Correspondance, 1812-1876 Tome 5 - Жорж Санд 6 стр.


Je sais qu'il y a pour Maurice un grand chagrin de coeur et un grand mécompte d'habitudes à ne m'avoir pas toujours sous sa main pour songer à tout, à sa place. Mais il est temps pour lui de se charger de sa propre existence, et le devoir de sa femme est d'avoir, de la tête et de me remplacer. N'est-ce pas avec elle qu'il doit vieillir, et comptait-il, le pauvre enfant, que je durerais autant que lui?

Attirez leur attention et provoquez leur conviction sur cette idée, que, pour que je meure en paix, il faut que je les voie prendre les rênes et mener leur attelage. Ce qui était n'était pas bien, puisqu'ils n'en étaient pas contents et qu'ils m'en faisaient souvent l'observation. J'ai changé les choses autant que j'ai pu dans leur intérêt, et je suis toujours là, prête à modifier selon leur désir, mais à la condition que je n'aurai plus la responsabilité de ce qui ne réalisera pas un idéal qui n'est point de ce monde.

Je m'en remets à votre sagesse et aussi à votre adresse de coeur délicat pour calmer ces chers êtres, que vous aimez aussi paternellement, et pour les rassurer sur mes sentiments, qui sont toujours aussi tendres pour eux.

A vous de coeur, cher ami. Quand venez-vous à Paris? Prévenez-moi dès à présent, si vous pouvez; car, toutes affaires cessantes, je veux vous voir à Palaiseau et ne pas me croiser avec vous.

Tendresses à votre femme. Parlez-moi d'Antoine, que j'embrasse de tout mon coeur.

G. SAND.

DLXXIV

A MAURICE SAND, A NOHANT

Palaiseau, 24 octobre 1864.

Cher enfant, Voilà la pluie, et, si elle dure quelques jours, j'interromprai mes plantations et j'irai vous embrasser.

J'aurais mieux aimé les finir et rester plus longtemps avec vous.

Si tu as la tête cassée de chercher, je t'offre la pareille; car j'essaye de tirer une pièce, soit de Germandre pour le Vaudeville, soit de Mont-Revêche pour l'Odéon, et je vas de l'une à l'autre, écrivant, effaçant, sans savoir encore par laquelle je commencerai; et peut-être, en somme, ne ferai-je ni l'une ni l'autre. Ce sont des douleurs d'enfantement, et il faut-bien passer par là. Si on n'en sort pas vite, il faut se secouer, aller faire une bonne promenade, et, s'il pleut, lire un ouvrage de science qui vous arrache tout à fait à la fatigue du cerveau; car il ne faut pas commencer fatigué.

Voilà mon hygiène, et je sors de ces crises habituellement avec succès ou du moins avec plaisir. Quelquefois aussi, après plusieurs essais pour s'en distraire et s'y remettre, on reconnaît que le sujet ne vaut rien ou qu'on n'est pas propre à s'en servir. On y renonce. On a perdu du temps, c'est vrai; mais il n'est pas perdu, en ce sens qu'on a réguisé l'instrument cérébral qui sert à composer, et il fonctionne mieux ensuite pour un autre sujet. Rappelle-toi qu'avant de faire Raoul, tu voulais faire le Déluge. J'ai bien commencé cent romans que j'ai abandonnés; et ça ne doit pas décourager, à moins qu'on ne soit feignant; mais il faut compter sur l'inspiration, qui ne se commande pas et qui n'est point une intervention miraculeuse de la muse, mais bien un état de notre être, un moment de bonne harmonie complète entre le physique et le moral. Ce moment n'arrive guère quand on le cherche avec trop d'effort, parce que le corps en souffre et refuse au cerveau ses forces vitales. C'est pourquoi je te dis de faire comme moi.

Ça ne va pas? Allons-nous promener, oublions, dormons; ça viendra demain au moment où je n'y penserai plus. J'ai quelquefois trouvé ce que je cherchais la veille, en cherchant autre chose le lendemain.

