– Ce sont des tranchaux de têtes que ces présidents colons; ils vous coupent une nuque, poursuivait d’Olincourt, comme une corneille abat des noix, juste ou non ils n’y regardent pas de si près; le rigorisme a comme Thémis un bandeau que la stupidité place, et que dans la ville d’Aix la philosophie n’enlève jamais…
On résolut donc de s’assembler: le comte, le marquis, Mme d’Olincourt et sa charmante sœur furent dîner à une petite maison du marquis au bois de Boulogne, et là, le sévère aréopage décida en style énigmatique, semblable aux réponses de la sibylle de Cumes, ou aux arrêts du Parlement d’Aix, qui au titre de l’indigénité égyptienne a quelques droits à l’hiéroglyphe, qu’il fallait que le président épousât et n’épousât point . La sentence portée, les acteurs bien instruits, on revient chez le baron, la jeune personne n’offre à son père aucune difficulté, d’Olincourt et sa femme se font, assurent-ils, une fête d’un hymen aussi bien assorti, ils cajolent étonnamment le président, se gardent bien de rire davantage quand il paraît, et gagnent si bien l’esprit du gendre et du beau-père, qu’ils les font consentir l’un et l’autre à ce que les mystères de l’hymen ne se célèbrent qu’au château d’Olincourt près de Melun, terre superbe appartenant au marquis; tout le monde y consent, le baron seul est, dit-il, désolé de ne pouvoir partager les plaisirs d’une fête aussi agréable, mais s’il peut, il ira les voir. Le jour arrive enfin, les deux époux sont sacramentalement unis à Saint-Sulpice, de très grand matin, sans le moindre appareil, et dès le même jour on part pour d’Olincourt. Le comte d’Elbène, déguisé sous le nom et sous le costume de La Brie, valet de chambre de la marquise, reçoit la compagnie quand elle arrive, et le souper fait, introduit les deux époux dans la chambre nuptiale dont les décorations et les machines avaient été dirigées par lui, et devaient être conduites par ses soins.
– En vérité, mignonne, dit l’amoureux provençal aussitôt qu’il se vit tête à tête avec sa prétendue, vous avez des appas qui sont ceux de la Vénus même, caspit a [4] , je ne sais où vous les avez pris, mais on parcourerait toute la Provence sans rien trouver qui vous égalât.
Puis maniant par-dessus les jupes la pauvre petite Téroze qui ne savait auquel céder du rire ou de la peur:
– Et tout aque par ici, et tout aque par ila, que Dieu me damne, et que je ne juge jamais de catins, si ce ne sont pas là les formes de l’amour sous les cotillons brillants de sa mère.
Cependant La Brie entre apportant deux écuelles d’or, il en présente une à la jeune épouse, offre l’autre à M. le président
– Buvez, chastes époux, dit-il, et puissiez-vous trouver l’un et l’autre dans ce breuvage les présents de l’amour et les dons de l’hymen.
– Monsieur le président, dit La Brie en voyant le magistrat s’informer de la raison de ce breuvage, ceci est une coutume parisienne qui remonte au baptême de Clovis: il est d’usage parmi nous, qu’avant de célébrer les mystères dont vous allez vous occuper l’un et l’autre, vous puisiez dans ce lénitif purifié par la bénédiction de l’évêque les forces nécessaires à l’entreprise.
– Ah parbleu, volontiers, reprend l’homme de robe, donnez, donnez, mon ami… mais cendix, si vous allumez les étoupes, que votre jeune maîtresse prenne garde à elle, je ne suis déjà que trop vif, et si vous me mettez au point de ne me plus connaître, je ne sais pas ce qu’il arrivera.
Le président avale, sa jeune épouse l’imite, les valets se retirent et l’on se met au lit; mais à peine y est-on, qu’il prend au président des douleurs d’entrailles si aiguës, un besoin si pressant de soulager sa débile nature du côté opposé à celui qu’il faudrait, que sans prendre garde où il est, sans aucun respect pour celle qui partage sa couche, il inonde le lit et les environs d’un déluge de bile si considérable que Mlle de Téroze effrayée n’a que le temps de se jeter à bas et d’appeler à elle. On vient, M. et Mme d’Olincourt qui s’étaient bien gardés de se coucher, arrivent avec précipitation, le président consterné s’enveloppe de draps pour ne se point montrer, sans prendre garde que plus il se cache et plus il se souille, et qu’il devient à la fin un tel objet d’horreur et de dégoût que sa jeune épouse et tout ce qui est là se retirent en plaignant vivement son état, et l’assurant qu’on va dans la minute en donner avis au baron pour qu’il envoie sur-le-champ au château un des meilleurs médecins de la capitale.
