- Pedro, que veux-tu que je fasse ?
- Tu es le centre de cette pièce. Cet après-midi, je veux que tu dises tes lignes, bien sûr, mais je veux que tu fasses prendre conscience aux autres que tu regardes. Aujourdhui, ils performeront pour gagner ton amour et tu dois être présente, là où ils peuvent te voir.
- Cest tout ?
- Non, ce nest pas tout. A partir de demain, je veux que tu thabilles pour le rôle. Plus de jeans et de gros pulls. Une jupe, peut-être des bottes, un haut simple. Transforme-toi en cette fille, et rends-toi désirable à ceux qui doivent te désirer. Je sais que tu es impliquée dans cette stupide compétition dans les journaux. Tu dois gagner lamour de plusieurs milliers de personnes qui ne te connaissent pas. A partir de demain, tu dois gagner lamour de ceux dentre nous, ici, qui te connaissent.
Une étrange sensation prit forme au fond de son ventre, une nécessité daccomplir ce travail. Elle comprit ce quil voulait dire, même si une partie de son intellect se révoltait contre lidée. A la télévision, elle avait gagné les cœurs de millions de personnes mais cétait le scénario qui lavait fait surmonter les difficultés et les problèmes et qui lui avait permis ensuite de survivre. Elle devait uniquement se révéler. Pedro lui demandait de gagner ce même amour, de sinvestir dans le rôle une chose quon lui avait jamais demandé de faire. Des idées se mirent à bourdonner dans sa tête. Elle sentit un sourire sur ses lèvres quelle savait avoir été déclenché par défi.
Laprès-midi était consacrée essentiellement à Linda, une femme que Mai avait vu à la télévision pendant plusieurs années et qui avait également eu une longue carrière. Mai observait comment elle écoutait les autres personnages son fils, le jeune homme quelle voulait pour son amoureux, ceux qui dépendaient delle pour vivre. Elle étudiait la façon dont elle se tenait immobile et laissait sa voix faire le travail. Elle savait que plus tard dans lacte, le personnage deviendra émotif, désemparé et voulait voir comme Linda gérerait les directions physiques de la scène se jeter aux pieds de son amoureux par désespoir. Ensuite révéler au public que tout nétait que de la comédie pour le reconquérir.
Elle remarqua que les autres acteurs observaient également attentivement. Elle avait un charisme et une force adaptés à son rôle. Regarde et apprends, se dit Mai. Et exerces la voix. Les yeux et la voix et puis le minimum de gestes pour obtenir un impact maximal.
Eric avait choisi un bar sur la rive sud (South Bank) qui avait une vue magnifique sur Tower Bridge, illuminé tel une carte postale gigantesque de néon dans la nuit.
Il avait échangé sa veste de sport beige contre un costume chic et il mangeait des cacahuètes.
- Tu réalises que cela te donnera la mauvaise haleine ? dit-elle se glissant sur le banc à côté de lui.
- Tu réalises ça fait combien de temps que je tattends ? Dix-huit heures, tu avais dit.
- Un imprévu. On appelle ça le travail.
- Je tai pris un spritzer au vin blanc, dit-il en faisant un geste vers un verre contenant un liquide jaune.
- Vin blanc ? On dirait du jus de banane.
Il ignora sa plainte :
- Il sagit donc du sondage Deannah, comme ils ont sûrement commencé à lappeler. Ça aura une marque et un logo la semaine prochaine. Quest-ce qui se passe ?
- Personne des journaux ne ma encore parlé. Est-ce que tu me gardes en isolement ou quoi ? Je dois sortir et parler aux gens, non ? Helena Cross était partout à la télé, ce matin. Que dois-je faire pour me rendre visible ?
Eric la regarda à travers ses yeux recouverts, comme si labsurdité de sa conversation lavait plongée dans de nouvelles profondeurs. Il tendit le bras à côté de lui et souleva une copie de Daily Paper, quil jeta sur la table.
