est-ce que vous vous fichez de moi ? Vous avez l’intention de faire une promenade en bateau tout seul ?

— Nous risquons le tout pour le tout, dit Juve, tu le sais, Fandor, si nous ne passons pas à travers ces rochers sans encombre, c’est la noyade assurée.

— Mais nous passerons, Juve.

Les deux hommes se turent, mirent la barque à l’eau. Juve y monta le premier. Fandor s’élança ensuite.

À peine l’embarcation avait-elle pris contact avec l’eau, qu’elle était entraînée par le courant qui la fit tournoyer avec une merveilleuse rapidité :

— Luna-Park s’écria Fandor.

Mais Juve, cependant, poussait un soupir de satisfaction. Les rochers, que peut-être ils n’auraient pas pu éviter si, marins inhabiles qu’ils étaient, ils avaient dirigé leur barque, étaient désormais franchis.

— Vous savez, fit Fandor, que nous l’avons échappé belle.

— J’te crois, mon petit, déclara Juve.

Le policier poussa un « Ah » de triomphe.

Au risque de la faire chavirer, il s’était mis debout dans l’embarcation et désignait au loin un point lumineux, émergeant d’une masse sombre qui faisait tache sur l’horizon.

— Le Skobeleff, s’écria-t-il. Nous sommes exacts au rendez-vous.

Les deux hommes se précipitèrent sur les avirons pour se rapprocher de la direction dans laquelle venait un grand navire.

— Et alors, Juve ? interrogea Fandor, quel doit être d’après vous, le dénouement de notre entreprise ?

— Oh, c’est bien simple, conclut le policier. Quand nous serons à courte distance du Skobeleff, nous nous jetterons à l’eau, nous chavirerons notre barque et, sur celle-ci renversée, nous nous maintiendrons tant bien que mal, en criant de toutes nos forces pour attirer l’attention de l’homme de vigie. On nous entendra, on nous verra, on nous recueillera comme des naufragés que nous serons. Une fois à bord, on s’expliquera.

— Bravo, Juve, c’est magnifique, s’écria Fandor, voilà un plan superbe et qui ne m’étonne pas de vous. Permettez-moi une petite objection toutefois : si l’homme de vigie ne nous aperçoit pas, si le Skobeleffpasse à côté des pauvres naufragés que nous serons sans leur porter secours, qu’adviendra-t-il alors de nous ?

— Ma foi, fit Juve, je t’avoue n’avoir point envisagé cette possibilité.

3 – LE « NOUVEAU » COMMANDANT

— Beau temps, lieutenant Alexis.

— Vous avez raison, docteur, un très beau temps. Et j’ajoute que c’est de la chance. Dans ces parages, une simple brume serait inquiétante.

Le jeune officier de marine s’interrompit quelques secondes, puis reprit :

— Vous savez que nous passons par le raz de Sein et la baie des Trépassés.

— Ah.

— Ceci n’a pas l’air de vous impressionner ?

— Ma foi, non, lieutenant, pourquoi, d’ailleurs, voudriez-vous que je m’occupe de la route que nous suivons ? C’est votre affaire, et non la mienne.

— D’accord, mon cher docteur, mais…

— Mais, quoi ?

— Ainsi, mon cher ami, vous n’avez nulle émotion à penser que nous côtoyons la baie des Trépassés ?

— Mais non, encore une fois. Pourquoi ?

— Vous ne trouvez pas ce chemin dangereux ?

— Ah çà, lieutenant Alexis, depuis ce matin, vous parlez tout le temps de chemins dangereux, de récifs, de courants ? Le Skobeleffn’est-il pas un bon et solide navire, et notre commandant…

— Notre nouveau commandant, docteur…

— Sans doute. Notre nouveau commandant n’est-il pas sûr de sa manœuvre ?

Mais l’attitude du jeune lieutenant, comme le docteur répétait ces mots : « Notre nouveau commandant » était si étrange, que le médecin s’interrompit puis ajouta :

— Lieutenant Alexis, vous êtes, ce matin, bien nerveux. Allons, vous n’allez pas me faire croire que vous ajoutez foi aux stupides racontars qui circulent à bord, depuis notre départ de Monaco ?

Peut-être le lieutenant Alexis aurait-il, tout au contraire, répondu qu’il ajoutait grande confiance à ce que le médecin du bord appelait des « racontars », si un troisième interlocuteur n’était venu rejoindre les deux amis.

C’était le capitaine de vaisseau, comte Piotrowski, faisant fonction de commandant en second du Skobeleff.

Il arrivait le front soucieux, l’air grave.

