Correspondance, 1812-1876 Tome 5 - Жорж Санд 5 стр.


Embrassez pour moi votre chère femme. Je sais qu'elle pleurera avec nous, elle qui était si bonne pour ce pauvre petit.  Antoine dînait chez moi à Palaiseau le jour où j'ai reçu le télégramme d'alarme. Il a couru pour nous. Mais, malgré son aide et celle de M. Maillard, je n'ai pu partir le soir même; l'express ne correspond pas avec Palaiseau.

Adieu, mon bon ami; à vous de coeur.

G. S.

DLXV

A MADAME SIMONNET, A MONGIVRAY, PRÈS-LA CHÂTRE

Palaiseau, 24 juillet 1864.

Ma chère enfant, René a dû te dire comment nous sommes partis tout à coup pour Guillery. Nous voilà revenus, laissant notre pauvre enfant dans la tombe de son arrière-grand-père. Maurice et Lina, que j'ai embarqués pour Nîmes, ont été bien soulagés de me voir, et ils ont écouté mes consolations avec un coeur bien tendre. Mais quelle douleur! Maurice, qui s'était exténué à soigner son enfant et qui le croyait sauvé! Je reviens brisée de fatigue; mais j'ai besoin de courage pour leur en donner, et je supporterai mon propre chagrin aussi bien que je pourrai. Écris-leur à Nîmes, chez Boucoiran, au Courrier du Gard. Ils vont voyager un mois pour se remettre et se secouer; mais ils auront leur pied-à-terre à Nîmes et ils y recevront leurs lettres. J'ai oublié de donner leur adresse à Ludre; fais-la-lui savoir tout de suite. Ces témoignages d'affection leur feront du bien.

Aussitôt que je pourrai, j'écrirai au ministre pour Albert, sois tranquille.

Je t'embrasse tendrement, ainsi que ta mère.

G. SAND.

DLXVI

A MAURICE SAND, A NÎMES

Palaiseau, 25 juillet 1864.

Mes enfants, J'attends impatiemment de vos nouvelles. Nécessairement j'ai l'esprit frappé et j'ai besoin de vous savoir à Nîmes, près de notre bon Boucoiran, bien soignés, si vous étiez souffrants l'un ou l'autre. J'ai bien supporté le voyage; mais nous sommes beaucoup plus las aujourd'hui qu'hier, et je crains qu'il n'en soit de même pour vous. Quand la volonté n'a plus rien à faire, on sent que le corps est brisé. Toute la journée, j'ai corrigé des épreuves15. Jugez si j'y avais la tête. Je relisais tout six fois sans comprendre, et c'est pour cette corvée que je vous ai quittés si vite; car la Revue était bouleversée et j'ai reçu aujourd'hui quatre épreuves revenant de Nohant, de Nérac, etc. Louis Buloz est venu m'aider à terminer. J'ai marché un peu ce soir; mais je pleure en marchant, en dormant, en travaillant, et la moitié du temps sans penser à rien, comme en état d'idiotisme. Il faut laisser faire la nature. Elle veut cela. Mais combattez l'amertume, mes pauvres enfants. Ayez le malheur doux, et n'accusez pas Dieu. Il vous a donné un an de bonheur et d'espoir. Il a repris dans son sein, qui est l'amour universel, le bien qu'il vous avait donné. Il vous le rendra sous d'autres traits. Nous aimerons, nous souffrirons, nous espérerons, nous craindrons, nous serons pleins de joie, de terreurs, en un mot nous vivrons encore, puisque la vie est comme cela un terrible mélange. Aimons-nous, appuyons-nous les uns sur les autres. Je vous embrasse mille fois. Maillard va s'occuper et s'occupe déjà de vous chercher un gîte qui nous rapproche.

Écrivez un petit mot amical à lui et à Camille Leclère16, dans quelques jours. Suivez ses prescriptions, reprenez vos forces et remettez-vous l'esprit avant de travailler de nouveau pour l'avenir. Soignez-vous l'un l'autre au moral et au physique. Et, si l'ennui ne diminue pas là-bas, revenez ici. Parlez-moi de vous, de vos courses; mais, si vous n'avez pas le temps pour les détails, donnez-moi au moins de vos nouvelles en deux mots. Cela m'est bien nécessaire pour me remonter!