- As-tu au moins vu ça ? Celui daujourdhui.
Mai feuilleta jusquà la section showbiz. Une double page montrait son profil sur la page de gauche à regarder Helena Cross sur la droite, qui avait lair de la fixer. Les photos avaient été extrêmement retouchées pour retirer les arrière-plans respectifs et des sourcils froncés mis sur chacune delles.
- Tu y es déjà, dit Eric, à jouer les grands bras, semble-t-il. Entre parenthèses, quest-ce que cest cette histoire de toi et Alfie ? Cest vrai ?
- Il se passe quelque chose, dit-elle. Jessaie toujours de déterminer exactement quoi. Doù ont-ils eu cette photo ? Jai lair dune femme des cavernes avec ces faux sourcils. Que dois-je dire à linterview ?
- Que tu es très ravie, que tu souhaites bonne chance à tout le monde et que la meilleure gagne. Ils ont trouvé quelque chose sur toi et Helena, que vous vous êtes toutes deux présentées pour le même rôle dans Amberside. On dit quelle souffre toujours de linjustice du casting pour ce boulot. Celui-ci sera différent, ce sera le grand public britannique qui votera etc
- Suis-je bien acceptée ?
- Il y a beaucoup de choses que je peux faire avec les matériaux que tu me donnes, dit-il. Peut-être que tu devrais reprendre avec le jeune Ringo Starr et jouer aux amoureux. Tu verras, ce sera le prochain pas dHelena. Une édition spéciale de Hello!, où elle exhibe sa belle maison et le nouvel homme dans sa vie. Quelque chose également dans les mags pour filles. Est-ce que Jackie marche toujours ?
Mai ferma les yeux.
- Peut-on se montrer prudents pour une fois ?
- Quoi une interview au Financial Times ?
- Je ne sais pas quelque chose dun peu plus important pourrait récolter les votes des adultes. Jai encore beaucoup trop dadolescents à cause dAmberside.
- Sils se souviennent de toi.
- Admettons. Mais je veux élargir lattrait. Ça aiderait également le journal, si la compétition est un peu plus quel est le mot ?
- Sérieuse.
- Sérieuse. Cest ça. Ils ont ces choses dans les magazines du week-end Dix Choses que je connais, Quinze que jai apprises.
- Une demi-douzaine serait, je pense, une bonne idée pour faire de la promo. Je comprends ce que tu veux dire. Jai un cafteur à Indy. Je vais voir si je peux arriver à quelque chose.
- Tu vois ! Tu peux même dire que cétait ton idée.
- Pendant ce temps-là, ta-da, jai quelque chose de prévue pour demain. Une de ces mags de télé.
Mai soupira.
- Je déteste ça. Je ne peux pas être occupée ? Indisposée ?
- Pas si tu veux gagner. Le grand public est fasciné par les ragots. Tu auras une photo en première page.
- Ah, super ! A quelle heure demain ?
- Appelle-moi quand tu seras libre. Ils sont flexibles.
- Bien sûr quils le sont. Tu ne sais pas que je suis une grande star ?
Le bar commençait à se remplir et Eric, devenu agité, finit son verre.
- Autre chose ? Jai une vie privée, tu sais ?
Mai tendit sa main pour toucher le col de son costume.
- Alcooliques anonymes ? Apéritif au Ritz ?
- Mon premier soir de Stephen à Donmar. Je vois sa mère là-bas. La première fois quon parle depuis environ deux ans. Il y a fallut de putain Samuel Beckett pour quon se reparle. Nest-ce pas ironique ?
- Je ne dis rien.
- Exactement.
Elle le sentit avant darriver à la porte. Quelque chose de consistant avec une prépondérance orientale. Elle eut un flash proustien étant enfant, avant que papa Rose ne meure, une espèce de nappe sur la table de la cuisine, des récipients en étain, de la sauce à orange visqueuse. Elle devait avoir cinq ans et son père avait invité une personne à la maison sans le dire à Geraldine. Cétait donc un prêt-à-emporter chinois, le premier que Mai avait jamais vu ou sentit. Les hommes sétait assis dans la salle de devant à la chaleur de la cheminée, les bûches craquelant, Geraldine servant la substance visqueuse dans les assiettes, les yeux fléchés, la bouche retroussée, une mauvaise ambiance dans la maison.
