Jean-Christophe Tome II - Rolland Romain 3 стр.


Ce ne fut que quelques minutes apr?s, au milieu des sanglots, des pri?res, de la confusion caus?e par la mort, que Louisa aper?ut l’enfant, bl?me, la bouche crisp?e, les yeux dilat?s, qui serrait convulsivement la poign?e de la porte. Elle courut ? lui. Il fut pris, dans ses bras, d’une crise. Elle l’emporta. Il perdit connaissance. Il se retrouva dans son lit, hurla d’effroi, parce qu’on l’avait laiss? seul un instant, eut une nouvelle crise, et s’?vanouit encore. Il passa le reste de la nuit et la journ?e du lendemain dans la fi?vre. Enfin il s’apaisa et tomba, la seconde nuit, dans un sommeil profond, qui se prolongea jusqu’au milieu du jour suivant. Il avait l’impression qu’on marchait dans la chambre, que sa m?re ?tait pench?e sur son lit et l’embrassait: il crut entendre le chant doux et lointain des cloches. Mais il ne voulait pas remuer; il ?tait comme dans un r?ve.

Quand il rouvrit les yeux, l’oncle Gottfried ?tait assis au pied de son lit. Christophe ?tait bris?, et ne se souvenait de rien. Puis la m?moire lui revint, il se mit ? pleurer. Gottfried se leva et l’embrassa.

– Eh bien, mon petit, eh bien? disait-il doucement.

– Ah! oncle, oncle! g?missait l’enfant se serrant contre lui.

– Pleure, disait Gottfried, pleure!

Il pleurait aussi.

Lorsqu’il fut un peu soulag?, Christophe essuya ses yeux et regarda Gottfried. Gottfried comprit qu’il voulait lui demander quelque chose.

– Non, fit-il, en mettant un doigt sur sa bouche. Il ne faut pas parler. Pleurer est bon. Parler est mauvais.

L’enfant insistait.

– Cela ne sert ? rien.

– Seulement une chose, une seule!…

– Quoi?

Christophe h?sita:

– Ah! oncle, demanda-t-il, o? est-il maintenant?

Gottfried r?pondit:

– Il est avec le Seigneur, mon enfant.

Mais ce n’?tait pas ce que demandait Christophe.

– Non, tu ne comprends pas: O? est-il, lui ?

(Il voulait dire: le corps.)

Il continua, d’une voix tremblante:

– Est-ce qu’il est toujours dans la maison?

– On a enterr? le cher homme, ce matin, dit Gottfried. N’as-tu pas entendu les cloches?

Christophe fut soulag?. Puis, ? la pens?e qu’il ne reverrait plus le cher grand-p?re, il pleura de nouveau, am?rement.

– Pauvre petit chat! r?p?tait Gottfried, regardant l’enfant avec commis?ration.

Christophe attendait que Gottfried le consol?t; mais Gottfried n’essayait pas, sachant que c’est inutile.

– Oncle Gottfried, demanda l’enfant, est-ce que tu n’as donc pas peur aussi de cela, toi?

(Combien il e?t voulu que Gottfried n’e?t pas peur et qu’il lui enseign?t son secret!)

Mais Gottfried devint soucieux.

– Chut! fit-il, d’une voix alt?r?e…

– Et comment n’avoir pas peur? dit-il apr?s un instant. Mais qu’y faire? C’est ainsi. Il faut se soumettre.

Christophe secoua la t?te avec r?volte.

– Il faut se soumettre, mon enfant, r?p?ta Gottfried. Il l’a voulu. Il faut aimer ce qu’Il veut.

– Je le d?teste! cria Christophe haineusement, montrant le poing au ciel.

Gottfried, constern?, le fit taire. Christophe lui-m?me eut peur de ce qu’il venait de dire, et il se mit ? prier avec Gottfried. Mais son c?ur bouillonnait; et tandis qu’il r?p?tait les mots d’humilit? servile et de r?signation, il n’y avait au fond de lui qu’un sentiment de r?volte passionn?e et d’horreur contre l’abominable chose, et l’?tre monstrueux qui l’avait pu cr?er.

*

Les jours s’?coulent, et les nuits pluvieuses, sur la terre fra?chement remu?e, au fond de laquelle le pauvre vieux Jean-Michel g?t abandonn?. Sur le moment, Melchior a beaucoup pleur?, cri?, sanglot?. Mais la semaine n’est pas finie, que Christophe l’entend rire de bon c?ur. Quand on prononce devant lui le nom du d?funt, sa figure s’allonge et prend un air lugubre; mais, l’instant d’apr?s, il recommence ? parler et ? gesticuler avec animation. Il est sinc?rement afflig?; mais il lui est impossible de rester sous une impression triste.