– Ô juste ciel! s’écrie le pauvre président consterné, aussitôt qu’il est seul, quelle aventure est celle-ci, je croyais que ce n’était que dans notre palais, et sur les fleurs de lis, que nous pouvions déborder de la manière, mais la première nuit d’une noce, dans le lit de la femelle, en vérité je ne le conçois point.
Un lieutenant du régiment d’Olincourt, nommé Delgatz, qui pour le besoin des chevaux du régiment, avait fait deux ou trois cours à l’école vétérinaire, ne manqua pas d’arriver le lendemain sous le titre et sous l’emblème d’un des plus fameux enfants d’Esculape. On avait conseillé à M. de Fontanis de ne paraître qu’en négligé, et Mme la présidente de Fontanis à laquelle nous ne devrions pourtant point encore accorder ce nom, ne cacha point à son mari combien elle le trouvait intéressant dans ce costume: il avait une robe de chambre de calmende jaune à raies rouges juste à la taille, ornée de parements et de revers, là-dessous se portait un petit gilet d’étamine brune, avec des chausses à la matelote de même couleur, et un bonnet de laine rouge; tout cela rehaussé de la pâleur intéressante de son accident de la veille, inspira un tel redoublement d’amour à Mlle de Téroze qu’elle ne voulut pas le quitter d’un quart d’heure.
– Péchaire , disait le président, comme elle m’aime, en vérité voilà la femme que le ciel destinait à mon bonheur; je me suis bien mal conduit la nuit passée, mais on n’a pas toujours la foire.
Cependant le médecin arrive, il tâte le pouls de son malade, et s’étonnant de sa faiblesse, il lui démontre par les aphorismes d’Hippocrate et les commentaires de Galien que s’il ne se restaurait pas le soir à souper d’une demi-douzaine de bouteilles de vin d’Espagne ou de Madère, il lui deviendrait impossible de réussir à la défloraison proposée; à l’égard de l’indigestion de la veille, il assura que ce n’était rien.
– Cela provient, lui dit-il, monsieur, de ce que la bile n’était pas bien filtrée dans les tuyaux du foie.
– Mais, dit le marquis, cet accident n’était pas dangereux.
– Je vous demande pardon, monsieur, répondit gravement le sectateur du temple d’Épidaure, en médecine nous n’avons point de petites causes qui ne puissent devenir conséquentes, si la profondeur de notre art n’en suspend aussitôt les effets. Il pouvait survenir de ce léger accident une altération considérable dans l’organisation de monsieur; cette bile infiltrée, rapportée par la crosse de l’aorte dans l’artère sous-clavière, voiturée ensuite de là dans les membranes délicates du cerveau par les carotides, en altérant la circulation des esprits animaux, en suspendant leur activité naturelle, aurait pu produire la folie.
– Oh ciel, reprit Mlle de Téroze en pleurant, mon mari fou, ma sœur, mon mari fou!
– Rassurez-vous, madame, ce n’est rien, grâce à la promptitude de mes soins, et je réponds maintenant du malade.
A ces mots, on vit la joie renaître dans tous les cours, le marquis d’Olincourt embrassa tendrement son beau-frère, il lui témoigna d’une manière vive et provinciale l’intérêt puissant qu’il prenait à lui, et il ne fut plus question que de plaisir. Le marquis reçut ce jour-là ses vassaux et ses voisins, le président voulut aller se parer; on l’en empêcha, et l’on se fit un plaisir de le présenter en cet équipage à toute la société des environs.
– Mais c’est qu’il est charmant comme cela, disait à tout moment la méchante marquise; en vérité, M. d’Olincourt, si j’eusse su avant que de vous connaître, que la souveraine magistrature d’Aix renfermât des gens aussi aimables que mon cher beau-frère, je vous proteste que je n’aurais jamais pris d’époux que parmi les membres de cette respectable assemblée.
