Antoine et Cléopâtre - Уильям Шекспир 2 стр.


LE MESSAGER. Oui: mais cette guerre a bientôt été terminée. Les circonstances les ont aussitôt réconciliés, et ils ont réuni leurs forces contre César. Mais, dès le premier choc, la fortune de César dans la guerre les a chassés tous deux de l'Italie.

ANTOINE. Bien: qu'as-tu de plus funeste encore à m'apprendre?

LE MESSAGER. Les mauvaises nouvelles sont fatales à celui qui les apporte.

ANTOINE. Oui, quand elles s'adressent à un insensé, ou à un lâche; poursuis.  Avec moi, ce qui est passé est passé, voilà mon principe. Quiconque m'apprend une vérité, dût la mort être au bout de son récit, je l'écoute comme s'il me flattait.

LE MESSAGER. Labiénus, et c'est une sinistre nouvelle, a envahi l'Asie Mineure depuis l'Euphrate avec son armée de Parthes; sa bannière triomphante a flotté depuis la Syrie, jusqu'à la Lydie et l'Ionie; tandis que

ANTOINE. Tandis qu'Antoine, voulais-tu dire

LE MESSAGER. Oh! mon maître!

ANTOINE. Parle-moi sans détour: ne déguise point les bruits populaires: appelle Cléopâtre comme on l'appelle à Rome; prends le ton d'ironie avec lequel Fulvie parle de moi; reproche-moi mes fautes avec toute la licence de la malignité et de la vérité réunies.  Oh! nous ne portons que des ronces quand les vents violents demeurent immobiles; et le récit de nos torts est pour nous une culture.  Laisse-moi un moment.

LE MESSAGER. Selon votre plaisir, seigneur.

(Il sort.)

ANTOINE. Quelles nouvelles de Sicyone? Appelle le messager de Sicyone.

PREMIER SERVITEUR. Le messager de Sicyone? y en a-t-il un?

SECOND SERVITEUR. Seigneur, il attend vos ordres.

ANTOINE. Qu'il vienne.  Il faut que je brise ces fortes chaînes égyptiennes, ou je me perds dans ma folle passion. (Entre un autre messager.) Qui êtes-vous?

LE SECOND MESSAGER. Votre épouse Fulvie est morte.

ANTOINE. Où est-elle morte?

LE MESSAGER. A Sicyone: la longueur de sa maladie, et d'autres circonstances plus graves encore, qu'il vous importe de connaître, sont détaillées dans cette lettre.

(Il lui donne la lettre.)

ANTOINE. Laissez-moi seul. (Le messager sort.) Voilà une grande âme partie! Je l'ai pourtant désiré. L'objet que nous avons repoussé avec dédain, nous voudrions le posséder encore! Le plaisir du jour diminue par la révolution des temps et devient une peine.  Elle est bonne parce qu'elle n'est plus. La main qui la repoussait voudrait la ramener!  Il faut absolument que je m'affranchisse du joug de cette reine enchanteresse. Mille maux plus grands que ceux que je connais déjà sont près d'éclore de mon indolence.  Où es-tu, Énobarbus?

(Énobarbus entre.)

ÉNOBARBUS. Que voulez-vous, seigneur?

ANTOINE. Il faut que je parte sans délai de ces lieux.

ÉNOBARBUS. En ce cas, nous tuons toutes nos femmes. Nous voyons combien une dureté leur est mortelle: s'il leur faut subir notre départ, la mort est là pour elles.

ANTOINE. Il faut que je parte.

ÉNOBARBUS. Dans une occasion pressante, que les femmes meurent!  Mais ce serait pitié de les rejeter pour un rien, quoique comparées à un grand intérêt elles doivent être comptées pour rien. Au moindre bruit de ce dessein, Cléopâtre meurt, elle meurt aussitôt; je l'ai vue mourir vingt fois pour des motifs bien plus légers. Je crois qu'il y a de l'amour pour elle dans la mort, qui lui procure quelque jouissance amoureuse, tant elle est prompte à mourir.

ANTOINE. Elle est rusée à un point que l'homme ne peut imaginer.

ÉNOBARBUS. Hélas, non, seigneur! Ses passions ne sont formées que des plus purs éléments de l'amour. Nous ne pouvons comparer ses soupirs et ses larmes aux vents et aux flots. Ce sont de plus grandes tempêtes que celles qu'annoncent les almanachs, ce ne peut être une ruse chez elle. Si c'en est une, elle fait tomber la pluie aussi bien que Jupiter.

