Kejal la réveilla doucement. Tess sauta sur ses pieds, se mettant par réflexe en position de défense.
« Tout va bien ! C'est moi. » La femme avait levé les bras pour se protéger de possibles coups. Tess se rendit compte qu'elle s'était endormie.
« Je suis désolée, Kejal, j'étais dans un sommeil profond. »
La femme se détendit. « Vous devez vous habiller maintenant. Laquelle de ces robes choisissez-vous ? » Tess réalisa soudain l'ironie de sa situation. 'Après tout ce que j'ai fait pour devenir un officier de l'armée, j'en suis réduite à faire la bimbo pour un pervers. Tout va pour le mieux, ma petite !'
Kejal lui intima à nouveau de se dépêcher. « Sâil vous plaît, choisissez une robe. Le général n'aime pas qu'on le fasse attendre ! »
Tess lança un regard furieux. « Je ne moque complètement de ce qu'il aime ! »
Son hôtesse ne baissa pas les bras. « Ne soyez pas stupide ! Si vous le mettez en colère, il vous tuera vous et vos hommes. Choisissez une robe ! »
Tess s'assit, agrippant sa tête quâelle sentait sur le point dâexploser. Elle avait besoin de temps pour réfléchir. Elle avait besoin de retrouver un semblant de contrôle. 'Bon, je dois me plier à ce jeu jusqu'à ce que je trouve un plan,' se murmura-t-elle à elle-même. Elle se leva, inspecta les robes et en choisit une, une superbe robe rouge bordeaux et crème avec des chaussures assorties. Incroyable, tout est à ma taille, remarqua-t-elle. Elle se regarda dans un grand miroir. Ses seins étaient magnifiquement mis en valeur par le profond décolleté.
« Vous êtes splendide, Commandant. Faites juste ce que le général veut et vous resterez en vie. » Admonesta Kejal.
Tess regarda cette belle femme émaciée. « C'est apparemment ce que vous avez fait, mais ça ne vous a pas fait que du bien. »
Kejal la fixa de ses yeux profondément tristes. « Il garde ma fille de quatre ans en otage dans l'une de ses résidences pour me contraindre à le servir. »
Tess ferma les yeux. « Je suis désolée. Je ne voulais pas vous critiquer. »
Kejal détourna la tête, des larmes dans ses yeux. « Ce n'est rien. Ce n'est pas de votre faute. »
Tess applique un peu de maquillage. 'Si je dois passer pour une femme vulnérable, autant avoir l'air jolie.'
Les deux femmes traversèrent plusieurs pièces à travers le somptueux manoir. Contrairement aux palais modernes de Saddam, cette maison était ancienne. La décoration était coûteuse et de bon goût.
Kejal conduit Tess à une grande salle à manger. Deux couverts étaient mis au bout d'une longue table. « Je dois vous laisser maintenant, » dit-elle.
Tess embrassa la salle du regard. Le maître des lieux a clairement été influencé par les Britanniques quand il a bâti cet endroit, pensa-t-elle. La pièce était décorée de boiseries et de meubles cossus et les fenêtres de brocart, légèrement fané. La pièce n'avait rien d'exotique.
« Aimez-vous ma maison ? » Le général était soudainement apparu. Il avait troqué son uniforme pour un costume magnifiquement taillé sur mesure, Savile Row fort probablement.
Tess décidé de se prêter au jeu. « Câest une belle maison, décorée avec goût. Est-elle ancienne ? »
Le général sembla content que Tess paraisse intéressée. « Près de cent cinquante ans. C'est mon arrière grand-père qui l'a construite. Il a passé la plus grande partie de son temps à lâétranger. Il était un diplomate de l'Empire Ottoman puis il a poursuivi à un poste similaire après qu'un général britannique ait tiré un trait sur une carte et créé l'Irak en 1922. Il a vécu longtemps en Angleterre. Il a beaucoup aimé ; un pays très civilisé, avec de claires distinctions de classes. Pas de confusion. »
Tess décida de taire son opinion sur le système de classes pour le moment. « Très intéressant », dit-elle sans grande conviction.
Le général se rendit vers une armoire sculptée et en ouvrit une porte, révélant un bar bien approvisionné. « Voudriez-vous un cocktail ? » il demanda avec sollicitude.
Tess était surprise. « Les Musulmans ne sont-ils pas interdits d'alcool ?
â Certains d'entre nous observent une certaine flexibilité. »
'J'aurais bien besoin d'un verre,' pensa Tess, 'mais je ferais mieux de m'en abstenir. Je suis la mouche et lâaraignée me tisse la toile...'
« Non. Merci, Général. Je suis fatiguée. » 'Je n'arrive pas à croire que je suis en train de dire merci à cet homme,' pensa-t-elle.
« Amir, je vous prie. Appelez-moi Amir, » offrit-il.
'Je ne peux pas faire ça,' pensa Tess. « Général, je suis un prisonnier de guerre. Je m'en tiendrai au protocole. Je vous respecterai et j'attendrai le même traitement de votre part. »
Le général offrit un sourire oblique. « Bien sûr, mais que cela ne nous empêche pas d'apprécier ce dîner, d'accord ? » Tess préféra garder le silence.
