Jean-Christophe Tome VIII - Rolland Romain 4 стр.


Les gentillesses de Jacqueline ?taient dangereuses pour un homme qui ne se m?fiait point. Sans y penser Christophe s’?prenait d’elle; il trouvait du plaisir ? revenir; il soignait sa toilette; et un sentiment, qu’il connaissait bien, recommen?ait de m?ler sa langueur riante ? tout ce qu’il songeait. Olivier s’?tait ?pris aussi, et d?s les premiers jours; il se croyait n?glig?, et souffrait en silence. Christophe augmentait son mal, en lui racontant joyeusement ses entretiens avec Jacqueline. L’id?e ne venait pas ? Olivier qu’il p?t plaire ? Jacqueline. Bien qu’? vivre aupr?s de Christophe, il e?t acquis plus d’optimisme, il se d?fiait de lui; il se voyait avec des yeux trop v?ridiques, il ne pouvait croire qu’il serait jamais aim?: – qui donc serait digne de l’?tre, si c’?tait pour ses m?rites, et non pour ceux du magique et indulgent amour?

Un soir qu’il ?tait invit? chez les Langeais, il sentit qu’il serait trop malheureux, en revoyant l’indiff?rente Jacqueline; et, pr?textant la fatigue, il dit ? Christophe d’aller sans lui. Christophe, qui ne soup?onnait rien, s’en alla tout joyeux. Dans son na?f ?go?sme, il ne pensait qu’au plaisir d’avoir Jacqueline ? lui tout seul. Il n’eut pas lieu de s’en r?jouir longtemps. ? la nouvelle qu’Olivier ne viendrait point, Jacqueline prit aussit?t un air maussade, irrit?, ennuy?, d?concert?; elle n’?prouvait plus aucun d?sir de plaire; elle n’?coutait pas Christophe, r?pondait au hasard; et il la vit, avec humiliation, ?touffer un b?illement ?nerv?. Elle avait envie de pleurer. Brusquement, elle sortit au milieu de la soir?e; et elle ne reparut point.

Christophe s’en retourna, d?confit. Le long du chemin, il cherchait ? s’expliquer ce brusque revirement; quelques lueurs de la v?rit? commen?aient ? lui appara?tre. ? la maison, Olivier l’attendait; il demanda, d’un air qu’il t?chait de rendre indiff?rent, des nouvelles de la soir?e. Christophe lui raconta sa d?convenue. ? mesure qu’il parlait, il voyait le visage d’Olivier s’?clairer.

– Et cette fatigue? dit-il. Pourquoi ne t’es tu pas couch??

– Oh! je vais mieux, fit Olivier, je ne suis plus las du tout.

– Oui, je crois, dit Christophe narquois, que cela t’a fait beaucoup de bien de ne pas venir.

Il le regarda affectueusement, malicieusement, s’en alla dans sa chambre, et l?, quand, il fut seul, il se mit ? rire, rire tout bas, jusqu’aux larmes:

– La m?tine! pensait-il. Elle se moquait de moi! Lui aussi, me trompait. Comme ils cachaient leur jeu!

? partir de ce moment, il arracha de son c?ur toute pens?e personnelle, ? l’?gard de Jacqueline; et, comme une brave m?re poule qui couve jalousement son ?uf, il couva le roman des deux petits amants. Sans avoir l’air de conna?tre leur secret ? tous deux, et sans le livrer, de l’un ? l’autre, il les aida, ? leur insu.

Il crut de son devoir, gravement, d’?tudier le caract?re de Jacqueline, pour voir si Olivier pourrait ?tre heureux avec elle. Et comme il ?tait maladroit, il aga?ait Jacqueline par les questions saugrenues qu’il lui posait, sur ses go?ts, sur sa moralit?…

– Voil? un imb?cile! De quoi se m?le-t-il? pensait Jacqueline, furieuse, en lui tournant le dos.

Et Olivier s’?panouissait de voir que Jacqueline ne faisait plus attention ? Christophe. Et Christophe s’?panouissait de voir qu’Olivier ?tait heureux. Sa joie s’?talait m?me, d’une fa?on beaucoup plus bruyante que celle d’Olivier. Et comme elle ne s’expliquait point, Jacqueline, qui ne se doutait pas que Christophe voyait plus clair dans leur amour qu’elle n’y voyait elle-m?me, le trouvait insupportable; elle ne pouvait comprendre qu’Olivier se f?t entich? d’un ami aussi vulgaire et aussi encombrant. Le bon Christophe la devinait; il trouvait un plaisir malicieux ? la faire enrager; puis, il se retirait ? l’?cart, pr?textant des travaux, pour refuser les invitations des Langeais et laisser seuls ensemble Jacqueline et Olivier.