Louisa, passive, r?sign?e, a accept? ce malheur, comme elle accepte tout. Elle a ajout? une pri?re ? ses pri?res de chaque jour; elle va r?guli?rement au cimeti?re, et prend soin de la tombe, comme si la tombe faisait partie du m?nage.

Gottfried a des attentions touchantes pour le petit carr? de terre, o? dort le vieux. Quand il vient dans le pays, il y porte un souvenir, une croix qu’il a fabriqu?e, quelques fleurs que Jean-Michel aimait. Il n’y manque jamais; et il se cache pour le faire.

Louisa emm?ne quelquefois Christophe, dans ses visites au cimeti?re. Christophe a un d?go?t affreux pour cette terre grasse, rev?tue d’une sinistre parure de fleurs et d’arbres, et pour l’odeur lourde qui flotte au soleil, m?l?e ? l’haleine des cypr?s sonores. Mais il n’ose avouer sa r?pugnance, parce qu’il se la reproche comme une l?chet? et comme une impi?t?. Il est tr?s malheureux. La mort de grand-p?re ne cesse de le hanter. Pourtant, il y a longtemps d?j? qu’il sait ce que c’est que la mort, qu’il y pense et qu’il en a peur. Mais jamais il ne l’avait encore vue; et qui la voit pour la premi?re fois s’aper?oit qu’il ne connaissait rien, ni de la mort, ni de la vie. Tout est ?branl? d’un coup; la raison ne sert de rien. On croyait vivre, on croyait avoir quelque exp?rience de la vie: on voit qu’on ne savait rien, on voit qu’on ne voyait rien, on vivait envelopp? d’un voile d’illusions que l’esprit avait tiss? et qui cachait aux yeux le visage de la r?alit?. Il n’y a aucun rapport entre l’id?e de la souffrance et l’?tre qui saigne et qui souffre. Il n’y a aucun rapport entre la pens?e de la mort et les convulsions de la chair et de l’?me qui se d?bat et meurt. Tout le langage humain, toute la sagesse humaine, n’est qu’un guignol de raides automates, aupr?s de l’?blouissement fun?bre de la r?alit?, – ces mis?rables ?tres de boue et de sang, dont tout le vain effort est de fixer une vie, qui pourrit, d’heure en heure.

Christophe y pensait, jour et nuit. Les souvenirs de l’agonie le poursuivaient; il entendait l’horrible respiration. La nature enti?re avait chang?; il semblait que se f?t ?tendue sur elle une brume de glace. Autour de lui, partout, de quelque c?t? qu’il se tourn?t, il sentait sur sa face le souffle meurtrier de la B?te aveugle; il savait qu’il ?tait sous le poing de cette Force de destruction, et qu’il n’y avait rien ? faire. Mais loin de l’accabler, cette pens?e le br?lait d’indignation contre l’impossible; il avait beau se briser le front, et reconna?tre qu’il n’?tait pas le plus fort: il ne cessait point de se r?volter contre la souffrance. D?s lors, sa vie fut une lutte de tous les instants contre la f?rocit? d’un Destin, qu’il ne voulait pas admettre.

*

? l’obsession de ses pens?es la duret? m?me de la vie vint faire diversion. La ruine de la famille, que Jean-Michel retardait, se pr?cipita, d?s qu’il ne fut plus l?. Avec lui les Krafft avaient perdu leurs meilleures ressources; et la mis?re entra dans la maison.

Melchior y ajouta encore. Loin de travailler davantage, il s’abandonna tout ? fait ? son vice, quand il fut d?livr? du seul contr?le qui le ret?nt. Presque chaque nuit, il rentrait ivre, et il ne rapportait jamais rien de ce qu’il avait gagn?. Du reste, il avait perdu ? peu pr?s toutes ses le?ons. Une fois, il s’?tait pr?sent? chez une ?l?ve dans un ?tat d’?bri?t? compl?te: ? la suite de ce scandale, toutes les maisons lui furent ferm?es. ? l’orchestre, on ne le tol?rait que par ?gard pour le souvenir de son p?re; mais Louisa tremblait qu’il ne f?t cong?di? d’un jour ? l’autre, apr?s un esclandre. D?j? on l’en avait menac?, certains soirs o? il ?tait arriv? ? son pupitre vers la fin de la repr?sentation. Deux ou trois fois, il avait m?me totalement oubli? de venir. Et de quoi n’?tait-il pas capable dans ces moments d’excitation stupide, o? il ?tait pris d’une d?mangeaison de dire et de faire des sottises! Ne s’avisa-t-il pas, un soir, de vouloir ex?cuter son grand concerto de violon, au milieu d’un acte de la Walk?re ! On eut toutes les peines du monde ? l’en emp?cher. Il ?clatait de rire, pendant la repr?sentation, sous l’empire des images plaisantes qui se d?roulaient sur la sc?ne ou dans son cerveau. Il faisait la joie de ses voisins; on lui passait beaucoup de choses, en faveur de son ridicule. Mais cette indulgence ?tait pire que la s?v?rit?; et Christophe en mourait de honte.