« Je n'aime pas boire seul, je vous verse un verre de vin blanc léger, à moins que vous ne préfériez un apéritif ? » Amir ouvrit cérémonieusement les bras vers les bouteilles de l'armoire, comme s'il présentait un cadeau. Tess vit qu'il ne se découragerait pas et accepta le verre de vin.
Amir l'invita à prendre place sur un canapé pendant qu'il lui versait un verre. « Les vêtements de ma jeune sÅur vous vont à merveille. Elle vous ressemble beaucoup ; très belle. Elle a de grands yeux noirs, les vôtres sont verts. Et une longue chevelure noire luxuriante alors que vous êtes blonde ; un vrai crime de les porter si courts. Mais peu importe. Je sais apprécier la beauté féminine sous toutes ses formes. »
Tess prit une gorgée du verre, éludant le compliment. C'était un excellent Sauvignon blanc. Lâhomme avait du goût. Le général s'approcha. « Commandant, puis-je vous appeler Tess ? »
'Comment diable savait-il que les gens m'appellent Tess?' Ses ravisseurs avaient du entendre ses hommes utiliser son nom.
« Ma sÅur n'a jamais aimé vivre ici. Elle avait l'impression d'étouffer. Peut-être corrompue par son éducation suivie en Suisse.
â Corrompue ?
â Le terme est peut-être un peu fort. Le général eut un léger sourire. Peut-être suis-je personnellement responsable d'avoir encouragé une éducation occidentale. Elle est, après tout, issue d'une grande famille et deviendra une grande dame. Très utile lorsque viendra le temps de former une alliance avec une autre grande famille. Presque machinalement, il ajouta : J'ai été à la tête de la tribu depuis la mort de mon père, j'ai beaucoup de responsabilités. Encore une fois, Tess décida de garder ses vues sur les dynasties et les mariages arrangés pour elle.
â Quâen est-il de votre femme ? demanda-t-elle.
â Elle est à Paris avec ma sÅur. J'ai pensé qu'elles feraient mieux d'y attendre la fin de la guerre. Au cas où vous vous posez des questions, ma femme n'est rien pour moi. Nous nous sommes rencontrés le jour de notre mariage et n'avons jamais porté beaucoup d'affection l'un pour l'autre. »
'Je vois où cela va mener,' pensa Tess.
'Je vois où cela va mener,' pensa Tess.
« C'est triste de vivre sans quelqu'un à aimer, et c'est pourtant ce que vous réservez à votre sÅur. »
Amir sâassit en face d'elle, les yeux rivés sur la peau laiteuse de la poitrine de Tess.
« Nous sommes une famille distinguée. Nous nous devons de maintenir notre rang dans la société. Et devons faire quelques sacrifices quand c'est nécessaire. » Après une brève pause : « Cela n'a pas d'importance, ce n'est pas la compagnie qui me manque. Jâai des maîtresses splendides en Europe, en particulier à Londres. Les dames savent apprécier les vrais hommes qui peuvent se permettre de les traiter comme des reines. » Tess commençait à se voir comme l'héroïne des Perils of Pauline, ligotée aux rails et attendant le train qui lui roulerait dessus. Nous y voilà !
Amir fixait la beauté splendide de ses yeux. Il avait peine à concevoir qu'une telle créature pilote des avions et aille au champ de bataille, ou que des soldats, des hommes, puissent se soumettre à ce commandant qui devait certainement mieux servir ses dirigeants dans un lit. Il avait du mal à contrôler son désir, à ne pas se saisir d'elle de force, ici et maintenant. « Aucune de mes compagnes n'arrive à votre hauteur, Tess. J'aimerais beaucoup jouir de vous et vous donner plus de plaisir que vous ne pouvez en imaginer. » Tess sentit son humeur se mettre en ébullition.
« Général, vous êtes un homme charmant mais je ne peux pas être une de vos compagnes, ni même votre seule compagne, en tout état de cause. Je suis un officier américain et un prisonnier. Nous sommes au milieu d'une guerre, et ce n'est vraiment pas idéal pour une histoire d'amour. » Tess était à court d'idées.
Amir appréciait ses tentatives de dérobade. Il aimait qu'elle résiste. Il n'appréciait pas les femmes passives. En parfait prédateur, il avait goût pour la chasse. Cela rendait la conquête d'autant plus savoureuse.
« Tess, les guerres sont des événements éphémères. à l'exception de la guerre lancée par les Américains en Afghanistan, elles ne durent aujourd'hui guère longtemps. Pourquoi être ennemis quand nous pouvons être amants ? Je suis riche et puissant, et un homme très passionné. Je peux vous montrer le monde tel que vous ne l'aviez jamais imaginé. Au lieu d'une tente poussiéreuse au milieu de désert, vous pourriez vivre dans un château en France. Vous pourriez avoir votre propre avion à Paris, aller à l'Opéra à Monte-Carlo avec vue sur votre propre yacht amarré dans la baie. »
Tess se leva. « C'est ce que vous avez promis à Kejal ? »
Le général posa son verre. « Elle et sa famille sont des traîtres ! Elle devrait être reconnaissante d'être encore en vie ! »
Tess pointa en direction des appartements de sa sÅur. « Elle n'a pas l'air très reconnaissante de l'être ! Que lui avez-vous fait ? »
Amir lui lança un regard glacial. « Si elle veut mourir, je peux arranger ça en moins d'une minute. »
Tess se tut. Elle savait qu'elle flirtait avec le danger.