DLXXV

A M. EDOUARD, RODRIGUES, A PARIS

Palaiseau, vendredi soir, 29 octobre 1864.

Cher ami, Je ne sors pas de mon petit jardin, où je fais planter et déplanter, et je n'écris guère, c'est vrai! figurez-vous tous les préparatifs indispensables pour une installation d'hiver, et plus la maison est petite! plus il est difficile d'y être bien sans de grands soins. Nous arriverons à y avoir chaud; il est bien nécessaire de n'avoir pas les doigts engourdis pour griffonner. Je me plais on ne peut plus dans ce petit coin. Pourtant je, vais passer quinze jours auprès de mes pauvres enfants à Nohant. Ils ne s'y habituent guère sans moi, surtout sous le coup de ce chagrin encore si saignant de la perte du pauvre petit.

Comme vous me lisez souvent, cher ami! Je suis toute honteuse-et tout effrayée, moi qui ne me relis que contrainte et forcée! J'ai peur que vous ne vous dégoûtiez de cet écrivain trop, fécond! Il m'amuse si peu, que, ayant à faire une pièce qu'on me demande, avec Mont-Revêche, je n'ai pas le courage de relire le livre!

A vous.

G. SAND,

DLXXVI

A MADAME LINA SAND, A NOHANT

Palaiseau, novembre 1864.

Ma belle Cocote, Tu es bien gentille d'être sage et mieux portante. Si je t'ai donné du courage, c'est en ayant celui de ne pas te parler de mon propre chagrin. L'oublier et en prendre son parti est impossible; mais vivre quand même pour faire son devoir, pour consoler ceux qu'on aime et les aider à vivre, voilà ce qui est commandé par le coeur. La philosophie, la religion même sont par moments insuffisantes; mais, quand on aime, on doit avoir la douleur bonne, c'est-à-dire aimante. Aide donc ton Bouli à moins souffrir; et à se fortifier par le travail et l'espérance d'un meilleur avenir. Il peut être encore si beau pour vous deux, sous tous les rapports! Ne le gâtez pas parle découragement. La destinée et le monde abandonnent ceux, qui s'abandonnent eux-mêmes.

Moi, j'ai bon espoir pour la pièce; Bouli te donnera tons les détails que je lui écris. Je suis désolée que tu aies commandé un chapeau, je t'en envoie trois: un chapeau, une toque et un chapeau rond; c'est-tout ce qui se porte, et à volonté, selon qu'il fait chaud, froid ou doux: modes de cour, rien que ça! La loque est, selon moi, un bijou; le chapeau noir et rose, tout ce qu'il y a de plus distingué pour faire des visites, quand il gèle.

Je regrette mes pauvres pigeons blancs. Il y a certainement une fouine ou une belette ou un rat qui les menace. Peut-être une chouette dans l'arbre; il faudrait déplacer leur maisonnette et la mettre contre un mur.

Si les petites poules et les faisans vous ennuient, donnez les poules à Léontine et les faisans à Angèle, ou à madame Duvernet, ou à madame Souchois. Je crois que c'est encore celle-ci qui endura le plus de soin et à qui ça fera le plus de plaisir.

J'ai vu madame Arnould-Plessy, qui m'a chargée de t'embrasser. Dumas se marie décidément avec madame Narishkine. Je vas me remettre à Mont-Revêche et faire planter mon jardin. Rien de nouveau d'ailleurs. Je n'ai pas eu le courage d'aller voir ta maman et je n'ai pas voulu la faire venir, souffrante et par ce temps de Sibérie. Il faut laisser passer ça. Je me payerai de ne pas faire de visites de jour de l'an, et on ne m'en fera pas, Dieu merci. Je plaindrais ceux qui en auraient le courage!

