Gabriel - Жорж Санд 4 стр.


C'est la faute de son valet de chambre. Quel noble front! Ah! si j'avais ces traits mâles et ces larges mains!..

PREMIER SPADASSIN, regardant par la fenêtre

Ils sont loin Si ces deux benêts qui restent là sans vider leurs verres pouvaient partir aussi

DEUXIÈME SPADASSIN

Lui chercher querelle ici? L'hôte est poltron.

TROISIÈME SPADASSIN

Raison de plus.

DEUXIÈME SPADASSIN

Il criera.

QUATRIÈME SPADASSIN

On le fera taire.

(Minuit sonne.)(Astolphe frappe du poing sur la table. Les sbires l'observent alternativement avec Gabriel, qui ne regarde qu'Astolphe.)MARC, bas à Gabriel

Il y a là des gens de mauvaise mine qui vous regardent beaucoup.

GABRIEL

C'est la gaucherie avec laquelle tu tiens ton verre qui les divertit.

MARC, buvant

Ce vin est détestable, et je crains qu'il ne me porte à la tête.

(Long silence.)PREMIER SPADASSIN

Le vieux s'endort.

DEUXIÈME SPADASSIN

Il n'est pas ivre.

TROISIÈME SPADASSIN

Mais il a une bonne dose d'hivers dans le ventre. Va voir un peu si Mezzani n'est pas par là dans la rue; c'est son heure. Ce jeune gars qui ouvre là-bas de si grands yeux a un surtout de velours noir qui n'annonce pas des poches percées.

(Le deuxième spadassin va à la porte.)L'HÔTE, à Astolphe

Eh bien! seigneur Astolphe, quel vin aurai-je l'honneur de vous servir?

ASTOLPHE

Va-t'en à tous les diables!

TROISIÈME SPADASSIN, à l'hôte à demi-voix, sans qu'Astolphe le remarque

Ce seigneur vous a demandé trois fois du malvoisie.

L'HÔTE

En vérité?

(Il sort en courant. Le premier spadassin fait un signe au troisième, qui met un banc en travers de la porte comme par hasard. Le deuxième rentre avec un cinquième compagnon.)LE PREMIER SPADASSIN

Mezzani?

MEZZANI, bas

C'est entendu. D'une pierre deux coups Le moment est bon. La ronde vient de passer. J'entame la querelle.

(Haut.)

Quel est donc le malappris qui se permet de bâiller de la sorte?

ASTOLPHE

Il n'y a de malappris ici que vous, mon maître.

(Il recommence à bâiller, en étendant les bras avec affectation.)MEZZANI

Seigneur mal peigné, prenez garde à vos manières.

ASTOLPHE, s'étendant comme pour dormir

Tais-toi, bravache, j'ai sommeil.

PREMIER SPADASSIN, lui lançant son verre

Astolphe, à ta santé!

ASTOLPHE

A la bonne heure; il me manquait d'avoir cassé quelque cruche en battu quelque chien aujourd'hui.

(Il s'élance au milieu d'eux en poussant sa table au-devant de lui avec rapidité. Il renverse la table des spadassins, leurs bouteilles et leurs flambeaux. Le combat s'engage.)MEZZANI, tenant Astolphe à la gorge

Eh! vous autres, lourdauds, tombez donc sur l'enfant.

PREMIER SPADASSIN, courant sur Gabriel

Il tremble.

(Marc se jette au-devant, il est renversé. Gabriel tue le spadassin d'un coup de pistolet à bout portant. Un autre s'élance vers lui. Marc se relève. Ils se battent. Gabriel est pâle et silencieux, mais il se bat avec sang-froid.)ASTOLPHE, qui s'est dégagé des mains de Mezzani, se rapproche de Gabriel en continuant à se battre

Bien, mon jeune lion! courage, mon beau jeune homme!..

(Il traverse Mezzani de son épée.)

MEZZANI, tombant. A moi, camarades! je suis mortL'HÔTE crie en dehors

Au secours! au meurtre! on s'égorge dans ma maison!

(Le combat continue.)DEUXIÈME SPADASSIN

Mezzani mort Sanche mourant trois contre trois Bonsoir!

(Il s'enfuit vers la porte; les deux autres veulent en faire autant. Astolphe se met en travers de la porte.)ASTOLPHE

Non pas, non pas. Mort aux mauvaises bêtes! A toi! don Gibet; à toi, Coupe-bourse!..

(Il en accule deux dans un coin, blesse l'un qui demande grâce. Marc poursuit l'autre qui cherche à fuir. Gabriel désarme le troisième, et lui met le poignard sur la gorge.)LE SPADASSIN, à Gabriel

Grâce, mon jeune maître, grâce! Vois, la fenêtre est ouverte, je puis me sauver ne me perds pas! C'était mon premier crime, ce sera le dernier Ne me fais pas douter de la miséricorde de Dieu! Laisse-moi!.. pitié!..

GABRIEL

Misérable! que Dieu t'entende et te punisse doublement si tu blasphèmes!.. Va!

LE SPADASSIN, montant sur la fenêtre

Je m'appelle Giglio Je te dois la vie!..