- Bien sûr quils le sont. Tu ne sais pas que je suis une grande star ?
Le bar commençait à se remplir et Eric, devenu agité, finit son verre.
- Autre chose ? Jai une vie privée, tu sais ?
Mai tendit sa main pour toucher le col de son costume.
- Alcooliques anonymes ? Apéritif au Ritz ?
- Mon premier soir de Stephen à Donmar. Je vois sa mère là-bas. La première fois quon parle depuis environ deux ans. Il y a fallut de putain Samuel Beckett pour quon se reparle. Nest-ce pas ironique ?
- Je ne dis rien.
- Exactement.
Elle le sentit avant darriver à la porte. Quelque chose de consistant avec une prépondérance orientale. Elle eut un flash proustien étant enfant, avant que papa Rose ne meure, une espèce de nappe sur la table de la cuisine, des récipients en étain, de la sauce à orange visqueuse. Elle devait avoir cinq ans et son père avait invité une personne à la maison sans le dire à Geraldine. Cétait donc un prêt-à-emporter chinois, le premier que Mai avait jamais vu ou sentit. Les hommes sétait assis dans la salle de devant à la chaleur de la cheminée, les bûches craquelant, Geraldine servant la substance visqueuse dans les assiettes, les yeux fléchés, la bouche retroussée, une mauvaise ambiance dans la maison.
Cétait du passé. Elle ne savait pas qui était lhomme et ne lavait jamais revu depuis pour autant quelle le sache.
A lintérieur, lodeur sétait déterminée. Elle entra dans la cuisine en déroulant son écharpe, poussant les chiens de ses genoux.
- Je devine du bœuf et quelque chose comme de lanis.
- Tu ne discutes pas avec Jamie ou Heston, dit Billie. Ils viennent et font sauter la maison. Ensuite ils étaleront une grande quantité dhuile dolive partout. Tas faim ?
- Et tentée maintenant. Tape là.
Elle se changea et se lava le visage. Puis revint à sa garde-robe et se demanda ce qui lui ferait plaisir à Pedro demain. Elle avait une jupe qui, avec un peu dimagination, pourrait être décrite comme vaguement paysanne. Mais le haut qui serait le plus approprié était celui que les gens de Stella McCartney lui avaient offert. Il avait des manches courtes avec un motif à fleurs jaunes sur un fond blanc, avec un col blanc. Si les paysans aimaient les fleurs, cétait paysan.
Billie prépara la table rarement utilisée, qui était disposée au bout du coin repas du salon. Le volume de la télévision était baissé, ils passaient des groupes de gens en pardessus qui étaient en confrontation. Probablement un documentaire sur les relations industrielles la phrase que sa mère utilisait pour décrire tout type de programme de non-fiction qui navait aucun lien direct avec lart.
Billie apporta deux assiettes fumantes de ragoût de bœuf. Mai repéra les légumes et la sauce.
- Jai fait des courses, dit Billie. Jai mis le reçu dans la cuisine. Une queue de dingue à Sainsburys ce matin.
Mai pensa quelle était nerveuse. Cétait la première fois que Billie avait réellement cuisiné pour eux deux et cétait comme si une frontière avait été franchie. Elle avait létrange impression quelle avait été capturée au lasso et quelle fut attirée vers une chose, mais elle ne savait pas quoi. Vie de famille ? Relation amicale ?
Le bœuf fondait dans la bouche et était agréablement épicé, lanis étoilé ajoutant un effet oriental. Elle prit la dernière tranche de pain du panier et essuya son assiette avec.
- Dis à Jamie que jai aimé.
