Le fils du Soleil - Gustave Aimard 6 стр.


-Elle parle, elle vit, elle est sauvée! s'écria Sanchez.

-Qui est là? reprit-elle en se relevant à peine.

A la vue du sombre visage du bombero, elle eut un mouvement d'effroi, referma les yeux et retomba accablée.

-Rassurez-vous, mon enfant, je suis votre ami.

-Mon ami? que signifie ce mot? Y a-t-il des amis pour les esclaves? Oh! oui, continua-t-elle, parlant comme dans un rêve, j'ai bien souffert. Pourtant, autrefois, il y a longtemps bien longtemps, je me souviens d'avoir été heureuse, hélas! mais la pire infortune, c'est un souvenir de bonheur dans l'infortune.

Elle se tut. Le bombero, comme suspendu à ses lèvres, écoutait et la contemplais. Cette voix, ces traits! Un vague soupçon entra dans le coeur de Sanchez.

-Oh! parlez, parlez encore, reprit-il en adoucissant la rudesse de sa voix. Que vous rappelez-vous de vos jeunes années?

-Pourquoi, dans le malheur, songer aux joies passées. A quoi bon! ajouta-t-elle en secouant la tête avec découragement. Mon histoire est celle de tous les infortunés. Il fut un temps où, comme les autres enfants, j'avais des chants d'oiseaux pour bercer mon sommeil, des fleurs qui, au réveil me souriaient, j'avais aussi une mère qui m'aimait, qui m'embrassait, qui m'embrassait Tout cela a fui pour toujours.

Sanchez avait relevé deux perches couvertes de peaux pour la mieux abriter contre l'orage, qui s'apaisait par degrés.

-Vous êtes bon, vous; vous m'avez sauvée. Cependant, votre bonté a été cruelle: que ne me laissiez-vous mourir! Mort, on ne souffre plus. Les Pehuenches vont revenir, et alors

Elle n'acheva pas et se cacha la tête dans ses mains en sanglotant.

-Ne craignez rien, senorita; je vous défendrai.

-Pauvre homme! seul contre tous! Mais, avant ma dernière heure, écoutez, je veux soulager mon coeur. Un jour, je jouais sur les genoux de ma mère; mon père était auprès de nous avec mes deux soeurs et mes quatre frères, homme résolus qui n'en auraient pas redouté vingt. Eh bien! les Pehuenches sont accourus, ils ont brûlé notre estancia, car mon père était fermier; ils ont tué ma mère et

-Maria! Maria! s'écria le bombero, est-ce bien toi? Est-ce toi que je retrouve?

-C'est le nom que me donnait ma mère.

-C'est moi, moi, Sanchez, Sanchito, ton frère! fit le bombero rugissant presque de joie et la serrant contre sa poitrine.

-Sanchito! mon frère! Oui, oui, je me souviens, Sanchito! je suis

Elle tomba inanimée entre les bras du bombero.

-Misérable que je suis! je l'ai tuée. Maria! ma soeur chérie, reviens à toi ou je meurs!

La jeune fille rouvrit les yeux et se jeta au cou du bombero en pleurant de joie.

-Sanchito! mon bon frère! ne me quitte pas, défends-moi; ils me tueraient.

-Pauvrette, ils passeront sur mon corps avant d'arriver à toi.

-Ils y passeront donc, exclama une voix railleuse derrière la tente.

Deux hommes parurent, Pincheira et Neham-Outah. Sanchez tenant enlacée dans son bras gauche sa soeur demi-morte de frayeur, s'adossa contre un des pieux, tira son machete et se mit résolument en défense.

Neham-Outah et Pincheira, trop éclairés pour être dupes de la voix mystérieuse de Gualichu et se laisser à la panique générale, avaient toutefois fui avec leurs compagnons; mais sans être vus, ils avaient tourné bride d'un commun accord, curieux de connaître le mot de cette énigme et l'auteur de cette mystification. Il avaient assisté derrière le frère et la soeur à toute la conversation.

-Mais, dit Pincheira en riant, vous vous portez assez bien pour un mort, il me semble? Il parait canario! qu'il faut vous tuer deux fois pour être sûr que vous n'en reviendrez pas. Soyez tranquille, si mon ami vous a manqué je ne vous manquerai pas, moi.

-Que me voulez-vous? répondit Sanchez. Livrez-moi passage.

-Non pas, reprit Pincheira, ce serait d'un trop fâcheux exemple. Et tenez, ajouta-t-il en prêtant l'oreille, entendez vous ce galop de chevaux? Votre affaire est claire: voici nos mosotones qui nous rejoignent.

En effet, le bruit d'une cavalcade s'approchait de minute en minute, et aux pâles lueurs de l'aube, on distinguait dans le lointain de vagues silhouettes de nombreux cavaliers. Sanchez comprit qu'il était perdu. Il baisa une dernière fois le front blanc de sa soeur évanouie, la déposa derrière lui, fit le signe de la crois et se prépara à mourir en brave.

-Allons! dit Neham-Outah, finissons-en; on dirait que ce misérable a peur de la mort.

