La Coupe; Lupo Liverani; Le Toast; Garnier; Le Contrebandier; La Rêverie à Paris - Жорж Санд 2 стр.


La fée embrassa l'enfant, qui l'embrassa aussi en lui disant: «Comme tu as la bouche froide!» Les fées sont joueuses et puériles comme les gens qui n'ont rien à faire de leur corps. Zilla essaya de faire courir et sauter l'enfant. Il était agile et résolu, et prit d'abord plaisir à faire assaut avec elle; mais bientôt il vit des choses extraordinaires. La fée courait aussi vite qu'une flèche, ses jambes fines ne connaissaient pas la fatigue, et l'enfant ne pouvait la suivre.

XXX

Quand elle l'invita à sauter, elle voulut, pour lui donner l'exemple, franchir une fente de rochers; mais, trop forte et trop sûre de ne pas se faire de mal en tombant, elle sauta si haut et si loin que l'enfant épouvanté alla se cacher dans un buisson. Elle voulut alors l'exercer à la nage, mais il eut peur de l'eau et demanda une nacelle, ce qui fit rire la fée, et lui, voyant qu'elle se moquait, se sentant méprisé et par trop inférieur à elle, il lui dit qu'il ne voulait plus d'elle pour sa mère.

XXXI

Elle le trouva faible et poltron. Pendant quelques jours, elle l'oublia; mais comme ses compagnes lui demandaient ce qu'il était devenu et lui reprochaient de l'avoir pris par caprice et de l'avoir laissé mourir dans un coin, elle courut le chercher et leur montra qu'il était bien portant et bien vivant. «C'est bon, dit la reine; puisqu'il peut se tirer d'affaire sans causer trop de dommage, je consens à ce qu'il soit ici comme un animal vivant à la manière des autres, car je vois bien que tu n'en sauras rien faire de mieux.»

XXXII

Zilla comprit que la sage et bonne reine la blâmait, et elle se piqua d'honneur. Elle retourna tous les jours auprès de l'enfant, y passa plus de temps chaque jour, apprit à lui parler doucement, le caressa un peu plus, mit plus de complaisance à le faire jouer en ménageant ses forces et en exerçant son courage. Elle lui apprit aussi à se nourrir sans verser le sang et elle vit qu'il était éducable, car il s'ennuyait d'être seul, et pour la faire rester avec lui, il obéissait à toutes ses volontés, et même il avait des grâces caressantes qui flattaient l'amour-propre de la fée.

XXXIII

Pourtant l'hiver approchait, et bien que l'enfant n'y songeât point, bien qu'il jouât avec la neige qui peu à peu gagnait la grotte où la fée l'avait logé, le chien commençait à hurler et à aboyer contre les empiétements de cette neige insensible qui avançait toujours. Zilla vit bien qu'il fallait ôter de là l'enfant, si elle ne voulait le voir mourir. Elle l'emmena au plus creux de la vallée, et elle pria ses compagnes de l'aider à lui bâtir une maison, car il est faux que les fées sachent tout faire avec un coup de baguette.

XXXIV

Elles ne savent faire que ce qui leur est nécessaire, et une maison leur est fort inutile. Elles n'ont jamais chaud ni froid que juste pour leur agrément. Elles sautent et dansent un peu plus en hiver qu'en été, sans jamais souffrir tout à fait dans leur corps ni dans leur esprit. Elles gambadent sur la glace aussi volontiers que sur le gazon, et s'il leur plaît de sentir en janvier la moiteur d'avril, elles se couchent avec les ours blottis dans leurs grottes de neige, et elles y dorment pour le plaisir de rêver, car elles ont fort peu besoin de sommeil.

XXXV

Zilla n'eût osé confier l'enfant aux ours. Ils n'étaient pas méchants; mais, à force de le sentir et de le lécher, ils eussent pu le trouver bon. Les jeunes fées qu'elle invita à lui bâtir un gîte s'y prêtèrent en riant et se mirent à l'œuvre pêle-mêle, à grand bruit. Elles voulaient que ce fût un palais plus beau que tous ceux que les hommes construisent et qui ne ressemblât en rien à leurs misérables inventions. La reine s'assit et les regarda sans rien dire.