ANTOINE. Que je voudrais ne l'avoir jamais vue!

ÉNOBARBUS. Ah! seigneur, vous auriez manqué de voir une merveille; et n'avoir pas été heureux par elle, c'eût été décréditer votre voyage.

ANTOINE. Fulvie est morte.

ÉNOBARBUS. Seigneur?

ANTOINE. Fulvie est morte.

ÉNOBARBUS. Fulvie?

ANTOINE. Morte!

ÉNOBARBUS. Eh bien! seigneur, offrez aux dieux un sacrifice d'actions de grâces! Quand il plaît à leur divinité d'enlever à un homme sa femme, ils lui montrent les tailleurs de la terre, pour le consoler en lui faisant voir que lorsque les vieilles robes sont usées, il reste des gens pour en faire de neuves. S'il n'y avait pas d'autre femme que Fulvie, alors vous auriez une véritable blessure et des motifs pour vous lamenter; mais votre chagrin porte avec lui sa consolation; votre vieille chemise vous donne un jupon neuf. En vérité, pour verser des larmes sur un tel chagrin, il faudrait les faire couler avec un oignon.

ANTOINE. Les affaires qu'elle a entamées dans l'État ne peuvent supporter mon absence.

ÉNOBARBUS. Et les affaires que vous avez entamées ici ne peuvent se passer de vous, surtout celle de Cléopâtre, qui dépend absolument de votre présence.

ANTOINE. Plus de frivoles réponses.  Que nos officiers soient instruits de ma résolution. Je déclarerai à la reine la cause de notre expédition, et j'obtiendrai de son amour la liberté de partir. Car ce n'est pas seulement la mort de Fulvie, et d'autres motifs plus pressants encore, qui parlent fortement à mon coeur: des lettres aussi de plusieurs de nos amis qui travaillent pour nous dans Rome, pressent mon retour dans ma patrie. Sextus Pompée a défié César, et il tient l'empire de la mer. Notre peuple inconstant, dont l'amour ne s'attache jamais à l'homme de mérite, que lorsque son mérite a disparu, commence à faire passer toutes les dignités et la gloire du grand Pompée sur son fils, qui, grand déjà en renommée et en puissance, plus grand encore par sa naissance et son courage, passe pour un grand guerrier; si ses avantages vont en croissant, l'univers pourrait être en danger. Plus d'un germe se développe, qui, semblable au poil d'un coursier8, n'a pas encore le venin du serpent, mais est déjà doué de la vie. Apprends à ceux dont l'emploi dépend de nous, que notre bon plaisir est de nous éloigner promptement de ces lieux.

ÉNOBARBUS. Je vais exécuter vos ordres.

(Ils sortent.)

SCÈNE III

CLÉOPÂTRE, CHARMIANE, ALEXAS, IRAS

CLÉOPÂTRE. Où est-il?

CHARMIANE. Je ne l'ai pas vu depuis.

CLÉOPÂTRE. Voyez où il est, qui est avec lui, et ce qu'il fait. Je ne vous ai pas envoyée.  Si vous le trouvez triste, dites que je suis à danser; s'il est gai, annoncez que je viens de me trouver mal. Volez, et revenez.

CHARMIANE. Madame, il me semble que si vous l'aimez tendrement, vous ne prenez pas les moyens d'obtenir de lui le même amour.

CLÉOPÂTRE. Que devrais-je faire que je ne fasse?

CHARMIANE. Cédez-lui en tout; ne le contrariez en rien.

CLÉOPÂTRE. Tu parles comme une folle; c'est le moyen de le perdre.

CHARMIANE. Ne le poussez pas ainsi à bout, je vous en prie, prenez garde: nous finissons par haïr ce que nous craignons trop souvent. (Antoine entre.) Mais voici Antoine.

CLÉOPÂTRE. Je suis malade et triste.

ANTOINE. Il m'est pénible de lui déclarer mon dessein.

CLÉOPÂTRE. Aide-moi, chère Charmiane, à sortir de ce lieu. Je vais tomber. Cela ne peut durer longtemps: la nature ne peut le supporter.

