Poèmes de Walt Whitman - Уолт Уитмен 2 стр.


A UN ÉTRANGER

Etranger qui passes! Tu ne sais pas avec quel désir ardent je te regarde,
Tu dois être sûrement celui que je cherchais ou celle que je cherchais (cela me revient comme le souvenir dun rêve),
Jai sûrement vécu une vie de joie quelque part avec toi,
Tout sévoque au moment où nous passons rapidement lun près de lautre, fluides, affectueux, chastes, mûrs,
Tu as grandi avec moi, tu as été un garçon ou une fillette avec moi,
Jai mangé et jai dormi avec toi, ton corps a cessé dêtre uniquement ta chose et na pas permis au mien dêtre uniquement ma chose,
Et tu me donnes le plaisir de tes yeux, de ton visage, de ta chair, lorsque nous nous croisons, et tu prends en échange celui de ma barbe, de ma poitrine, de mes mains,
Je ne te parlerai pas, je penserai à toi quand je serai seul ou quand je méveillerai seul la nuit,
Jattendrai, je ne doute pas que nous nous rencontrerons une autre fois,
Je prendrai garde à ne pas te perdre.

EN CE MOMENT OU JE SUIS SEUL

En ce moment où je suis seul, gros de pensées et de désirs,
Il me semble quil y a dautres hommes en dautres contrées pareillement gros de pensées et de désirs,
Il me semble quen promenant mes regards au loin je puis les apercevoir en Allemagne, en Italie, en France, en Espagne,
Ou là-bas loin, très loin, en Chine ou en Russie ou au Japon, parlant dautres dialectes,
Et il me semble que si je pouvais connaître ces hommes-là, je mattacherais à eux comme je le suis aux hommes de mon pays,
Oh! je sais que nous serions frères et amis,
Je sais que je serais heureux avec eux.

EN FENDANT DE LA MAIN LHERBE DES PRAIRIES

En fendant de la main lherbe des prairies et en respirant son odeur particulière,
Je lui demande des concordances spirituelles,
Je demande le plus copieux et le plus étroit compagnonnage entre les hommes,
Je demande que sélèvent les brins dherbe des mots, des actes, des individus,
Ceux du plein air, rudes, ensoleillés, frais, nourrissants,
Ceux qui vont leur chemin, le torse droit, qui savancent avec liberté et autorité, qui précèdent au lieu de suivre,
Ceux quanime une audace indomptable, ceux dont la chair est forte et pure, exempte de taches,
Ceux qui regardent nonchalamment en plein visage les Présidents et les gouverneurs, comme pour leur dire: Qui êtes-vous?
Ceux que remplit une passion sortie de la terre, les simples, les sans-gêne, les insoumis,
Ceux de lAmérique intérieure.

DÉBORDANT DE VIE A CETTE HEURE

Débordant de vie à cette heure, dense et visible,
Dans ma quarantième année, lan quatre-vingt-trois de ces Etats,
A quelquun qui vivra dans un siècle dici ou dans nimporte quel nombre de siècles,
A vous qui nêtes pas encore né, jadresse ces chants, mefforçant de vous atteindre.

Quand vous lirez ceci, moi qui étais visible alors, serai devenu invisible;
Alors ce sera vous, dense et visible, qui vous rendrez compte de mes poèmes, qui vous efforcerez de matteindre,
Vous figurant combien vous seriez heureux si je pouvais être avec vous et devenir votre camarade;
Quil en soit alors comme si jétais avec vous. (Ne soyez pas trop certain que je ne suis pas avec vous à cette heure.)

SUR LE BAC DE BROOKLYN

1

Marée montante au-dessous de moi! Je te vois face à face!
Nuages de louest, soleil là-bas pour une demi-heure encore, je vous vois aussi face à face.

Foules dhommes et de femmes vêtus de vos habits ordinaires, combien curieux vous êtes pour moi!
Ceux qui, par centaines et centaines, passent sur les bacs pour regagner leur logis sont plus curieux à mes yeux que vous ne le supposez,
Et vous qui passerez dun rivage à lautre dans des années dici, vous êtes davantage pour moi et davantage dans mes méditations que vous ne pourriez le supposer.

2

Je songe à limpalpable aliment que je reçois de toutes choses à chaque heure du jour,
Au plan simple, compact, solidement assemblé, le plan dont moi-même je suis séparé, dont chacun est séparé, tout en en faisant partie,
Aux similitudes du passé et à celles du futur,
Aux gloires enfilées comme des perles aux moindres choses que je vois ou entends, lorsque je me promène dans la rue et que je traverse la Rivière,
Au courant qui si impétueusement se précipite et qui nage avec moi bien loin,
Aux autres qui doivent me suivre, aux liens entre eux et moi,
A la certitude quil en viendra dautres, dautres avec leur vie, leur amour, dautres qui verront et qui entendront.