Et le président remerciait, et il se courbait en ricanant, en minaudant quelquefois devant les glaces, et en se disant à voix basse: Il est bien certain que je ne suis pas mal . Enfin l’heure du souper arriva, on avait retenu le maudit médecin qui buvant lui-même comme un Suisse, n’eut pas grand-peine à persuader à son malade de l’imiter; on avait eu soin de placer dans leur voisinage des vins capiteux, qui leur brouillant assez vite les organes du cerveau, mirent bientôt le président au point où l’on le voulait. On se leva, le lieutenant qui avait supérieurement joué son rôle, gagna son lit, et disparut le lendemain; pour notre héros, sa petite femme s’en empara et le conduisit au lit nuptial; toute la société l’escortait en triomphe et la marquise toujours charmante, mais bien plus encore quand elle avait un peu sablé le champagne, l’assurait qu’il s’était trop livré et qu’elle craignait bien qu’échauffé des vapeurs de Bacchus, l’amour ne pût encore l’enchaîner cette nuit.
– Ce n’est rien que cela, madame la marquise, répondit le président, ces dieux séducteurs réunis n’en deviennent que plus redoutables; à l’égard de la raison, qu’elle se perde dans le vin ou dans les flammes de l’amour, du moment qu’on peut s’en passer, qu’importe à laquelle de ces deux divinités on en aura fait le sacrifice; nous autres magistrats, c’est la chose du monde dont nous sachions le mieux nous passer, que la raison; bannie de nos tribunaux comme de nos têtes, nous nous faisons un jeu de la fouler aux pieds, et voilà ce qui rend nos arrêts des chefs-d’œuvre, car quoique le bon sens n’y préside jamais, on les exécute aussi fermement que si l’on savait ce qu’ils veulent dire. Tel que vous me voyez, madame la marquise, continuait le président en trébuchant un peu, et ramassant son bonnet rouge qu’un instant d’oubli d’équilibre venait de séparer de son crâne pelé… oui, en vérité, tel que vous me voyez, je suis une des meilleures têtes de ma troupe; ce fut moi, l’an passé, qui persuadai à mes spirituels confrères d’exiler pour dix ans de la province, et de ruiner par là à jamais un gentilhomme qui avait toujours bien servi le roi, et cela pour une partie de filles: on résistait, j’opinai, et le troupeau se rendit à ma voix… Dame, voyez-vous, j’aime les mœurs, j’aime la tempérance et la sobriété, tout ce qui choque ces deux vertus me révolte, et je sévis; il faut être sévère, la sévérité est la fille de la justice… et la justice est la mère de… je vous demande bien pardon, madame, il y a des moments où quelquefois la mémoire me fait faux bond…
– Oui, oui, c’est juste, répondit la folle marquise en se retirant et en emmenant tout le monde, observez seulement que tout n’aille pas se trouver ce soir en défaut chez vous comme la mémoire, car enfin il en faut finir, et ma petite sœur qui vous adore ne s’arrangerait pas éternellement d’une telle abstinence.
– Ne craignez rien, madame, ne craignez rien, poursuivit le président, en voulant raccompagner la marquise d’une marche un peu circonflexe, n’appréhendez rien, je vous conjure, je vous la rends demain Mme de Fontanis aussi certainement que je suis un homme d’honneur. Est-il vrai, petite, continua le robin en revenant à sa compagne, ne m’accordez-vous pas que cette nuit va terminer notre besogne… vous voyez comme on le désire, il n’est pas un individu dans votre famille qui ne se trouve honoré de s’allier à moi: rien ne flatte dans une maison comme un magistrat.
– Qui en doute, monsieur, répondit la jeune personne, je vous assure que pour mon compte je n’ai jamais eu tant d’orgueil, que depuis que je m’entends appeler Mme la présidente.
– Je le crois sans peine; allons, déshabillez-vous, mon astre, je me sens un peu de pesanteur, et je voudrais, s’il est possible, terminer notre opération avant que le sommeil ne vienne à m’emporter tout à fait.
Mais comme Mlle de Téroze, selon l’usage des jeunes mariées, ne pouvait venir à bout de sa toilette, qu’elle ne trouvait jamais ce qu’il lui fallait, qu’elle grondait ses femmes et ne finissait point, le président qui n’en pouvait plus, se décida à se mettre au lit, se contentant de crier pendant un quart d’heure
– Mais venez donc, parbleu, venez donc, je ne conçois pas ce que vous faites, tout à l’heure il ne sera plus temps.