(Il s'élance et disparaît. La garde entre et s'empare des deux autres, qui essayaient de fuir.)ASTOLPHE

Bon! à votre affaire, messieurs les sbires! Vous arrivez, selon l'habitude, quand on n'a plus besoin de vous! Enlevez-nous ces deux cadavres; et vous, monsieur l'hôte, faites relever les tables. (A Gabriel, qui se lave les mains avec empressement.) Voilà de la coquetterie; ces souillures étaient glorieuses, mon jeune brave!

GABRIEL, très-pâle et près de défaillir

J'ai horreur du sang.

ASTOLPHE

Vrai Dieu! il n'y parait guère quand vous vous battez! Laissez-moi serrer cette petite main blanche qui combat comme celle d'Achille.

GABRIEL, s'essuyant les mains avec un mouchoir de soie richement brodé

De grand coeur, seigneur Astolphe, le plus téméraire des hommes!

(Il lui serre la main.)MARC, à Gabriel

Monseigneur, n'êtes-vous pas blessé?

ASTOLPHE

Monseigneur? En effet, vous avez tout l'air d'un prince. Eh bien! puisque vous connaissez mon nom, vous savez que je suis de bonne maison, et que vous pouvez, sans déroger, me compter parmi vos amis. (Se retournant vers les sbires, qui ont interrogé l'hôte et qui s'approchent pour le saisir.) Eh bien! à qui en avez-vous maintenant, chers oiseaux de nuit?

LE CHEF LES SBIRES

Seigneur Astolphe, vous allez attendre en prison que la justice ait éclairci cette affaire. (A Gabriel.) Monsieur, veuillez aussi nous suivre.

ASTOLPHE, riant

Comment! éclairci? Il me semble qu'elle est assez claire comme cela. Des assassins tombent sur nous; ils étaient cinq contre trois, et parce qu'ils comptaient sur la faiblesse d'un vieillard et d'un enfant Mais ce sont de braves compagnons Ce jeune homme Tiens, sbire, tu devrais te prosterner. En attendant, voilà pour boire Laisse-nous tranquilles (Il fouille dans sa poche.) Ah! j'oubliais que j'ai perdu ce soir mon dernier écu Mais demain si je te retrouve dans quelque coupe-gorge comme celui-ci, je te paierai double aubaine entendu? Monsieur est un prince le prince de neveu du cardinal de (A l'oreille du sbire.) Le bâtard du dernier pape (A Gabriel.) Glissez-leur trois écus, et dites-leur votre nom.

Le prince Gabriel de Bramante.

ASTOLPHE

Bramante! mon cousin germain! Par Bacchus et par le diable! il n'y a pas de bâtard dans notre famille

LE CHEF DES SBIRES, recevant la bourse de Gabriel et regardant l'hôte avec hésitation

En indemnisant l'hôte pour les meubles brisés et le vin répandu cela peut s'arranger Quand les assassins seront en jugement, vos seigneuries comparaîtront.

ASTOLPHE

A tous les diables! c'est assez d'avoir la peine de les larder Je ne veux plus entendre parler d'eux. (Bas à Gabriel.) Quelque chose à l'hôte, et ce sera fini.

GABRIEL, tirant une autre bourse

Faut-il donc acheter la police et les témoins, comme si nous étions des malfaiteurs!

ASTOLPHE

Oui, c'est assez l'usage dans ce pays-ci.

L'HÔTE, refusant l'argent de Gabriel

Non, monseigneur, je suis bien tranquille sur le dommage que ma maison a souffert. Je sais que votre altesse me le paiera généreusement, et je ne suis pas pressé. Mais il faut que justice se fasse. Je veux que ce tapageur d'Astolphe soit arrêté et demeure en prison jusqu'à ce qu'il m'ait payé la dépense qu'il fait chez moi depuis six mois. D'ailleurs je suis las du bruit et des rixes qu'il apporte ici tous les soirs avec ses méchants compagnons. Il a réussi à déconsidérer ma maison C'est lui qui entame toujours les querelles, et je suis sûr que la scène de ce soir a été provoquée par lui

UN DES SPADASSINS, garrotté

Oui, oui; nous étions là bien tranquilles

ASTOLPHE, d'une voix tonnante

Voulez-vous bien rentrer sous terre, abominable vermine? (A l'hôte.) Ah! ah! déconsidérer la maison de monsieur! (Riant aux éclats.) Entacher la réputation du coupe-gorge de monsieur! Un repaire d'assassins une caverne de bandits

L'HÔTE

Et qu'y veniez-vous faire, monsieur, dans cette caverne de bandits?

ASTOLPHE

Ce que la police ne fait pas, purger la terre de quelques coupe-jarrets.

LE CHEF DES SBIRES

Seigneur Astolphe, la police fait son devoir.

ASTOLPHE

Bien dit, mon maître: à preuve que sans notre courage et nos armes nous étions assassinés là tout à l'heure.

L'HÔTE

C'est ce qu'il faut savoir. C'est à la justice d'en connaître. Messieurs, faites votre devoir, ou je porte plainte.

