Comme qui dirait le lieu. Attendu que cela tourne et traverse tout, on l'appelle pôle. Une fois bâti et fortifié par vous, on l'appellera police. Alors vous régnerez sur les hommes, ainsi que sur les sauterelles; et les dieux, vous les ferez mourir de faim comme les Mèliens.
LA HUPPEDe quelle manière?
PISTHÉTÆROSL'air est entre le ciel et la terre; et de même que, quand nous voulons aller à Delphoe, nous demandons passage aux Boeotiens, ainsi, quand les hommes sacrifieront aux dieux, si les dieux ne nous paient pas tribut, votre ville, étrangère pour eux, et l'espace empêcheront de monter la fumée des cuisses.
LA HUPPEIou! Iou! Par la Terre, les filets, les nuées, les rets, je n'ai jamais entendu dessein mieux imaginé. Aussi suis-je tout prêt à bâtir la ville avec toi, si le projet a l'approbation des autres oiseaux.
PISTHÉTÆROSQui donc leur exposera l'affaire?
LA HUPPEToi. Jadis ils étaient barbares; mais moi je leur ai enseigné le langage, depuis mon long séjour avec eux.
PISTHÉTÆROSComment les convoqueras-tu?
LA HUPPEAisément. Je vais entrer tout de suite dans le taillis, éveiller ma chère Aèdôn, et nous leur ferons appel. Dès qu'ils auront entendu notre voix, ils voleront ici à tire-d'ailes.
PISTHÉTÆROSO toi, le plus aimable des oiseaux, ne tarde pas davantage. Je t'en prie, entre au plus vite dans le taillis, et éveille Aèdôn.
LA HUPPEAllons, ma compagne, cesse de sommeiller; fais jaillir de ta bouche divine les notes des hymnes sacrés; gémis sur mon fils et le tien, le déplorable Itys, en gazouillements harmonieux, sortis de ton bec agile. Ta voix pure monte à travers le smilax couronné de feuillage, jusqu'au trône de Zeus où Phoebos à la chevelure d'or répond à tes élégies par le son de sa lyre d'ivoire et préside aux danses des dieux; et de leurs bouches immortelles s'élance le concert plaintif des bienheureuses divinités. (On entend le son d'une flûte.)
PISTHÉTÆROSO Zeus souverain! quelle voix charmante pour un si petit oiseau! Quelle douceur de miel répandue sur le taillis entier!
EVELPIDÈSHolà!
PISTHÉTÆROSQu'y a-t-il? Te tairas-tu?
EVELPIDÈSPourquoi?
PISTHÉTÆROSLa Huppe prépare de nouveaux chants.
LA HUPPE, dans le taillisEpopopopopopopopopopoï! Io, Io! Venez, venez, venez, venez, venez ici, ô mes compagnons ailés; vous qui paissez les sillons fertiles des laboureurs, tribus innombrables de mangeurs d'orge, famille des cueilleurs de graines, au vol rapide, au gosier mélodieux; vous qui, dans la plaine labourée, gazouillez, autour de la glèbe, cette chanson d'une voix légère: «Tio, tio, tio, tio, tio, tio, tio, tio;» et vous aussi qui dans les jardins, sous les feuillages du lierre, faites entendre vos accents; et vous qui, sur les montagnes, becquetez les olives sauvages et les arbouses, hâtez-vous de voler vers mes chansons.Trioto, trioto, totobrix!Et vous, vous encore qui, dans les vallons marécageux, dévorez les cousins à la trompe aiguë, qui habitez les terrains humides de rosée et les prairies aimables de Marathôn, francolin au plumage émaillé de mille couleurs, troupe d'alcyons volant sur les flots gonflés de la mer, venez apprendre la nouvelle. Nous rassemblons ici toutes les tribus des oiseaux au long cou. Un vieillard habile est venu, avec des idées neuves et de neuves entreprises. Venez tous à cette conférence, ici, ici, ici, ici.Torotorotorotorotix. Kikkabau, kikkabau. Torotorotorotorolililix.
