Les Contemplations - Hugo Victor 4 стр.


Et vous faites, sans peur, sans pitié, sans regrets,

À la jeunesse, aux cœurs vierges, à l’espérance,

Boire dans votre nuit ce vieil opium rance!

Ô fermoirs de la bible humaine! sacristains

De l’art, de la science, et des maîtres lointains,

Et de la vérité que l’homme aux cieux épèle,

Vous changez ce grand temple en petite chapelle!

Guichetiers de l’esprit, faquins dont le goût sûr

Mène en laisse le beau; porte-clefs de l’azur,

Vous prenez Théocrite, Eschyle aux sacrés voiles,

Tibulle plein d’amour, Virgile plein d’étoiles;

Vous faites de l’enfer avec ces paradis!

Et, ma rage croissant, je reprenais:

– Maudits,

Ces monastères sourds! bouges! prisons haïes!

Oh! comme on fit jadis au pédant de Veïes,

Culotte bas, vieux tigre! Écoliers! écoliers!

Accourez par essaims, par bandes, par milliers,

Du gamin de Paris au grœculus de Rome,

Et coupez du bois vert, et fouaillez-moi cet homme!

Jeunes bouches, mordez le metteur de bâillons!

Le mannequin sur qui l’on drape des haillons

A tout autant d’esprit que ce cuistre en son antre,

Et tout autant de cœur; et l’un a dans le ventre

Du latin et du grec comme l’autre a du foin.

Ah! je prends Phyllodoce et Xanthis à témoin

Que je suis amoureux de leurs claires tuniques;

Mais je hais l’affreux tas des vils pédants iniques!

Confier un enfant, je vous demande un peu,

À tous ces êtres noirs! autant mettre, morbleu!

La mouche en pension chez une tarentule!

Ces moines, expliquer Platon, lire Catulle,

Tacite racontant le grand Agricola,

Lucrèce! eux, déchiffrer Homère, ces gens-là!

Ces diacres! ces bedeaux dont le groin renifle!

Crânes d’où sort la nuit, pattes d’où sort la gifle,

Vieux dadais à l’air rogue, au sourcil triomphant,

Qui ne savent pas même épeler un enfant!

Ils ignorent comment l’âme naît et veut croître.

Cela vous a Laharpe et Nonotte pour cloître!

Ils en sont à l’A, B, C, D, du cœur humain;

Ils sont l’horrible Hier qui veut tuer Demain;

Ils offrent à l’aiglon leurs règles d’écrevisses.

Et puis ces noirs tessons ont une odeur de vices.

Ô vieux pots égueulés des soifs qu’on ne dit pas!

Le pluriel met une S à leurs meas culpas,

Les boucs mystérieux, en les voyant, s’indignent,

Et, quand on dit: «Amour!» terre et cieux! ils se signent.

Leur vieux viscère mort insulte au cœur naissant.

Ils le prennent de haut avec l’adolescent,

Et ne tolèrent pas le jour entrant dans l’âme

Sous la forme pensée ou sous la forme femme.

Quand la muse apparaît, ces hurleurs de holà

Disent: «Qu’est-ce que c’est que cette folle-là?»

Et, devant ses beautés, de ses rayons accrues,

Ils reprennent: «Couleurs dures, nuances crues;

Vapeurs, illusions, rêves; et quel travers

Avez-vous de fourrer l’arc-en-ciel dans vos vers?»

Ils raillent les enfants, ils raillent les poëtes;

Ils font aux rossignols leurs gros yeux de chouettes;

L’enfant est l’ignorant, ils sont l’ignorantin;

Ils raturent l’esprit, la splendeur, le matin;

Ils sarclent l’idéal ainsi qu’un barbarisme,

Et ces culs de bouteille ont le dédain du prisme!

Ainsi l’on m’entendait dans ma geôle crier.

Le monologue avait le temps de varier.

Et je m’exaspérais, faisant la faute énorme,

Ayant raison au fond, d’avoir tort dans la forme.

