– Écoutez, me dit-il en me détachant et se rajustant lui-même, vous ne voulez pas que je vous sois utile, à la bonne heure! je vous laisse; je ne vous servirai ni ne vous nuirai, mais si vous vous avisez de dire un seul mot de ce qui vient de se passer, en vous chargeant des crimes les plus énormes, je vous ôte à l'instant tout moyen de pouvoir vous défendre: réfléchissez bien avant que de parler. On me croit maître de votre confession… vous m'entendez: il nous est permis de tout révéler quand il s'agit d'un criminel; saisissez donc bien l'esprit de ce que je vais dire au concierge, ou j'achève à l'instant de vous écraser.
Il frappe, le geôlier paraît:
– Monsieur, lui dit ce traître, cette bonne fille se trompe, elle a voulu parler d'un père Antonin qui est à Bordeaux; je ne la connais nullement, je ne l'ai même jamais vue: elle m'a prié d'entendre sa confession, je l'ai fait, je vous salue l'un et l'autre, et je serai toujours prêt à me représenter quand on jugera mon ministère important.
Antonin sort en disant ces mots, et me laisse aussi confondue de sa fourberie que révoltée de son insolence et de son libertinage.
Quoi qu'il en fût, mon état était trop horrible pour ne pas faire usage de tout; je me ressouvins de M. de Saint-Florent. Il m'était impossible de croire que cet homme pût me mésestimer par rapport à la conduite que j'avais observée avec lui; je lui avais rendu autrefois un service assez important, il m'avait traitée d'une manière assez cruelle pour imaginer qu'il ne refuserait pas et de réparer ses torts envers moi dans une circonstance aussi essentielle, et de reconnaître, en ce qu'il pourrait, au moins ce que j'avais fait de si honnête pour lui; le feu des passions pouvait l'avoir aveuglé aux deux époques où je l'avais connu, mais dans ce cas-ci, nul sentiment ne devait, selon moi, l'empêcher de me secourir… Me renouvellerait-il ses dernières propositions? mettrait-il les secours que j'allais exiger de lui au prix des affreux services qu'il m'avait expliqués? eh bien! j'accepterais, et une fois libre, je trouverais bien le moyen de me soustraire au genre de vie abominable auquel il aurait eu la bassesse de m'engager. Pleine de ces réflexions, je lui écris, je lui peins mes malheurs, je le supplie de venir me voir; mais je n'avais pas assez réfléchi sur l'âme de cet homme, quand j'avais soupçonné la bienfaisance capable d'y pénétrer; je ne m'étais pas assez souvenue de ses maximes horribles, ou, ma malheureuse faiblesse m'engageant toujours à juger les autres d'après mon cœur, j'avais mal à propos supposé que cet homme devait se conduire avec moi comme je l'eusse certainement fait avec lui.
Il arrive; et comme j'avais demandé à le voir seul, on le laisse en liberté dans ma chambre. Il m'avait été facile de voir, aux marques de respect qu'on lui avait prodiguées, quelle était sa prépondérance dans Lyon.
– Quoi! c'est vous? me dit-il en jetant sur moi des yeux de mépris, je m'étais trompé sur la lettre; je la croyais d'une femme plus honnête que vous, et que j'aurais servie de tout mon cœur; mais que voulez-vous que je fasse pour une imbécile de votre espèce? Comment, vous êtes coupable de cent crimes tous plus affreux les uns que les autres, et quand on vous propose un moyen de gagner honnêtement votre vie, vous vous y refusez opiniâtrement? On ne porta jamais la bêtise plus loin.
– Oh! monsieur, m'écriai-je, je ne suis point coupable.
– Que faut-il donc faire pour l'être? reprit aigrement cet homme dur. La première fois de ma vie que je vous vois, c'est au milieu d'une troupe de voleurs qui veulent m'assassiner; maintenant, c'est dans les prisons de cette ville, accusée de trois ou quatre nouveaux crimes, et portant, dit-on, sur vos épaules la marque assurée des anciens. Si vous appelez cela être honnête, apprenez-moi donc ce qu'il faut pour ne l'être pas?