PISTHÉTÆROSVois-tu quelque oiseau?
EVELPIDÈSNon, par Apollôn! pas un; et pourtant je suis là bouche béante à regarder le ciel.
PISTHÉTÆROSCe n'était guère la peine, ce semble, que la Huppe allât couver dans le taillis, à la façon du pluvier.
LE PHOENIKOPTÈRETorotix, torotix.
PISTHÉTÆROSMais, mon bon, on s'avance, c'est quelque oiseau qui arrive.
EVELPIDÈSOui, de par Zeus! un oiseau. Quel est-il? N'est-ce pas un paon?
PISTHÉTÆROSLa Huppe nous le dira. Quel est cet oiseau?
LA HUPPECe n'est pas un de ces oiseaux ordinaires comme vous en voyez tous les jours, mais un oiseau de marais.
PISTHÉTÆROSOh! oh! il est beau, et d'un rouge phoenikien.
LA HUPPESans doute; aussi l'appelle-t-on Phoenikoptère.
EVELPIDÈSOhé! dis donc, toi!
PISTHÉTÆROSQu'as-tu à crier?
EVELPIDÈSUn autre oiseau que voici.
PISTHÉTÆROSPar Zeus! c'en est effectivement un autre; il doit être étranger. Quel peut être ce singulier prophète, cet oiseau de montagnes?
LA HUPPESon nom est le Mède.
PISTHÉTÆROSLe Mède! Oh! souverain Hèraklès! Comment, s'il est Mède, a-t-il pu, sans chameau, voler ici?
EVELPIDÈSEn voici un autre qui a pris une aigrette.
PISTHÉTÆROSQuel prodige est-ce là? Tu n'es donc pas la seule huppe, et il y en a une autre.
LA HUPPEMais celle-ci est née de Philoklès, par la huppe; et moi, je suis le grand-père de cette dernière: c'est comme si tu disais: «Hipponikos issu de Kallias, et Kallias d'Hipponikos.»
PISTHÉTÆROSKallias est donc un oiseau? Comme il mue!
EVELPIDÈSC'est qu'étant généreux, il est plumé par les sykophantes, et les femelles lui arrachent aussi des plumes.
PISTHÉTÆROSO Poséidôn! voici un autre oiseau de couleurs nuancées: comment l'appelle-t-on?
LA HUPPELui? Le katophagas!
PISTHÉTÆROSIl y a donc d'autres katophagas que Kléonymos?
EVELPIDÈSComment alors se fait-il, si ce n'est pas Kléonymos, qu'il ait perdu son aigrette?
PISTHÉTÆROSMais cependant que signifie cette affluence d'oiseaux à aigrettes? Viennent-ils pour le diaulos?
LA HUPPEIls font comme les Kariens, mon bon, qui habitent les aigrettes de la terre, pour cause de sûreté.
PISTHÉTÆROSO Poséidôn, ne vois-tu pas quelle terrible agglomération d'oiseaux?
EVELPIDÈSSouverain Apollôn, quelle nuée! Iou! Iou! Leurs ailes étendues ne laissent plus voir l'entrée.
PISTHÉTÆROSVoici la perdrix, et cet autre, de par Zeus! c'est le francolin; puis le pénélops, et celui-ci l'alcyon.
EVELPIDÈSEt quel est celui qui vient derrière?
PISTHÉTÆROSCelui-ci? Le kèrylos.
EVELPIDÈSCe kèrylos est donc un oiseau?
PISTHÉTÆROSEst-ce qu'il n'y a pas Sporgilos? Voici la chouette.
EVELPIDÈSQue dis-tu? Qui a donc amené une chouette à Athènes?
PISTHÉTÆROSA la suite pie, tourterelle, alouette, éléas, hypothymis, colombe, nertos, épervier, ramier, coucou, rouget, kéblépyris, porphyris, kerkhné, plongeon, pie-grièche, orfraie, pivert.