L’enfant ?tait maintenant premier violon ? l’orchestre. Il s’arrangeait de fa?on ? veiller sur son p?re, ? le suppl?er au besoin, ? lui imposer silence, quand Melchior ?tait dans ses jours d’expansion. Ce n’?tait pas ais?, et le mieux ?tait de ne pas faire attention ? lui; sans quoi l’ivrogne, d?s qu’il se sentait regard?, faisait des grimaces, ou commen?ait un discours. Christophe d?tournait donc les yeux, tremblant de lui voir faire quelque excentricit?; il essayait de s’absorber dans sa t?che, mais il ne pouvait s’emp?cher d’entendre les r?flexions de Melchior et les rires des voisins. Les larmes lui en venaient aux yeux. Les musiciens, braves gens, s’en ?taient aper?us, et ils avaient piti? de lui; ils mettaient une sourdine ? leurs ?clats, ils se cachaient de Christophe pour parler de son p?re. Mais Christophe sentait leur commis?ration. Il savait que, d?s qu’il ?tait sorti, les moqueries reprenaient leur train et que Melchior ?tait la ris?e de la ville. Il ne pouvait rien pour l’emp?cher; c’?tait un supplice pour lui. Il ramenait son p?re ? la maison apr?s la fin du spectacle; il lui donnait le bras, subissait ses bavardages, s’?vertuait ? cacher l’incertitude de sa marche. Mais ? qui faisait-il illusion? Et malgr? ses efforts, il ?tait rare qu’il r?uss?t ? conduire Melchior jusqu’au bout. Arriv? au tournant de la rue, Melchior d?clarait qu’il avait un rendez-vous urgent avec des amis, et aucun argument ne pouvait lui persuader de manquer ? cet engagement. Il ?tait m?me prudent de ne pas trop insister, si on ne voulait s’exposer ? une sc?ne d’impr?cations paternelles, qui attirait les voisins aux fen?tres.

Tout l’argent du m?nage y passait. Melchior ne se contentait pas de boire ce qu’il gagnait. Il buvait ce que sa femme et son fils avaient tant de peine ? gagner. Louisa pleurait; mais elle n’osait pas r?sister, depuis que son mari lui avait durement rappel? que rien dans la maison n’?tait ? elle et qu’il l’avait ?pous?e sans un sou. Christophe voulut regimber: Melchior le calotta, le traita de polisson, et lui prit l’argent des mains. L’enfant avait douze ? treize ans, il ?tait robuste, et commen?ait ? gronder contre les corrections; pourtant il avait encore peur de se r?volter, et il se laissait d?pouiller. La seule ressource qu’ils eussent, Louisa et lui, ?tait de cacher leur argent. Mais Melchior avait une ing?niosit? singuli?re ? d?couvrir leurs cachettes, quand ils n’?taient pas l?.

Bient?t, cela ne lui suffit plus. Il vendit les objets h?rit?s de son p?re. Christophe voyait partir avec douleur les livres, le lit, les meubles, les portraits des musiciens. Il ne pouvait rien dire. Mais un jour que Melchior, s’?tant rudement heurt? au vieux piano de grand-p?re, jura de col?re, en se frottant le genou, et dit qu’on n’avait plus la place de remuer chez soi, et qu’il allait d?barrasser la maison de toutes ces vieilleries, Christophe poussa les hauts cris. C’?tait vrai que les chambres ?taient encombr?es, depuis qu’on y avait entass? les meubles de grand-p?re pour vendre sa maison, la ch?re maison o? Christophe avait pass? les plus belles heures de son enfance. C’?tait vrai aussi que le vieux piano ne valait plus cher, qu’il avait une voix chevrotante, et que depuis longtemps Christophe l’avait abandonn?, pour jouer sur le beau piano neuf, d? aux munificences du prince; mais si vieux et si impotent qu’il f?t, il ?tait le meilleur ami de Christophe: il avait r?v?l? ? l’enfant le monde sans bornes de la musique; sur ses touches jaunes et polies il avait d?couvert le royaume des sons; c’?tait l’?uvre de grand-p?re, qui avait pass? trois mois ? le r?parer pour son petit-fils: il ?tait un objet sacr?. Aussi Christophe protesta qu’on n’avait pas le droit de le vendre. Melchior lui intima l’ordre de se taire. Christophe cria plus fort que le piano ?tait ? lui et qu’il d?fendait qu’on y touch?t. Il s’attendait ? recevoir une solide correction. Mais Melchior le regarda avec un mauvais sourire, et se tut.