Il n’?tait pas sans inqui?tudes cependant pour l’avenir. Il s’attribuait une grande responsabilit? dans le mariage qui se pr?parait; et il se tourmentait: car il voyait assez juste en Jacqueline, et il redoutait bien des choses: sa richesse d’abord, son ?ducation, son milieu, et surtout sa faiblesse. Il se rappelait son ancienne amie Colette. Sans doute, Jacqueline ?tait plus vraie, plus franche, plus passionn?e; il y avait dans ce petit ?tre une ardente aspiration vers une vie courageuse, un d?sir presque h?ro?que…

– Mais ce n’est pas tout de d?sirer, pensait Christophe, qui se souvenait d’une polissonnerie de l’ami Diderot; il faut avoir les reins solides.

Il voulait avertir Olivier du danger. Mais quand il voyait Olivier revenir de chez Jacqueline, les yeux baign?s de joie, il n’avait plus le courage de parler. Il pensait:

– Les pauvres petits sont heureux. Ne troublons pas leur bonheur.

Peu ? peu, son affection pour Olivier lui fit partager la confiance de son ami. Il se rassurait; il finit par croire que Jacqueline ?tait telle qu’Olivier la voyait et qu’elle voulait se voir elle-m?me. Elle avait si bonne volont?! Elle aimait Olivier pour tout ce qu’il avait de diff?rent d’elle et de son monde: parce qu’il ?tait pauvre, parce qu’il ?tait intransigeant dans ses id?es morales, parce qu’il ?tait maladroit dans le monde. Elle aimait d’une fa?on si pure et si enti?re qu’elle e?t voulu ?tre pauvre comme lui, et presque, par moments… oui, presque devenir laide, afin d’?tre plus s?re d’?tre aim?e pour elle-m?me, pour l’amour dont son c?ur ?tait plein et dont il avait faim… Ah! certains jours, quand il ?tait l?, elle se sentait p?lir, et ses mains tremblaient. Elle affectait de railler son ?motion, elle feignait de s’occuper d’autre chose, de le regarder ? peine; elle parlait avec ironie. Mais soudain, elle s’interrompait; elle se sauvait dans sa chambre; et l?, toute porte close, le rideau baiss? sur la fen?tre, elle restait assise, les genoux serr?s, les coudes rentr?s contre son ventre, les bras en croix sur la poitrine, comprimant les battements de son c?ur; elle restait ainsi, ramass?e sur elle-m?me, sans un souffle; elle n’osait pas bouger, de peur qu’au moindre geste le bonheur ne s’enfu?t. Sur son corps, en silence, elle ?treignait l’amour.

Maintenant, Christophe se passionnait pour le succ?s d’Olivier. Il s’occupait de lui maternellement, surveillait sa toilette, pr?tendait lui donner des conseils sur la fa?on de s’habiller, lui faisait – (comment!) – ses n?uds de cravate. Olivier, patient, se laissait faire, quitte ? renouer sa cravate, dans l’escalier, lorsque Christophe n’?tait plus l?. Il souriait, mais il ?tait touch? de cette grande affection. Intimid? par son amour, il n’?tait pas s?r de lui, et demandait volontiers conseil ? Christophe; il lui contait ses visites. Christophe, aussi ?mu que lui, passait quelquefois des heures, la nuit, ? chercher les moyens d’aplanir le chemin ? l’amour de son ami.

*

Ce fut dans le parc de la villa des Langeais, aux environs de Paris, dans un petit pays sur la lisi?re de la for?t de l’Isle-Adam, qu’Olivier et Jacqueline eurent l’entretien, qui d?cida de leur vie.

Christophe accompagnait son ami; mais il avait trouv? un harmonium dans la maison; et il se mit ? jouer, laissant les amoureux se promener en paix. – ? vrai dire, ils ne le souhaitaient point. Ils craignaient d’?tre seuls. Jacqueline ?tait silencieuse et un peu hostile. D?j?, ? la derni?re visite, Olivier avait senti un changement dans ses mani?res, une froideur subite, des regards qui paraissaient ?trangers, durs, presque ennemis. Il en avait ?t? glac?. Il n’osait s’expliquer avec elle: il craignait trop de recevoir de celle qu’il aimait une parole cruelle. Il trembla de voir Christophe s’?loigner; il lui semblait que sa pr?sence le garantissait seule du coup qui allait le frapper.

