Antoine et Cléopâtre - Уильям Шекспир 3 стр.


LE MESSAGER, à César. Vos ordres sont exécutés, et d'heure en heure, très-noble César, vous serez instruit de ce qui se passe. Pompée est puissant sur mer, et il paraît aimé de tous ceux que la crainte seule attachait à César. Les mécontents se rendent dans nos ports; et le bruit court qu'on lui a fait grand tort.

CÉSAR. Je ne devais pas m'attendre à moins. L'histoire, dès son origine, nous apprend que celui qui est au pouvoir a été bien-aimé jusqu'au moment où il l'a obtenu; et que l'homme tombé dans la disgrâce, qui n'avait jamais été aimé, qui n'avait jamais mérité l'amour du peuple, lui devient cher dès qu'il tombe. Cette multitude ressemble au pavillon flottant sur les ondes, qui avance ou recule, suit servilement l'inconstance du flot, et s'use par son mouvement continuel.

LE MESSAGER. César, je t'annonce que Ménécrate et Ménas, deux fameux pirates, exercent leur empire sur les mers, qu'ils fendent et sillonnent de vaisseaux de toute espèce. Ils font de fréquentes et vives incursions sur les côtes d'Italie. Les peuples qui habitent les rivages pâlissent à leur nom seul, et la jeunesse ardente se révolte. Nul vaisseau ne peut se montrer qu'il ne soit pris aussitôt qu'aperçu. Le nom seul de Pompée inspire plus de terreur que n'en inspirerait la présence même de toute son armée.

CÉSAR. Antoine, quitte tes débauches et tes voluptés! Lorsque repoussé de Mutine, après avoir tué les deux consuls, Hirtius et Pansa, tu fus poursuivi par la famine, tu la combattis, malgré ta molle éducation, avec une patience plus grande que celle des sauvages. Tu bus l'urine de tes chevaux, et des eaux fangeuses que les animaux mêmes auraient rejetées avec dégoût. Ton palais ne dédaignait pas alors les fruits les plus sauvages des buissons épineux. Tel que le cerf affamé, lorsque la neige couvre les pâturages, tu mâchais l'écorce des arbres. On dit que sur les Alpes tu te repus d'une chair étrange, dont la vue seule fit périr plusieurs des tiens; et toi (ton honneur souffre maintenant de ces récits) tu supportas tout cela en guerrier si intrépide, que ton visage même n'en fut pas altéré.

LÉPIDE. C'est bien dommage.

CÉSAR. Que la honte le ramène promptement à Rome. Il est temps que nous nous montrions tous deux sur le champ de bataille. Assemblons, sans tarder, notre conseil, pour concerter nos projets. Pompée prospère par notre indolence.

LÉPIDE. Demain, César, je serai en état de vous instruire, avec exactitude, de ce que je puis exécuter sur mer et sur terre, pour faire face aux circonstances présentes.

CÉSAR. C'est aussi le soin qui m'occupera jusqu'à demain. Adieu.

LÉPIDE. Adieu, seigneur. Tout ce que vous apprendrez d'ici là des mouvements qui se passent au dehors, je vous conjure de m'en faire part.

CÉSAR. N'en doutez pas, seigneur; je sais que c'est mon devoir.

(Ils sortent.)

SCÈNE V

Alexandrie.  Appartement du palais Entrent CLÉOPÂTRE, CHARMIANE, IRAS, l'eunuque MARDIAN

CLÉOPÂTRE. Charmiane.

CHARMIANE. Madame?

CLÉOPÂTRE. Ah! ah! donne-moi une potion de mandragore12.

CHARMIANE. Pourquoi donc, madame?

CLÉOPÂTRE. Afin que je puisse dormir pendant tout le temps que mon Antoine sera absent.

CHARMIANE. Vous songez trop à lui.

CLÉOPÂTRE. O trahison!..

CHARMIANE. Madame, j'espère qu'il n'en est point ainsi.

CLÉOPÂTRE. Eunuque! Mardian!

MARDIAN. Quel est le bon plaisir de Votre Majesté?

CLÉOPÂTRE. Je ne veux pas maintenant t'entendre chanter. Je ne prends aucun plaisir à ce qui vient d'un eunuque.  Il est heureux pour toi que ton impuissance empêche tes pensées les plus libres d'aller errer hors de l'Égypte. As-tu des inclinations?