Le lendemain, Christophe avait oubli?. Il rentrait ? la maison, fatigu?, mais d’assez bonne humeur. Il fut frapp? des regards sournois de ses fr?res. Ils feignaient d’?tre absorb?s dans une lecture; mais ils le suivaient des yeux et guettaient ses mouvements, se replongeant dans leur livre, d?s qu’il les regardait. Il ne douta point qu’ils ne lui eussent fait quelque mauvaise farce, mais il y ?tait habitu?, et ne s’en ?mut pas, r?solu, quand il la d?couvrirait, ? les rosser, comme il avait coutume. Il d?daigna donc d’approfondir la chose, et il se mit ? causer avec son p?re, qui, assis au coin du feu, l’interrogeait sur sa journ?e avec une affectation d’int?r?t, auquel il n’?tait point fait. Tandis qu’il lui parlait, il s’aper?ut que Melchior ?changeait en cachette des clignements d’yeux avec les deux petits. Il eut un serrement de c?ur. Il courut dans sa chambre… La place du piano ?tait vide! Il poussa un cri de douleur. Il entendit dans l’autre pi?ce les rires ?touff?s de ses fr?res. Tout son sang lui monta au visage. Il bondit vers eux. Il cria:

– Mon piano!

Melchior leva la t?te, d’un air paisible et ahuri, qui fit ?clater de rire les enfants. Lui-m?me ne put y tenir, en voyant la mine piteuse de Christophe; et il se d?tourna pour pouffer. Christophe perdit conscience de ses actes. Il se jeta comme un fou sur son p?re. Melchior, renvers? dans son fauteuil, n’eut pas le temps de se garer. L’enfant l’avait saisi ? la gorge, et lui criait:

– Voleur!

Ce ne fut qu’un ?clair. Melchior se secoua et envoya rouler contre le carreau Christophe, qui se cramponnait avec fureur. La t?te de l’enfant heurta contre les chenets. Christophe se releva sur les genoux, le front ouvert; et il continuait de r?p?ter, d’une voix suffoqu?e:

– Voleur!… Voleur qui nous voles, maman, moi!… Voleur qui vends grand-p?re!

Melchior, debout, leva le poing sur la t?te de Christophe. L’enfant le bravait avec des yeux haineux, et il tremblait de rage. Melchior se mit ? trembler aussi. Il s’assit et se cacha la figure dans ses mains. Les deux petits s’?taient sauv?s, en poussant des cris aigus. Au vacarme succ?da le silence. Melchior g?missait des paroles vagues. Christophe, coll? au mur, ne cessait pas de le fixer, les dents serr?es. Melchior commen?a ? s’accuser lui-m?me:

– Je suis un voleur! Je d?pouille ma famille. Mes enfants me m?prisent. Je ferais mieux d’?tre mort!

Quand il eut fini de geindre, Christophe, sans bouger, demanda d’une voix dure:

– O? est le piano?

– Chez Wormser, dit Melchior, n’osant pas le regarder. Christophe fit un pas, et dit:

– L’argent!

Melchior, annihil?, tira l’argent de sa poche, et le remit ? son fils. Christophe se dirigea vers la porte. Melchior l’appela:

– Christophe!

Christophe s’arr?ta. Melchior reprit, d’une voix tremblante:

– Mon petit Christophe!… Ne me m?prise pas!

Christophe se jeta ? son cou, et sanglota:

– Papa, mon cher papa! Je ne te m?prise pas! Je suis si malheureux!

Ils pleuraient bruyamment. Melchior se lamentait:

– Ce n’est pas ma faute. Je ne suis pourtant pas m?chant.