Après l’abbé Tuet, je maudissais Bezout;

Car, outre les pensums où l’esprit se dissout,

J’étais alors en proie à la mathématique.

Temps sombre! enfant ému du frisson poétique,

Pauvre oiseau qui heurtais du crâne mes barreaux,

On me livrait tout vif aux chiffres, noirs bourreaux;

On me faisait de force ingurgiter l’algèbre;

On me liait au fond d’un Boisbertrand funèbre;

On me tordait, depuis les ailes jusqu’au bec,

Sur l’affreux chevalet des X et des Y;

Hélas! on me fourrait sous les os maxillaires

Le théorème orné de tous ses corollaires;

Et je me débattais, lugubre patient

Du diviseur prêtant main-forte au quotient.

De là mes cris.

Un jour, quand l’homme sera sage,

Lorsqu’on n’instruira plus les oiseaux par la cage,

Quand les sociétés difformes sentiront

Dans l’enfant mieux compris se redresser leur front,

Que, des libres essors ayant sondé les règles,

On connaîtra la loi de croissance des aigles,

Et que le plein midi rayonnera pour tous,

Savoir étant sublime, apprendre sera doux.

Alors, tout en laissant au sommet des études

Les grands livres latins et grecs, ces solitudes

Où l’éclair gronde, où luit la mer, où l’astre rit,

Et qu’emplissent les vents immenses de l’esprit,

C’est en les pénétrant d’explication tendre,

En les faisant aimer, qu’on les fera comprendre.

Homère emportera dans son vaste reflux

L’écolier ébloui; l’enfant ne sera plus

Une bête de somme attelée à Virgile;

Et l’on ne verra plus ce vif esprit agile

Devenir, sous le fouet d’un cuistre ou d’un abbé,

Le lourd cheval poussif du pensum embourbé.

Chaque village aura, dans un temple rustique,

Dans la lumière, au lieu du magister antique,

Trop noir pour que jamais le jour y pénétrât,

L’instituteur lucide et grave, magistrat

Du progrès, médecin de l’ignorance, et prêtre

De l’idée; et dans l’ombre on verra disparaître

L’éternel écolier et l’éternel pédant.

L’aube vient en chantant, et non pas en grondant.

Nos fils riront de nous dans cette blanche sphère;

Ils se demanderont ce que nous pouvions faire

Enseigner au moineau par le hibou hagard.

Alors, le jeune esprit et le jeune regard

Se lèveront avec une clarté sereine

Vers la science auguste, aimable et souveraine;

Alors, plus de grimoire obscur, fade, étouffant;

Le maître, doux apôtre incliné sur l’enfant,

Fera, lui versant Dieu, l’azur et l’harmonie,

Boire la petite âme à la coupe infinie.

Alors, tout sera vrai, lois, dogmes, droits, devoirs.

Tu laisseras passer dans tes jambages noirs

Une pure lueur, de jour en jour moins sombre,

Ô nature, alphabet des grandes lettres d’ombre!

Paris, mai 1831.

XIV. À Granville, en 1836

Voici juin. Le moineau raille

Dans les champs les amoureux;

Le rossignol de muraille

Chante dans son nid pierreux.

Les herbes et les branchages,

Pleins de soupirs et d’abois,

Font de charmants rabâchages

Dans la profondeur des bois.

La grive et la tourterelle

Prolongent, dans les nids sourds,

La ravissante querelle

Des baisers et des amours.

Sous les treilles de la plaine,

Dans l’antre où verdit l’osier,

Virgile enivre Silène,

Et Rabelais Grandgousier.

Ô Virgile, verse à boire!

Verse à boire, ô Rabelais!

La forêt est une gloire;

La caverne est un palais!

Il n’est pas de lac ni d’île

Qui ne nous prenne au gluau,

Qui n’improvise une idylle,

Ou qui ne chante un duo.

Car l’amour chasse aux bocages,

Et l’amour pêche aux ruisseaux,

Car les belles sont les cages

Dont nos cœurs sont les oiseaux.