ANTOINE. Eh bien! ma chère reine

CLÉOPÂTRE. Je vous prie, tenez-vous loin de moi.

ANTOINE. Qu'y a-t-il donc?

CLÉOPÂTRE. Je lis dans vos yeux que vous avez reçu de bonnes nouvelles. Que vous dit votre épouse?  Vous pouvez partir. Plût aux dieux qu'elle ne vous eût jamais permis de venir!  Qu'elle ne dise pas surtout que c'est moi qui vous retiens: je n'ai aucun pouvoir sur vous. Vous êtes tout à elle.

ANTOINE. Les dieux savent bien

CLÉOPÂTRE. Non, jamais reine ne fut si indignement trahie Cependant, dès l'abord, j'avais vu poindre ses trahisons.

ANTOINE. Cléopâtre!

CLÉOPÂTRE. Quand tu ébranlerais de tes serments le trône même des dieux, comment pourrais-je croire que tu es à moi, que tu es sincère, toi, qui as trahi Fulvie? Quelle passion extravagante a pu me laisser séduire par ces serments des lèvres aussitôt violés que prononcés?

ANTOINE. Ma tendre reine

CLÉOPÂTRE. Ah! de grâce, ne cherche point de prétexte pour me quitter: dis-moi adieu, et pars. Lorsque tu me conjurais pour rester, c'était alors le temps des paroles: tu ne parlais pas alors de départ.  L'éternité était dans nos yeux et sur nos lèvres. Le bonheur était peint sur notre front; aucune partie de nous-mêmes qui ne nous fît goûter la félicité du ciel. Il en est encore ainsi, ou bien toi, le plus grand guerrier de l'univers, tu en es devenu le plus grand imposteur!

ANTOINE. Que dites-vous, madame?

CLÉOPÂTRE. Que je voudrais avoir ta taille.  Tu apprendrais qu'il y avait un coeur en Égypte.

ANTOINE. Reine, écoutez-moi. L'impérieuse nécessité des circonstances exige pour un temps notre service; mais mon coeur tout entier reste avec vous. Partout, notre Italie étincelle des épées de la guerre civile. Sextus Pompée s'avance jusqu'au port de Rome. L'égalité de deux pouvoirs domestiques engendre les factions. Le parti odieux, devenu puissant, redevient le parti chéri. Pompée proscrit, mais riche de la gloire de son père, s'insinue insensiblement dans les coeurs de ceux qui n'ont point gagné au gouvernement actuel: leur nombre s'accroît et devient redoutable, et les esprits fatigués du repos aspirent à en sortir par quelque résolution désespérée.  Un motif plus personnel pour moi, et qui doit surtout vous rassurer sur mon départ, c'est la mort de Fulvie.

CLÉOPÂTRE. Si l'âge n'a pu affranchir mon coeur de la folie de l'amour, il l'a guéri du moins de la crédulité de l'enfance!  Fulvie peut-elle mourir?

ANTOINE. Elle est morte, ma reine. Jetez ici les yeux et lisez à votre loisir tous les troubles qu'elle a suscités. La dernière nouvelle est la meilleure; voyez en quel lieu, en quel temps elle est morte.

CLÉOPÂTRE. O le plus faux des amants! Où sont les fioles9 sacrées que tu as dû remplir des larmes de ta douleur? Ah! je vois maintenant, je vois par la mort de Fulvie comment la mienne sera reçue!

ANTOINE. Cessez vos reproches, et préparez-vous à entendre les projets que je porte en mon sein, qui s'accompliront ou seront abandonnés selon vos conseils. Je jure par le feu qui féconde le limon du Nil, que je pars de ces lieux votre guerrier, votre esclave, faisant la paix ou la guerre au gré de vos désirs.

CLÉOPÂTRE. Coupe mon lacet, Charmiane, viens; mais non laisse-moi: je me sens mal, et puis mieux dans un instant: c'est ainsi qu'aime Antoine!

ANTOINE. Reine bien-aimée, épargnez-moi: rendez justice à l'amour d'Antoine, qui supportera aisément une juste procédure.

CLÉOPÂTRE. Fulvie doit me l'avoir appris. Ah! de grâce, détourne-toi, et verse des pleurs pour elle; puis, fais-moi tes adieux, et dis que ces pleurs coulent pour l'Égypte. Maintenant, joue devant moi une scène de dissimulation profonde et qui imite l'honneur parfait.