LE CHEF DES SBIRES, d'un air digne

La police sait ce qu'elle a à faire. Seigneur Astolphe, marchez avec nous.

L'HÔTE

Je n'ai rien à dire contre ces nobles seigneurs.

(Montrant Gabriel et Marc.)GABRIEL, aux sbires

Messieurs, je vous suis. Si votre devoir est d'arrêter le seigneur Astolphe, mon devoir est de me remettre également entre les mains de la justice. Je suis complice de sa faute, si c'est une faute que de défendre sa vie contre des brigands. Un des cadavres qui gisaient ici tout à l'heure a péri de ma main.

ASTOLPHE

Brave cousin!

L'HÔTE

Vous, son cousin? fi donc! Voyez l'insolence! un misérable qui ne paie pas ses dettes!

GABRIEL

Taisez-vous, monsieur, les dettes de mon cousin seront payées. Mon intendant passera chez vous demain matin.

L'HÔTE, s'inclinant

Il suffit, monseigneur.

ASTOLPHE

Vous avez tort, cousin, cette dette-ci devrait être payée en coups de bâton. J'en ai bien d'autres auxquelles vous eussiez dû donner la préférence.

GABRIEL

Toutes seront payées.

ASTOLPHE

Je crois rêver Est-ce que j'aurais fait mes prières ce matin? ou ma bonne femme de mère aurait-elle payé une messe à mon intention?

LE CHEF DES SBIRES

En ce cas les affaires peuvent s'arranger

GABRIEL

Non, monsieur, la justice ne doit pas transiger; conduisez-nous en prison Gardez l'argent, et traitez-nous bien.

LE CHEF DES SBIRES

Passez, monseigneur.

MARC, à Gabriel

Y songez-vous? en prison, vous, monseigneur?

GABRIEL

Oui, je veux connaître un peu de tout.

MARC

Bonté divine! que dira monseigneur votre grand-père?

GABRIEL

Il dira que je me conduis comme un homme.

SCÈNE II

En prisonGABRIEL, ASTOLPHE, LE CHEF DES SBIRES, MARC(Adolphe dort étendu sur un grabat. Marc est assoupi sur un banc au fond. Gabriel se promène à pas lents, et chaque fois qu'il passe devant Astolphe, il ralentit encore sa marche et le regarde.)GABRIEL

Il dort comme s'il n'avait jamais connu d'autre domicile! Il n'éprouve pas, comme moi, une horrible répugnance pour ces murs souillés de blasphèmes, pour cette couche où des assassins et des parricides ont reposé leur tête maudite. Sans doute, ce n'est pas la première nuit qu'il passe en prison! Étrangement calme! et pourtant il a ôté la vie à son semblable, il y a une heure! son semblable! un bandit? Oui, son semblable. L'éducation et la fortune eussent peut-être fait de ce bandit un brave officier, un grand capitaine. Qui peut savoir cela, et qui s'en inquiète? celui-là seul à qui l'éducation et le caprice de l'orgueil ont créé une destinée si contraire au voeu de la nature: moi! Moi aussi, je viens de tuer un homme un homme qu'un caprice analogue eût pu, au sortir du berceau, ensevelir sous une robe et jeter à jamais dans la vie timide et calme du cloître! (Regardant Astolphe.) Il est étrange que l'instant qui nous a rapprochés pour la première fois ait fait de chacun de nous un meurtrier! Sombre présage! mais dont je suis le seul à me préoccuper, comme si, en effet, mon âme était d'une nature différente Non, je n'accepterai pas cette idée d'infériorité! les hommes seuls l'ont créée, Dieu la réprouve. Ayons le même stoïcisme que ceux-là, qui dorment après une scène de meurtre et de carnage.

(Il se jette sur un autre lit.)ASTOLPHE, rêvant

Ah! perfide Faustina! tu vas souper avec Alberto, parce qu'il m'a gagné mon argent!.. Je te méprise (Il s'éveille et s'assied sur son lit.) Voilà un sot rêve! et un réveil plus sot encore! la prison! Eh! compagnons?.. Point de réponse; il parait que tout le monde dort. Bonne nuit!

(Il se recouche et se rendort.)GABRIEL, se soulevant, le regarde

Faustina! Sans doute c'est le nom de sa maîtresse. Il rêve à sa maîtresse; et moi, je ne puis songer qu'à cet homme dont les traits se sont hideusement contractés quand ma balle l'a frappé Je ne l'ai pas vu mourir il me semble qu'il râlait encore sourdement quand les sbires l'ont emporté J'ai détourné les yeux je n'aurais pas eu le courage de regarder une seconde fois cette bouche sanglante, cette tête fracassée!.. Je n'aurais pas cru la mort si horrible. L'existence de ce bandit est-elle donc moins précieuse que la mienne? La mienne! n'est-elle pas à jamais misérable? n'est-elle pas criminelle aussi? Mon Dieu! pardonnez-moi. J'ai accordé la vie à l'autre je n'aurais pas eu le courage de la lui ôter Et lui!.. qui dort là si profondément, il n'eût pas fait grâce; il n'en voulait laisser échapper aucun! Était-ce courage? était-ce férocité?

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