Atzakis sâassit sur le fauteuil du poste de commande, se mordilla lâindex un instant, puis dit :
â Si câest le système de communication actuellement utilisé sur la Terre, nous pourrions peut-être capter une de leurs transmissions.
â Oui, et peut-être même un bon film porno, commenta Pétri, faisant pointer légèrement sa langue à gauche de sa bouche.
â Arrête avec tes bêtises. Pourquoi nâessaies-tu pas plutôt de réadapter notre système de communication secondaire à cette technologie ? Je voudrais arriver là -bas le plus informé possible.
â Jâai compris. Dâinnombrables heures de travail mâattendent dans ce minuscule compartiment.
â Ãa te dirait de manger quelque chose avant ? proposa Atzakis en anticipant la demande de son ami, dont il imaginait bien quâelle allait suivre immédiatement.
â Câest la première chose sensée que je tâentends dire aujourdâhui, répondit Pétri. Toute cette agitation mâa donné un appétit certain.
â Dâaccord, on fait une pause, mais câest moi qui choisit ce quâon mange. Le foie de Nebir que tu as voulu hier est resté si longtemps dans mon pauvre estomac quâil semblait y avoir pris racine.
Une dizaine de minutes après, alors que les deux compagnons de voyage finissaient leur repas, sur Terre, au Centre de Contrôle des Missions de la NASA, un jeune ingénieur relevait une étrange variation de trajectoire de la sonde quâil contrôlait.
â Chef, dit-il dans le micro relié à son casque, à un centimètre environ de sa bouche, je crois que nous avons un problème.
â Quel genre de problème ? se hâta de demander lâingénieur responsable de la mission.
â Il semble que Juno, pour une raison encore inconnue, ait subi une légère variation de sa trajectoire programmée.
â Une variation ? Et de combien ? Mais due à quoi ?
Il en avait déjà des sueurs froides. Le coût de cette mission était exorbitant et il fallait que tout marche comme prévu.
â Je suis en train dâanalyser les données. La télémétrie indique un déplacement de 0,01 degré sans aucune raison apparente. Tout semble marcher convenablement.
â Elle pourrait avoir été touchée par un fragment de roche, hasarda lâingénieur le plus âgé. Dans le fond, la ceinture dâastéroïdes nâest pas si loin.
â Juno est presque localisée sur lâorbite de Jupiter, et il ne devrait pas y en avoir, assura le jeune homme, avec beaucoup de tact.
â Et alors quâest ce qui sâest passé ? Il doit forcément y avoir un dysfonctionnement quelque part.
Il réfléchit une seconde, puis ordonna :
â Je veux un double contrôle sur tous les instruments de bord. Les résultats dans cinq minutes sur mon ordinateur, et il coupa la communication.
Le jeune ingénieur se rendit alors compte de la responsabilité qui lui avait était confiée. Il regarda ses mains : elles tremblaient légèrement. Il décida de passer outre. Il appela son collègue pour quâil exécute un check-up sélectif de la sonde et croisa les doigts. Les ordinateurs commencèrent à effectuer en séquence tous les contrôles programmés et, après quelques minutes, les résultats de lâanalyse apparurent sur son écran :
Check-up terminé. Tous les instruments sont opérationnels.
â Tout a lâair ok, commenta le collègue.
â Et alors, quâest-ce qui sâest passé, bon Dieu ? Si on ne le découvre pas dans les deux minutes qui viennent, le chef va nous passer un savon à tous les deux, et il commença à jouer fébrilement avec les commandes sur le clavier quâil avait devant lui.
Rien de rien. Tout fonctionne parfaitement.
Il devait absolument inventer quelque chose, et il devait le faire vite. Il commença à tambouriner de ses doigts sur son bureau. Il continua une dizaine de secondes, puis décida de faire appel à la première règle non écrite du manuel de comportement sur son lieu de travail : ne jamais contredire son chef.
Il ouvrit son micro et dit dâune traite :
â Chef, vous aviez raison. Câest bien un petit astéroïde troyen qui a fait dévier la sonde. Heureusement, il ne lâa pas touchée directement, mais il est passé très près. De toute évidence, la masse de lâastéroïde a créé une petite attraction gravitationnelle sur notre Juno, provoquant ainsi la légère variation de trajectoire ; je vous envoie les données. Et il retint son souffle.
Après quelques interminables instants, la voix orgueilleuse de son chef lui parvint dans le casque.
â Jâen était sûr mon garçon, mon instinct de vieux loup ne me trompe pas.
Puis il ajouta :
â Veillez à activer les moteurs de la sonde et à en corriger la trajectoire. Je ne tolèrerai aucune erreur et il coupa la communication.
