La Coupe; Lupo Liverani; Le Toast; Garnier; Le Contrebandier; La Rêverie à Paris - Жорж Санд 4 стр.


Du reste il se portait bien, il engraissait et ne vieillissait guère, car les fées sont bonnes au fond, et quand elles l'avaient fatigué ou effrayé, elles lui donnaient du sommeil ou de l'appétit en dédommagement. Hermann essayait de s'intéresser à son sort; mais lorsqu'il le voyait si égoïste et si positif, il s'éloignait de lui avec dédain. Le seul être qui lui témoignât une amitié véritable, c'était son chien, et quelquefois, quand les yeux de cet animal fidèle semblaient lui dire: «Je t'aime», Hermann, sans savoir pourquoi, pleurait.

LXXXV

Mais le chien était devenu si vieux qu'un jour il ne put se lever pour suivre son maître. Hermann, effrayé, courut trouver Zilla. «Mon chien va mourir, lui dit-il, il faut empêcher cela.  Je ne le puis, répondit-elle; il faut que tout meure sur la terre, excepté les fées.  Prolonge sa vie de quelques années, reprit Hermann. Tu peux faire des choses plus difficiles. Si mon chien meurt, que deviendrai-je? C'est ce que j'aime le mieux sur la terre après toi, et je ne puis me passer de son amitié.

LXXXVI

 Tu parles comme un fou, dit la fée. Tu peux aimer ton chien, puisqu'il faut que l'homme aime toujours follement quelque chose; mais je ne veux pas que tu dises que tu m'aimes, puisque ton chien a droit à des mots que tu m'appliques. Si ton chien meurt, j'irai t'en chercher un autre, et tu l'aimeras autant.  Non, dit Hermann, je n'en veux pas d'autre après lui, et puisque je ne dois pas t'aimer, je n'aimerai plus rien que la mort.»

LXXXVII

Le chien mourut, et l'enfant fut inconsolable. Maître Bonus ne comprit rien à sa douleur, et les fées la méprisèrent. Alors Hermann irrité sentit ce qui lui manquait dans le royaume des fées. Il y était choyé et instruit, protégé et comblé de biens; mais il n'était pas aimé, et il ne pouvait aimer personne. Zilla essaya de le distraire en le menant avec elle dans les plus beaux endroits de la montagne. Elle le fit pénétrer dans les palais merveilleux que les fées élèvent et détruisent en une heure.

LXXXVIII

Elle lui montra des pyramides plus hautes que l'Himalaya et des glaciers de diamant et d'escarboucle, des châteaux dont les murs n'étaient que fleurs entrelacées; des portiques et des colonnades de flamme, des jardins de pierreries où les oiseaux chantaient des airs à ravir l'âme et les sens; mais Hermann en savait déjà trop pour prendre ces choses au sérieux; et un jour il dit à Zilla: «Ce ne sont là que des rêves, et ce que tu me montres n'existe pas.»

LXXXIX

Elle essaya de le charmer par un songe plus beau que tous les autres. Elle le mena dans la lune. Il s'y plut un instant et voulut aller dans le soleil. Elle redoubla ses invocations, et ils allèrent dans le soleil. Hermann ne crut pas davantage à ce qu'il y voyait; toujours il disait à la fée: «Tu me fais rêver, tu ne me fais pas vivre.» Et quand il s'éveillait, il lui disait: «Je ne me rappelle rien, c'est comme si je n'avais rien vu.»

XC

Et l'ennui le prit. La reine vit qu'il était pâle et accablé. «Puisque tu ne peux aimer le ciel, lui dit-elle, essaie au moins d'aimer la terre.» Hermann réfléchit à cette parole. Il se rappela qu'autrefois Zilla lui avait donné du blé, une charrue, un âne et un mulet. Il laboura, sema et planta, et il prit plaisir à voir comme la terre est féconde, docile et maternelle. Maître Bonus fut charmé d'avoir à moudre du blé et à faire du pain tous les jours.

XCI

Mais Hermann ne comprenait pas le plaisir de manger seul, et après avoir vu ce que la terre peut rendre à l'homme qui lui prête, il ne lui demanda plus rien et retourna à ce qu'elle lui donnait gratuitement. La reine lui dit: «Le torrent n'est pas toujours limpide. Depuis les derniers orages, il entraîne et déchire ses rives, et là où tu te plaisais à nager, il apporte des roches et du limon. Essaie de le diriger. Tâche d'aimer l'eau, puisque tu n'aimes plus la terre.»

