Walt Whitman
Poèmes de Walt Whitman
MON LEGS
A vous, qui que vous soyez, (en baignant de mon souffle cette feuille-ci, pour quelle lèveen la pressant un moment de mes mains vivantes;
Tenez! sentez à mes poignets comme bat mon pouls! comme le sang de mon cœur se gonfle et se contracte!)
Je vous lègue, en tout et pour tout, Moi-même, avec promesse de ne vous abandonner jamais,
En foi de quoi je signe mon nom,
EN COMMENÇANT MES ÉTUDES
En commençant mes études le premier pas ma plu si fort,
Le simple fait de la conscience, ces formes, la motilité,
Le moindre insecte ou animal, les sens, la vue, lamour,
Le premier pas, dis-je, ma frappé dun tel respect et plu si fort,
Que je ne suis guère allé et nai guère eu envie daller plus loin,
Mais de marrêter à musarder tout le temps pour chanter cela en chants extasiés.
EN TOURNÉES A TRAVERS LES ÉTATS
En tournées à travers les Etats nous partons,
(Oui, à travers le monde, sous limpulsion de ces chants,
Voguant dici vers toutes les terres, vers toutes les mers),
Nous qui sommes prêts à apprendre de tous, à enseigner tous et à aimer tous.
Nous avons observé les saisons qui se donnent et qui passent,
Et nous avons dit: Pourquoi un homme ou une femme ne ferait-il pas autant que les saisons, et ne sépancherait-il pas aussi bien?
Nous nous arrêtons un moment dans chaque ville et chaque bourg,
Nous traversons le Canada, le Nord-Est, lample vallée du Mississipi, et les Etats du Sud,
Nous abordons sur un pied dégalité chacun des Etats,
Nous faisons lépreuve de nous-mêmes et nous invitons les hommes et les femmes à entendre,
Nous nous disons à nous-mêmes: Souviens-toi, naie crainte, sois sincère, promulgue le corps et lâme,
Demeure un moment et poursuis ton chemin, sois copieux, sobre, chaste, magnétique,
Et que ce que tu répands revienne ensuite comme les saisons reviennent,
Et puisses-tu être autant que les saisons.
JENTENDS CHANTER LAMÉRIQUE
Jentends chanter lAmérique, jentends ses diverses chansons,
Celles des ouvriers, chacun chantant la sienne joyeuse et forte comme elle doit lêtre,
Le charpentier qui chante la sienne en mesurant sa planche ou sa poutre,
Le maçon qui chante la sienne en se préparant au travail ou en le quittant,
Le batelier qui chante ce qui est de sa partie dans son bateau, le marinier qui chante sur le pont du vapeur,
Le cordonnier qui chante assis sur son banc, le chapelier qui chante debout,
Le chant du bûcheron, celui du garçon de ferme en route dans le matin, ou au repos de midi ou à la tombée du jour,
Le délicieux chant de la mère, ou de la jeune femme à son ouvrage, ou de la jeune fille qui coud ou qui lave,
Chacun chantant ce qui lui est propre à lui ou à elle et à nul autre,
Le jour, ce qui appartient au jourle soir, un groupe de jeunes gars, robustes, cordiaux,
Qui chantent à pleine voix leurs mélodieuses et mâles chansons.
NE ME FERMEZ PAS VOS PORTES
Ne me fermez pas vos portes, orgueilleuses bibliothèques,
Car ce qui manquait sur tous vos rayons chargés, et dont on a pourtant le plus besoin, je lapporte;
Surgi de la guerre, jai fait un livre,
Les mots de mon livre ne sont rien, ce à quoi je veux en venir est tout,
Un livre à part, qui est sans lien avec les autres et nest point perçu par lintellect,
Mais vous, forces latentes quon tait, vous en pénétrerez toutes les pages.
UNE FEMME MATTEND
Une femme mattend, elle contient tout, rien ne fait défaut,
Cependant tout ferait défaut si le sexe manquait, ou si manquait pour lhumecter lhomme quil faut.
Le sexe contient tout, les corps et les âmes,
Les intentions, les preuves, la pureté, la délicatesse, les résultats, les promulgations,
Les chants, les ordres, la santé, lorgueil, le mystère de la maternité, le lait séminal,
Tous les espoirs, les bienfaits et les dons, toutes les passions, les tendresses, les beautés, tous les plaisirs de la terre,
Tous les gouvernements, les juges, les dieux, les puissants de la terre,
Tout cela est contenu dans le sexe, en fait partie et le justifie.
Sans honte lhomme qui me plaît connaît et avoue la sensation délicieuse de son sexe,
Sans honte la femme qui me plaît connaît et avoue les délices du sien.
Dorénavant je mécarterai des femmes insensibles,
Jirai demeurer avec celle qui mattend, avec ces femmes qui ont le sang chaud et qui sont capables de me satisfaire,
Je vois que celles-là me comprennent et ne me repoussent pas,
Je vois quelles sont dignes de moi, je serai donc le robuste époux de ces femmes.