Dautres franchiront les portes du bac et traverseront dune rive à lautre,
Dautres observeront la course du flot montant,
Dautres verront les vaisseaux de Manhattan au nord et à louest, et les hauteurs de Brooklyn au sud et à lest,
Dautres verront les îles grandes et petites,
Dans cinquante ans dici, dautres les verront en faisant le passage, le soleil pour une demi-heure encore là-bas,
Dans cent ans dici ou dans autant de siècles que ce soit, dautres les verront,
Jouiront du coucher du soleil, de lafflux de la marée montante, du reflux dévalant vers la mer.

3

Cela ny fait rien, le temps ou le lieula distance ny fait rien,
Je suis avec vous, hommes et femmes dune génération ou dautant de générations que ce soit après moi,
Tout comme vous, ce que vous ressentez lorsque vous contemplez la Rivière et le ciel, je lai ressenti,
Tout comme nimporte lequel dentre vous fait partie dune foule vivante, jai fait partie dune foule,
Tout comme vous qui êtes rafraîchi par la joie de la Rivière et du flot clair, jai été rafraîchi,
Tout comme vous qui vous tenez debout appuyé contre la lisse et êtes cependant emporté avec le courant rapide, je me suis tenu à la même place et jai été cependant emporté,
Tout comme vous regardez les innombrables mâts des navires et les cheminées des vapeurs pressées comme des troncs,jai regardé, moi aussi.

Moi aussi, maintes et maintes fois, jai traversé la Rivière jadis,
Jai observé les mouettes en décembre, je les ai vues planer haut dans lair sur leurs ailes immobiles en balançant leur corps,
Jai vu comment le jaune étincelant éclairait des parties de leur corps et laissait le reste dans lombre opaque,
Je les ai vues décrire des cercles lents et séloigner graduellement vers le midi,
Jai vu la réflexion dans leau du ciel dété,
Jai eu les yeux éblouis par la traînée scintillante des rayons,
Jai regardé les beaux rais centrifuges de lumière autour de limage de ma tête ensoleillée,
Contemplé la brume enveloppant les collines du côté du sud et du sud-ouest,
Contemplé les vapeurs qui senvolaient en flocons teintés de violet,
Dirigé mes regards vers la baie inférieure pour observer larrivée des vaisseaux,
Je les ai vus approcher, jai vu ce qui se faisait à bord de ceux qui passaient près de moi,
Jai vu les voiles blanches des goélettes et des sloops, jai vu les navires à lancre,
Les matelots à lœuvre dans les haubans ou à califourchon sur les vergues,
Les mâts ronds, le balancement des coques, les minces flammes serpentines,
Les grands et les petits vapeurs en marche, les pilotes dans leur cabine,
Le sillage blanc laissé par leur passage, le tournoiement rapide et frémissant des aubes,
Les pavillons de toutes les nations, quon amène au coucher du soleil,
Les vagues dentelées dans le crépuscule, les calices qui se creusent, les gambades des crêtes et leur chatoiement,
Létendue au loin devenant de plus en plus sombre, les murs gris des entrepôts de granit aux docks,
Sur la Rivière un groupe formant tache dombre, le grand remorqueur flanqué de gabares collées à lui de chaque côté, le bateau à foin, lallège attardée,
Sur la rive voisine les flammes vomies par les cheminées des fonderies brûlant hautes et coruscantes dans la nuit,
Projetant leurs vacillements noirs contrastés de furieuses lueurs rouges et jaunes sur le sommet des maisons et jusque dans les rues en crevasses.

4

Tout cela et bien dautres spectacles ont été pour moi la même chose quils sont pour vous,
Jai adoré ces villes, jai adoré la majestueuse et rapide Rivière,
Les hommes et les femmes que je voyais ont tous été proches de moi,
Les autres de mêmeles autres qui tournent leurs regards en arrière vers moi parce que jai regardé en avant vers eux,
(Le temps viendra, quoique je marrête ici aujourdhui et ce soir.)

5

Quy a-t-il donc entre nous?
Quel est le compte des vingtaines ou des centaines dannées qui entre nous sétendent?
Quel quil soit, cela ne fait rienla distance ne fait rien et le lieu ne fait rien,
Moi aussi jai vécu et Brooklyn aux amples collines a été mien,
Moi aussi je me suis promené dans les rues de lîle Manhattan, et baigné dans les eaux qui lentourent,
Moi aussi jai senti sagiter en moi de brusques, détranges doutes,
Le jour parmi la foule des gens parfois ils mont assailli,
Quand je rentrais à pied chez moi tard dans la soirée ou quand jétais couché dans mon lit, ils mont assailli,
Moi aussi jétais un fragment solidifié de cette fonte éternellement en fusion quest le flot mouvant des choses,
Moi aussi javais reçu lidentité par mon corps,
Ce que jétais, jai su que je létais par mon corps, et ce que je serais, jai su que je le serais par mon corps.