– Juste ciel, monsieur, répondis-je, pouvez-vous me reprocher l'époque de ma vie où je vous ai connu, et ne serait-ce pas bien plutôt à moi de vous en faire rougir? J'étais de force, vous le savez, monsieur, parmi les bandits qui vous arrêtèrent; ils voulaient vous arracher la vie, je vous la sauvai, en facilitant votre évasion, en nous échappant tous les deux; que fîtes-vous, homme cruel, pour me rendre grâces de ce service? est-il possible que vous puissiez vous le rappeler sans horreur? Vous voulûtes m'assassiner moi-même; vous m'étourdîtes par des coups affreux, et profitant de l'état où vous m'aviez mise, vous m'arrachâtes ce que j'avais de plus cher; par un raffinement de cruauté sans exemple, vous me dérobâtes le peu d'argent que je possédais, comme si vous eussiez désiré que l'humiliation et la misère vinssent achever d'écraser votre victime! Vous avez bien réussi, homme barbare; assurément vos succès sont entiers; c'est vous qui m'avez plongée dans le malheur, c'est vous qui avez entrouvert l'abîme où je n'ai cessé de tomber depuis ce malheureux instant. J'oublie tout néanmoins, monsieur, oui, tout s'efface de ma mémoire, je vous demande même pardon d'oser vous en faire des reproches, mais pourriez-vous vous dissimuler qu'il me soit dû quelques dédommagements, quelque reconnaissance de votre part? Ah! daignez n'y pas fermer votre cœur quand le voile de la mort s'étend sur mes tristes jours; ce n'est pas elle que je crains, c'est l'ignominie; sauvez-moi de l'horreur de mourir comme une criminelle: tout ce que j'exige de vous se borne à cette seule grâce, ne me la refusez pas, et le ciel et mon cœur vous en récompenseront un jour.
J'étais en larmes, j'étais à genoux devant cet homme féroce, et loin de lire sur sa figure l'effet que je devais attendre des secousses dont je me flattais d'ébranler son âme, je n'y distinguais qu'une altération de muscles causée par cette sorte de luxure dont le germe est la cruauté. Saint-Florent était assis devant moi; ses yeux noirs et méchants me considéraient d'une manière affreuse, et je voyais sa main faire sur lui-même des attouchements qui prouvaient qu'il s'en fallait bien que l'état où je le mettais fût de la pitié; il se déguisa néanmoins, et se levant:
– Écoutez, me dit-il, toute votre procédure est ici dans les mains de M. de Cardoville; je n'ai pas besoin de vous dire la place qu'il occupe; qu'il vous suffise de savoir que de lui seul dépend votre sort. Il est mon ami intime depuis l'enfance, je vais lui parler; s'il consent à quelques arrangements, on viendra vous prendre à l'entrée de la nuit, afin qu'il vous voie ou chez lui ou chez moi; dans le secret d'une pareille interrogation, il lui sera bien plus facile de tourner tout en votre faveur qu'il ne le pourrait faire ici. Si cette grâce s'obtient, justifiez-vous quand vous le verrez, prouvez-lui votre innocence d'une manière qui le persuade; c'est tout ce que je puis pour vous. Adieu, Thérèse, tenez-vous prête à tout événement, et surtout ne me faites pas faire de fausses démarches.
Saint-Florent sortit. Rien n'égalait ma perplexité; il y avait si peu d'accord entre les propos de cet homme, le caractère que je lui connaissais, et sa conduite actuelle, que je craignis encore quelque piège; mais daignez me juger, madame; m'appartenait-il de balancer dans la cruelle position où j'étais? et ne devais-je pas saisir avec empressement tout ce qui avait l'apparence du secours? Je me déterminai donc à suivre ceux qui viendraient me prendre: faudrait-il me prostituer, je me défendrais de mon mieux; est-ce à la mort qu'on me conduirait? à la bonne heure! elle ne serait pas du moins ignominieuse, et je serais débarrassée de tous mes maux. Neuf heures sonnent, le geôlier paraît; je tremble.
– Suivez-moi, me dit ce cerbère; c'est de la part de MM. de Saint-Florent et de Cardoville; songez à profiter, comme il convient, de la faveur que le ciel vous offre; nous en avons beaucoup ici qui désireraient une telle grâce et qui ne l'obtiendront jamais.