EVELPIDÈSIou! Iou! Que d'oiseaux!
PISTHÉTÆROSIou! Iou! Que de merles! Comme ils gazouillent, comme ils arrivent à grands cris!
Est-ce qu'ils nous menacent? Oh! là, là! Ils ouvrent le bec, ils nous regardent, toi et moi.
PISTHÉTÆROSCela me paraît être ainsi.
LE CHOEURPopopopopopop! Où est celui qui m'a appelé? Dans quel endroit se tient-il?
LA HUPPEJe suis ici depuis longtemps, et je ne lâche pas mes amis.
LE CHOEURTititititititititi! Quelle bonne idée as-tu à me communiquer?
LA HUPPED'un intérêt commun, sûre, juste, agréable, utile. Deux hommes d'un jugement délié sont venus ici me trouver.
LE CHOEUROù? Comment? Que dis-tu?
LA HUPPEJe dis que, de chez les hommes, deux vieillards sont venus me parler d'une affaire prodigieuse.
LE CHOEUROh! quelle faute! C'est la plus grosse depuis que je suis né! Que dis-tu?
LA HUPPEQue mes paroles ne t'effraient pas.
LE CHOEURQu'as-tu fait?
LA HUPPEJ'ai accueilli deux hommes qui désirent vivement notre alliance.
LE CHOEUREt tu as fait cela?
LA HUPPEJe l'ai fait, et je m'en réjouis.
LE CHOEUREt ils sont maintenant chez nous?
LA HUPPEComme je suis chez vous moi-même?
LE CHOEUREa! Ea! Trahison! Sacrilège! Un ami, nourri avec nous des produits de nos campagnes, a violé nos antiques lois, violé les serments des oiseaux. Il m'a attiré dans un piège, il m'a jeté en proie à une race impie qui, depuis qu'elle existe, m'a déclaré la guerre. Nous aurons, plus tard, une explication avec cet oiseau; mais il faut commencer par le châtiment de ces deux vieillards et les mettre en pièces.
PISTHÉTÆROSC'en est fait de nous!
EVELPIDÈSC'est pourtant toi seul qui es la cause de tous les maux qui nous arrivent. Pourquoi m'as-tu amené ici?
PISTHÉTÆROSAfin de t'avoir pour compagnon.
EVELPIDÈSPour me faire pleurer de grands malheurs.
PISTHÉTÆROSEn vérité, tu radotes absolument. Comment pleureras-tu donc, quand une fois tu auras les deux yeux arrachés?
LE CHOEURIo! Io! En avant, attaque, élance-toi sur l'ennemi, verse le sang, déploie tes ailes de toutes parts, enveloppe-le. Il faut qu'ils gémissent tous les deux et qu'ils servent de pâture à notre bec. Il n'y a ni montagne ombragée, ni nuage aérien, ni mer chenue, qui les dérobe à ma poursuite. Hâtons-nous de les plumer et de les déchirer. Où est le taxiarkhe? Qu'il lance l'aile droite!
EVELPIDÈSNous y voilà! Où fuirai-je, infortuné?
PISTHÉTÆROSEh! l'ami! Tu ne tiens pas bon?
EVELPIDÈSPour être écharpé par ce monde-là?
PISTHÉTÆROSEt comment te figures-tu leur échapper?
EVELPIDÈSJe ne sais pas trop comment.
PISTHÉTÆROSMoi, je te dirai qu'il faut combattre de pied ferme et prendre les marmites.
EVELPIDÈSA quoi ces marmites nous serviront-elles?
PISTHÉTÆROSLa chouette ne nous attaquera pas.
EVELPIDÈSMais ces oiseaux armés de serres crochues?
PISTHÉTÆROSEmpoigne la broche et brandis-la devant toi.
EVELPIDÈSEt mes yeux?
PISTHÉTÆROSCouvre-les avec ce vinaigrier ou avec ce plat.