L'EUNUQUE. Oui, gracieuse reine.

CLÉOPÂTRE. En vérité?

MARDIAN. Pas en vérité13, madame, car je ne puis rien faire en vérité que ce qu'il est honnête de faire; mais j'ai de violentes passions, et je pense à ce que Mars fit avec Vénus.

CLÉOPÂTRE. O Charmiane, où crois-tu qu'il soit à présent? Est-il debout ou assis? Se promène-t-il à pied ou est-il à cheval? Heureux coursier, qui porte Antoine, conduis-toi bien, cheval; car sais-tu bien qui tu portes? L'Atlas qui soutient la moitié de ce globe, le bras et le casque de l'humanité. Il dit maintenant ou murmure tout bas: Où est mon serpent du vieux Nil? car c'est le nom qu'il me donne.  Oh! maintenant, je me nourris d'un poison délicieux.  Penses-tu à moi qui suis brunie par les brûlants baisers du soleil, et dont le temps a déjà sillonné le visage de rides profondes?  O toi, César au large front, dans le temps que tu étais ici à terre, j'étais un morceau de roi! et le grand Pompée s'arrêtait, et fixait ses regards sur mon front; il eût voulu y attacher à jamais sa vue, et mourir en me contemplant!

ALEXAS entre. Souveraine d'Égypte, salut!

CLÉOPÂTRE. Que tu es loin de ressembler à Marc-Antoine! Et cependant, venant de sa part, il me semble que cette pierre philosophale t'a changé en or. Comment se porte mon brave Marc-Antoine?

ALEXAS. La dernière chose qu'il ait faite, chère reine, a été de baiser cent fois cette perle orientale.  Ses paroles sont encore gravées dans mon coeur.

CLÉOPÂTRE. Mon oreille est impatiente de les faire passer dans le mien.

ALEXAS. «Ami, m'a-t-il dit, va: dis que le fidèle Romain envoie à la reine d'Égypte ce trésor de l'huître, et que, pour rehausser la mince valeur du présent, il ira bientôt à ses pieds décorer de royaumes son trône superbe; dis-lui que bientôt tout l'Orient la nommera sa souveraine.» Là-dessus, il me fit un signe de tête, et monta d'un air grave sur son coursier fougueux, qui alors a poussé de si grands hennissements, que, lorsque j'ai voulu parler, il m'a réduit au silence.

CLÉOPÂTRE. Dis-moi, était-il triste ou gai?

ALEXAS. Comme la saison de l'année qui est placée entre les extrêmes de la chaleur et du froid; il n'était ni triste ni gai.

CLÉOPÂTRE. O caractère bien partagé! Observe-le bien, observe-le bien, bonne Charmiane; c'est bien lui, mais observe-le bien; il n'était pas triste, parce qu'il voulait montrer un front serein à ceux qui composent leur visage sur le sien; il n'était pas gai, ce qui semblait leur dire qu'il avait laissé en Égypte son souvenir et sa joie, mais il gardait un juste milieu. O céleste mélange! Que tu sois triste ou gai, les transports de la tristesse et de la joie te conviennent également, plus qu'à aucun autre mortel!  As-tu rencontré mes courriers?

ALEXAS. Oui, madame, au moins vingt. Pourquoi les dépêchez-vous si près l'un de l'autre?

CLÉOPÂTRE. Il périra misérable, l'enfant qui naîtra le jour où j'oublierai d'envoyer vers Antoine.  Charmiane, de l'encre et du papier.  Sois le bienvenu, cher Alexas.  Charmiane, ai-je jamais autant aimé César?

CHARMIANE. O ce brave César!

CLÉOPÂTRE. Que ton exclamation t'étouffe! Dis, le brave Antoine.

CHARMIANE. Ce vaillant César!

CLÉOPÂTRE. Par Isis, je vais ensanglanter ta joue, si tu oses encore comparer César avec le plus grand des hommes.

CHARMIANE. Sauf votre bon plaisir, je ne fais que répéter ce que vous disiez vous-même.