6

Ce nest pas sur vous seuls que tombent les lambeaux dombre,
Lombre a jeté ses lambeaux également sur moi,
Le meilleur de ce que javais fait me semblait alors vide et douteux,
Mes grandes pensées, que du moins je supposais telles, ne se prouvaient-elles pas mesquines en réalité?
Et ce nest pas vous seul qui savez ce que cest que dêtre mauvais,
Je suis celui qui a su ce que cétait que dêtre mauvais,
Moi aussi jai noué lantique nœud des contradictions,
Jai bavardé, rougi de honte, conçu de lirritation, menti, volé, porté de lenvie,
Jai eu de la ruse, de la colère, de la concupiscence, des ardeurs de désir dont je nosais pas parler,
Jai été entêté, vain, avide, borné, sournois, lâche, méchant,
Le loup, le serpent, le pourceau nétaient pas absents de moi,
Le regard fourbe, le mot léger, le désir adultère ne manquaient pas non plus,
Refus, haines, atermoiements, bassesse, fainéantise, rien de tout cela nétait absent,
Jai été comme les autres, me suis mêlé aux jours et aux fortunes des autres,
Jai été appelé par mon plus petit nom par des jeunes gens aux voix claires et fortes, lorsquils me voyaient approcher ou passer,
Jai senti le contact de leurs bras autour de mon cou quand jétais debout ou de leur chair négligemment appuyée contre moi quand jétais assis,
Jai vu nombre de gens que jaimais dans la rue, sur le bac ou dans la réunion publique, et cependant ne leur ai jamais adressé la parole,
Jai vécu la même vie que les autres, la même éternelle vie de rire, de grignotage et de sommeil,
Jai joué le rôle qui marque toujours sur lacteur ou lactrice,
Le même vieux rôle, le rôle qui est ce que nous le faisons, aussi grand que nous le voulons,
Ou aussi petit que nous le voulons, ou tout à la fois grand et petit.

7

Je viens plus près de vous encore,
Quoi que vous pensiez de moi, en ce moment, je lai également pensé de vous, jai amassé mes provisions davance,
Jai réfléchi longtemps et sérieusement à vous avant que vous ne veniez au monde.

Qui pouvait savoir ce qui devait me toucher?
Qui sait si en ce moment même je ne jouis pas de tout cela?
Qui sait si, en dépit de toute la distance, je ne suis pas maintenant comme si je vous regardais, malgré que vous ne puissiez me voir?

8

Ah! quest-ce qui pourrait jamais être plus imposant et plus admirable pour moi que Manhattan à la ceinture de mâts?
Que la Rivière, le soleil couchant et les vagues dentelées de la marée montante?
Que les mouettes balançant leur corps, le bateau à foin dans le crépuscule, et lallège attardée?
Quels dieux peuvent dépasser ceux-là qui métreignent la main et qui, dune voix que jadore, sempressent de mappeler tout haut par mon plus petit nom lorsque japproche?
Quoi de plus subtil que cela qui mattache à la femme ou à lhomme qui me regarde au visage?
Que cela qui me transfuse en vous à cette minute et verse en votre être mon intention?

Alors nous nous comprenons, nest-ce pas?
Ce que je vous ai promis sans le nommer, ne lavez-vous pas accepté?
Ce que létude ne pourrait enseignerce que le prêche ne pourrait accomplir, est donc accompli, nest-ce pas?