Il promettait de ne plus boire. Christophe hochait la t?te, d’un air de doute; et Melchior convenait qu’il ne pouvait pas r?sister, quand il avait de l’argent dans les mains. Christophe r?fl?chit, et dit:

– Sais-tu, papa, il faudrait…

Il s’arr?ta.

– Quoi donc?

– J’ai honte…

– Pour qui? demanda na?vement Melchior.

– Pour toi.

Melchior fit la grimace, et dit:

– Cela ne fait rien.

Christophe expliqua qu’il faudrait que tout l’argent de la famille, m?me le traitement de Melchior, f?t confi? ? un autre, qui remettrait ? Melchior, jour par jour, ou semaine par semaine, ce dont il aurait besoin. Melchior, qui ?tait en veine d’humilit?, – il n’?tait pas tout ? fait ? jeun, – rench?rit sur la proposition et d?clara qu’il voulait ?crire s?ance tenante une lettre au grand-duc, pour que la pension qui lui revenait f?t r?guli?rement pay?e en son nom ? Christophe. Christophe refusait, rougissant de l’humiliation de son p?re. Mais Melchior, d?vor? d’une soif de sacrifice, s’obstina ? ?crire. Il ?tait ?mu de la magnanimit? de son acte. Christophe refusa de prendre la lettre; et Louisa qui venait de rentrer, mise au courant de l’affaire, d?clara qu’elle aimerait mieux mendier que d’obliger son mari ? cet affront. Elle ajouta qu’elle avait confiance en lui, et qu’elle ?tait s?re qu’il s’amenderait pour l’amour d’eux. Cela finit par une sc?ne d’attendrissement g?n?ral; et la lettre de Melchior, oubli?e sur la table, alla tomber sous l’armoire, o? elle resta cach?e.

Mais, quelques jours apr?s, Louisa l’y retrouva, en faisant le m?nage; et comme elle ?tait tr?s malheureuse alors des nouveaux d?sordres de Melchior, qui avait recommenc?, au lieu de d?chirer le papier, elle le mit de c?t?. Elle le garda plusieurs mois, repoussant toujours l’id?e de s’en servir, malgr? les souffrances qu’elle endurait. Mais un jour qu’elle vit, une fois de plus, Melchior battre Christophe et le d?pouiller de son argent, elle n’y tint plus; et, seule avec l’enfant qui pleurait, elle alla prendre la lettre, la lui donna, et dit:

– Va!

Christophe h?sitait encore, mais il comprit qu’il n’y avait plus d’autre moyen, si on voulait sauver de la ruine totale le peu qui leur restait. Il alla au palais. Il mit pr?s d’une heure ? faire le trajet de vingt minutes. La honte de sa d?marche l’accablait. Son orgueil, qui s’?tait exalt? dans ces derni?res ann?es d’isolement, saignait ? la pens?e d’avouer publiquement le vice de son p?re. Par une ?trange et naturelle incons?quence, il savait que ce vice ?tait connu de tous; et il s’obstinait ? vouloir donner le change, il feignait de ne s’apercevoir de rien: il se f?t laiss? hacher en morceaux, plut?t que d’en convenir. Et maintenant, de lui-m?me, il allait!… Vingt fois, il fut sur le point de revenir; il fit deux ou trois fois le tour de la ville, retournant sur ses pas, au moment d’arriver. Mais il n’?tait pas seul en cause. Il s’agissait de sa m?re, de ses fr?res. Puisque son p?re les abandonnait, c’?tait ? lui, fils a?n?, de venir ? leur aide. Il n’y avait plus ? h?siter, ? faire l’orgueilleux: il fallait boire la honte. Il entra au palais. Dans l’escalier, il faillit encore s’enfuir. Il s’agenouilla sur une marche. Il resta plusieurs minutes, sur le palier, la main sur le bouton de la porte, jusqu’? ce que l’arriv?e de quelqu’un le for??t ? entrer.

Tout le monde le connaissait aux bureaux. Il demanda ? parler ? Son Excellence l’intendant des th??tres, baron de Hammer Langbach. Un employ?, jeune, gras, chauve, le teint fleuri, avec un gilet blanc et une cravate rose, lui serra famili?rement la main, et se mit ? parler de l’op?ra de la veille. Christophe r?p?ta sa question. L’employ? r?pondit que Son Excellence ?tait occup?e en ce moment, mais que, si Christophe avait une requ?te ? lui pr?senter, on la lui ferait passer avec d’autres pi?ces, qu’on allait lui porter ? signer. Christophe tendit la lettre. L’employ? y jeta les yeux, et poussa une exclamation de surprise:

Назад Дальше