Ne vous navrez pas à écrire notre malheur. J'avertirai tout le monde, on vous écrira.

DLXII

A M. NOEL PARFAIT, A PARIS

Palaiseau, vendredi, juillet 1864.

Eh bien, mon cher parrain17, avez-vous lu le roman terrible18?

Puis-je savoir votre avis?

Viendrez-vous en causer avec moi, en acceptant mon petit dîner de Palaiseau; ou, si vous n'avez pas le temps, irai-je à Paris le jour que vous m'indiquerez? Je voudrais bien connaître votre jugement, ô juge impeccable, et pouvoir m'y appuyer.

Pardonnez-moi mon impatience, et comprenez-la.

À vous de coeur.

GEORGE SAND.

DLXVIII

A MADEMOISELLE NANCY FLEURY, A PARIS

Palaiseau, 4 août 1864.

Nous avons perdu notre pauvre enfant! Je suis arrivée à Guillery pour l'ensevelir. J'ai emmené Lina et Maurice à Agen. Je les ai mis en chemin de fer pour Nîmes. Ils ont besoin de voyager un peu, ils sont aussi courageux que possible. Mais quel coup!

J'ai fait trois à quatre cents lieues en trois jours; j'arrive, je n'en peux plus. Ne venez pas me voir encore, mais écrivez-leur. Que Nancy surtout écrive à Lina. Je vous embrasse.

G. SAND.

Ils sont à Nîmes chez Boucoiran, au Courrier du Gard.

DLXIX

A MAURICE SAND, A CHAMBÉRY

Palaiseau, 6 août 1864

Mes enfants, Je suis contente de vous savoir arrêtés quelque part dans un beau pays.

Vous avez donc vu ma chère cascade de Coux, celle que Jean-Jacques Rousseau déclarait une des plus belles qu'il eût vues? C'est là que se passe une scène de Mademoiselle La Quintinie.

Vous aimez la Savoie, n'est-ce pas? Buloz vous fera voir ses petits ravins mystérieux et ses énormes arbres. C'est un endroit superbe, que sa propriété, et tout alentour il y a des promenades charmantes à faire. Il faut voir mon château de Mademoiselle La Quintinie: il s'appelle en réalité Bourdeaux, et, de là, vous pouvez monter à la Dent-du-Chat.

J'ai vu Calamatta, qui m'a dit que la course de taureaux dans les Arènes de Nîmes était vraiment un beau spectacle, très émouvant, et que cela vous avait distraits et impressionnés tous les trois; il se porte bien, lui, et compte rester quelque temps à Paris. Avez-vous reçu mes lettres adressées à Nîmes, et une à l'hôtel de France de Chambéry? Réclamez-la.

Je te parlais, Mauricot, de l'opinion de Buloz, qu'il ne faut pas prendre absolument au pied de la lettre. Qu'il juge de ce qui convient à sa Revue, à la bonne heure; mais, quand il voit du danger à toute espèce de publication de ce roman, il s'exagère évidemment la chose, et, d'ailleurs, il n'est pas juge en dernier ressort; et il faut qu'il te rende ton roman ou je lui dirai de me le renvoyer. Je l'ai donné à lire à Noël Parfait, qui saura bien nous dire s'il y a danger réel et complet. Buloz te dit d'attendre. Attendre quoi? Ce n'est pas une solution, puisqu'il ne change pas d'avis. Au reste, ne t'en tourmente pas pour le moment. Je ne laisserai pas dormir cela; je suis sûre que Buloz est très gentil pour nous, et son intention, quant au roman, est bonne et sincère.

Je te disais, dans mes autres lettres, que nous ne trouvions rien autour de nous qui pût réaliser ton désir d'un grand jardin avec maison, pour trente mille francs. Il faudra voir toi-même. Marchal explore Brunoy. Mais tout s'arrangera, quand vous serez ici, surtout si vous voyagez un peu pour gagner la fin de la saison. Je me porte bien; il est à peu près décidé qu'on va jouer le Drac au Vaudeville: la nouvelle version, avec Jane Essler pour le Drac, Febvre pour Bernard, lequel Febvre est en grand progrès et grand succès. Je vous bige mille fois tout deux. Distrayez-vous, ne pensez à rien.