XCII

Hermann dirigea le torrent et lui rendit sa beauté, sa voix harmonieuse, sa course légère, ses doux repos dans la petite coupe des lacs; mais un jour il le trouva trop soumis, car il n'avait plus rien à lui commander. Il abattit les écluses qu'il avait élevées et se plut à voir l'eau reprendre sa liberté et recommencer ses ravages. «Quel est ce caprice?» lui dit Zilla.  Pourquoi, lui répondit-il, serais-je le tyran de l'eau? Ne pouvant être aimé, je n'ai pas besoin d'être haï.»

XCIII

Zilla trouva son fils ingrat, et, pour la première fois depuis beaucoup de siècles, elle eut un mécontentement qui la rendit sérieuse. «Je veux l'oublier, dit-elle à la reine, car il me donne plus de souci qu'il ne mérite. Permets que je le fasse sortir d'ici et que je le rende à la société de ses pareils. Tu me l'avais bien dit que je m'en lasserais, et la vieille Trollia avait raison de blâmer ma protection et mes caresses.

XCIV

 Fais ce que tu voudras, dit la reine, mais sache que cet enfant sera malheureux à présent parmi les hommes, et que tu ne l'oublieras pas aussi vite que tu l'espères. Nous ne devons rien détruire, et pourtant tu as détruit quelque chose dans son âme.  Quoi donc? dit Zilla.  L'ignorance des biens qu'il ne peut posséder. Essaie de l'exiler, et tu verras!  Que verrai-je, puisque je veux ne plus le voir?  Tu le verras dans ton esprit, car il se fera reproche, et ce fantôme criera jour et nuit après toi.»

XCV

Zilla ne comprit pas ce que lui disait la reine. N'ayant jamais fait le mal, même avant d'avoir bu la coupe, elle ne redoutait pas le remords, ne sachant ce que ce pouvait être. Libre d'agir à sa guise, elle dit à Hermann: «Tu ne te plais point ici; veux-tu retourner parmi les tiens?» Mille fois Hermann avait désiré ce qu'elle lui proposait et jamais il n'avait osé le dire, craignant de paraître ingrat et d'offenser Zilla. Surpris par son offre, il doutait qu'elle fût sérieuse.

XCVI

«Ma volonté, répondit-il, sera la tienne.  Eh bien! dit-elle, va chercher maître Bonus, et je vous ferai sortir de nos domaines. Il fut impossible de décider maître Bonus à quitter le Val-des-Fées. Il alla se jeter aux pieds de la reine et lui dit: «Veux-tu que j'aille achever ma vie dans les supplices? Est-ce que je gêne quelqu'un ici? Je ne vis que de végétaux et de miel. Je respecte vos mystères et n'approche jamais de vos antres. Laissez-moi mourir où je suis bien.»

XCVII

Il lui fut accordé de rester, et le jeune Hermann, qui était devenu un homme, déclarant qu'il n'avait nul besoin de son gouverneur, partit seul avec Zilla. Quand ils durent passer l'effrayante corniche de rochers où aucun homme du dehors n'eût osé se risquer, elle voulut l'aider d'un charme pour le préserver du vertige. «Non, lui dit-il, je connais ce chemin, je l'ai suivi plus d'une fois, et j'eusse pu m'échapper depuis longtemps.  Pourquoi donc restais-tu malgré toi?» dit Zilla. Hermann ne répondit pas.

XCVIII

Il était fâché que la fée lui fît cette question. Elle aurait dû deviner que le respect et l'affection l'avaient seuls retenu. Zilla comprit son fier silence et commença à devenir triste du sacrifice qu'elle s'imposait; mais elle l'avait résolu, et elle continua de marcher devant lui. Quand ils furent à la limite de séparation, elle lui donna l'or qu'elle avait autrefois dérobé au héraut du duc son père et qu'elle avait offert à l'enfant comme un jouet. Il l'avait dédaigné alors, et, cette fois encore, il sourit et le prit sans plaisir.

