Lélia - Жорж Санд 13 стр.


 Et si ce que tu supposes était la vérité, dit Edméo, viendrais-tu avec moi?

 Je sais maintenant que je ne le puis pas, repartit Sténio; je sais que je ne serais pas admis auprès de Valmarina sans de longues et terribles épreuves. Je sais quavant tout il me serait prescrit de renoncer pour jamais à Lélia Oh! je le sais, malgré les liens qui unissent sa mystérieuse destinée à vos destins héroïques, on me demanderait la preuve de ma vertu, le gage de ma force; je nen aurais pas dautre à fournir que mon amour vaincu, et je ne le fournirais pas.

 Jen étais bien sûr, dit Edméo avec un soupir. Jai vu Lélia! Adieu donc, ami! Si un jour, détrompé de ce prestige ou rebuté dans tes espérances

 Oui, certes! sécria Sténio en serrant la main de son ami;» puis il la laissa retomber en ajoutant: Peut-être!.. Et un instant après, lespoir, se réveillant dans son cœur, lui disait tout bas: Jamais!

Quelques moments après quils se furent séparés, Edméo, qui marchait vers le nord, étant parvenu au sommet de la montagne, entonna, ainsi quil lavait promis à Sténio, un chant dadieu. Sténio était resté assis sur le rocher. La nuit était pure et froide, la terre sèche et lair sonore. La voix mâle dEdméo chanta cet hymne qui parvint distinct à loreille de son ami:

«Sirius, roi des longues nuits, soleil du sombre hiver, toi qui devances laube en automne, et te plonges sous notre horizon à la suite du soleil au printemps! frère du soleil, Sirius, monarque du firmament, toi qui braves la blanche clarté de la lune quand tous les autres astres pâlissent devant elle, et qui perces de ton œil de feu le voile épais des nuits brumeuses! molosse à la gueule enflammée, qui toujours lèches le pied sanglant du terrible Orion, et, suivi de ton cortége étincelant, montes dans les hautes régions de lempirée, sans égal et sans rivaux! ô le plus beau, le plus grand, le plus éclatant des flambeaux de la nuit, répands tes blancs rayons sur ma chevelure humide, rends lespoir à mon âme tremblante et la force à mes membres glacés! Brille sur ma tête, éclaire ma route, verse-moi les flots de ta riche lumière! Roi de la nuit, guide-moi vers lami de mon cœur. Protège ma course mystérieuse dans les ténèbres; celui vers qui je vais est, parmi les hommes, comme toi parmi la foule secondaire des innombrables étoiles.

«Comme toi, mon maître est grand, comme toi, il a léclat et la puissance; comme toi, il pénètre dun regard flamboyant; comme toi, il répand la lumière; comme toi, il règne sur la nuit glacée; comme toi, il marque la fin des beaux jours!

«Sirius, tu nes pas létoile de lamour, tu nes pas lastre de lespérance. Le rossignol ne sinspire pas de ta mâle beauté, et les fleurs ne souvrent pas sous ton austère influence. Laigle des montagnes te salue au matin dune voix triste et farouche; la neige samasse sous ton regard impassible, et la bise chante tes splendeurs sur les cordes dairain de sa harpe lugubre.

«Cest ainsi que lâme où tu règnes, ô vertu! ne souvre plus ni à lespoir ni à la tendresse; elle est scellée comme un cercueil de plomb, comme la nuit hyperboréenne aux confins de lhorizon quand Sirius est à la moitié de sa course. Elle est morne comme lhiver, obscure comme un ciel sans lune, et traversée dun seul rayon froid et pénétrant comme lacier. Elle est ensevelie sous un linceul, elle na plus ni transports, ni chants, ni sourires.

«Mon âme, cest la nuit, cest le froid, cest le silence; mais ta splendeur, ô vertu! cest le rayon de Sirius éclatant et sublime.»

La voix se perdit dans lespace. Sténio resta quelques instants absorbé; puis il descendit vers la vallée, les yeux fixés sur Vénus qui se levait à lhorizon.