XXXVI

L'une voulait que ce fût très-grand, l'autre que ce fût très-petit; l'une que ce fût comme une boule, l'autre que tout montât en pointe; l'une qu'on n'employât que des pierres précieuses, l'autre que ce fût fait avec les aigrettes de la graine de chardon; l'une que ce fût découvert comme un nid, l'autre que ce fût enfoui comme une tanière. L'une apportait des branches, l'autre du sable, l'une de la neige, l'autre des feuilles de roses, l'une de petits cailloux, l'autre des fils de la Vierge; le plus grand nombre n'apportait que des paroles.

XXXVII

La reine vit qu'elles ne se décidaient à rien et que la maison ne serait jamais commencée; elle appela l'enfant et lui dit: «Est-ce que tu ne saurais pas bâtir ta maison toi-même? c'est un ouvrage d'homme.» L'enfant essaya. Il avait vu bâtir. Il alla chercher des pierres, il fit, comme il put, du mortier de glaise qu'il pétrit avec de la mousse; il éleva des murs en carré, il traça des compartiments, il entre-croisa des branches, il fit un toit de roseaux et se meubla de quelques pierres et d'un lit de fougère.

XXXVIII

Les fées furent émerveillées d'abord de l'intelligence et de l'industrie de l'enfant, et puis elles s'en moquèrent, disant que les abeilles, les castors et les fourmis travaillaient beaucoup mieux. La reine les reprit de la sorte: «Vous vous trompez; les animaux qui vivent forcément en société ont moins d'intelligence que ceux qui peuvent vivre seuls. Une abeille meurt quand elle ne peut rejoindre sa ruche; un groupe de castors égarés oublie l'art de construire et se contente d'habitations grossières. Dans ce monde-là, personne n'existe, on ne dit jamais moi.

XXXIX

»Ces êtres qui vivent d'une mystérieuse tradition, toujours transmise de tous à chacun, sans qu'aucun d'eux y apporte un changement quelconque, sont inférieurs à l'être le plus misérable et le plus dépourvu dont l'esprit cherche et combine. C'est pour cela que l'homme, notre ancêtre, est le premier des animaux, et que son travail, étant le plus varié et le plus changeant, est le plus beau de tous. Voyez ce qu'il peut faire avec le souvenir, comme il invente l'expérience, et comme il sait accommoder à son usage les matériaux les plus grossiers!

XL

» L'homme, dit Zilla, serait donc meilleur et plus habile s'il vivait dans l'isolement?  Non, Zilla, il lui faut la société volontaire et non la réunion forcée. Seul il peut lutter contre toutes choses, et là où les autres animaux succombent, il triomphe par l'esprit; mais il a le désir d'un autre bonheur que celui de conserver son corps; c'est pourquoi il cherche le commerce de ses semblables afin qu'ils lui donnent le pain de l'âme, et le besoin qu'il a des autres est encore une liberté.»

XLI

Zilla s'efforça de comprendre la reine, que les autres fées ne comprenaient pas beaucoup. Elles avaient gardé les idées barbares du temps où elles étaient semblables à nous sur la terre, et si leur science les faisait pénétrer mieux que jadis et mieux que nous dans les lois de renouvellement du grand univers, elles ne se rendaient plus compte de la marche suivie par la race humaine dans ce petit monde où elles s'ennuyaient, faute de pouvoir y rien changer. Elles avaient voulu ne plus changer elles-mêmes, il leur fallait bien s'en consoler en méprisant ce qui change.

XLII

Zilla, toute pensive, résolut de procurer à son enfant adoptif tout ce qu'il pouvait souhaiter, afin de voir le parti qu'il en saurait tirer. «Voilà ta maison bâtie, lui dit-elle. Que voudrais-tu pour l'embellir?  J'y voudrais ma mère, dit l'enfant.  Je vais tâcher de te l'amener», dit la fée, et, sachant qu'elle pouvait faire des choses très difficiles, elle partit après avoir mis l'enfant sous la protection de la reine. Elle partit pour le monde des hommes, en se laissant emporter par le torrent.