CLÉOPÂTRE. Temps de jeunesse quand mon jugement n'était pas encore mûr.  Coeur glacé de répéter ce que je disais alors.  Mais viens, sortons: donne-moi de l'encre et du papier; il aura chaque jour plus d'un message, dussé-je dépeupler l'Égypte.

ACTE DEUXIÈME

SCÈNE I

Messine.  Appartement de la maison de Pompée Entrent POMPÉE, MÉNÉCRATE ET MÉNAS

POMPÉE. Si les grands dieux sont justes, ils seconderont les armes du parti le plus juste.

MÉNÉCRATE. Vaillant Pompée, songez que les dieux ne refusent pas ce qu'ils diffèrent d'accorder.

POMPÉE. Tandis qu'au pied de leur trône nous les implorons, la cause que nous les supplions de protéger dépérit.

MÉNÉCRATE. Nous nous ignorons nous-mêmes, et nous demandons souvent notre ruine, leur sagesse nous refuse pour notre bien, et nous gagnons à ne pas obtenir l'objet de nos prières.

POMPÉE. Je réussirai: le peuple m'aime, et la mer est à moi; ma puissance est comme le croissant de la lune, et mon espérance me prédit qu'elle parviendra à son plein. Marc-Antoine est à table en Égypte; il n'en sortira jamais pour faire la guerre. César, en amassant de l'argent, perd les coeurs; Lépide les flatte tous deux, et tous deux flattent Lépide: mais il n'aime ni l'un ni l'autre, et ni l'un ni l'autre ne se soucie de lui.

MÉNÉCRATE. César et Lépide sont en campagne, amenant avec eux des forces imposantes.

POMPÉE. D'où tenez-vous cette nouvelle? Elle est fausse.

MÉNÉCRATE. De Silvius, seigneur.

POMPÉE. Il rêve; je sais qu'ils sont encore tous deux à Rome, où ils attendent Antoine.  Voluptueuse Cléopâtre, que tous les charmes de l'amour prêtent leur douceur à tes lèvres flétries! Joins à la beauté les arts magiques et la volupté; enchaîne le débauché dans un cercle de fêtes; échauffe sans cesse son cerveau. Que les cuisiniers épicuriens aiguisent son appétit par des assaisonnements toujours renouvelés, afin que le sommeil et les banquets lui fassent oublier son honneur dans la langueur du Léthé. Qu'y a-t-il, Varius?

(Varius paraît.)

VARIUS. Comptez sur la vérité de la nouvelle que je vous annonce. Marc-Antoine est d'heure en heure attendu à Rome: depuis qu'il est parti d'Égypte il aurait eu le temps de faire un plus long voyage.

POMPÉE. J'aurais écouté plus volontiers une nouvelle moins sérieuse Ménas, je n'aurais jamais pensé que cet homme insatiable de voluptés eût mis son casque pour une guerre aussi peu importante. C'est un guerrier qui vaut à lui seul plus que les deux autres ensemble Mais concevons de nous-mêmes une plus haute opinion, puisque le bruit de notre marche peut arracher des genoux de la veuve d'Égypte cet Antoine qui n'est jamais las de débauches.

MÉNAS. Je ne puis croire que César et Antoine puissent s'accorder ensemble. Sa femme, qui vient de mourir, a offensé César; son frère lui a fait la guerre, quoiqu'il n'y fût pas, je crois, poussé par Antoine.

POMPÉE. Je ne sais pas, Ménas, jusqu'à quel point de légères inimitiés peuvent céder devant de plus grandes. S'ils ne nous voyaient pas armés contre eux tous, ils ne tarderaient pas à se disputer ensemble: car ils ont assez de sujets de tirer l'épée les uns contre les autres: mais jusqu'à quel point la crainte que nous leur inspirons concilie-t-elle leurs divisions et enchaîne-t-elle leurs petites discordes, c'est ce que nous ne savons pas encore. Au reste, qu'il en arrive ce qu'il plaira aux dieux: il y va de notre vie de déployer toutes nos forces. Viens, Ménas.

(Ils sortent.)

SCÈNE II

Rome.  Appartement dans la maison de LépideLÉPIDE, ÉNOBARBUS

LÉPIDE. Cher Énobarbus, tu feras une action louable et qui te siéra bien en engageant ton général à s'expliquer avec douceur et ménagement.