Jacqueline n’aimait pas moins Olivier. Elle l’aimait beaucoup plus. C’?tait ce qui la rendait hostile. Cet amour, avec lequel nagu?re elle avait jou?, qu’elle avait tant appel?, il ?tait l?, devant elle; elle le voyait s’ouvrir devant ses pas comme un gouffre, et elle se rejetait en arri?re, effray?e; elle ne comprenait plus; elle se demandait:

– Mais pourquoi? pourquoi? Qu’est-ce que cela veut dire?

Alors, elle regardait Olivier, de ce regard qui le faisait souffrir, et elle pensait:

– Qui est cet homme?

Et elle ne savait pas.

– Pourquoi est-ce que je l’aime?

Elle ne savait pas.

– Est-ce que je l’aime?

Elle ne savait pas… Elle ne savait pas; mais elle savait que pourtant elle ?tait prise; l’amour la tenait; elle allait se perdre en lui, se perdre tout enti?re, sa volont?, son ind?pendance, son ?go?sme, ses r?ves d’avenir, tout englouti dans ce monstre. Et elle se raidissait avec col?re; elle ?prouvait, par moments, pour Olivier, un sentiment presque haineux.

Ils all?rent jusqu’? l’extr?mit? du parc, dans le jardin potager, que s?parait des pelouses un rideau de grands arbres. Ils marchaient ? petits pas, au milieu des all?es, que bordaient des buissons de groseilliers aux grappes rouges et blondes, et des plates-bandes de fraises, dont l’haleine emplissait l’air. On ?tait au mois de juin; mais des orages avaient refroidi le temps. Le ciel ?tait gris, la lumi?re ? demi ?teinte; les nuages bas se mouvaient pesamment, tout d’une masse, charri?s par le vent. De ce grand vent lointain, rien n’arrivait sur la terre: pas une feuille ne remuait. Une grande m?lancolie enveloppait les choses, et leur c?ur. Et du fond du jardin, de la villa invisible, aux fen?tres entr’ouvertes, vinrent les sons de l’harmonium, qui disait la fugue en mi b?mol mineur de Jean-S?bastien Bach. Ils s’assirent c?te ? c?te sur la margelle d’un puits, tout p?les, sans parler. Olivier vit des larmes couler sur les joues de Jacqueline.

– Vous pleurez? murmura-t-il, les l?vres tremblantes.

Ses larmes aussi coul?rent.

Il lui prit la main. Elle pencha sa t?te blonde sur l’?paule d’Olivier. Elle n’essayait plus de lutter: elle ?tait vaincue; et c’?tait un tel soulagement!… Ils pleur?rent tout bas, ?coutant la musique, sous le dais mouvant des nu?es lourdes, dont le vol silencieux semblait raser la cime des arbres. Ils pensaient ? tout ce qu’ils avaient souffert, – qui sait? peut-?tre aussi ? ce qu’ils souffriraient plus tard. Il est des minutes o? la musique fait surgir toute la m?lancolie tiss?e autour de la destin?e d’un ?tre…

Apr?s un moment, Jacqueline essuya ses yeux et regarda Olivier. Et brusquement, ils s’embrass?rent. ? bonheur ineffable! Religieux bonheur! Si doux et si profond qu’il en est douloureux!…

Jacqueline demanda:

– Votre s?ur vous ressemblait?

Olivier eut un saisissement. Il dit:

– Pourquoi me parlez-vous d’elle? Vous la connaissiez donc?

Elle dit:

– Christophe m’a racont?… Vous avez bien souffert?

Olivier inclina la t?te, trop ?mu pour r?pondre.

– J’ai bien souffert aussi, dit-elle.

Elle parla de l’amie disparue, de la ch?re Marthe; elle dit, le c?ur gonfl?, comme elle avait pleur?, pleur? ? en mourir.

– Vous m’aiderez? dit-elle, d’une voix suppliante, vous m’aiderez ? vivre, ? ?tre bonne, ? lui ressembler un peu? La pauvre Marthe, vous l’aimerez, vous aussi?

– Nous les aimerons toutes deux, comme toutes deux elles s’aiment.

– Je voudrais qu’elles fussent l?!

– Elles sont l?.

Ils rest?rent, serr?s l’un contre l’autre; ils sentaient battre leur c?ur. Une petite pluie fine tombait, tombait. Jacqueline frissonna.

– Rentrons, dit-elle.

Sous les arbres, il faisait presque nuit, Olivier baisa la chevelure mouill?e de Jacqueline; elle releva la t?te vers lui, et il sentit sur ses l?vres, pour la premi?re fois, les l?vres amoureuses, ces l?vres de petite fille, fi?vreuses, un peu gerc?es. Ils furent sur le point de d?faillir.