Elles ne sont pas dun iota inférieures à moi,
Elles ont le visage tanné par les soleils rutilants et les vents qui soufflent,
Leur chair a lantique souplesse et vigueur divine,
Elles savent nager, ramer, monter à cheval, lutter, tirer, courir, frapper, battre en retraite, savancer, résister et se défendre,
Elles sont extrêmes dans laffirmation de leurs droitselles sont calmes et claires, en pleine possession delles-mêmes.
Je vous attire contre moi, ô femmes,
Je ne puis vous laisser partir, je voudrais vous faire du bien,
Je suis fait pour vous, et vous êtes faites pour moi, et ce nest pas de nous seuls quil sagit, mais dautres êtres,
Car, enveloppés en vous, dorment de plus grands héros et de plus grands bardes,
Qui refusent de séveiller au contact dun autre homme que moi.
Cest moi qui viens, femmes, je mouvre un passage,
Je suis sévère, âpre, large, inflexible, mais je vous aime,
Je ne vous fais pas plus de mal quil nest nécessaire pour vous,
Je verse la liqueur doù sortiront des fils et des filles à la mesure de ces Etats, je pèse dun muscle lent et rude,
Je me noue de toute ma force, je nécoute aucune prière,
Je nose pas me retirer avant davoir déposé ce qui sétait depuis si longtemps accumulé en moi.
A travers vous je fais couler les ruisseaux emprisonnés de mon être,
Jenferme en vous un millier dannées du futur,
Je greffe sur vous les greffes de ce quil y a de plus cher pour moi et pour lAmérique,
Les gouttes que je distille en vos corps feront germer des femmes impétueuses et athlétiques, des artistes, des musiciens et des chantres nouveaux,
Les enfants que je procrée de vous doivent procréer des enfants à leur tour,
Je prétendrai alors que des hommes et des femmes accomplis sortent de mes épanchements damour,
Jattendrai deux quils sentraiment avec dautres, comme moi et vous nous nous entraimons maintenant,
Je compterai sur les fruits qui naîtront de leurs ondées ruisselantes, comme je compte sur les fruits qui naîtront des ondées ruisselantes que je dispense en ce moment,
Je serai dans lexpectative des moissons damour qui lèveront des naissances, des vies, des morts, des immortalités quaujourdhui je plante si amoureusement.
SORTIE DE LA FOULE, OCÉAN QUI ROULE
SORTIE DE LA FOULE, OCÉAN QUI ROULE
Sortie de la foule, océan qui roule, une goutte sest doucement approchée de moi,
Et ma murmuré: Je taime, je mourrai bientôt,
Jai accompli un long voyage uniquement pour te contempler, te toucher,
Car je ne pourrais pas mourir avant de tavoir une fois contemplé,
Et jaurais eu peur de te perdre plus tard.
A présent que nous nous sommes rencontrés, que nous nous sommes regardés, nous pouvons être tranquilles,
Retourne en paix à locéan, ma bien-aimée,
Moi aussi je fais partie de cet océan, ma bien-aimée, nous ne sommes pas tellement séparés,
Regarde le grand globe terrestre, la cohésion de tout, comme tout cela est parfait!
Quant à moi et à toi, si la mer irrésistible doit nous séparer,
Et pour une heure nous emporter vers des points contraires, elle ne peut cependant nous tenir à jamais éloignés lun de lautre;
Ne sois pas impatienteun petit momentsache-le, je salue lair, locéan et la terre,
Chaque jour au coucher du soleil, pour ta chère vie, mon aimée.
COMBIEN DE TEMPS FUMES-NOUS TROMPÉS NOUS DEUX
Combien de temps fûmes-nous trompés, nous deux!
Aujourdhui métamorphosés, nous nous évadons promptement comme la Nature sévade,
Nous sommes la Nature, longtemps nous avons été absents, mais à présent nous revenons,
Nous devenons plantes, troncs, feuillages, racines, écorce,
Nous sommes encastrés dans le sol, nous sommes rochers,
Nous sommes chênes, nous poussons côte à côte dans les clairières,
Nous broutons, nous sommes deux bêtes sauvages, mêlées aux troupeaux, primesautières à légal des autres,
Nous sommes deux poissons nageant de conserve dans la mer,
Nous sommes ce que sont les fleurs de lacacia, nous laissons tomber des senteurs par les chemins, de laube au crépuscule,
Nous sommes également lordure grossière des bêtes, des plantes, des minéraux,
Nous sommes deux éperviers adonnés aux rapines, nous planons dans lair et regardons en bas,
Nous sommes deux soleils resplendissants, cest nous qui nous balançons arrondis et stellaires, nous sommes tels que deux comètes,
Nous rôdons dans les bois, quadrupèdes armés de griffes, nous bondissons sur notre proie,
Nous sommes deux nuages voyageant là-haut, les matins et les soirs,
Nous sommes des mers qui se mêlent, nous sommes deux de ces vagues joyeuses qui roulent lune sur lautre et sentrinondent,
Nous sommes neige, pluie, froid, ténèbres, nous sommes chaque produit et chaque influence du globe,
Nous avons fait des tours et des tours, tous les deux, avant de nous retrouver de nouveau chez nous,
Nous avons épuisé tout hormis la liberté, tout hormis notre propre joie.