Il reprit une seconde après en disant :
â Excellent travail, les gars.
Le jeune ingénieur se rendit alors compte que le sang avait recommencé à circuler dans son corps. Son cÅur battait si fort quâil en entendait les pulsations contre ses oreilles. Tout compte fait, ça pouvait aussi sâêtre passé comme ça. Il regarda son collègue et, levant le pouce, lui fit signe que tout allait bien. Lâautre lui répondit en clignant de lâÅil. Pour cette fois, il sâen était sortis.
Nassiriya â Après le dîner
Le système dâenregistrement émit un double bip et se ralluma. à lâintérieur de la voiture, la voix dâÃlisa sortit à nouveau du petit haut-parleur :
« Je pense que câest lâheure dây aller, Jack. Je dois me lever très tôt demain pour continuer les fouilles.
â Dâaccord, répondit le colonel. Je vais remercier le chef et on y va tout de suite après. »
â Putain de merde, sâécria le maigre. à cause de toi, on a raté le meilleur.
â Et allez, je ne lâai pas fait exprès, se justifia le gros. On pourra toujours dire quâil y a eu un dysfonctionnement du système et quâil y a une partie de la discussion que nous nâavons pas pu enregistrer.
â Câest toujours moi qui dois te sortir de la mouise, fit lâautre.
â Je vais me faire pardonner. Jâai déjà un plan pour mettre la main sur la tablette de notre cher Professeur. Il sâattrapa le nez entre le pouce et lâindex, puis dit :
â Nous nous introduirons cette nuit dans sa chambre et nous copierons toutes les données sans quâelle sâen aperçoive.
â Et quâest-ce quâon fait pour quâelle ne se réveille pas, on lui chante une berceuse ?
â Ne tâinquiète pas, compère. Jâai encore des as dans ma manche, et il lui fit un clin dâÅil.
Pendant ce temps, dans le restaurant, Jack et Ãlisa se préparaient à sortir. Le colonel alluma sa radio portable et contacta lâescorte :
â Nous allons sortir.
â Tout est calme, ici, Colonel, répondit une voix dans son oreillette.
â Nous allons sortir.
â Tout est calme, ici, Colonel, répondit une voix dans son oreillette.
Le colonel ouvrit avec prudence la porte du restaurant et observa attentivement lâextérieur. Debout, près de la voiture, se tenait encore le militaire qui avait accompagné Ãlisa.
â Tu peux y aller, mon garçon, ordonna le colonel. Câest moi qui raccompagne le Professeur.
Le soldat se mit au garde-à -vous, salua militairement et, prononçant quelques mots dans sa radio, disparut dans la nuit.
â Ãa a été une soirée magnifique, Jack, dit Ãlisa en sortant. Elle respira profondément lâair frais de la nuit et ajouta :
â Ãa faisait vraiment longtemps que je ne nâavais pas passé un aussi bon moment. Encore merci. Et elle arbora à nouveau un de ses merveilleux sourires.
â Viens, dans ce secteur ce nâest encore pas très sûr de rester à lâextérieur.
Sur ces mots, il ouvrit la portière et lâaida à monter.
Le colonel au volant, la grande voiture sombre quitta rapidement les lieux en laissant derrière elle un gros nuage de poussière.
â Moi aussi je me suis senti très bien. Je nâaurais jamais imaginé quâune soirée avec un « savant professeur » puisse être si agréable.
â Savante ? Câest ça que tu penses de moi ? Et elle se détourna de lui, feignant la colère.
â Savante oui, mais aussi très sympathique, intelligente et vraiment sexy.
Elle regardait dehors, et il en profita pour lui caresser doucement les cheveux sur la nuque.
Ce contact lui procura une cascade dâagréables frissons dans le dos. Elle ne pouvait pas céder si vite. Mais son excitation allait croissant. Elle décida de se taire et de profiter de cet agréable et léger massage. Jack, encouragé par lâabsence de réactions à son geste, continua à caresser ses cheveux longs. Soudain, il commença à faire glisser sa main, dâabord sur son épaule, puis sur son bras, puis de plus en plus bas, jusquâà lui effleurer doucement les doigts. Elle, toujours tournée vers la fenêtre, prit sa main et la serra sans retenue. Câétait une main grande et forte. Ce contact lui donnait une grande assurance.
Non loin de là , une autre voiture sombre suivait les deux passagers, essayant de capter dâautres propos intéressants.
â Je crois que les dix dollars sont en train de changer de main, mon vieux, dit le gros. Il la raccompagne à lâhôtel, elle le fait monter pour boire quelque chose et le tour est joué.
