Aristophane; Traduction nouvelle, tome premier - Аристофан 3 стр.


Je ne m'arrêterai pas. Ne me dis point ce que tu dis. Je te hais encore plus que Kléôn, que je couperai pour en faire des semelles aux Chevaliers. Mais je ne veux rien entendre de tes longs discours, toi qui as traité avec les Lakoniens, mais je te châtierai.

DIKÆOPOLIS

Mes amis, laissez là les Lakoniens; et, quant à mon traité, écoutez si je n'ai pas bien traité.

LE CHŒUR

Comment pourrais-tu dire que tu as bien fait, du moment que tu traites avec des gens qui n'ont ni autel, ni foi, ni serment?

DIKÆOPOLIS

Et je sais, moi, que les Lakoniens, à qui nous en voulons trop, ne sont pas les auteurs de toutes nos misères.

LE CHŒUR

Pas de toutes, scélérat! Tu as le front de nous tenir en face un pareil langage! Et je t'épargnerais!

DIKÆOPOLIS

Non, pas de toutes, pas de toutes! Et moi qui vous parle, je pourrais vous montrer que, maintes fois, c'est à eux qu'on a fait tort.

LE CHŒUR

Voilà un mot imprudent, et fait pour échauffer la bile, que tu oses nous parler ainsi des ennemis!

DIKÆOPOLIS

Et si je ne dis vrai, si le peuple ne m'approuve pas, je veux parler la tête même sur le billot.

LE CHŒUR

Dites-moi, gens du peuple, ne ménageons pas les pierres, et cardons cet homme pour le teindre en pourpre!

DIKÆOPOLIS

Quel noir tison se rallume en vous? Ne m'écouterez-vous pas, ne m'écouterez-vous pas, Akharniens?

LE CHŒUR

Nous ne t'écouterons pas, certainement.

DIKÆOPOLIS

Je vais passer par un cruel moment.

LE CHŒUR

Que je meure, si je t'écoute!

DIKÆOPOLIS

Non, de grâce, Akharniens!

LE CHŒUR

Tu vas mourir à l'instant!

DIKÆOPOLIS

Eh bien, je vais vous mordre: je vais tuer vos plus chers amis: je tiens de vous des otages, je les prends et je les égorge.

LE CHŒUR

Dites-moi, gens du peuple, que signifie cette parole menaçante contre nous les Akharniens? A-t-il en son pouvoir quelque enfant de l'un de nous, qu'il tient enfermé? D'où lui vient cette hardiesse?

DIKÆOPOLIS

Frappez, si vous voulez, je me vengerai sur ceci. (Il montre un panier.) Je saurai sans doute qui de vous a souci des charbons.

LE CHŒUR

Nous sommes perdus. Ce panier est mon concitoyen. Mais tu ne feras pas ce que tu dis: pas du tout, pas du tout.

DIKÆOPOLIS

Je l'égorgerai. Criez! Je ne vous entendrai pas.

LE CHŒUR

Tu vas tuer ce camarade, un ami des charbonniers!

DIKÆOPOLIS

Tout à l'heure, quand je parlais, vous ne m'avez pas écouté.

LE CHŒUR

Eh bien, parle à présent, si bon te semble, de Lakédæmôn et de ce que tu aimes le mieux. Jamais je n'abandonnerai ce petit panier.

DIKÆOPOLIS

Maintenant, commencez par jeter vos pierres à terre.

LE CHŒUR

Les voilà à terre; et toi, à ton tour, dépose ton épée.

DIKÆOPOLIS

Mais faites que dans vos manteaux il n'y ait pas quelque part des pierres.

LE CHŒUR

Elles ont été secouées par terre. Ne vois-tu pas nos manteaux secoués? Allons, plus de prétexte; dépose ton arme. Le secouement s'est opéré pendant notre évolution chorale.

DIKÆOPOLIS

Vous alliez tous pousser de beaux cris, et peu s'en est fallu que ces charbons du Parnès ne périssent, et cela par la folie de leurs compatriotes. La peur a fait chier sur moi à ce panier une poussière noire comme de la sépia. C'est terrible pour des hommes d'avoir dans l'âme une humeur de verjus, qui porte à battre et à crier, sans vouloir écouter raisonnablement les raisons que j'allègue, quand je veux, sur le billot même, dire tout ce que j'ai à dire au sujet des Lakédæmoniens, et cependant j'aime ma vie, moi.