9

Coule toujours, Rivière! Monte avec le flux et dévale avec le reflux!
Gambadez encore, vagues, avec vos dentelures et vos crêtes!
Glorieux nuages du couchant! Inondez-moi de votre splendeur, moi ou les hommes et les femmes de générations après moi!
Passez dune rive à lautre, foules innombrables de passagers!
Dressez-vous, mâts élancés de Manhattan! Dressez-vous, collines admirables de Brooklyn!
Palpite, cerveau curieux et frustré! Darde des questions et des réponses!
Arrête-toi ici et partout, éternel flot des choses en fusion!
Rassasiez-vous, yeux aimants et assoiffés, dans les demeures, les rues ou les assemblées!
Retentissez, voix des jeunes hommes! Sonores et musicales, appelez-moi par mon plus petit nom!
Vis, vieille vie! Joue le rôle qui marque sur lacteur ou lactrice!
Joue léternel rôle, le rôle qui est grand ou petit selon ce que nous le faisons!
Examinez, vous qui me lisez, sil ne se peut pas que je sois en train de vous regarder par des voies inconnues;
Sois solide, lisse qui surplombe la Rivière, pour soutenir ceux qui sappuient nonchalamment et qui cependant sont emportés avec le courant rapide;
Volez encore, oiseaux de mer! Volez de côté ou tournoyez en larges cercles hauts dans lair;
Reflète le ciel dété, eau, et retiens-le fidèlement jusquà ce que tous les regards penchés vers toi aient eu le temps de te le prendre!
Divergez, beaux rais de lumière, de limage de ma tête ou de la tête de quiconque, dans leau ensoleillée!
Avancez-vous encore, navires venus de la baie inférieure!
Passez et repassez, goélettes aux voiles blanches, sloops, allèges!
Flottez au vent, pavillons de toutes les nations! Soyez amenés ponctuellement au coucher du soleil!
Lancez haut vos flammes, cheminées des fonderies!
Projetez vos lueurs jaunes et rouges sur le faîte des maisons!
Apparences, maintenant aussi bien que désormais, indiquez ce que vous êtes,
Et toi, membrane nécessaire, continue denvelopper lâme,
Quà mon corps, pour ce qui est de moi, et quau vôtre, pour ce qui est de vous, soient attachés nos plus divins arômes,
Prospérez, villesamenez vos marchandises, déroulez vos spectacles, amples et suffisantes Rivières,
Epands-toi, chose quaucune autre peut-être ne dépasse en spiritualité,
Conservez vos places, objets que nuls autres ne dépassent en solidité.

Vous avez attendu, vous attendez toujours, vous autres, ministres admirables et muets,
Nous vous recevons enfin dans un libre sentiment et sommes désormais insatiables,
Vous ne pourrez plus nous frustrer ni vous dérober à nous,
Nous vous employons et nous ne vous rejetons pasnous vous plantons en nous-mêmes pour y rester,
Nous ne vous sondons pasnous vous chérissonsil y a de la perfection en vous aussi,
Vous apportez votre contribution en vue de léternité,
Grande ou petite, vous apportez votre contribution en vue de lâme.

UN CHANT DE JOIES

UN CHANT DE JOIES

Oh faire le chant le plus gonflé dallégresse!
Rempli de musiquerempli de tout ce qui est lhomme, la femme, lenfant!
Rempli doccupations communesrempli de grains et darbres.

Oh faire une place aux cris des animauxOh à la promptitude et léquilibre des poissons, si je pouvais!
Oh faire entrer dans un chant les gouttes de pluie qui tombent!
Oh faire entrer le soleil et le mouvement des vagues dans un chant!

O la joie de mon espritil sest envolé de sa cageil fend lespace comme léclair!
Il ne me suffit pas davoir à ma disposition ce globe ou une certaine portion du temps,
Je veux avoir des milliers de globes et le temps tout entier.
O les joies du mécanicien! Etre emporté sur une locomotive!
Entendre le chuintement de la vapeur, le cri perçant et joyeux, le sifflet, le rire de la locomotive!
Foncer avec un élan irrésistible et sélancer à toute vitesse dans les lointains.

O la flânerie enchanteresse par les champs et les coteaux!
Les feuilles et les fleurs des herbes les plus communes, le frais silence moite des bois,
Lodeur délicieuse de la terre à laurore et durant toute la matinée.

O les joies du cavalier et de lécuyère!
Etre en selle, galoper ferme sur les arçons, sentir lair frais en murmurant vous frapper les oreilles et les cheveux.

O les joies du pompier!
Jentends sonner lalarme au fort de la nuit,
Jentends des cloches, des cris! Je dépasse la foule, je me précipite!
La vue des flammes me rend fou de plaisir.

O la joie du lutteur aux muscles solides qui sérige dans larène, parfaitement en forme, conscient de sa puissance, avide de se mesurer avec son adversaire.

O la joie de cette vaste sympathie élémentaire que seule lâme humaine est capable dengendrer et démettre à flots ininterrompus et sans limites.

O les joies de la mère!
Les veilles, la patience, lamour précieux, langoisse, lexistence calmement donnée.

O la joie de saccroître, de pousser, de se rétablir,
La joie de calmer et de verser la paix, la joie de la concorde et de lharmonie.

Oh retourner aux lieux où je suis né,
Pour entendre encore les oiseaux chanter,
Pour rôder encore autour de la maison et de létable, pour courir encore par les champs,
Pour faire encore le tour du verger, pour suivre encore les vieux chemins.

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