XCIX

«Tu ne saurais te passer de ce gage, lui dit-elle. Ici tu n'auras le droit de rien prendre sur la terre. Il te faudra observer les conditions de l'échange.» Hermann ne comprit pas. Elle avait dédaigné de l'instruire des lois et des usages de la société humaine. Il était bien tard pour l'avertir de tout ce qui allait le menacer dans ce monde nouveau. D'ailleurs Hermann ne l'écoutait pas, il était comme ivre, car son âme était impatiente de prendre l'essor; mais son ivresse était pleine d'amertume, et il se retenait de pleurer.

«Tu ne saurais te passer de ce gage, lui dit-elle. Ici tu n'auras le droit de rien prendre sur la terre. Il te faudra observer les conditions de l'échange.» Hermann ne comprit pas. Elle avait dédaigné de l'instruire des lois et des usages de la société humaine. Il était bien tard pour l'avertir de tout ce qui allait le menacer dans ce monde nouveau. D'ailleurs Hermann ne l'écoutait pas, il était comme ivre, car son âme était impatiente de prendre l'essor; mais son ivresse était pleine d'amertume, et il se retenait de pleurer.

C

En ce moment, si la fée lui eût dit: «Veux-tu revenir avec moi?» il l'eût aimée et bénie; mais elle défendait son cœur de toute faiblesse, elle avait les yeux secs et la parole froide. Hermann sentait bien qu'il n'avait encore aimé qu'une ombre, et, se faisant violence, il lui dit adieu. Quand elle eut disparu, il s'assit et pleura. Zilla, en se retournant, le vit et fut prête à le rappeler; mais ne fallait-il pas qu'elle l'oubliât, puisqu'elle ne pouvait le rendre heureux?

LIVRE DEUXIÈME

I

Pourtant, lorsque Zilla rentra dans la vallée, il lui sembla que tout était changé. L'air lui semblait moins pur, les fleurs moins belles, les nuages moins brillants. Elle s'étonna de ne pas trouver l'oubli et fit beaucoup d'incantations pour l'évoquer. L'oubli ne vint pas, et la fée fit des réflexions qu'elle n'avait jamais faites. Elle cacha à ses sœurs et à la reine le déplaisir qu'elle avait; mais elle eut beau chanter aux étoiles et danser dans la rosée, elle ne retrouva pas la joie de vivre.

II

Des semaines et des mois se passèrent sans que son ennui fût diminué. D'abord elle avait cru qu'Hermann reviendrait; mais il ne revint pas, et elle en conçut de l'inquiétude. La reine lui dit: «Que t'importe ce qu'il est devenu? Il est peut-être mort, et tu dois désirer qu'il le soit. La mort efface le souvenir.» Zilla sentit que le mot de mort tombait sur elle comme une souffrance. Elle s'en étonna et dit à la reine: «Pourquoi ne savons-nous pas où vont les âmes après la mort?

III

 Zilla, répondit la reine, ne songe point à cela, nous ne le saurons jamais; les hommes ne nous l'apprendront pas. Ils ne le savent que quand ils ont quitté la vie, et nous, qui ne la quittons pas, nous ne pouvons ni deviner où ils vont, ni espérer jamais les rejoindre.  Ce monde-ci, reprit Zilla, doit-il donc durer toujours, et sommes-nous condamnées à ne jamais voir ni posséder autre chose?  Telle est la loi que nous avons acceptée, ma sœur. Nous durerons ce que durera la terre, et si elle doit périr, nous périrons avec elle.

IV

 O reine! les hommes doivent-ils donc lui survivre?  Leurs âmes ne périront jamais.  Alors c'est eux les vrais immortels, et nous sommes des éphémères dans l'abîme de l'éternité.  Tu l'as dit, Zilla. Nous savions cela quand nous avons bu la coupe, l'as-tu donc oublié?  J'étais jeune alors, et la gloire de vaincre la mort m'a enivrée. Depuis j'ai fait comme les autres. Le mot d'avenir ne m'a plus offert aucun sens; le présent m'a semblé être l'éternité.

V

 D'où te vient donc aujourd'hui, dit la reine, l'inquiétude que tu me confies et la curiosité qui te trouble?  Je ne le sais pas, répondit Zilla. Si je pouvais connaître la douleur, je te dirais qu'elle est entrée en moi.» Zilla n'eut pas plutôt prononcé cette parole que des larmes mouillèrent ses yeux purs, et la reine la regarda avec une profonde surprise; puis elle lui dit: «J'avais prévu que tu te repentirais d'avoir abandonné l'enfant; mais ton chagrin dépasse mon attente. Il faut qu'il soit arrivé malheur à Hermann, et ce malheur retombe sur toi.