Tout pr?s de la maison, ils s’arr?t?rent encore:

– Comme nous ?tions seuls, avant! dit-il.

Il avait d?j? oubli? Christophe.

Ils se souvinrent de lui. La musique s’?tait tue. Ils rentr?rent. Christophe, accoud? sur l’harmonium, la t?te entre ses mains, r?vait, lui aussi, ? beaucoup de choses du pass?. Quand il entendit la porte s’ouvrir, il s’?veilla de sa r?verie, et leur montra son visage affectueux, qu’illuminait un sourire grave et tendre. Il lut dans leurs yeux ce qui s’?tait pass?, leur serra la main ? tous deux, et dit:

– Asseyez-vous l?. Je vais vous jouer quelque chose.

Ils s’assirent, et il joua, au piano, tout ce qu’il avait dans le c?ur, tout son amour pour eux. Quand ce fut fini, ils rest?rent tous les trois, sans parler. Puis, il se leva, et il les regarda. Il avait l’air si bon, et tellement plus ?g? et plus fort qu’eux! Pour la premi?re fois, elle eut conscience de ce qu’il ?tait. Il les serra dans ses bras, et dit ? Jacqueline:

– Vous l’aimerez bien, n’est-ce pas? Vous vous aimerez bien?

Ils furent p?n?tr?s de reconnaissance. Mais tout de suite apr?s, il d?tourna l’entretien, rit, alla ? la fen?tre, et sauta dans le jardin.

*

Les jours suivants, il engagea Olivier ? faire sa demande aux parents de Jacqueline. Olivier n’osait point, par crainte du refus qu’il pr?voyait. Christophe le pressa aussi de se mettre en qu?te d’une situation. ? supposer qu’il f?t agr?? par les Langeais, il ne pouvait accepter la fortune de Jacqueline, s’il ne se trouvait lui-m?me en ?tat de gagner son pain. Olivier pensait comme lui, sans partager sa d?fiance injurieuse, un peu comique, ? l’?gard des mariages riches. C’?tait l? une id?e ancr?e dans la t?te de Christophe, que la richesse tue l’?me. Volontiers, il e?t r?p?t? cette boutade d’un sage gueux ? une riche oiselle, qui s’inqui?tait de l’au-del?:

– Quoi, madame, vous avez des millions, et vous voudriez encore, par-dessus le march?, avoir une ?me immortelle?

– M?fie-toi de la femme, disait-il ? Olivier, – mi-plaisant, mi-s?rieux, – m?fie-toi de la femme, mais vingt fois plus de la femme riche! La femme aime l’art, peut-?tre, mais elle ?touffe l’artiste. La femme riche empoisonne l’un et l’autre. La richesse est une maladie. Et la femme la supporte encore plus mal que l’homme. Tout riche est un ?tre anormal… Tu ris? Tu te moques de moi? Quoi! est-ce qu’un riche sait ce que c’est que la vie? Est-ce qu’il reste en communion avec la rude r?alit?? Est-ce qu’il sent sur sa face le souffle fauve de la mis?re, l’odeur du pain ? gagner, de la terre ? remuer? Est-ce qu’il peut comprendre, est-ce qu’il voit seulement les ?tres et les choses?… Quand j’?tais petit gar?on, il m’est arriv? une ou deux fois d’?tre emmen? en promenade dans le landau du grand-duc. La voiture passait au milieu de prairies dont je connaissais chaque brin d’herbe, parmi des bois o? je galopinais seul et que j’adorais. Eh bien, je ne voyais plus rien. Tous ces chers paysages ?taient devenus pour moi aussi raidis, aussi empes?s que les imb?ciles qui me promenaient. Entre les prairies et mon c?ur, il ne s’?tait pas seulement interpos? le rideau de ces ?mes gourm?es. Il suffisait de ces quatre planches sous mes pieds, de cette estrade ambulante au-dessus de la nature. Pour sentir que la terre est ma m?re, il me faut avoir les pieds enfonc?s dans son ventre, comme le nouveau-n? qui sort ? la lumi?re. La richesse tranche le lien qui unit l’homme ? la terre, et qui relie entre eux tous les fils de la terre. Et alors, comment voudrais-tu ?tre encore un artiste? L’artiste est la voix de la terre. Un riche ne peut pas ?tre un grand artiste. Il lui faudrait, pour l’?tre, mille fois plus de g?nie, dans des conditions aussi disgraci?es. M?me s’il y parvient, il est toujours un fruit de serre. Le grand G?the a beau faire: son ?me a des membres atrophi?s, il lui manque des organes essentiels, que la richesse a tu?s. Toi qui n’as pas la s?ve d’un G?the, tu serais d?vor? par la richesse, surtout par la femme riche, que G?the a du moins ?vit?e. L’homme seul peut encore r?agir contre le fl?au. Il a en lui une brutalit? native, un humus amass? d’instincts ?pres et salutaires qui l’attachent ? la terre. Mais la femme est livr?e au poison, et elle le communique aux autres. Elle se pla?t ? la puanteur parfum?e de la richesse. Une femme qui reste saine de c?ur, au milieu de la fortune, est un prodige, autant qu’un millionnaire qui a du g?nie… Et puis, je n’aime pas les monstres. Qui a plus que sa part pour vivre est un monstre, – un cancer humain qui ronge les autres hommes.