— Eh bien, lieutenant Alexis, du nouveau ?

— Nullement.

— Vous connaissez les ordres de route ?

— Rédigés par vous, je crois ?

— Rédigés par moi, oui, lieutenant. Mais rédigés sous les ordres du nouveau commandant.

Et, tout comme le lieutenant Alexis, le comte Piotrowski prononçait si bizarrement ces mots : « Le nouveau commandant » que le médecin à nouveau s’étonna :

— Mais enfin, mon cher capitaine, faisait-il en se tournant vers le comte, m’expliquerez-vous ce que signifient ces paroles : Notre nouveau commandant ? Tous les officiers du bord disent cela. Le nouveau commandant. Voyons, que diable, vous semblez lui faire un grief, à ce nouveau commandant, d’avoir remplacé Ivan Ivanovitch ? Ce n’est pas sa faute, cependant ?

Le comte Piotrowski ne répondit pas.

Les trois officiers se trouvaient à ce moment sur la passerelle de commandement du Skobeleff.

Des marins lavaient le pont à grande eau, s’occupaient aux corvées du matin, astiquaient les cuivres sous la direction des quartiers-maîtres, le sifflet d’argent aux lèvres.

Le navire, depuis son départ, avançait à toute allure.

— Docteur, répondit enfin le capitaine d’une voix tremblante, qu’il paraissait vainement vouloir raffermir, docteur, savez-vous ce que c’est que la peur ?

— La peur ? certes ! Mais enfin, je ne vois pas en ce moment que vous puissiez, mon cher capitaine, connaître cet effroyable sentiment ?

— Vous ne voyez pas, docteur ? Vous avez tort. Tenez, tout est tranquille, n’est-ce pas, dans ce matin pur ? Eh bien, je vous le confesse, mon cher ami, j’ai très peur.

La déclaration du comte Piotrowski était si inattendue que le médecin voulut plaisanter :

— Vous avez la fièvre, fit-il. De quoi auriez-vous peur, sans cela ?

— De tout et de rien.

— Vous avez peur de quoi ? Précisez ?

— Du nouveau commandant !

— Que lui reprochez-vous, à la fin ?

— Je vous le répète : tout et rien…

— Allons donc ? C’est en possession d’une régulière commission que le nouveau commandant a pris possession de son poste.

Le commandant en second du Skobeleffse retourna brusquement pour répondre :

— Et si l’homme qui nous commande était un imposteur ? Si sa commission n’était pas régulière, que diriez-vous ? que penseriez-vous ?

L’officier venait de parler d’un ton si profondément ému que le médecin ne put s’empêcher de tressaillir.

Certes, l’hypothèse que formulait le comte Piotrowski était terrible, mais elle semblait parfaitement déraisonnable. Le médecin se tourna vers le lieutenant Alexis :

— Mon cher lieutenant, j’imagine que ma supposition de tout à l’heure était fondée. À coup sûr, le capitaine a la fièvre. N’est-ce pas votre avis ?

Mais le lieutenant répondit sérieusement :

— Docteur, il y a des moments où je me prends à songer que notre capitaine pourrait avoir raison.

— Qui vous fait croire à pareilles choses ?

Ce fut le comte Piotrowski qui interrompit le médecin :

— Écoutez-moi, faisait-il, vous n’assistiez pas, docteur, au Conseil que nous avons tenu hier soir, au carré des officiers.

Par déférence pour le grade élevé du commandant Piotrowski, le lieutenant Alexis avait fait mine de se retirer discrètement, lorsque le comte le rappela :

— Restez donc, mon cher ami, vous n’êtes pas de trop. Donc, docteur, hier soir, au carré, sur un mot futile et bien par hasard, nous nous sommes mis, les uns et les autres, à parler de notre actuel commandant. Mon cher ami, je ne vous cacherai pas que nous sommes tous tombés d’accord, tous, pour trouver que sa conduite était étrange, surprenante, inquiétante. Je vous disais tout à l’heure que je me demandais si notre commandant n’était pas un imposteur, nous nous sommes posé la question, hier.

— Mais, mon cher capitaine, vous avez, je suppose, des motifs pour inventer une chose si grave ?

— Eh docteur, nous n’inventons rien. Rappelez-vous. À peine rendu à bord, déclarait l’officier, le commandant nous a réunis pour nous donner lecture de sa commission le nommant au poste d’Ivan Ivanovitch. Il nous a confirmé que le Skobeleffqui levait l’ancre devait immédiatement, et sans escale préalable, rejoindre l’escadre impériale dans la Baltique. Jusque-là, rien d’anormal.

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