-Dépêchons, fit Pincheira, j'entends nos hommes, et, si nous ne nous hâtons, on nous ravira notre proie.

-Vous ne croyiez pas dire si vrai, senor Pincheira, s'écria Julian en apparaissant suivi de ses deux frères. Voyons lesquels tueront les autres!

-Merci, mes vaillants frères, dit Sanchez joyeux.

-Malédiction! jura Pincheira. Ces diables sont donc partout?

-Je ne veux pas qu'il m'échappe! murmura Neham-Outah, qui se mordit les lèvres jusqu'au sang.

-Fi donc, caballeros! cria Julian avec ironie. En garde, défendez-vous comme des hommes ou je vous tue comme des chiens.

Les fers se croisèrent, et la lutte s'engagea avec une fureur égale des deux part.

Un sourire d'ironie contracta le visage bruni des frères de Sanchez, tandis que Pincheira frappait du pied avec impatience. Le chef Indien continua sans prendre garde à ces marques d'improbation.

VI.NEHAM-OUTAH

C'était une lutte à mort qui se préparait entre les bomberos et les Indiens, ces ennemis irréconciliables; et, en cette circonstance, l'avantage semblait devoir rester aux quatre frères.

Maria revenue de son évanouissement, le coeur oppressé, regrettait de s'être réveillée.

Après le premier choc, Neham-Outah recula d'un pas, baissa son arme, fit signe à Pincheira de l'imiter et, les bras croisés sur sa poitrine, il s'avança vers les bomberos.

-Arrêtez! cria-t-il. Ce combat n'aura pas lieu; il ne convient pas à des hommes de se disputer, au prix de la vie, la possession d'une femme.

-Le sang d'un homme est précieux. Emmenez votre soeur, mes braves gens, je vous la donne; qu'elle soit heureuse avec vous!

-Notre soeur! s'écrièrent les trois jeunes gens étonnés.

-Oui, dit Sanchez. Mais quelles sont les conditions à notre retraite?

-Aucune, répondit noblement le chef.

La générosité de Neham-Outah était d'autant plus désintéressée que les bomberos, aux premiers rayons du soleil levant, aperçurent une troupe de près de mille Indiens bien équipés peints et armés en guerre, qui s'était avancée silencieuse et les entourait comme d'un cercle.

-Devons-nous, demanda Sanchez, nous fier à votre parole, et n'avons nous aucun piège à redouter?

-Ma parole, répondit l'ulmen avec hauteur, est plus sacrée que celle d'un blanc. Nous avons, comme vous, de nobles sentiments, plus que tout autre peut-être, ajouta-t-il en désignant du doigt une ligne rouge qui lui traversait le visage. Nous savons pardonner. Vous êtes libres, et nul n'inquiétera votre retraite.

Neham-Outah suivait sur la physionomie des bomberos le vol de leurs pensées. Ces derniers se sentaient vaincus par la magnanimité du cher, qui sourit d'un air de triomphe en devinant leur étonnement et leur confusion.

-Mon ami, dit-il à Pincheira, qu'on donne à ces hommes des montures fraîches.

Pincheira hésita.

-Allez! fit-il avec un geste d'une grâce suprême.

Le Chilien, à demi-sauvage, subissant malgré lui la supériorité de Neham-Outah, obéit, et cinq chevaux d'un grand prix et tout harnachés furent amenés par deux Indiens.

-Chef, dit Sanchez d'une voix légèrement émue, je ne vous remercie pas de la vie, car je ne crains pas la mort, mais, au nom de mes frères et au mien, je vous rends grâce pour notre soeur. Nous n'oublions jamais ni une injure ni un bienfait. Adieu! peut-être aurai-je un jour l'occasion de vous prouver que nous ne sommes pas ingrats.

Le chef inclina la tête sans répondre. Les bomberos, groupés autour de Maria, le saluèrent et s'éloignèrent au petit pas.

-Enfin, vous l'avez voulu, dit Pincheira, qui haussa les épaules avec dépit.

-Patience! répondit Neham-Outah d'une voix profonde.

Pendant ce temps-là, un immense bûcher avait été allumé au pied de l'arbre de Gualichu où les Indiens, dont les craintes superstitieuses s'étaient dissipées avec les ténèbres, s'étaient de nouveau réunis en conseil. A quelques pas en arrière des chefs, les cavaliers Aucas et Puelches formèrent un redoutable cordon autour du conseil, tandis que des éclaireurs patagons fouillaient le désert pour éloigner les importuns et assurer le secret des délibérations.

A l'Orient, le soleil dardait ses flammes; le désert aride et nu se mêlait à l'horizon sans bornes; au loin les Cordillères dressaient la neige éternelle de leurs sommets. Tel était le paysage, si l'on peut parler ainsi, où, près de l'arbre symbolique, se tenaient ces guerriers barbares revêtus de bizarres costumes. A ce aspect majestueux, l'on se rappelait involontairement d'autres temps, et d'autres climats, quand, à la clarté des incendies, les féroces compagnons d'Attila couraient à la conquête et au rajeunissement du monde romain.

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