â Tu peux prier pour que ça ne finisse pas comme ça, sinon, jâaimerais bien savoir comment on va faire pour copier les données de lâordinateur.
â La vache, je nây avais pas pensé.
â Tu ne penses jamais à rien dâautre que ce qui finit dans ton estomac sans fond.
â Allez, ne te laisse pas trop distancer, dit le gros, en ignorant la provocation. Je ne voudrais pas perdre le signal une nouvelle fois.
Ils restèrent un peu main dans la main, sans rien dire. Ils avaient tous deux le regard fixe, au-delà du pare-brise. Lâhôtel approchait, et Jack se sentait très maladroit. Ce nâétait évidemment pas la première fois quâil sortait avec une fille, mais ce soir-là , il sentit resurgir toute la timidité qui lâavait torturé pendant sa jeunesse, et quâil pensait avoir dépassée. Ce contact si prolongé lâavait comme paralysé. Il aurait peut-être dû dire quelque chose pour rompre ce silence gênant, mais il craignait que le moindre mot puisse gâcher ce moment magique, et il décida de se taire.
Il remercia mentalement la boîte automatique de la voiture qui lui avait permis de ne pas lâcher la main dâÃlisa pour passer les vitesses, et continua à conduire dans la nuit.
Ãlisa, de son côté, se rappelait tous les « hommes de sa vie » présumés, lâun après lâautre. Plusieurs histoires, beaucoup de rêves, de projets, de joie et de bonheur, mais à chaque fois, à la fin, beaucoup de déception, dâamertume et de douleur. Câétait comme si le destin avait déjà tout décidé pour elle. La voie qui sâouvrait à elle, sans aucun doute riche en satisfactions et succès sur le plan professionnel, ne semblait pas prévoir qui que ce soit à ses côtés pour lâaccompagner. Et maintenant elle était là , dans un pays étranger, voyageant dans la nuit, sa main dans la main dâun homme que, jusquâà la veille, elle considérait comme un obstacle à ses plans et qui, maintenant, lui inspirait une grande tendresse et beaucoup dâaffection. Plus dâune fois, elle se demanda ce quâelle devait faire.
â Tout va bien ? demanda Jack, inquiet, voyant ses yeux devenir de plus en plus brillants.
â Oui, merci, Jack. Câest juste un moment de tristesse. Ãa va passer.
â Câest de ma faute ? sâempressa-t-il de lui demander. Jâai dit ou fait quelque chose qui ne va pas ?
â Non, au contraire, répondit-elle aussitôt dâune petite voix douce, et elle ajouta :
â Reste près de moi, sâil te plaît.
â Hé, je suis là . Ne tâinquiète pas. Je nâaccepterai jamais quâon te fasse du mal, dâaccord ?
â Merci, merci infiniment, dit Ãlisa, pendant quâelle tentait dâessuyer les larmes qui glissaient lentement sur ses joues. Tu es adorable.
Jack resta silencieux, et il lui serra la main encore plus fort.
Lâenseigne de lâhôtel apparut au bout de la rue, quâils parcoururent sans rien dire. Puis le colonel ralentit et arrêta la voiture juste devant lâentrée. Ils se regardèrent intensément. Pendant un long moment, aucun dâeux nâosa parler. Jack savait quâil devait faire le premier pas, mais Ãlisa le précéda.
â Câest maintenant que tu devrais me dire que la soirée a été splendide, que je suis magnifique, et moi je tâinviterais à monter pour boire quelque chose.
â Oui, lâusage lâimposerait, commenta Jack, un peu dérouté par ces mots. Câest ce que je ferais si tu étais comme les autres, mais ce nâest pas ce que je pense.
Il reprit son souffle et il continua.
â Je pense que tu es une personne très particulière et que cette soirée passée ensemble mâa donné lâoccasion de mieux te connaître, et de découvrir beaucoup de choses que je nâaurais jamais pensé trouver chez une « archéologue ».
â Je prends ça comme un compliment, dit-elle, essayant de dédramatiser un peu.
â Derrière cette armure de femme forte et indestructible, je crois que se cache une petite créature tendre et effrayée. Tu es une fille très douce, et dâune sensibilité unique.
Il allait peut-être regretter ce quâil allait dire, mais il fit appel à son courage et continua.
â Franchement, une nuit de sexe à archiver, comme tant dâautres, absolument inutiles, et qui, le matin suivant, ne te laissent rien quâun immense vide, ça ne mâintéresse pas. Je voudrais plus avec toi. Tu mâas toujours beaucoup plu, je lâavoue.
Il ne pouvait plus sâarrêter, maintenant. Il lui prit les deux mains, les serra et poursuivit.