EVELPIDÈSO homme de génie, quelle bonne invention, quel stratagème! Tu l'emportes sur Nikias, en fait de machines.
LE CHOEUREleleleu! En avant, bec baissé: pas de délai! tire, déchire, frappe, écorche, et casse d'abord la marmite.
LA HUPPEMais, dites-moi, vous les plus cruels de tous les animaux, pourquoi voulez-vous mettre à mal ces deux hommes qui ne vous ont rien fait, et déchirer des gens de la parenté et de la tribu de ma femme?
LE CHOEURDevons-nous les épargner plus que des loups? De quels autres plus grands ennemis tirerions-nous vengeance?
LA HUPPEMais s'ils sont vos ennemis de race, ils sont vos amis de coeur, et c'est pour vous donner un conseil utile qu'ils viennent vers vous.
LE CHOEURQuel conseil utile pourraient nous donner, quelle parole nous faire entendre, ceux qui furent les ennemis de nos pères?
LA HUPPEMais, certes, c'est de leurs ennemis que les sages apprennent le plus. La prudence sauve tout. D'un ami on n'a rien à apprendre; un ennemi vous y contraint. Et d'abord les cités ont appris de leurs ennemis, et non de leurs amis, à bâtir des murailles élevées, à construire des vaisseaux longs: et cette science sauve nos enfants, notre ménage, notre avoir.
LE CHOEUREh bien! écoutons leurs paroles, c'est notre avis: nous y trouvons avantage; on peut entendre quelque sage conseil de la bouche même de ses ennemis.
PISTHÉTÆROSIls ont l'air de se relâcher de leur colère. Retire ta jambe en arrière.
LA HUPPEC'est justice, et vous m'en devez de la reconnaissance.
LE CHOEURNon, jamais jusqu'ici, en aucune affaire, nous ne t'avons été opposés.
PISTHÉTÆROSPlus pacifique est leur conduite envers nous. La marmite et les deux plats, pose-les à terre. La lance ou plutôt la broche en main, promenons-nous à l'intérieur du camp, l'oeil sur la marmite, et de près, car il ne faut pas fuir.
EVELPIDÈSA merveille; mais, si nous mourons, en quel endroit de la terre serons-nous enterrés?
PISTHÉTÆROSLe Kéramique nous recevra. Pour être enterrés aux frais de l'État, nous dirons aux stratèges que c'est en combattant contre les ennemis que nous sommes morts à Ornéæ.
LE CHOEURQue chacun reprenne son rang à la même place; déposez votre courage et votre colère, comme un hoplite, et informons-nous quelles sont ces gens, d'où ils viennent, et dans quelle intention. Ohé! la Huppe, je t'appelle.
LA HUPPETu m'appelles, et que veux-tu savoir?
LE CHOEURQui sont ces hommes? D'où viennent-ils?
LA HUPPEDeux étrangers de la sage Hellas.
LE CHOEURQuelle aventure les a conduits chez les Oiseaux?
LA HUPPELe goût de notre genre de vie, le désir d'habiter et de rester toujours avec toi.
LE CHOEURQue dis-tu? Et quels sont leurs propos?
LA HUPPEIncroyables, inouïs.
LE CHOEURVoient-ils quel avantage peut résulter de leur séjour auprès de moi, et qui les engage à demeurer ici pour avoir de quoi vaincre leur ennemi ou rendre service à leurs amis?
LA HUPPEIls parlent d'une grande félicité, indicible, incroyable; que tout est à toi ici, là, partout, et ils s'efforcent de le prouver.
LE CHOEURSont-ils fous?
LA HUPPEOn ne peut dire combien ils sont sensés.
LE CHOEURQuoi! Ils ont leur bon sens?
LA HUPPELes plus fins renards: subtilité, astuce, rouerie, fleur de ruse de la tête aux pieds.
LE CHOEURQu'ils me parlent, qu'ils me parlent, fais-les venir. Car d'entendre d'eux les choses que tu me dis, j'en ai des ailes au dos.