LE CHŒUR

Pourquoi donc alors ne fais-tu pas placer un billot devant la porte, pour nous dire, misérable, la chose à laquelle tu attaches tant d'importance? Car j'ai grande envie de connaître tes pensées. Mais selon le mode de justice que tu as fixé, fais placer ici le billot, et prends la parole.

DIKÆOPOLIS

Eh bien, voyez: voilà le billot, et voici l'orateur, moi pauvre homme. Assurément, par Zeus! je ne me couvrirai pas d'un bouclier, mais je dirai sur les Lakédæmoniens ce qui me paraît bon. Cependant j'ai bien des craintes. Je connais l'humeur de nos campagnards, qui se gaudissent quand quelque hâbleur fait l'éloge, juste ou non, d'eux et de la ville. Et ils ne s'aperçoivent pas qu'on les a vendus. Je connais aussi l'âme des vieillards, qui ne voient pas autre chose que de mordre le monde avec leur vote. Je sais ce que j'ai eu à souffrir de Kléôn pour ma comédie de l'année dernière. Il m'a traîné devant le Conseil, me criblant de calomnies, m'étourdissant de ses mensonges, de ses cris, se déchaînant comme un torrent, fondant en déluge, à ce point que j'ai failli périr noyé dans un tas d'infamies. Et maintenant, avant que je prenne la parole, laissez-moi endosser le costume du plus misérable des êtres.

LE CHŒUR

Pourquoi ce tissu de détours, d'artifices et de retards? Emprunte-moi à Hiéronymos un casque de Hadès, aux poils sombres et hérissés; puis déploie les ruses de Sisyphos; car ce débat ne comportera pas de délai.

DIKÆOPOLIS

Voici le moment où il faut que je prenne une âme résolue. Allons tout de suite trouver Euripidès. Esclave! Esclave!

KÉPHISOPHÔN

Qui est là?

DIKÆOPOLIS

Euripidès est-il chez lui?

KÉPHISOPHÔN

Il n'y est pas et il y est, si tu n'es pas dépourvu de sens.

DIKÆOPOLIS

Comment y est-il et n'y est-il pas?

KÉPHISOPHÔN

Tout simplement, vieillard: son esprit, courant dehors après des vers, n'y est pas, mais lui-même est chez lui, juché en l'air, composant une tragédie.

DIKÆOPOLIS

O trois fois heureux Euripidès, d'avoir un esclave qui répond si sagement! Mais toi, appelle ton maître.

KÉPHISOPHÔN

C'est impossible.

DIKÆOPOLIS

Mais cependant je ne puis m'en aller. Je vais frapper à la porte. Euripidès! mon petit Euripidès! Écoute-moi, si jamais tu l'as fait pour quelqu'un. C'est Dikæopolis qui t'appelle, du dême de Khollide, moi.

EURIPIDÈS

Je n'ai pas le temps.

DIKÆOPOLIS

Hé bien, fais-toi rouler.

EURIPIDÈS

Impossible.

DIKÆOPOLIS

Mais pourtant.

EURIPIDÈS

Allons! qu'on me roule! Je n'ai pas le temps de descendre.

DIKÆOPOLIS

Euripidès!

EURIPIDÈS

Qu'est-ce que tu chantes?

DIKÆOPOLIS

Tu composes juché en l'air, quand tu peux être en bas. Il n'est pas étonnant que tu crées des boiteux. Et pourquoi as-tu ces haillons tragiques, ces vêtements pitoyables? Il n'est pas étonnant que tu crées des mendiants. Mais, je t'en prie à genoux, Euripidès, donne-moi les haillons de quelque vieux drame. J'ai à débiter au Chœur un long discours, qui me vaudra la mort, si je parle mal.

EURIPIDÈS

Quelles guenilles veux-tu? Celles que portait, dans son rôle, Œneus, cet infortuné vieillard?

DIKÆOPOLIS

Non; pas celles d'Œneus, mais d'un plus malheureux encore.

Non; pas celles d'Œneus, mais d'un plus malheureux encore.

EURIPIDÈS

De Phœnix l'aveugle?