Je te disais, dans mes autres lettres, que nous ne trouvions rien autour de nous qui pût réaliser ton désir d'un grand jardin avec maison, pour trente mille francs. Il faudra voir toi-même. Marchal explore Brunoy. Mais tout s'arrangera, quand vous serez ici, surtout si vous voyagez un peu pour gagner la fin de la saison. Je me porte bien; il est à peu près décidé qu'on va jouer le Drac au Vaudeville: la nouvelle version, avec Jane Essler pour le Drac, Febvre pour Bernard, lequel Febvre est en grand progrès et grand succès. Je vous bige mille fois tout deux. Distrayez-vous, ne pensez à rien.

«Quand vous écrirez à Maurice, me dit Dumas fils, faites-lui mes amitiés; il n'a pas besoin que je lui écrive pour savoir la part que je prends à son chagrin.»

DLXX

A M. JULES BOUCOIRAN, A NÎMES

Palaiseau, 6 août 1864.

Cher ami, Mes enfants m'ont écrit que vous aviez été pour eux un vrai papa, que vous les aviez soutenus, plaints, consolés, distraits, et qu'enfin ils vous aimaient tendrement et n'oublieraient jamais l'affection que vous leur avez témoignée. Je savais bien qu'il en serait ainsi et je suis contente qu'ils aient passé près de vous ces premiers cruels jours. J'ai vu Calamatta, qui m'a dit la même chose, et que lui et les enfants avaient été très saisis et impressionnés par les taureaux et les Arènes. Je ne vous remercie pas, cher ami, d'avoir mis tout votre coeur à soulager celui de mes pauvres enfants, mais vous savez si j'apprécie votre immense bonté et votre immense attachement.

Je vous embrasse de coeur.

G. SAND.

DLXXI

A M. CHARLES PONCY, A TOULON

Palaiseau, 26 août 1864.

Cher ami, Pendant que vous étiez dans la fatigue et dans l'angoisse, nous étions dans le désespoir. Nous avons perdu notre cher petit Marc, si joli, si gai, si vivant, et qui venait d'atteindre son premier anniversaire!  Maurice et sa femme avaient été voir mon mari, près de Nérac. L'enfant y a été pris de la dysenterie, et il y est mort après douze jours de souffrances atroces. Je le croyais sauvé; j'avais tous les jours un télégramme et je ne m'inquiétais plus, quand la nouvelle du plus mal est arrivée. Je suis partie pour Nérac. Nous sommes arrivés pour ensevelir notre pauvre enfant, emmener les parents désolés et leur rendre un peu de courage. Ils ont été, en effet, depuis, passer quelques jours près de Chambéry, chez M. Buloz. Maintenant, ils sont à Paris, occupés d'acheter, non loin de moi, une maisonnette, pour être à portée des occupations de Paris, sans habiter Paris même.

Moi, j'habite décidément Palaiseau, où je me trouve très bien et parfaitement tranquille. C'est un Tamaris à climat doux, aussi retiré, mais à deux pas de la civilisation. Je n'ai à me plaindre de rien. Mais quel fonds de tristesse à savourer!.. Cet enfant était tout mon rêve et mon bien.  Encore, passe que je souffre de sa perte; mais mon pauvre Maurice et sa femme! Leur douleur est amère et profonde. Ils l'avaient si bien soigné!

Enfin, ne parlons plus de cela. Vous voilà triomphant d'avoir sauvé votre chère fille. Embrassez-la bien pour moi et pour nous tous.

Nous allons courir ce mois prochain, avec Maurice et Lina, un peu partout, avant de prendre nos quartiers d'hiver. Mais, comme nous n'allons pas loin, si vous venez à Paris, j'espère bien que nous le saurons à temps pour nous rencontrer. Il faudra vous informer de nous, rue des Feuillantines, 97, où nous avons un petit pied-à-terre.

Merci de votre bon souvenir pour Marie. Elle est à Nohant en attendant que Maurice et sa femme s'installent par ici. C'est à eux qu'en ce moment elle est nécessaire.

Bonsoir, chers enfants. Que le malheur s'arrête donc et que la santé, le courage et l'affection soient avec vous.

À vous de coeur.

DLXXII

A M. BERTON PÈRE, A PARIS

Palaiseau, septembre 1861.