JE VOUS AI ENTENDUS, DOUX ET SOLENNELSCHANTS DE LORGUE
Je vous ai entendus, doux et solennels chants de lorgue, dimanche dernier comme je passais le matin devant léglise,
Vents dautomne, jai entendu en traversant les bois à la brune vos soupirs qui se prolongeaient là-haut si désolés,
Jai entendu à lopéra chanter labsolu ténor italien, jai entendu chanter le soprano au milieu dun quartette;
Cœur de mon aimée! Toi aussi je tai entendu murmurer tout bas à travers lun de ses poignets passé autour de ma tête,
Jai entendu cette nuit, lorsque tout était silencieux, ton battement faire tinter des clochettes à mon oreille.
POUR TOI, O DÉMOCRATIE
Oui, je ferai le continent indissoluble,
Je ferai la plus splendide race sur laquelle le soleil ait brillé,
Je ferai de divines terres magnétiques,
Avec laffection des camarades,
Avec laffection pour toute la vie des camarades.
Je planterai le compagnonnage aussi serré que des arbres le long de tous les fleuves dAmérique et des rivages des grands lacs et sur la surface entière des prairies,
Je rendrai inséparables les cités, leurs bras passés autour du cou lune de lautre,
Par laffection des camarades,
Par la mâle affection des camarades.
Pour toi ces poèmes sortis de moi, ô Démocratie, pour te servir, ma femme!
Oui, pour toi, cest pour toi que je module ces chants.
CHRONIQUEURS DES ÂGES FUTURS
Chroniqueurs des âges futurs,
Tenez, je veux vous faire pénétrer sous cette enveloppe impassible, je veux vous apprendre ce que vous devrez dire de moi:
Publiez mon nom et accrochez mon portrait comme celui de lami le plus tendre,
Portrait de lami, du cher camarade dont son ami, son cher camarade était le plus épris,
Qui nétait pas orgueilleux de ses chants, mais de limmesurable océan damour qui refluait en dedans de lui, et lépanchait sans compter,
Qui souvent se promenait en des chemins solitaires en songeant à ses amis chers, à ses tendres compagnons,
Qui, tristement songeur loin de celui quil aimait, passa souvent des nuits sans sommeil et chagrines,
Qui connut trop bien la mortelle, mortelle crainte que celui quil aimait pût être secrètement indifférent envers lui,
Dont les jours les plus heureux se passèrent très loin à travers champs, dans les bois, sur les coteaux, à errer avec un autre la main dans la main, tous deux isolés des hommes,
Qui souvent flâna dans les rues, entourant de son bras lépaule dun ami, et le bras de son ami également appuyé sur la sienne.
VOUS NE TROUVEREZ ICI QUE DES RACINES
Vous ne trouverez ici que des racines et des feuilles mêmes,
Des senteurs rapportées des bois sauvages et des étangs aux hommes et aux femmes,
De la surelle excrue sur un sein et des œillets damour, des doigts qui senroulent plus étroitement que la vigne,
Des ramages jaillis de la gorge des oiseaux cachés dans le feuillage, à lheure où le soleil est levé,
Des brises de la terre et de lamour soufflées des rivages vivants vers vous portés sur la mer vivante, vers vous, ô marins!
Des baies amollies par le gel et des ramilles de Mars offertes toutes fraîches aux jeunes gens qui errent dans la campagne au temps où lhiver sadoucit,
Des bourgeons damour mis devant vous et en dedans de vous, qui que vous soyez,
Bourgeons qui souvriront aux mêmes conditions que toujours:
Si vous leur versez la chaleur du soleil ils souvriront pour vous verser forme, couleur et parfum,
Si vous devenez laliment et londée, ils deviendront des fleurs, des fruits, de hautes branches et des arbres.
CITÉ DORGIES
Cité dorgies, de balades et de joies,
Cité qui sera fameuse un jour parce quau cœur de toi jai vécu et chanté,
Ce ne sont pas tes pompes, tes tableaux mouvants ni tes spectacles qui me payent de retour,
Ni les rangées interminables de tes maisons, ni les navires aux quais,
Ni les défilés dans les rues, ni les vitrines brillantes remplies de marchandises,
Ni de converser avec des gens instruits, ni de prendre part aux soirées et aux fêtes,
Non, pas cela,mais lorsque je passe, ô Manhattan, le fréquent et rapide éclair des yeux qui moffrent laffection,
Qui répondent aux miens,voilà ce qui me paye de retour,
Seuls, des amis, un perpétuel cortège damis, me payent de retour.