« Mais revenons à vous, » Amir reprit. « Pourquoi risquer votre vie pour les ambitions de politiciens vieux et corrompus ? Vous êtes jeune, belle et vous êtes une femme ; pourquoi gâcher votre vie en tant que soldat, alors que vous pourriez vivre une vie de plaisirs ? »
D'un ton cassant, Tess riposta : « Général, parlant de servir des politiciens, n'est-ce pas exactement ce que vous faites ? Vous vous battez pour soutenir un dictateur brutal et un parti corrompu. Et comment envisagez-vous le simple fait que votre nation ne peut gagner une guerre contre les armées de la Coalition ? Pouvez-vous honnêtement dire que vous avez un avenir ? » Ouh la, elle regretta presque ses mots. 'Je devrais le laisser parler. Gagner du temps. Sauver mes hommes.'
Amir soupira et prit une gorgée de vin. « Tess, vous n'êtes manifestement pas étudiante en histoire. Quelles que soient les atrocités commises en temps de guerre, seuls quelques-uns des dirigeants paieront pour leurs crimes. Il n'y eut jamais qu'une infime fraction de la population au sommet du pouvoir qui ait été appelée à rendre des comptes. Après la Seconde Guerre Mondiale, les Nazis qui ont été pendus étaient si peu nombreux que c'en fut dérisoire comparé aux millions de victimes qu'ils avaient assassinées. Même au sein de la hiérarchie Nazie, y compris les pires de la SS et de la Gestapo, beaucoup avaient été emprisonnés mais finalement relâchés. Les Alliés ne pouvaient tout simplement pas les pendre tous. Au Japon, ils ont épargné l'Empereur et seuls le Général Yamashita et quelques officiers, dont la culpabilité était contestable, furent pendus ; la plupart de l'impitoyable hiérarchie samouraï qui avait mené d'innombrables massacres s'en était tirée. Il en ira de même ici en Irak.
"Mon grand-père était très rusé. Il avait compris que pour que la famille survive et prospère, elle devait être assez proche du régime pour lui être utile, mais aussi assez éloignée pour ne pas y être associée. Il avait totalement saisi la nature éphémère du pouvoir et me lâa bien appris. Je parviens à être important pour le régime mais pas trop important. »
Il but un peu de vin. « De plus, les circonstances de ce conflit sont inhabituelles. Je suis sûr que vous comprenez que les Américains et les Britanniques essaient naïvement de gagner les cÅurs et les esprits du peuple irakien, si ce n'est du monde arabe. Ils ne peuvent pas se permettre de punir et d'humilier d'innombrables chefs arabes, quoi que ceux-ci aient fait. Après tout, vous ne venez pas conquérir mais 'libérer' l'Irak. Les choses reviendront à la normale très vite ; les politiciens continueront à faire ce qu'ils ont toujours fait, et pour le reste d'entre nous, nous retournerons aux affaires. » Tess dut admettre à contrecÅur que l'homme avait marqué un point.
La porte s'ouvrit et un serviteur annonça en arabe que le dîner était servi. Amir se leva et offrit son bras. « Voulez-vous ? » Tess permit au général de tenir sa chaise alors qu'elle s'asseyait. Prenant sa place à la table, Amir sâexcusa du peu de victuailles préparées pour le dîner. « La guerre a entraîné des pénuries », expliqua-t-il.
Aux yeux de Tess cependant, cela paraissait un vrai festin. Le général prit quelques minutes pour présenter la composition des quelques plats. Cela sonnait comme une véritable symphonie de spécialités du Moyen-Orient : agneau, poulet, couscous, divers grains mélangés à plusieurs sortes de riz et de légumes. Tess sentit son estomac rongé par la faim et, en d'autres circonstances, elle se serait jetée sur la nourriture dans la plus pure tradition GI. Une pensée pour ses hommes qui croupissaient probablement dans ce sale trou la transperça de culpabilité.
« Général, mes hommes ont-ils été nourris ? »
Amir parut brusquement irrité. « On s'occupe d'eux ! Et maintenant, mangez avant de perdre encore plus de poids ! » Mais bien sûr, se dit-elle, il me veut douce et grasse comme Gretel dans le conte de fées.
Ils entamèrent le repas, un silence de plomb se dressant entre eux telle une barrière de béton. Après quelques bouchées, Amir demanda : « Tess, resteriez-vous avec moi ? Je quitterais toutes les autres pour vous. » Tess déglutit, prit une gorgée d'eau et la secoua légèrement la tête.