DIKÆOPOLIS

Non, pas de Phœnix, non, mais il y en avait un autre plus malheureux que Phœnix.

EURIPIDÈS

Mais quelles sont les loques d'habits dont parle cet homme? Parles-tu de celles du mendiant Philoktétès?

DIKÆOPOLIS

Non, d'un autre, beaucoup, beaucoup plus mendiant.

EURIPIDÈS

Sont-ce les vêtements crasseux que portait le boiteux Bellérophôn?

DIKÆOPOLIS

Pas Bellérophôn. Mon homme était boiteux, mendiant, bavard, disert.

EURIPIDÈS

Je sais, le Mysien Téléphos.

DIKÆOPOLIS

Oui, Téléphos: donne-moi, je t'en prie, ses haillons.

EURIPIDÈS

Esclave, donne-moi les guenilles de Téléphos. Elles traînent au-dessus des loques de Thyestès, mêlées à celles d'Ino.

KÉPHISOPHÔN

Les voici, prends.

DIKÆOPOLIS

O Zeus, dont l'œil voit et pénètre partout, laisse-moi me vêtir comme le plus misérable des êtres. Euripidès, puisque tu m'as accordé ceci, donne-moi, comme complément de ces guenilles, le petit bonnet qui coiffait le Mysien. Il me faut aujourd'hui avoir l'air d'un mendiant, être ce que je suis, mais ne pas le paraître. Les spectateurs sauront que je suis moi, mais les khoreutes seront assez bêtes pour être dupes de mon verbiage.

EURIPIDÈS

Je te le donnerai, car ta subtilité machine des finesses.

DIKÆOPOLIS

«Sois heureux, et qu'il arrive à Téléphos ce que je souhaite. » Très bien! Comme je suis bourré de sentences! Mais il me faut un bâton de mendiant.

EURIPIDÈS

Prends, et éloigne-toi de ces portiques.

DIKÆOPOLIS

O mon âme, tu vois comme on me chasse de ces demeures, quand j'ai encore besoin d'un tas d'accessoires. Sois donc pressante, quémandeuse, suppliante. Euripidès, donne-moi une corbeille avec une lampe allumée.

EURIPIDÈS

Mais, malheureux, qu'as-tu besoin de ce tissu d'osier?

DIKÆOPOLIS

Je n'en ai pas besoin, mais je veux tout de même l'avoir.

EURIPIDÈS

Tu deviens importun: va-t'en de ma maison.

DIKÆOPOLIS

Hélas! Sois heureux comme autrefois ta mère!

EURIPIDÈS

Va-t'en, maintenant.

DIKÆOPOLIS

Ah! donne-moi seulement une petite écuelle à la lèvre ébréchée.

EURIPIDÈS

Prends, et qu'il t'arrive malheur! Sache que tu es un fléau pour ma demeure.

DIKÆOPOLIS

Oh! par Zeus! tu ne sais pas tout le mal que tu me fais. Mais, mon très doux Euripidès, plus rien qu'une marmite doublée d'une éponge.

EURIPIDÈS

Hé, l'homme! tu m'enlèves une tragédie. Prends et va-t'en.

DIKÆOPOLIS

Je m'en vais. Cependant que faire? Il me faut une chose, et, si je ne l'ai pas, c'est fait de moi. O très doux Euripidès, donne-moi cela, car je m'en vais pour ne plus revenir. Donne-moi dans mon panier quelques légères feuilles de légumes.

EURIPIDÈS

Tu me ruines. Tiens, voici; mais c'en est fait de mes drames.

DIKÆOPOLIS

C'est fini; je me retire. Je suis trop importun, je ne songe pas que «je me ferais haïr des rois». Ah! malheureux! Je suis perdu! J'ai oublié une chose dans laquelle se résument toutes mes affaires. Mon petit, mon très doux, mon très cher Euripidès, que je meure de male mort, de te demander encore une seule chose, seule, rien qu'une seule! Donne-moi du skandix, que tu as reçu de ta mère.

EURIPIDÈS

Cet homme fait l'insolent: fermez la porte au verrou.