On me dit qu'à Palaiseau l'hiver se fait plus à la fois que chez nous et que les gelées de mai, si désastreuses dans le Berry, sont tout à fait exceptionnelles. C'est ce qui m'explique que les environs de Paris ont presque toujours des fruits. Au reste, nous verrons bien.

J'ai vu madame Arnould-Plessy, qui m'a chargée de t'embrasser. Dumas se marie décidément avec madame Narishkine. Je vas me remettre à Mont-Revêche et faire planter mon jardin. Rien de nouveau d'ailleurs. Je n'ai pas eu le courage d'aller voir ta maman et je n'ai pas voulu la faire venir, souffrante et par ce temps de Sibérie. Il faut laisser passer ça. Je me payerai de ne pas faire de visites de jour de l'an, et on ne m'en fera pas, Dieu merci. Je plaindrais ceux qui en auraient le courage!

On me dit qu'à Palaiseau l'hiver se fait plus à la fois que chez nous et que les gelées de mai, si désastreuses dans le Berry, sont tout à fait exceptionnelles. C'est ce qui m'explique que les environs de Paris ont presque toujours des fruits. Au reste, nous verrons bien.

Je te bige quatorze mille fois; donnes-en un peu à ton Bouli. Je ne veux pas encore m'intéresser au roman antédiluvien. Je veux qu'il pense à sa pièce, c'est la grosse affaire. Ça réussira ou non, mais ça doit être tenté.

DLXXVII

A M. PHILIBERT AUDEBRAND

Paris, 23 décembre 1864.

Je viens, monsieur, vous demander un léger service, votre bienveillance ne me le refusera pas.

Pour beaucoup de raisons qui ne vous intéresseraient nullement et qui seraient longues à dire, il m'importe personnellement de ne pas laisser publier trop d'erreurs sur mon compte. On vous a complètement trompé en vous disant que je faisais bâtir des villas. Ma position est des plus modestes et je n'ai pu seulement avoir l'idée qu'on me prête.

Comme la chose par elle-même est bien peu intéressante pour le public, ayez l'obligeance d'écrire vous-même deux lignes de rectification. Je vous en serai reconnaissante.

GEORGE SAND.

DLXXVIII

A M. FRANCIS MELVIL, A PARIS

Paris, 23 décembre 1864.

Monsieur, J'ai reçu ces jours-ci votre lettre du 7 novembre, après une absence de six semaines et plus. Tout ce que je peux faire pour vous, c'est d'engager la personne chargée dans la maison Lévy de l'examen des manuscrits, à prendre connaissance du vôtre le plus tôt possible. Quant à influencer le jugement d'un éditeur sur les conditions de succès d'un ouvrage, c'est la chose impossible. Ils vous répondent avec raison, que, ayant à faire les frais de la publication, ils sont seuls juges du débit. Ce sont là des raisons prosaïques, mais si positives, que, après avoir essayé plusieurs centaines de fois de rendre des services analogues à celui que vous réclamez de moi, j'ai reconnu la parfaite inutilité de mes instances. Il n'y aurait donc pour vous aucun avantage à ce que je prisse connaissance de votre manuscrit; et comment d'ailleurs pourrais-je le faire? J'ai des armoires pleines de manuscrits qui m'ont été soumis, et ma vie ne suffirait pas à les lire et à les juger. Les éditeurs sont encore plus encombrés; mais ils ont des fonctionnaires compétents qui ne font pas autre chose et qui, tôt ou tard, distinguent les ouvrages de mérite. Soyez donc tranquille: si les vôtres sont bons, ils verront le jour. La personne qui fait cet examen chez MM. Lévy est impartiale et capable. L'intérêt des éditeurs répond de votre cause si elle est bonne.

Agréez, monsieur, l'expression de mes sentiments distingués.

GEORGE SAND.

DLXXIX

A M. ÉDOUARD DE POMPÉRY, A PARIS

Paris, 23 décembre 1864.