Mon cher enfant, J'étais tellement commandée par l'heure du chemin de fer, ce matin, que je n'ai pas fait retourner mon fiacre pour courir après vous. J'aurais pourtant voulu vous serrer la main et vous dire mille choses que je n'ai pu vous écrire. D'abord M. de la Rounat avait complètement disparu dans ses villégiatures de l'été, et je n'ai pu avoir de lui un mot d'explication. Ensuite un cruel malheur m'a frappée. Mon fils a perdu son enfant. J'ai été dans le Midi, et puis en Berry. J'ai pensé à Villemer et revu La Rounat presque à la veille de la reprise, que je ne croyais pas si prochaine. J'ai eu enfin le récit de ses péripéties à propos de vous, et je l'ai eu trop tard pour rien changer à ses résolutions, puisque vous étiez en pleine Sonora19 et qu'il faisait répéter M. Brindeau. Le résultat final, c'est que M. Brindeau a très bien joué; mais ce n'était pas une préoccupation égoïste qui me faisait réclamer la connaissance des faits antérieurs à son engagement. Je tenais bien plutôt à ne pas avoir été, à mon insu, prise pour complice d'une infidélité envers vous, à qui nous avons dû un si beau succès. Après beaucoup de détails trop longs à retrouver, La Rounat m'a donné sa parole d'honneur qu'au moment où il avait engagé Brindeau, M. Harmant lui avait absolument refusé de vous rendre votre liberté, en lui démontrant par a plus b que cela était impossible.

J'ai cette affirmation depuis si peu de temps, que je n'ai pu vous l'écrire. Elle était, d'ailleurs, assez inutile. Ce à quoi je tenais, c'est à vous dire qu'on avait tout fait sans me consulter et sans me mettre à même de vous dire mes regrets et mes remerciements. Mais vous n'avez pas douté de moi, j'espère, dans tout cela, et je compte bien que nous livrerons encore ensemble quelque sérieuse bataille. Merci de tout coeur pour la dernière, et, quand vous aurez une matinée à perdre, venez (en me prévenant toutefois un jour d'avance) me voir à Palaiseau. Vous me ferez un vrai plaisir.

A vous,

G. SAND.

DLXXIII

M. LUDRE-GABILLAUD, A LA CHÂTRE

Palaiseau, octobre 1864.

Cher ami, Je vous réponds tout de suite pour le conseil que Maurice vous demande. Du moment qu'ils ont franchi courageusement cette grande tristesse de revenir seuls à Nohant, ce qu'ils feront de mieux, ces chers enfants, c'est d'y vivre, tout en se réservant un pied-à-terre à Paris, où ils pourront aller de temps en temps se distraire. S'ils organisent bien leur petit système d'économie domestique, ils pourront aussi faire de petites excursions en Savoie, en Auvergne et même en Italie. Tout cela peut et doit faire une vie agréable; car j'irai les voir à Nohant, et il faut espérer qu'il y aura bientôt une chère compagnie: celle d'un nouvel enfant. Il n'en est pas question; mais, quand leurs esprits seront bien rassis, j'espère qu'on nous fera cette bonne surprise. Alors il y aura nécessairement deux ans à rester sédentaire pour la jeune femme; où sera-t-elle mieux qu'à Nohant pour élever son petit monde?

Je vois bien maintenant, d'après leur incertitude, leurs besoins de bien-être, leurs projets toujours inconciliables avec les nécessités et les dépenses de la vie actuelle, qu'ils ne sauront s'installer, comme il faut, nulle part. Ils peuvent être si bien chez nous, en réduisant la vie de Nohant à des proportions modérées et avec le surcroît de revenu que je leur laisse! Si mes arrangements avec les domestiques ne leur conviennent pas, ils seront libres, l'année prochaine, de m'en proposer d'autres et je voudrai ce qu'ils voudront. Qu'ils tâtent le terrain, et, à la prochaine Saint-Jean, ils sauront à quoi s'en tenir sur leur situation intérieure. Après moi, ils auront, non pas les ressources journalières que peut me créer mon travail quand je me porte bien, mais le produit de tous mes travaux; ce qui augmentera beaucoup leur aisance, et, comme ils n'ont pas à se préoccuper de l'avenir, ils peuvent dépenser leurs revenus sans inquiétude.

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