VI

 Reine, dit la jeune fée, je veux savoir ce qu'Hermann est devenu.» Elles firent un charme. Zilla, enivrée par les parfums du trépied magique, pencha sa belle tête comme un lis qui va mourir et la vision se déploya devant elle. Elle vit Hermann au fond d'une prison. Il avait été vite dépouillé, par les menteurs et les traîtres, de l'argent qu'il possédait. Ayant faim, il avait volé quelques fruits, et il comparaissait devant un juge qui ne pouvait lui faire comprendre que, quand on n'a pas de quoi manger, il faut travailler ou mourir.

VII

A cette vision une autre succéda. Hermann, n'ayant pas compris la justice humaine, comparaissait de nouveau devant le juge, qui le condamnait à être battu de verges et à sortir de la résidence ducale. Le jeune homme indigné déclarait alors qu'il était le fils du feu duc, l'aîné du prince régnant, le légitime héritier de la couronne échue à son frère. Zilla le crut sauvé. Justice lui sera rendue, pensa-t-elle. Il va être prince, et, comme nous l'avons rendu savant et juste, son peuple le respectera et le chérira.

VIII

Mais une autre vision lui montra Hermann accusé d'imposture et de projets séditieux, et condamné à mort. Alors la fée s'éveilla en entendant retentir au loin cette parole: C'est pour demain! Quelque bonne magicienne qu'elle fût, elle n'avait pas le don de transporter son corps aussi vite que son esprit. Si les fées peuvent franchir de grandes distances, c'est parce qu'elles ne connaissent pas la fatigue; mais à toutes choses il faut le temps, et Zilla comprit pour la première fois le prix du temps.

IX

«Donne-moi des ailes!» dit-elle à la reine; mais la reine n'avait point inventé cela. «Fais-moi conduire par un nuage rapide»; mais ni les hommes ni les fées n'avaient découvert cela. «Fais-moi porter par le vent à travers l'espace.  Tu me demandes l'impossible, dit la reine. Pars vite et ne compte que sur toi-même.» Zilla partit, elle se lança dans le torrent, elle fut portée comme par la foudre; mais, arrivée à la plaine, elle se trouva dans une eau endormie, et préféra courir.

X

Elle était légère autant que fée peut l'être, mais elle n'avait jamais eu besoin de se presser, et, l'énergie humaine n'agissant point en elle pour lui donner la fièvre, elle vit que les piétons qui se rendaient à la ville pour voir pendre l'imposteur Hermann allaient plus vite qu'elle. Humiliée de se voir devancer par de lourds paysans, elle avisa un cavalier bien monté et sauta en croupe derrière lui. Il la trouva belle et sourit; mais tout aussitôt il ne la vit plus et crut qu'il avait rêvé.

XI

Cependant le cheval la sentait, car elle l'excitait à courir, et l'animal effrayé se cabra si follement qu'il renversa son maître. Elle lui enfonça son talon brûlant dans la croupe, et il fournit une course désespérée au bout de laquelle, ayant dépassé ses forces, il tomba mort aux portes de la ville. Zilla prit le manteau du cavalier, qui était resté accroché à la selle, et elle se glissa dans la foule qui se ruait vers l'échafaud.

XII

Le peuple était furieux et hurlait des imprécations parce qu'on venait de lui apprendre que l'imposteur Hermann avait réussi à s'évader. Il voulait qu'on pendît à sa place le geôlier, le gouverneur de la prison et le bourreau lui-même, qui ne lui donnait pas le spectacle attendu. Le grand chef de la police parut sur un balcon et apaisa cette foule en lui disant: «On n'a pu encore rattraper l'imposteur Hermann, mais on va vous donner le spectacle quand même.»

XIII

Et des hérauts crièrent aux quatre coins de la place: «Vous allez voir pendre sans jugement le scélérat qui a fait fuir le condamné.» La foule battit des mains, et le bourreau apprêta sa corde. On amena la victime, et la fée vit quelque chose d'extraordinaire: Celui qui avait sauvé Hermann n'était autre que maître Bonus, qui s'avançait résigné en remettant son âme à Dieu. «C'en est fait, dit-il à la fée, qui s'approcha de lui; j'ai mal veillé jadis sur le prince, et on m'a condamné au feu. Je le sauve aujourd'hui, et voici la corde. J'accomplis ma destinée.»

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