De la source, sa cuvette,

La fleur, faisant son miroir,

Dit: «Bonjour», à la fauvette,

Et dit au hibou: «Bonsoir.»

Le toit espère la gerbe,

Pain d’abord et chaume après;

La croupe du bœuf dans l’herbe

Semble un mont dans les forêts.

L’étang rit à la macreuse,

Le pré rit au loriot,

Pendant que l’ornière creuse

Gronde le lourd chariot.

L’or fleurit en giroflée;

L’ancien zéphyr fabuleux

Souffle avec sa joue enflée

Au fond des nuages bleus.

Jersey, sur l’onde docile,

Se drape d’un beau ciel pur,

Et prend des airs de Sicile

Dans un grand haillon d’azur.

Partout l’églogue est écrite;

Même en la froide Albion,

L’air est plein de Théocrite,

Le vent sait par cœur Bion;

Et redit, mélancolique,

La chanson que fredonna

Moschus, grillon bucolique

De la cheminée Etna.

L’hiver tousse, vieux phthisique,

Et s’en va; la brume fond;

Les vagues font la musique

Des vers que les arbres font.

Toute la nature sombre

Verse un mystérieux jour;

L’âme qui rêve a plus d’ombre

Et la fleur a plus d’amour.

L’herbe éclate en pâquerettes;

Les parfums, qu’on croit muets,

Content les peines secrètes

Des liserons aux bleuets.

Les petites ailes blanches

Sur les eaux et les sillons

S’abattent en avalanches;

Il neige des papillons.

Et sur la mer, qui reflète

L’aube au sourire d’émail,

La bruyère violette

Met au vieux mont un camail;

Afin qu’il puisse, à l’abîme

Qu’il contient et qu’il bénit,

Dire sa messe sublime

Sous sa mitre de granit.

Granville, juin 1836.

XV. La coccinelle

Elle me dit: «Quelque chose

Me tourmente.» Et j’aperçus

Son cou de neige, et, dessus,

Un petit insecte rose.

J’aurais dû – mais, sage ou fou,

À seize ans, on est farouche, -

Voir le baiser sur sa bouche

Plus que l’insecte à son cou.

On eût dit un coquillage;

Dos rose et taché de noir.

Les fauvettes pour nous voir

Se penchaient dans le feuillage.

Sa bouche fraîche était là:

Je me courbai sur la belle,

Et je pris la coccinelle;

Mais le baiser s’envola.

«Fils, apprends comme on me nomme»,

Dit l’insecte du ciel bleu,

«Les bêtes sont au bon Dieu;

Mais la bêtise est à l’homme.»

Paris, mai 1830.

XVI. Vers 1820

Denise, ton mari, notre vieux pédagogue,

Se promène; il s’en va troubler la fraîche églogue

Du bel adolescent Avril dans la forêt;

Tout tremble et tout devient pédant, dès qu’il paraît:

L’âne bougonne un thème au bœuf son camarade;

Le vent fait sa tartine, et l’arbre sa tirade;

L’églantier verdissant, doux garçon qui grandit,

Déclame le récit de Théramène, et dit:

Son front large est armé de cornes menaçantes.

Denise, cependant, tu rêves et tu chantes,

À l’âge où l’innocence ouvre sa vague fleur;

Et, d’un œil ignorant, sans joie et sans douleur,

Sans crainte et sans désir, tu vois, à l’heure où rentre

L’étudiant en classe et le docteur dans l’antre,

Venir à toi, montant ensemble l’escalier,

L’ennui, maître d’école, et l’amour, écolier.

XVII. À M. Froment Meurice

Nous sommes frères: la fleur

Par deux arts peut être faite.

Le poëte est ciseleur;

Le ciseleur est poëte.

Poëtes ou ciseleurs,

Par nous l’esprit se révèle.

Nous rendons les bons meilleurs,

Tu rends la beauté plus belle.

Sur son bras ou sur son cou,

Tu fais de tes rêveries,

Statuaire du bijou,

Des palais de pierreries!

Ne dis pas: «Mon art n’est rien…»

Sors de la route tracée,

Ouvrier magicien,

Et mêle à l’or la pensée!