Zilla, toute pensive, résolut de procurer à son enfant adoptif tout ce qu'il pouvait souhaiter, afin de voir le parti qu'il en saurait tirer. «Voilà ta maison bâtie, lui dit-elle. Que voudrais-tu pour l'embellir?  J'y voudrais ma mère, dit l'enfant.  Je vais tâcher de te l'amener», dit la fée, et, sachant qu'elle pouvait faire des choses très difficiles, elle partit après avoir mis l'enfant sous la protection de la reine. Elle partit pour le monde des hommes, en se laissant emporter par le torrent.

XLIII

Ce torrent, qui donne naissance à un grand fleuve dont les hommes ne connaissent pas la source, sort du glacier où était tombé l'enfant du prince. Il se divise en mille filets d'argent pour arroser et fertiliser le Val-des-Fées, puis il se réunit à l'entrée d'un massif de roches énormes qui est la barrière naturelle de leur royaume. Là le torrent, devenu rivière, se précipite dans des abîmes effroyables, s'engouffre dans des cavernes où le jour ne pénètre jamais, et de chute en chute arrive par des voies inconnues au pays des hommes.

XLIV

Les fées, pour lesquelles il n'est pas de site infranchissable, peuvent sortir de chez elles par les cimes neigeuses, par les flèches des glaciers ou par les fentes du roc; mais elles préfèrent se laisser emporter par la rivière, qui ne leur fait pas plus de mal qu'à un flocon d'écume en les précipitant dans ses abîmes. En peu d'instants, Zilla se trouva dans les terres cultivées et s'approcha d'un village de bergers et de bûcherons, où elle vit un homme étrangement vêtu qui, monté sur une grosse pierre, parlait à la foule.

XLV

Cet homme disait: «Serfs et vassaux, priez pour la grande duchesse qui est morte hier, et priez aussi pour l'âme de son fils Hermann, qui a péri dans les glaces du Mont-Maudit. La duchesse n'a pu se consoler. Dieu l'a rappelée à lui. Le duc vous envoie ses aumônes afin que vous disiez pour tous deux des prières.» Et le héraut jeta de l'or et de l'argent aux bergers et aux bûcherons, qui se battirent pour le ramasser, et remercièrent Dieu de la mort qui leur procurait cette aubaine.

XLVI

La fée fut contente aussi de la mort de la duchesse. «L'enfant ne me tourmentera plus, pensa-t-elle, pour que je le rende à sa mère. Je vais lui porter quelque chose afin de le consoler,» et, avisant un sac de blé, elle lui fit signe de la suivre, et le sac de blé, obéissant au pouvoir mystérieux qui était en elle, la suivit. Un peu plus loin elle vit un âne et lui commanda de porter le sac de blé. Elle emmena aussi une petite charrue, pensant, d'après ce qu'elle voyait autour d'elle, que ces jouets plairaient au petit Hermann.

XLVII

Pourtant ce n'était pas ce que les hommes qu'elle avait sous les yeux estimaient le plus. Elle les voyait se battre encore pour les pièces de monnaie répandues à terre. Elle suivit le héraut, qui s'en allait avec une mule blanche chargée d'un coffre plein d'or et d'argent, destiné aux libéralités de la dévotion ducale. Elle fit signe à la mule, qui suivit l'âne et la charrue, et le héraut n'y prit pas garde. La fée avait jeté sur lui et sur son escorte un charme qui les fit dormir à cheval pendant plus de quinze lieues.

XLVIII

La fée ne se fit aucune conscience de voler ces choses. C'était pour l'enfant du prince, et tout dans le pays lui appartenait. D'ailleurs les fées ne reconnaissent pas nos lois et ne partagent pas nos idées. Elles nous considèrent comme les plus grands pillards de la création, et ce que nous volons à la nature, elles pensent avoir le droit de nous le reprendre. Comme elles n'ont guère besoin de nos richesses, il faut dire qu'elles ne nous font pas grand tort. Pourtant leurs fantaisies sont dangereuses. Elles ont fait pendre plus d'un malheureux accusé de leurs rapts.