ÉNOBARBUS. Je l'engagerai à répondre comme lui-même. Si César l'irrite, qu'Antoine regarde par-dessus la tête de César, et parle aussi fièrement que Mars. Par Jupiter, si je portais la barbe d'Antoine je ne me ferais pas raser aujourd'hui14.

LÉPIDE. Ce n'est pas ici le temps des ressentiments particuliers.

ÉNOBARBUS. Tout temps est bon pour les affaires qu'il fait naître.

LÉPIDE. Les moins importantes doivent céder aux plus graves.

ÉNOBARBUS. Non, si les moins importantes viennent les premières.

LÉPIDE. Tu parles avec passion: mais de grâce ne remue pas les tisons.  Voici le noble Antoine.

(Entrent Antoine et Ventidius.)

ÉNOBARBUS. Et voilà César là-bas.

(Entrent César, Mécène et Agrippa.)

ANTOINE. Si nous pouvons nous entendre, marchons contre les Parthes.  Ventidius, écoute.

CÉSAR. Je ne sais pas, Mécène; demande à Agrippa.

LÉPIDE. Nobles amis, il n'est point d'objet plus grand que celui qui nous a réunis; que des causes plus légères ne nous séparent pas. Les torts peuvent être rappelés avec douceur; en discutant avec violence des différends peu importants, nous rendons mortelles les blessures que nous voulons guérir: ainsi donc, nobles collègues (je vous en conjure avec instances), traitez les questions les plus aigres dans les termes les plus doux, et que la mauvaise humeur n'aggrave pas nos querelles.

ANTOINE. C'est bien parlé; si nous étions à la tête de nos armées et prêts à combattre, j'agirais ainsi.

CÉSAR. Soyez le bienvenu dans Rome.

ANTOINE. Merci!

CÉSAR. Asseyez-vous.

ANTOINE. Asseyez-vous, seigneur.

CÉSAR. Ainsi donc

ANTOINE. J'apprends que vous vous offensez de choses qui ne sont point blâmables, ou qui, si elles le sont, ne vous regardent pas.

CÉSAR. Je serais ridicule, si je me prétendais offensé pour rien ou pour peu de chose; mais avec vous surtout: plus ridicule encore si je vous avais nommé avec des reproches, lorsque je n'avais point affaire de prononcer votre nom.

ANTOINE. Que vous importait donc, César, mon séjour en Égypte?

CÉSAR. Pas plus que mon séjour à Rome ne devait vous inquiéter en Égypte: cependant, si de là vous cherchiez à me nuire, votre séjour en Égypte pouvait m'occuper.

ANTOINE. Qu'entendez-vous par chercher à vous nuire?

CÉSAR. Vous pourriez bien saisir le sens de ce que je veux dire par ce qui m'est arrivé ici; votre femme et votre frère ont pris les armes contre moi, leur attaque était pour vous un sujet de vous déclarer contre moi, votre nom était leur mot d'ordre.

ANTOINE. Vous vous méprenez. Jamais mon frère ne m'a mis en avant dans cette guerre. Je m'en suis instruit, et ma certitude est fondée sur les rapports fidèles de ceux mêmes qui ont tiré l'épée pour vous! N'attaquait-il pas plutôt mon autorité que la vôtre? ne dirigeait-il pas également la guerre contre moi puisque votre cause est la mienne? là-dessus mes lettres vous ont déjà satisfait. Si vous voulez trouver un prétexte de querelle, comme vous n'en avez pas de bonne raison, il ne faut pas compter sur celui-ci.

CÉSAR. Vous faites-là votre éloge, en m'accusant de défaut de jugement: mais vous déguisez mal vos torts.

ANTOINE. Non, non! Je sais, je suis certain que vous ne pouviez pas manquer de faire cette réflexion naturelle, que moi, votre associé dans la cause contre laquelle mon frère s'armait, je ne pouvais voir d'un oeil satisfait une guerre qui troublait ma paix. Quant à ma femme, je voudrais que vous trouvassiez une autre femme douée du même caractère.  Le tiers de l'univers est sous vos lois; vous pouvez, avec le plus faible frein, le gouverner à votre gré, mais non pas une pareille femme.

ÉNOBARBUS. Plût au ciel que nous eussions tous de pareilles épouses! les hommes pourraient aller à la guerre avec les femmes.

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