Olivier riait:

– Je ne puis pourtant pas cesser d’aimer Jacqueline, parce qu’elle n’est pas pauvre, ni l’obliger ? l’?tre, pour l’amour de moi.

– Eh bien, si tu ne peux pas la sauver, au moins sauve-toi toi-m?me! Et c’est encore la meilleure fa?on de la sauver. Garde-toi pur. Travaille.

Olivier n’avait pas besoin que Christophe lui communiqu?t ses scrupules. Plus encore que lui, il avait l’?me chatouilleuse. Non qu’il pr?t au s?rieux les boutades de Christophe contre l’argent: il avait ?t? riche lui-m?me, il ne d?testait point la richesse, et il trouvait qu’elle allait bien ? la jolie figure de Jacqueline. Mais il lui ?tait insupportable qu’on p?t m?ler ? l’id?e de son amour un soup?on d’int?r?t. Il demanda ? rentrer dans l’Universit?. Il ne pouvait plus esp?rer, pour l’instant, qu’un poste m?diocre dans un lyc?e de province. C’?tait l? un triste cadeau de noces ? offrir ? Jacqueline. Il lui en parla timidement. Jacqueline eut d’abord quelque peine ? admettre ses raisons: elle les attribuait ? un amour-propre exag?r?, que Christophe lui avait mis en t?te, et qu’elle trouvait ridicule: n’est-il pas naturel, quand on aime, d’accepter du m?me c?ur la fortune et l’infortune de l’aim?e, et n’est-ce pas un sentiment mesquin, de se refuser ? lui devoir un bienfait, qui lui ferait tant de joie?… N?anmoins, elle se rallia au projet d’Olivier: ce qu’il avait d’aust?re et de peu plaisant fut justement ce qui la d?cida; elle y trouvait une occasion de satisfaire son app?tit d’h?ro?sme moral. Dans l’?tat de r?volte orgueilleuse contre son milieu, que son deuil avait provoqu?e et que son amour exaltait, elle avait fini par nier tout ce qui dans sa nature ?tait en contradiction avec cette ardeur mystique; elle tendait son ?tre, comme un arc, vers un id?al de vie tr?s pure, difficile, et rayonnante de bonheur… Les obstacles, la m?diocrit? de sa condition ? venir, tout lui ?tait joie. Que ce serait beau!…

Mme Langeais ?tait trop occup?e d’elle-m?me pour pr?ter grande attention ? ce qui se passait autour d’elle. Depuis peu, elle ne songeait plus qu’? sa sant?; elle occupait son temps ? soigner des maladies imaginaires, essayer d’un m?decin, puis d’un autre: chacun ? tour de r?le ?tait le Sauveur; il y en avait pour quinze jours; puis, c’?tait le tour du suivant. Elle restait des mois, au loin, dans des maisons de sant? fort co?teuses, o? elle ex?cutait avec d?votion des prescriptions pu?riles. Elle avait oubli? sa fille et son mari.

M. Langeais, moins indiff?rent, commen?ait ? soup?onner l’intrigue. Sa jalousie paternelle l’avertissait. Il avait pour Jacqueline cette affection ?nigmatique, que bien des p?res ?prouvent pour leurs filles, mais qu’ils n’avouent gu?re, cette curiosit? myst?rieuse, voluptueuse, quasi sacr?e, de revivre en des ?tres de son sang, qui sont soi, et qui sont femmes. Il y a, dans ces secrets du c?ur, des ombres et des lueurs qu’il est sain d’ignorer. Jusqu’alors, il s’?tait amus? de voir sa fille rendre amoureux les petits jeunes gens: il l’aimait ainsi, coquette, romanesque, et pourtant avis?e – (comme il ?tait). – Mais quand il vit que l’aventure mena?ait de devenir s?rieuse, il s’inqui?ta. Il commen?a par se moquer d’Olivier devant Jacqueline, puis il le critiqua avec une certaine ?pret?. Jacqueline en rit d’abord, et dit:

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