Parée du mieux qu'il m'est possible, je suis le concierge qui me remet entre les mains de deux grands drôles dont le farouche aspect redouble ma frayeur; ils ne me disent mot: le fiacre avance, et nous descendons dans un vaste hôtel que je reconnais bientôt pour être celui de Saint-Florent. La solitude dans laquelle tout m'y paraît ne sert qu'à redoubler ma crainte. Cependant mes conducteurs me prennent par le bras, et nous montons au quatrième, dans de petits appartements qui me semblèrent aussi décorés que mystérieux. A mesure que nous avancions, toutes les portes se fermaient sur nous, et nous parvînmes ainsi dans un salon où je n'aperçus aucune fenêtre: là se trouvaient Saint-Florent et l'homme qu'on me dit être M. de Cardoville, de qui dépendait mon affaire; ce personnage gros et replet, d'une figure sombre et farouche, pouvait avoir environ cinquante ans; quoiqu'il fût en déshabillé, il était facile de voir que c'était un robin. Un grand air de sévérité paraissait répandu sur tout son ensemble; il m'en imposa. Cruelle injustice de la providence, il est donc possible que le crime effraie la vertu! Les deux hommes qui m'avaient amenée, et que je distinguais mieux à la lueur des bougies dont cette pièce était éclairée, n'avaient pas plus de vingt-cinq à trente ans. Le premier, qu'on appelait La Rose, était un beau brun, taillé comme Hercule: il me parut l'aîné; le cadet avait des traits plus efféminés, les plus beaux cheveux châtains et de très grands yeux noirs; il avait au moins cinq pieds six pouces, fait à peindre, et la plus belle peau du monde: on le nommait Julien. Pour Saint-Florent, vous le connaissez: autant de rudesse dans les traits que dans le caractère, et cependant quelques beautés.
– Tout est-il fermé? dit Saint-Florent à Julien.
– Oui, monsieur, répondit le jeune homme: vos gens sont en débauche par vos ordres, et le portier, qui veille seul, aura soin de n'ouvrir à qui que ce soit.
Ce peu de mots m'éclaira, je frémis; mais qu'eussé-je fait avec quatre hommes devant moi?
– Asseyez-vous là, mes amis, dit Cardoville en baisant ces deux jeunes gens, nous vous emploierons au besoin.
– Thérèse, dit alors Saint-Florent en me montrant Cardoville, voilà votre juge, voilà l'homme dont vous dépendez; nous avons raisonné de votre affaire; mais il me semble que vos crimes sont d'une nature à ce que l'accommodement soit bien difficile.
– Elle a quarante-deux témoins contre elle, dit Cardoville assis sur les genoux de Julien, le baisant sur la bouche, et permettant à ses doigts sur ce jeune homme les attouchements les plus immodestes; nous n'avons condamné personne à mort depuis longtemps dont les crimes soient mieux constatés!
– Moi, des crimes constatés?
– Constatés ou non, dit Cardoville en se levant et venant effrontément me parler sous le nez, tu seras brûlée, p…, si par une entière résignation, par une obéissance aveugle, tu ne te prêtes à l'instant à tout ce que nous allons exiger de toi.
– Encore des horreurs, m'écriai-je; eh quoi! ce ne sera donc qu'en cédant à des infamies que l'innocence pourra triompher des pièges que lui tendent les méchants!
– Cela est dans l'ordre, reprit Saint-Florent; il faut que le plus faible cède aux désirs du plus fort, ou qu'il soit victime de sa méchanceté: c'est votre histoire. Thérèse, obéissez donc.
Et en même temps ce libertin retroussa lestement mes jupes. Je me reculai, je le repoussai avec horreur, mais étant tombée par mon mouvement dans les bras de Cardoville, celui-ci, s'emparant de mes mains, m'exposa dès lors sans défense aux attentats de son confrère… On coupa les rubans de mes jupes, on déchira mon corset, mon mouchoir de cou, ma chemise, et dans l'instant je me trouvai sous les yeux de ces monstres aussi nue qu'en arrivant au monde.
– De la résistance? disaient-ils l'un et l'autre en procédant à me dépouiller… de la résistance?… cette catin imagine pouvoir nous résister?…
Et pas un vêtement ne s'arrachait qu'il ne fût suivi de quelques coups.