DIKÆOPOLIS

O mon âme, il faut partir sans skandix. Ne sais-tu pas quel grand combat tu vas combattre sans doute, en prenant la parole au sujet des Lakédæmoniens? Avance, mon âme: voici la carrière. Tu hésites? N'as-tu pas avalé Euripidès? Je t'en loue. Voyons, maintenant, pauvre cœur, en avant, offre ensuite ta tête, et dis tout ce qu'il te plaira. Hardi! Allons! Marche. Je suis ravi de mon courage.

LE CHŒUR

Que vas-tu faire? Que vas-tu dire? Songe que tu es un résolu, un homme de fer qui livre sa tête à la ville, et qui va, seul, contredire tous les autres.

DEMI-CHŒUR

Notre homme ne recule pas devant l'entreprise. Allons, maintenant, puisque tu le veux, parle.

DIKÆOPOLIS

Ne m'en veuillez point, citoyens spectateurs, si, tout pauvre que je suis, je m'adresse aux Athéniens au sujet de la ville, et en acteur de trygédie. Or, la trygédie sait aussi ce qui est juste. Mes paroles seront donc amères, mais justes. Certes, Kléôn ne m'accusera point aujourd'hui de dire du mal de la ville en présence des étrangers. Nous sommes seuls: c'est la fête des Lénæa; les étrangers n'y sont pas encore; les tributs n'arrivent pas, ni les alliés venant de leurs villes. Nous sommes donc seuls et triés au volet; car les métèques, selon moi, sont aux citoyens ce que la paille est au blé.

Je déteste de tout mon cœur les Lakédæmoniens: et puisse Poséidon, le dieu du Tænaron, leur envoyer un tremblement qui renverse toutes leurs maisons! Et de fait, mes vignes ont été coupées. Mais, voyons, car il n'y a que des amis présents à mon discours, pourquoi accuser de tout cela les Lakoniens? Chez nous, quelques hommes, je ne dis pas la ville, souvenez-vous bien que je ne dis pas la ville, quelques misérables pervers, décriés, pas même citoyens, ont accusé les Mégariens de contrebande de lainage. Voyaient-ils un concombre, un levraut, un cochon de lait, une gousse d'ail, un grain de sel: «Cela vient de Mégara!» et on le vendait sur l'heure. Seulement, c'est peu de chose, et cela ne sort pas de chez nous. Mais la courtisane Simætha ayant été enlevée par des jeunes gens ivres, venus à Mégara, les Mégariens, outrés de douleur, enlèvent, à leur tour, deux courtisanes d'Aspasia; et voilà la guerre allumée chez tous les Hellènes pour trois filles. Sur ce point, du haut de sa colère, l'Olympien Périklès éclaire, tonne, bouleverse la Hellas et fait une loi qui, comme dit le skolie, interdit aux Mégariens de «séjourner sur la terre, sur l'Agora, sur la mer et sur le continent». Alors les Mégariens, finissant par mourir de faim, prient les Lakédæmoniens de faire rapporter le décret rendu à cause des filles de joie. Nous ne voulons pas écouter leurs demandes réitérées, et dès lors commence un fracas de boucliers. Quelqu'un va dire: «Il ne fallait pas»; mais que fallait-il? dites-le. Qu'un Lakédæmonien se fût embarqué pour Séripho, afin d'y enlever, sous quelque prétexte, un petit chien et de le vendre, seriez-vous restés tranquilles dans vos maisons? Il s'en faut de beaucoup. Vous auriez aussitôt mis trois cents vaisseaux à la mer: voilà la ville pleine du bruit des soldats, de clameurs au sujet du triérarkhe, des distributions de la solde, du redorage des Palladia, de bousculades sous les portiques, de mesures de vivres, d'outres, de courroies à rames, d'achats de tonneaux, de gousses d'ail, d'olives, d'oignons dans des filets, de couronnes, de sardines, de joueuses de flûte, d'yeux pochés: l'arsenal est rempli de bois à fabriquer des avirons, de chevilles bruyantes, de garnitures de trous pour la rame, de flûtes à signal, de fifres, de sifflets. Je sais que c'est cela que vous auriez fait. Et ne croyons-nous pas que Téléphos eût fait de même? Donc nous n'avons pas de sens commun.

PREMIER DEMI-CHŒUR

C'est donc comme cela, misérable, infâme? Vil mendiant, tu oses nous parler ainsi! Et s'il y a ici quelque sykophante, tu l'outrages!

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