XLIX

Suivie de son butin, Zilla se rapprocha de la montagne, et, connaissant dans la forêt un passage par où elle pouvait rentrer dans le Val-aux-Fées avec sa suite, elle pénétra au plus épais des pins et des mélèzes. Là elle s'arrêta surprise en rencontrant sous ses pieds un être bizarre qui lui causa un certain dégoût: c'était un vieux homme grand et sec, barbu comme une chèvre et chauve comme un œuf, avec un nez fort gros et une robe noire tout en guenilles.

L

Il paraissait mort, car un vautour venait de s'abattre sur lui et commençait à vouloir goûter à ses mains; mais en se sentant mordu, le moribond fit un cri, saisit l'oiseau, et, l'étouffant, il le mordit au cou et se mit à sucer le sang avec une rage horrible et grotesque. C'était la première fois que la fée voyait pareille chose: le vautour mangé par le cadavre! Elle pensa que ce devait être un événement fatidique de sa compétence, et elle demanda au vieillard ce qui le faisait agir ainsi.

LI

«Bonne femme, répondit-il, ne me trahissez pas. Je suis un proscrit qui se cache, et la faim m'a jeté là par terre, épuisé et mourant; mais le ciel m'a envoyé cet oiseau que je mange à demi vivant, comme vous voyez, n'ayant pas le loisir de m'en repaître d'une manière moins sauvage.» Ce malheureux croyait parler à une vieille ramasseuse de bois, car s'il n'est pas prouvé que les fées puissent prendre toutes les formes, il est du moins certain qu'elles peuvent produire toutes les hallucinations.

LII

«Relève-toi et suis-moi, dit-elle. Je vais te conduire en un lieu où tu pourras vivre sans que les hommes t'y découvrent jamais.» Le proscrit suivit la fée jusqu'à une corniche de rochers si étroite et si effrayante que l'âne et le mulet reculèrent épouvantés; mais la fée les charma, et ils passèrent. Quant à l'homme, il avait tellement le désir d'échapper à ceux qui le poursuivaient qu'il ne fut pas nécessaire de lui fasciner la vue. Il suivit les animaux, et, dès qu'il eut mis le pied dans le Val-aux-Fées, il reconnut, dans celle qui le conduisait, une fée du premier ordre.

LIII

«Je ne suis pas un novice et un ignorant, lui dit-il, et j'ai assez étudié la magie pour voir à qui j'ai affaire. Vous me conduisez en un lieu dont je ne sortirai jamais malgré vous, je le sais bien; mais, quel que soit le sort que vous me destinez, il ne peut être pire que celui que me réservaient les hommes. Donc j'obéis sans murmure, sachant bien aussi que toute résistance serait inutile. Peut-être aurez-vous quelque pitié d'un vieillard, et quelque curiosité de le voir mourir de sa belle mort, qui ne saurait tarder.

LIV

 Tu te vantes d'être savant, et tu es inepte, répondit Zilla. Si tu connaissais les fées, tu saurais qu'elles ne peuvent commettre aucun mal. Le grand Esprit du monde ne leur a permis de conquérir l'immortalité qu'à la condition qu'elles respecteraient la vie; autrement votre race n'existerait plus depuis longtemps. Suis-moi et ne dis plus de sottises, ou je vais te reconduire où je t'ai pris.  Dieu m'en garde!  pensa le vieillard, et, prenant un air plus modeste, il arriva avec la fée à la demeure nouvelle du petit prince Hermann.

LV

Depuis un jour entier que la fée était absente, l'enfant, qui était bon, n'avait ni travaillé, ni joué, ni mangé. Il attendait sa mère et ne pensait plus qu'à elle. Quand il vit arriver le vieillard, il courut à lui, croyant qu'il annonçait et précédait la duchesse. «Maître Bonus, dit-il, soyez le bienvenu,» et, se rappelant ses manières de prince, il lui donna sa main à baiser; mais le pauvre gouverneur faillit tomber à la renverse en retrouvant l'enfant qu'il croyait ne jamais revoir, et il pleura de joie en l'embrassant comme si c'eût été le fils d'un vilain.

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