ANTOINE. Vous m'échaufferez le sang.  Cessez.

CLÉOPÂTRE. Tu pourrais faire mieux, mais ceci est bien déjà.

ANTOINE. Je jure par mon épée!..

CLÉOPÂTRE. Jure aussi par ton bouclier Son jeu s'améliore; mais il n'est pas encore parfait.  Vois, Charmiane, vois, je te prie, comme cet emportement sied bien à cet Hercule romain10.

ANTOINE. Je vous laisse, madame.

CLÉOPÂTRE. Aimable seigneur, un seul mot «Seigneur, il faut donc nous séparer» Non, ce n'est pas cela: «Seigneur, nous nous sommes aimés.» Non, ce n'est pas cela; vous le savez assez!.. C'est quelque chose que je voudrais dire Oh! ma mémoire est un autre Antoine; j'ai tout oublié!

ANTOINE. Si votre royauté ne comptait la nonchalance parmi ses sujets, je vous prendrais vous-même pour la nonchalance.

CLÉOPÂTRE. C'est un pénible travail que de porter cette nonchalance aussi près du coeur que je la porte! Mais, seigneur, pardonnez, puisque le soin de ma dignité me tue dès que ce soin vous déplaît. Votre honneur vous rappelle loin de moi; soyez sourd à ma folie, qui ne mérite pas la pitié; que tous les dieux soient avec vous! Que la victoire, couronnée de lauriers, se repose sur votre épée, et que de faciles succès jonchent votre sentier!

ANTOINE. Sortons, madame, venez. Telle est notre séparation, qu'en demeurant ici vous me suivez pourtant, et que moi, en fuyant, je reste avec vous.  Sortons.

(Ils sortent.)

SCÈNE IV

Rome.  Un appartement dans la maison de César Entrent OCTAVE, CÉSAR, LÉPIDE et leur suite

CÉSAR. Vous voyez, Lépide, et vous saurez à l'avenir que ce n'est point le vice naturel de César de haïr un grand rival.  Voici les nouvelles d'Alexandrie. Il pêche, il boit, et les lampes de la nuit éclairent ses débauches. Il n'est pas plus homme que Cléopâtre, et la veuve de Ptolémée n'est pas plus efféminée que lui. Il a donné à peine audience à mes députés, et daigne difficilement se rappeler qu'il a des collègues. Vous reconnaîtrez dans Antoine l'abrégé de toutes les faiblesses dont l'humanité est capable.

LÉPIDE. Je ne puis croire qu'il ait des torts assez grands pour obscurcir toutes ses vertus. Ses défauts sont comme les taches du ciel, rendues plus éclatantes par les ténèbres de la nuit. Ils sont héréditaires plutôt qu'acquis; il ne peut s'en corriger, mais il ne les a pas cherchés.

CÉSAR. Vous êtes trop indulgent. Accordons que ce ne soit pas un crime de se laisser tomber sur la couche de Ptolémée, de donner un royaume pour un sourire, de s'asseoir pour s'enivrer avec un esclave; de chanceler, en plein midi, dans les rues, et de faire le coup de poing avec une troupe de drôles trempés de sueur. Dites que cette conduite sied bien à Antoine, et il faut que ce soit un homme d'une trempe bien extraordinaire pour que ces choses ne soient pas des taches dans son caractère Mais du moins Antoine ne peut excuser ses souillures, quand sa légèreté11 nous impose un si pesant fardeau: encore s'il ne consumait dans les voluptés que ses moments de loisir, le dégoût et son corps exténué lui en demanderaient compte; mais sacrifier un temps si précieux qui l'appelle à quitter ses divertissements, et parle si haut pour sa fortune et pour la nôtre, c'est mériter d'être grondé comme ces jeunes gens, qui, déjà dans l'âge de connaître leurs devoirs, immolent leur expérience au plaisir présent, et se révoltent contre le bon jugement.

(Entre un messager.)

LÉPIDE. Voici encore des nouvelles.

LE MESSAGER, à César. Vos ordres sont exécutés, et d'heure en heure, très-noble César, vous serez instruit de ce qui se passe. Pompée est puissant sur mer, et il paraît aimé de tous ceux que la crainte seule attachait à César. Les mécontents se rendent dans nos ports; et le bruit court qu'on lui a fait grand tort.

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