Cependant rien n’arrivait, et comme dans l’état d’ivresse où était notre moderne Lycurgue, il était assez difficile de se trouver la tête sur un chevet sans s’y endormir, il céda au plus pressant des besoins, et ronflait déjà comme s’il eût jugé quelque catin de Marseille, avant que Mlle de Téroze n’eût encore changé de chemise.
– Le voilà bien, dit aussitôt le comte d’Elbène, en entrant doucement dans la chambre, viens, chère âme, viens me donner les heureux moments que ce grossier animal voudrait nous ravir.
Il entraîne en disant cela l’objet touchant de son idolâtrie; les lumières s’éteignent dans l’appartement nuptial, dont le parquet se garnit à l’instant de matelas, et au signal donné, la portion du lit occupée par notre robin se sépare du reste, et par le moyen de quelques poulies s’enlève à vingt pieds de terre, sans que l’état soporifique dans lequel se trouve notre législateur lui permette de s’apercevoir de rien. Cependant vers les trois heures du matin, réveillé par un peu de plénitude dans la vessie, se souvenant qu’il a vu près de lui une table contenant le vase nécessaire à le soulager, il tâte; étonné d’abord de ne trouver que du vide autour de lui, il s’avance; mais le lit qui n’est tenu que par des cordes, se conforme au mouvement de celui qui se penche et finit par y céder tellement que, faisant la bascule entière, il vomit au milieu de la chambre le poids dont il est surchargé: le président tombe sur les matelas préparés et sa surprise est si grande qu’il se met à hurler comme un veau qu’on mène à la boucherie.
– Eh, que diable est ceci, se dit-il, madame, madame, vous êtes là sans doute, eh bien, comprenez-vous quelque chose à cette chute, je me couche hier à quatre pieds du plancher, et voilà que pour avoir mon pot de chambre, je tombe de plus de vingt de haut.
Mais personne ne répondant à ces tendres complaintes, le président qui dans le fond ne se trouvait pas très mal couché, renonce à ses recherches et finit là sa nuit, comme s’il eût été dans son grabat provençal. On avait eu soin, la chute faite, de redescendre légèrement le lit qui se radaptant à la partie dont il avait été séparé, ne paraissait plus former qu’une seule et même couche, et sur les neuf heures du matin, Mlle de Téroze était doucement rentrée dans la chambre; à peine y est-elle, qu’elle ouvre toutes les fenêtres et qu’elle sonne ses femmes.
– En vérité, monsieur, dit-elle au président, votre société n’est pas douce, il en faut convenir, et je vais très sûrement me plaindre à ma famille des procédés que vous avez pour moi.
– Qu’est ceci, dit le président dégrisé, en se frottant les yeux et ne comprenant rien à l’accident qui le fait trouver à terre.
– Comment, ce que c’est, dit la jeune épouse en jouant l’humeur de son mieux, lorsque guidée par les mouvements qui doivent m’enchaîner à vous, je m’approche de votre personne cette nuit pour recevoir les assurances des mêmes sentiments de votre part, vous me repoussez avec fureur et vous me précipitez par terre…
– Oh, juste ciel, dit le président, tenez, ma petite, je commence à comprendre quelque chose à l’aventure… je vous en fais mille excuses… cette nuit, pressé par un besoin, je cherchais par tous les moyens d’y satisfaire, et dans les mouvements que je me suis donnés en me jetant moi-même à bas du lit, je vous y aurai précipitée sans doute; je suis d’autant plus excusable que je rêvais assurément, puisque je me suis cru tombé de plus de vingt pieds de haut; allons, ce n’est rien, ce n’est rien, mon ange, il faut remettre la partie à la nuit prochaine et je vous réponds que je m’observerai; je ne veux boire que de l’eau; mais baisez-moi au moins, mon petit cœur, faisons la paix avant que de paraître devant le public, ou sans cela, je vous croirai ulcérée contre moi, et je ne le voudrais pas pour un empire.
Mlle de Téroze veut bien prêter une de ses joues de rose, encore animée du feu de l’amour, aux sales baisers de ce vieux faune, la compagnie entre et les deux époux cachent avec soin la malheureuse catastrophe nocturne.