Dès que je fus dans l'état qu'ils voulaient, assis tous deux sur des fauteuils cintrés, et qui s'accrochant l'un à l'autre resserraient, au milieu de leur espace vide, le malheureux individu qu'on y plaçait, ils m'examinèrent à loisir: pendant que l'un observait le devant, l'autre considérait le derrière; puis ils changeaient, et rechangeaient encore. Je fus ainsi lorgnée, maniée, baisée plus d'une demi-heure, sans qu'aucun épisode lubrique fût négligé dans cet examen, et je crus voir qu'en ce qui s'agissait de préliminaires, tous deux avaient à peu près les mêmes fantaisies.
– Eh bien! dit Saint-Florent à son ami, ne t'avais-je pas dit qu'elle avait un beau cul!
– Oui, parbleu! son derrière est sublime, dit le robin qui le baisait pour lors: j'ai fort peu vu de reins moulés comme ceux-là; c'est que c'est dur, c'est que c'est frais!… comment cela s'arrange-t-il avec une vie si débordée?
– Mais c'est qu'elle ne s'est jamais livrée d'elle-même; je te l'ai dit, rien de plaisant comme les aventures de cette fille! On ne l'a jamais eue qu'en la violant (et alors il enfonce ses cinq doigts réunis dans le péristyle du temple de l'Amour), mais on l'a eue… malheureusement, car c'est beaucoup trop large pour moi: accoutumé à des prémices, je ne pourrais jamais m'arranger de cela.
Puis, me retournant, il fit la même cérémonie à mon derrière, auquel il trouva le même inconvénient.
– Eh bien! dit Cardoville, tu sais le secret.
– Aussi m'en servirai-je, répondit Saint-Florent, et toi qui n'as pas besoin de cette même ressource, toi qui te contentes d'une activité factice qui, quelque douloureuse qu'elle soit pour une femme, perfectionne pourtant aussi bien la jouissance, tu ne l'auras qu'après moi, j'espère.
– Cela est juste, dit Cardoville, je m'occuperai, en t'observant, de ces préludes si doux à ma volupté,; je ferai la fille avec Julien et La Rose, pendant que tu masculiniseras Thérèse, et l'un vaut bien l'autre, je pense.
– Mille fois mieux sans doute; je suis si dégoûté des femmes!… t'imagines-tu qu'il me fût possible de jouir de ces catins-là sans les épisodes qui nous aiguillonnent si bien l'un et l'autre?
A ces mots, ces impudiques m'ayant fait voir que leur état exigeait des plaisirs plus solides, ils se levèrent et me firent placer debout sur un large fauteuil, les coudes appuyés sur le dos de ce siège, les genoux sur les bras, et tout le train de derrière absolument penché vers eux. A peine fus-je placée qu'ils quittèrent leur culotte, retroussèrent leur chemise, et se trouvèrent ainsi, à la chaussure près, parfaitement nus de la ceinture en bas; ils se montrèrent en cet état à mes yeux, passèrent et repassèrent plusieurs fois devant moi en affectant de me faire voir leur cul, m'assurant que c'était bien autre chose que ce que je pouvais leur offrir. Tous deux étaient effectivement formés comme des femmes dans cette partie: Cardoville surtout en offrait la blancheur et la coupe, l'élégance et le potelé; ils se polluèrent un instant devant moi, mais sans émission.
Rien que de très ordinaire dans Cardoville; pour Saint-Florent, c'était un monstre; je frémis quand je pensai que tel était le dard qui m'avait immolée. Oh! juste ciel! comment un homme de cette taille avait-il besoin de prémices? Pouvait-ce être autre chose que la férocité qui dirigeât de telles fantaisies? Mais quelles nouvelles armes allaient, hélas! se présenter à moi! Julien et La Rose, qu'échauffait tout cela sans doute, également débarrassés de leur culotte, s'avancent la pique à la main… Oh! madame, jamais rien de pareil n'avait encore souillé ma vue, et quelles que soient mes descriptions antérieures, ceci surpassait tout ce que j'ai pu peindre, comme l'aigle impérieux l'emporte sur la colombe. Nos deux débauchés s'emparèrent bientôt de ces dards menaçants; ils les caressent, ils les polluent, ils les approchent de leur bouche, et le combat bientôt devient plus sérieux. Saint-Florent se penche sur le fauteuil où je suis, en telle sorte que mes fesses écartées se trouvent positivement à la hauteur de sa bouche; il les baise, sa langue s'introduit en l'un et l'autre temple. Cardoville jouit de lui, s'offrant lui-même aux plaisirs de La Rose dont l'affreux membre s'engloutit aussitôt dans le réduit qu'on lui présente, et Julien, placé sous Saint-Florent, l'excite de sa bouche en saisissant ses hanches, et les modulant aux secousses de Cardoville qui, traitant son ami de Turc à Maure, ne le quitte pas que l'encens n'ait humecté le sanctuaire. Rien n'égalait les transports de Cardoville quand cette crise s'emparait de ses sens: s'abandonnant avec mollesse à celui qui lui sert d'époux, mais pressant avec force l'individu dont il fait sa femme, cet insigne libertin, avec des râlements semblables à ceux d'un homme qui expire, prononçait alors des blasphèmes affreux. Pour Saint-Florent, il se contint, et le tableau se dérangea sans qu'il eût encore mis du sien.