XXV

Le printemps était revenu, et avec lui le chant des oiseaux et le parfum des fleurs nouvelles. Le jour finissait, les rougeurs du couchant seffaçaient sous les teintes violettes de la nuit: Lélia rêvait sur la terrasse de la villa Viola. Cétait une riche maison quun Italien avait fait bâtir pour sa maîtresse à lentrée de ces montagnes. Elle y était morte de chagrin; et lItalien, ne voulant plus habiter un lieu qui lui rappelait de douloureux souvenirs, avait loué à des étrangers les jardins qui renfermaient la tombe, et la villa qui portait le nom de sa bien-aimée. Il y a des douleurs qui se nourrissent delles-mêmes; il y en a qui seffraient et qui se fuient comme des remords.

Molle et paresseuse comme la brise, comme londe, comme tout ce jour de mai si doux et si somnolent, Lélia, penchée sur la balustrade, plongeait du regard dans la plus belle vallée que le pied de lhomme civilisé ait foulée. Le soleil était descendu derrière lhorizon, et pourtant le lac conservait encore un ton rouge ardent comme si lantique dieu, quon supposait rentrer chaque soir dans les flots, se fût en effet plongé dans sa masse transparente.

Lélia rêvait. Elle écoutait le murmure confus de la vallée, les cris des jeunes agneaux qui venaient sagenouiller devant leurs mères, le bruit de leau dont on commençait à ouvrir les écluses, la voix des grands pâtres bronzés, qui ont un profil grec, de pittoresques haillons, et qui chantent dun ton guttural en descendant la montagne, lescopette sur lépaule. Elle écoutait aussi la clochette au timbre grêle qui sonne au cou des longues vaches tigrées, et laboiement sonore de ces grands chiens de race primitive qui font bondir les échos sur le flanc des ravins.

Lélia était calme et radieuse comme le ciel. Sténio fit apporter la harpe, et lui chanta ses hymnes les plus beaux. Pendant quil chantait, la nuit descendait, toujours lente et solennelle, comme les graves accords de la harpe, comme les belles notes de la voix suave et mâle du poëte. Quand il eut fini, le ciel était perdu sous ce premier manteau gris dont la nuit se revêt, alors que les étoiles tremblantes osent à peine se montrer lointaines et pâles comme un faible espoir au sein du doute. A peine une ligne blanche perdue dans la brume se dessinait au pourtour de lhorizon. Cétait la dernière lueur du crépuscule, le dernier adieu du jour.

Alors ses bras tombèrent, le son de la harpe expira, et le jeune homme, se prosternant devant Lélia, lui demanda un mot damour ou de pitié, un signe de vie ou de tendresse. Lélia prit la main de lenfant, et la porta à ses yeux: elle pleurait.

«Oh! sécria-t-il avec transport, tu pleures! Tu vis donc enfin?»

Lélia passa ses doigts dans les cheveux parfumés de Sténio, et, attirant sa tête sur son sein, elle la couvrit de baisers. Rarement il lui était arrivé deffleurer ce beau front de ses lèvres. Une caresse de Lélia était un don du ciel aussi rare quune fleur oubliée par lhiver, et quon trouve épanouie sur la neige. Aussi cette brusque et brûlante effusion faillit coûter la vie à lenfant qui avait reçu des lèvres froides de Lélia le premier baiser de lamour. Il devint pâle, son cœur cessa de battre; près de mourir, il la repoussa de toute sa force, car il navait jamais tant craint la mort quen cet instant où la vie se révélait à lui.

Il avait besoin de parler pour échapper à cet excès de bonheur qui était douloureux comme la fièvre.

«Oh!, dis-moi, sécria-t-il en séchappant de ses bras, dis-moi que tu maimes enfin!

 Ne te lai-je pas dit déjà? lui répondit-elle avec un regard et un sourire que Murillo eût donnés à la Vierge emportée aux cieux par les anges.

 Non, tu ne me las pas dit, répondit-il; tu mas dit, un jour où tu allais mourir, que tu voulais aimer. Cela voulait dire quau moment de perdre la vie tu regrettais de navoir pas vécu.

 Vous croyez donc cela, Sténio? dit-elle avec un ton de coquetterie moqueuse.