Toute la journée se passa en plaisir, et surtout en promenade qui, éloignant M. de Fontanis du château, donnait le temps à La Brie de préparer de nouvelles scènes. Le président bien décidé à mettre son mariage à fin, s’observa tellement dans ses repas qu’il devint impossible de se servir de ces moyens pour mettre sa raison en défaut, mais on avait heureusement plus d’un ressort à faire mouvoir, et l’intéressant Fontanis avait trop d’ennemis conjurés contre lui, pour qu’il pût échapper à leur piège; on se couche.
– Oh! pour cette nuit, mon ange, dit le président à sa jeune moitié, je me flatte que vous ne vous en tirerez pas.
Mais tout en faisant ainsi le brave, il s’en fallait bien que les armes dont il menaçait se trouvassent encore en état, et comme il ne voulait se présenter à l’assaut qu’en règle, le pauvre Provençal faisait dans son coin d’incroyables efforts… il s’allongeait, il se raidissait, tous ses nerfs étaient dans une contraction… qui lui faisant presser sa couche avec deux ou trois fois plus de force que s’il se fût tenu en repos, brisèrent enfin les poutres préparées du plafond, et culbutèrent le malheureux magistrat dans une étable de pourceaux qui se trouvait précisément au-dessous de la chambre. On discuta longtemps dans la société du château d’Olincourt, qui devait avoir été le plus surpris, ou du président en se retrouvant ainsi parmi les animaux si communs dans sa patrie, ou de ces animaux en voyant au milieu d’eux un des plus célèbres magistrats du Parlement d’Aix. Quelques personnes ont prétendu que la satisfaction avait dû être égale de part et d’autre: dans le fait, le président ne devait-il pas être aux nues de se retrouver pour ainsi dire en société, de respirer un instant le goût du terroir, et de leur côté les animaux impurs défendus par le bon Moïse, ne devaient-ils pas rendre grâce au ciel de se trouver enfin un législateur à leur tête, et un législateur du Parlement d’Aix qui, accoutumé dès l’enfance à juger de causes relatives à l’élément favori de ces bonnes bêtes, pourrait un jour arranger et prévenir toutes discussions tendant à cet élément si analogue à l’organisation des uns et des autres.
Quoi qu’il en soit, comme la connaissance ne se fit pas tout de suite, et que la civilisation mère de la politesse n’est guère plus avancée parmi les membres du Parlement d’Aix, que parmi les animaux méprisés de l’israélité, il y eut d’abord une espèce de choc, dans lequel le président ne cueillit point de lauriers: il fut battu, froissé, harcelé de coups de groins; il fit des remontrances, on ne l’écouta point; il promit d’enregistrer, rien; il parla de décret, on ne s’émut pas davantage; il menaça d’exil, on le foula aux pieds; et le malheureux Fontanis tout en sang travaillait déjà à une sentence où il ne s’agissait rien moins que de fagot, quand on accourut enfin à son secours.
C’était La Brie et le colonel qui, armés de flambeaux, venaient tâcher de débarrasser le magistrat de la fange dans laquelle il était englouti, mais il s’agissait de savoir par où le prendre, et comme il était bien et dûment garni des pieds à la tête, il n’était ni bien aisé, ni bien odorant de le saisir; La Brie fut chercher une fourche, un palefrenier subitement appelé en apporta une autre, et on débourba ainsi notre homme du mieux qu’on put de l’infâme cloaque où l’avait enseveli sa chute… Mais où le porter maintenant, telle était la difficulté, et il n’était pas facile de la résoudre. Il s’agissait de purger le décret, il fallait que le coupable fût lavé, le colonel proposa des lettres d’abolition, mais le palefrenier qui n’entendait rien à tous ces grands mots, dit qu’il fallait tout simplement le déposer une couple d’heures dans l’abreuvoir, au bout desquelles se trouvant suffisamment immergé, on pourrait avec des bouchons de paille achever d’en faire un joli sujet. Mais le marquis assura que la froideur de l’eau pourrait altérer la santé de son frère, et sur cela La Brie ayant assuré que le lavoir du garçon de cuisine était encore garni d’eau chaude, on y transporte le président, on le confie au soin de cet élève de Comus, qui en moins de rien le rend aussi propre qu’une écuelle de faïence.