- Cétait bon ? Pas trop salé ?
- Cétait délicieux.
Un bruit venant de la chambre.
- Ton téléphone.
Mai fait un signe dagacée et dit :
- Ils laisseront un message.
Elle avait fait un somme sur le canapé pendant que Billie faisait la vaisselle elle avait insisté. Lodeur du bœuf persistait encore. Mai vit le visage de sa mère dans sa tête, belle, cheveux noirs, sourcils arqués et de petites fossettes au milieu du menton. Toujours un soupçon de rose sur ses joues qui nétait jamais artificiel, seulement son teint de peau. Comment cétait vraiment entre ses parents ? Sa mère était souvent absente au travail et il y avait une nounou une fille des Philippines qui leur préparaient détranges plats orientaux, pour elle et Jake. Le fish and chips était devenu aussi féérique pour eux que les calamars pour les copains décole. Il y avait toujours des sauces qui bouillaient sur la cuisinière.
Son père était souvent à la maison avec eux. Elle navait aucun souvenir de lui, mise à part les photos de famille, mais elle devinait quil était physiquement fort, un homme dynamique, une personne qui pouvait piéger une jeune actrice. Il était énergique il les emmenait au cinéma sur un coup de tête, ou au parc à thème quelque part. Jake courait vers les machines tourbillonnantes et les manèges dangereux, pendant quelle tenait fermement la main de Papa Rose et regardait Jake se jeter comme un personnage de dessin animé. Pas étonnant quil ait fini dans larmée.
Et puis Papa Rose était parti.
Geraldine en deuil. Beaucoup de gens dans la maison. Elle et Jake lui avait demandé de rester tranquille, mais les adultes étaient gentils avec elle. Elle ne souvenait pas être allée à léglise, mais il y avait des photos delle, Jake et Geraldine parmi des groupes en deuil, défilant à travers une porte gothique. La presse toujours là, toujours après vous, toujours à chercher à prendre des prises impertinentes sordides. Elle ne savait pas pourquoi Geraldine avait gardé les coupures, mais elles étaient soigneusement classées dans des albums, comme si la mort de son mari nétait quune étape dans sa carrière
Le temps passé sous les projecteurs avait sûrement un impact sur vos priorités, pensa-t-elle.
Son téléphone sonna à nouveau dans la chambre. Lorsquil sarrêta, elle se leva et alla vérifier les messages.
Alfie : Cest encore moi. Sil-te-plait appelle-moi. Jai tellement de merde des gars, toute cette publicité.
Oui, il ne pensait quà lui.
Elle et Billie étaient maintenant tel un vieux couple marié, étendues sur le canapé à regarder les infos du soir. Paxman anéantissant un politicien en défendant la réduction de laide de santé. Elle regardait uniquement parce que sa mère refusait la politique à la maison. Regarder les infos de toute sorte était une sorte de rébellion.
Les gros titres résumés, un éventail de journaux sur la table devant lui. Des disputes à la Chambre sur les réductions. Une victoire sportive en Inde. Et juste un peu dhumour, Helena Cross est actuellement en tête de la compétition de Daily Paper. Puis Ginny Blake. Mai Rose est finalement apparue, mais bien loin après Miss Cross Bonne nuit.
- Ça fait plaisir. Merci, Paxo.
Billie bâilla :
- Tas parlé à Eric ? Quest-ce qui se passe ?
Mai se leva et sétira. Elle ne voulait vraiment pas parler de tout ça. Cétait puéril.
- Il est sur laffaire. Un Rottweiler. En peau de mouton.
- Ça va commencer, tu verras.
- Pourquoi es-tu toujours aussi positive, même avec la plus petite des preuves ?
- En général parce que les alternatives sont trop tragiques à supporter.
Elle se leva et enlaça Mai dune façon étrange :
- A sept heures, ici, demain.
- Tu pourrais aussi bien déménager à ce rythme-là.
Billie lui lança un regard étrange, puis alla chercher son manteau.