 Je ne crois rien, mais je cherche à vous deviner. O Lélia! vous mavez promis dessayer daimer; cest là tout ce que vous mavez promis.

 Sans doute, dit Lélia froidement, je nai pas promis de réussir.

 Mais espères-tu que tu pourras maimer enfin? lui dit-il dune voix triste et douce qui remua toute lâme de Lélia.»

Elle lentoura de ses bras et le pressa contre son cœur avec une force surhumaine. Sténio, qui voulait encore lui résister, se sentit dominé par cette puissance qui le glaçait deffroi. Son sang bouillonnait comme la lave et se figeait comme elle. Il avait tour à tour chaud et froid, il était mal et il était bien. Était-ce la joie, était-ce langoisse? il ne le savait pas. Cétait lun et lautre, cétait plus que cela encore: cétait lamour et la honte, le désir et leffroi, lextase et lagonie.

Enfin le courage lui revint. Il se rappela de combien de vœux délirants il avait appelé cette heure de trouble et de transports; il se méprisa pour la pusillanime timidité qui larrêtait, et, sabandonnant à un élan qui avait quelque chose de désespéré, il maîtrisa la femme à son tour, il létreignit dans ses bras, il colla sa bouche à cette bouche pâle et froide dont le contact létonnait encore Mais Lélia, le repoussant tout à coup, lui dit dune voix sèche et dure:

«Laissez-moi, je ne vous aime plus!»

Sténio tomba anéanti sur les dalles de la terrasse. Cest alors que réellement il se crut près de mourir en sentant le froid de la honte étrangler tout à coup cette rage damour et cette fièvre dattente.

Lélia se mit à rire; la colère le ranima, il se releva, et délibéra un instant sil ne la tuerait pas.

Mais cette femme était si indifférente à la vie, quil ny avait pas plus moyen de se venger delle que de leffrayer. Sténio essaya dêtre philosophique et froid; mais au bout de trois mots il se mit à pleurer.

Alors Lélia lembrassa de nouveau, et, comme il essayait de lui rendre ses caresses, elle lui dit en le repoussant: «Prends garde, ne risquons pas nos trésors, ne les confions pas aux caprices de la mer.

 Soyez maudite! sécria-t-il en essayant de se lever pour la fuir.»

Elle le retint.

«Reviens, lui dit-elle, reviens près de mon cœur. Je taimais tant tout à lheure, alors que, peureux et naïf, tu recevais mes baisers presque malgré toi! Tiens, lorsque tu mas dit ce mot: Espères-tu que tu pourras maimer? jai senti que je tadorais. Tu étais si humble alors! Reste ainsi, cest ainsi que je taime. Quand je te vois trembler et reculer devant lamour qui te cherche, il me semble que je suis plus jeune et plus confiante que toi. Cela menorgueillit et me charme, la vie ne me décourage plus, car je mimagine alors que je puis te la donner; mais quand tu tenhardis, quand tu demandes plus quil nest en moi doser, je perds lespoir, je meffraie daimer et de vivre. Je souffre et je regrette de mêtre abusée une fois de plus.

 Pauvre femme! dit Sténio vaincu par la pitié.

 Oh! ne peux-tu rester ainsi craintif et palpitant sous mes caresses? lui dit-elle en attirant encore sa tête sur ses genoux. Tiens, laisse-moi passer ma main autour de ton cou blanc et poli comme un marbre antique, laisse-moi sentir tes cheveux, si doux et si souples se rouler et sattacher à mes doigts. Comme ta poitrine est blanche, jeune homme! Comme ton cœur y bat rude et violent! Cest bien, mon enfant; mais ce cœur renferme-t-il le germe de quelque mâle vertu? Traversera-t-il la vie sans se corrompre ou sans se sécher? Voici la lune qui monte au-dessus de toi et réfléchit son rayon dans tes yeux. Respire dans cette brise lherbe et la prairie en fleurs. Je reconnais lémanation de chaque plante, je les sens passer lune après lautre dans lair qui les emporte. Maintenant cest le thym sauvage de la colline; tout à lheure cétaient les narcisses du lac, et à présent ce sont les géraniums du jardin. Comme les Esprits de lair doivent se réjouir à poursuivre ces parfums subtils et à sy baigner! Tu souris, mon gracieux poëte, endors-toi ainsi.