Tous les penseurs, sans chercher

Qui finit ou qui commence,

Sculptent le même rocher:

Ce rocher, c’est l’art immense.

Michel-Ange, grand vieillard,

En larges blocs qu’il nous jette,

Le fait jaillir au hasard;

Benvenuto nous l’émiette.

Et, devant l’art infini,

Dont jamais la loi ne change,

La miette de Cellini

Vaut le bloc de Michel-Ange

Tout est grand; sombre ou vermeil,

Tout feu qui brille est une âme.

L’étoile vaut le soleil;

L’étincelle vaut la flamme.

Paris, octobre 1841.

XVIII. Les oiseaux

Je rêvais dans un grand cimetière désert;

De mon âme et des morts j’écoutais le concert,

Parmi les fleurs de l’herbe et les croix de la tombe.

Dieu veut que ce qui naît sorte de ce qui tombe.

Et l’ombre m’emplissait.

Autour de moi, nombreux,

Gais, sans avoir souci de mon front ténébreux,

Dans ce champ, lit fatal de la sieste dernière,

Des moineaux francs faisaient l’école buissonnière.

C’était l’éternité que taquine l’instant.

Ils allaient et venaient, chantant, volant, sautant,

Égratignant la mort de leurs griffes pointues,

Lissant leur bec au nez lugubre des statues,

Becquetant les tombeaux, ces grains mystérieux.

Je pris ces tapageurs ailés au sérieux;

Je criai: – Paix aux morts! vous êtes des harpies.

– Nous sommes des moineaux, me dirent ces impies.

– Silence! allez-vous-en! repris-je, peu clément.

Ils s’enfuirent; j’étais le plus fort. Seulement,

Un d’eux resta derrière, et, pour toute musique,

Dressa la queue, et dit: – Quel est ce vieux classique?

Comme ils s’en allaient tous, furieux, maugréant,

Criant, et regardant de travers le géant,

Un houx noir qui songeait près d’une tombe, un sage,

M’arrêta brusquement par la manche au passage,

Et me dit: – Ces oiseaux sont dans leur fonction.

Laisse-les. Nous avons besoin de ce rayon.

Dieu les envoie. Ils font vivre le cimetière.

Homme, ils sont la gaîté de la nature entière;

Ils prennent son murmure au ruisseau, sa clarté

À l’astre, son sourire au matin enchanté;

Partout où rit un sage, ils lui prennent sa joie,

Et nous l’apportent; l’ombre en les voyant flamboie;

Ils emplissent leurs becs des cris des écoliers;

À travers l’homme et l’herbe, et l’onde, et les halliers,

Ils vont pillant la joie en l’univers immense.

Ils ont cette raison qui te semble démence.

Ils ont pitié de nous qui loin d’eux languissons;

Et, lorsqu’ils sont bien pleins de jeux et de chansons,

D’églogues, de baisers, de tous les commérages

Que les nids en avril font sous les verts ombrages,

Ils accourent, joyeux, charmants, légers, bruyants,

Nous jeter tout cela dans nos trous effrayants;

Et viennent, des palais, des bois, de la chaumière,

Vider dans notre nuit toute cette lumière!

Quand mai nous les ramène, ô songeur, nous disons:

«Les voilà!» tout s’émeut, pierres, tertres, gazons;

Le moindre arbrisseau parle, et l’herbe est en extase;

Le saule pleureur chante en achevant sa phrase;

Ils confessent les ifs, devenus babillards;

Ils jasent de la vie avec les corbillards;

Des linceuls trop pompeux ils décrochent l’agrafe;

Ils se moquent du marbre; ils savent l’orthographe;

Et, moi qui suis ici le vieux chardon boudeur,

Devant qui le mensonge étale sa laideur,

Et ne se gêne pas, me traitant comme un hôte,

Je trouve juste, ami, qu’en lisant à voix haute

L’épitaphe où le mort est toujours bon et beau,

Ils fassent éclater de rire le tombeau.

Paris, mai 1835.

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