Cher monsieur, Je n'ai encore pu lire votre livre. Je ne fais pas de mon temps ce qui me plaît; mais j'ai lu l'article de la Revue de Paris et je ne serai pas parmi vos contradicteurs. Je pense comme vous sur le rôle que la logique et le coeur imposent à la femme. Celles qui prétendent qu'elles auraient le temps d'être députés et d'élever leurs enfants ne les ont pas élevés elles-mêmes; sans cela, elles sauraient que c'est impossible. Beaucoup de femmes de mérite, excellentes mères, sont forcées, par le travail, de confier leurs petits à des étrangères; mais c'est le vice d'un état social qui, à chaque instant, méconnaît et contrarie la nature.

La femme peut bien, à un moment donné, remplir d'inspiration un rôle social et politique, mais non une fonction qui la prive de sa mission naturelle: l'amour de la famille. On m'a dit souvent que j'étais arriérée dans mon idéal de progrès, et il est certain qu'en fait de progrès l'imagination peut tout admettre. Mais le coeur est-il destiné à changer? Je ne le crois pas, et je vois la femme à jamais esclave de son propre coeur et de ses entrailles. J'ai écrit cela maintes fois et je le pense toujours.

Je vous fais compliment des remarquables progrès de votre talent, la forme est excellente et rend le sujet vivant et neuf, en dépit, de tout ce qui a été dit et écrit sur l'éternelle question.

Bien à vous.

GEORGE SAND.

DLXXX

A MADEMOISELLE LEROYER DE CHANTEPIE,

A ANGERS

Palaiseau, 31 décembre 1864.

Mademoiselle, Le récit que vous me faites m'a vivement touchée; ce que j'y vois surtout, c'est votre immense bonté, c'est votre vie entière consacrée à faire des heureux ou des moins malheureux. Comment, avec cette âme pleine de tendres souvenirs, et cette conscience d'avoir fait tant de bien, pouvez-vous être triste et découragée? c'est vraiment douter de la justice divine. Et justement vous ne croyez pas aux peines éternelles! que craignez-vous donc de Dieu? est-ce que son appréciation de nos fautes peut être jugée par nous et mesurée selon nos idées?

Je me suis dit bien souvent, quand je me suis vue forcée de reprendre les autres, de gronder un enfant, et même d'enfermer un animal: «Certes Dieu n'est pas juste à notre manière. S'il connaissait la nécessité de châtier, de réprimer, de punir, il serait malheureux; son coeur serait brisé à toute heure; les larmes et les cris des créatures navreraient sa bonté. Dieu ne peut pas être malheureux; donc, nos erreurs n'existent pas comme un mal devant lui. Il ne réprime pas même les criminels les plus odieux; il ne punit pas même les monstres. Donc, après la mort, une vie éternelle, entièrement inconnue, s'ouvre devant nous. Quelle qu'elle soit, notre religion doit consister à nous y fier entièrement; car Dieu nous a donné l'espérance et c'était nous faire une promesse. Il est la perfection: rien des bons instincts et des nobles facultés qu'il a mis en nous ne peut mentir.»

Vous savez tout cela aussi bien que moi, et vous vous rendez bien compte de l'état maladif qui fait naître vos terreurs et vos doutes. Je crois, mademoiselle, que votre devoir est de les combattre, et de traiter votre maladie morale très sérieusement: c'est un devoir religieux auquel vous devez vous soumettre. Vous n'avez pas le droit de laisser détériorer votre intelligence, pas plus que votre santé. Ouvrage de Dieu, nous devons nous conserver purs de chimères et d'insanités. Allez donc vivre ailleurs qu'à Angers, dont le séjour vous rejette dans le délire. Allez n'importe où; pourvu que vous y ayez le théâtre et la musique, puisque vous en ressentez un si grand bien. Faites cela par amitié pour ceux qui ont de l'amitié pour vous, faites-le aussi pour votre conscience, qui vous défend l'abandon de vous-même.

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