– En vérité, dit Cardoville à son ami, tu me donnes toujours autant de plaisir que lorsque tu n'avais que quinze ans… Il est vrai, continua-t-il en se retournant et baisant La Rose, que ce beau garçon sait bien m'exciter… Ne m'as-tu pas trouvé bien large aujourd'hui, cher ange?… Le croirais-tu, Saint-Florent, c'est la trente-sixième fois que je le suis du jour… il fallait bien que cela partît. A toi, cher ami, continua cet homme abominable en se plaçant dans la bouche de Julien, le nez collé dans mon derrière et le sien offert à Saint-Florent, à toi pour la trente-septième.
Saint-Florent jouit de Cardoville, La Rose jouit de Saint-Florent, et celui-ci, au bout d'une courte carrière, brûle avec son ami le même encens qu'il en avait reçu. Si l'extase de Saint-Florent était plus concentrée, elle n'en était pas moins vive, moins bruyante, moins criminelle que celle de Cardoville; l'un prononçait en hurlant tout ce qui lui venait à la bouche, l'autre contenait ses transports sans qu'ils en fussent moins actifs; il choisissait ses paroles, mais elles n'en étaient que plus sales et plus impures encore: l'égarement et la rage, en un mot, paraissaient être les caractères du délire de l'un; la méchanceté, la férocité se trouvaient peints dans l'autre.
– Allons, Thérèse, ranime-nous, dit Cardoville; tu vois ces flambeaux éteints, il faut les rallumer de nouveau.
Pendant que Julien allait jouir de Cardoville, et La Rose de Saint-Florent, les deux libertins, penchés sur moi, devaient alternativement placer dans ma bouche leurs dards émoussés; lorsque j'en pompais un, il fallait de mes mains secouer et polluer l'autre, puis d'une liqueur spiritueuse que l'on m'avait donnée je devais humecter et le membre même et toutes les parties adjacentes; mais je ne devais pas seulement m'en tenir à sucer, il fallait que ma langue tournât autour des têtes, et que mes dents les mordillassent en même temps que mes lèvres les pressaient. Cependant nos deux patients étaient vigoureusement secoués; Julien et La Rose changeaient, afin de multiplier les sensations produites par la fréquence des entrées et des sorties. Quand deux ou trois hommages eurent enfin coulé dans ces temples impurs, je m'aperçus de quelque consistance: Cardoville, quoique le plus âgé, fut le premier qui l'annonça; une claque de toute la force de sa main sur l'un de mes tétons en fut la récompense. Saint-Florent suivit de près; une de mes oreilles presque arrachée fut le prix de mes peines. On se remit, et peu après on m'avertit de me préparer à être traitée comme je le méritais. Au fait de l'affreux langage de ces libertins, je vis bien que les vexations allaient fondre sur moi. Les implorer dans l'état où ils venaient de se mettre l'un et l'autre n'aurait servi qu'à les enflammer davantage: ils me placèrent donc, nue comme je l'étais, au milieu d'un cercle qu'ils formèrent en s'asseyant tous quatre autour de moi. J'étais obligée de passer tour à tour devant chacun d'eux et de recevoir de lui la pénitence qu'il lui plaisait de m'ordonner; les jeunes ne furent pas plus compatissants que les vieux, mais Cardoville surtout se distingua par des raffinements de taquineries dont Saint-Florent, tout cruel qu'il était, n'approcha qu'avec peine.