 Mendormir! dit Sténio dun ton de surprise et de reproche.

 Pourquoi non? Nes-tu pas calme, nes-tu pas heureux maintenant?

 Heureux! oui; mais calme?

 Eh bien, vous naimez pas! reprit-elle en le repoussant.

 Lélia, vous me rendez malheureux, laissez-moi vous quitter.

 Lâche, comme vous craignez la souffrance! Allez, partez!

 Je ne peux pas, répondit-il en revenant tomber à ses genoux.

 Mon Dieu, lui dit-elle en lembrassant, pourquoi souffrir? Vous ne savez pas combien je vous aime: je me plais à vous caresser, à vous regarder, comme si vous étiez mon enfant. Tenez, je nai jamais été mère, mais il me semble que jai pour vous le sentiment que jaurais eu pour mon fils. Je me complais dans votre beauté avec une candeur, avec une puérilité maternelle Et puis, après tout, quel sentiment puis-je avoir pour vous?

 Vous ne pourrez donc pas avoir damour? lui dit Sténio dune voix tremblante et le cœur déchiré.»

Lélia ne répondit point; elle passa convulsivement ses mains dans les flots de cheveux bruns qui bouclaient au front du jeune homme; elle se pencha vers lui et le contempla comme si elle eût voulu résumer dans un regard la puissance de plusieurs âmes, dans un instant livresse de cent existences; puis, trouvant sans doute son cœur moins ardent que son cerveau, et ses espérances plus faibles que ses rêves, elle se découragea encore une fois de la vie; sa main retomba morte à son côté; elle regarda la lune avec tristesse; puis, portant la main à son cœur et respirant du fond de la poitrine:

«Hélas! dit-elle dune voix irritée et le regard sombre, heureux ceux qui peuvent aimer!»

XXVI

VIOLA

Il y avait, au bas des terrasses du jardin, une petite rivière qui coulait sous lépais ombrage des ifs et des cèdres, et senfonçait sous leurs rameaux pendants. Sous une de ces voûtes mystérieuses, un tombeau de marbre blanc se mirait dans leau, pâle au milieu des sombres reflets de la verdure. A peine un souffle furtif de la brise ébranlait les angles purs et tremblants du marbre réfléchi dans londe; un grand liseron avait envahi ses flancs, et suspendait ses guirlandes de cloches bleues autour des sculptures déjà noircies par la pluie et labandon. La mousse croissait sur le sein et sur les bras des statues agenouillées; les cyprès éplorés, laissant tomber languissamment leurs branches sur ces fronts livides, enveloppaient déjà le monument confié à la protection de loubli.

«Cest là, dit Lélia en écartant les longues herbes qui cachaient linscription, le tombeau dune femme morte damour et de douleur!..

 Cest un monument plein de religion et de poésie, dit Sténio. Voyez comme la nature semble senorgueillir de te posséder! Comme ces festons de fleurs lenlacent mollement, comme ces arbres lembrassent, comme leau en baise le pied avec tendresse! pauvre femme morte damour! pauvre ange exilé sur la terre et fourvoyé dans les voies humaines, tu dors enfin dans la paix de ton cercueil, tu ne souffres plus, Viola! Tu dors comme ce ruisseau; tu étends dans ton lit de marbre tes bras fatigués, comme ce cyprès penché sur toi. Lélia, prends cette fleur de la tombe, mets-la sur ton sein, respire-la bien souvent, mais respire-la vite avant que, séparée de sa tige, elle perde ce virginal parfum qui est peut-être lâme de Viola, lâme dune femme qui a aimé jusquà en mourir. Viola! sil y a quelque émanation de vous dans ces fleurs, si quelque souffle damour et de vie a passé de votre sein dans ce mystérieux calice, ne pouvez-vous pénétrer jusquau cœur de Lélia? Ne pouvez-vous embraser lair quelle respire et faire quelle ne soit plus là, pâle, froide et morte, comme ces statues qui se regardent dun air mélancolique dans le ruisseau?

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