Si on excepte les malheurs, vous voudriez être la nouvelle Romy Schneider ?
Encore un beau compliment ! Ressembler à une telle, à une autre, ou encore à telle autre belle femme. Ce sont de très beaux compliments, tout ça, mais je veux surtout être moi-même. Je fais tout pour être moi-même.
Quâest-ce que vous vouliez faire, quand vous étiez petite ?
Je ne pensais absolument pas à devenir top model. Jâaurais voulu être avocate.
Comme votre père ?
Oui, jâaurais volontiers travaillé dans son étude. Et puis tous mes projets ont sauté. Quand je me suis rendue compte de la chance que jâai eue, jâai décidé de renoncer.
On dirait que votre histoire est une fable des années quatre-vingt-dix. Et les moments difficiles ?
Il y en a, bien sûr. Mais je me sens toujours à ma place, par exemple.
Quel est votre secret ?
Beaucoup de discipline. Et puis la capacité à être avec les autres. Jâaime être avec les gens. Jâaime répondre rapidement aux tirs croisés des journalistes, pendant les conférences de presse. Câest comme un défi. Je nâai pas peur, voilà .
Ce nâest quâune question de discipline ?
Il faut aussi beaucoup dâéquilibre. Pour ça, lâéducation que jâai reçue est fondamentale : ça mâa beaucoup aidée. Elle a forgé mon caractère en me donnant sécurité, pragmatisme et équilibre. Elle mâa habituée à ne pas perdre le contrôle de la situation dans les moments les plus compliqués. Si aujourdâhui je peux parler en public sans timidité, par exemple, tout le mérite en revient à mes parents.
Dâaprès les médias, vos amours naissent et changent rapidement, Albert de Monaco aujourdâhui, Julio Boca [6] demain. Qui est la vraie Claudia ?
La vraie Claudia est une jeune femme qui a beaucoup dâamis. Le prince Albert est lâun dâentre eux, Julio Boca en est un autre. Mais il y a aussi Placido Domingo ou Peter Gabriel, et beaucoup dâautres personnalités. Dès que je suis photographiée avec lâun dâentre eux, la presse du monde entier nous transforme instantanément en fiancés ! Mais ce nâest pas vrai.
Mais, dans votre vie future, il y a un fiancé, un mari, des enfants ?
Je suis tout à fait disposée à tomber amoureuse, et même vite. Mais pour lâinstant je nâai aucun compagnon, pour la simple raison que je ne suis amoureuse de personne.
Que regardez-vous le dâabord chez un homme ?
Je nâai pas dâidéal esthétique. La première chose que je regarde, câest le caractère, et surtout le sens de lâhumour. Je demande à un homme dâavoir du charme, de me conquérir par son intelligence, par son esprit, en somme. Quâil sache ce quâest lâhumour et quâil puisse me lâapprendre. Si on ne peut pas rire, dans la vieâ¦
Câest difficile, dâêtre votre fiancéâ¦
Tous les compagnons des personnes célèbres doivent avoir un caractère fort. Moi, jâaime les hommes de caractère, mais il faut aussi quâils soient sensibles. Pour se promener avec moi, il faut supporter le vacarme, les intrusions, les ragots, les journalistesâ¦
Vous ressentez de la culpabilité ?
Câest-Ã -dire ?
Eh bien, il me semble que vous avez tout : beauté, célébrité, richesseâ¦
Je sais que jâai de la chance, ça oui, et je remercie Dieu et mes parents qui mâont fait naître comme ça. Câest pour ça que quand je peux, jâessaie de faire quelque chose dâutile, de social.
Mais dans la mode, il nây a pas que des bons sentiments. Il y a aussi la drogue, lâalcool, les rivalitésâ¦
La drogue et lâalcool ne mâintéressent pas. Les jalousies, si, par contre, mais je ne les comprends pas. Les tops ont des physiques, des caractères et des mentalités tellement différents que, pour moi, chacune a sa place. Et puis ce nâest pas la peine dâêtre très belle. Chaque femme a quelque chose de beau. Il faut juste le mettre en valeur.
Que faut-il pour percer ?
Du caractère, surtout, parce quâil y a plein de belles femmes, dans le monde. Et puis avoir une formation, une personnalité, et de la discipline.
Discipline alimentaire, aussi ?
Pas trop. Je ne fume pas et je ne bois pas dâalcool, mais câest seulement parce que je nâaime pas ça. Je ne mange pas beaucoup de viande parce que je crois que ce nâest pas bon pour la santé, et je fais attention aux graisses. Mais jâadore le chocolat⦠Ah ! Et le Fanta, bien sûr ! (Elle rit ).
Quel rapport avez-vous à lâargent ?
Ce nâest pas le plus important, mais il me permettra, plus tard, de faire ce que jâai envie. Lâargent, câest la liberté.
Que signifie le mot sexe, pour vous ?
Pour moi ? (Elle est vraiment étonnée ).
Oui, pour vous.
Eh bien, câest quelque chose qui se passe naturellement entre deux personnes amoureuses lâune de lâautre. Rien dâautre.
Vous pensez avoir une grande force érotique, ou sensuelle, plutôt ?
Absolument.
Absolument pas ?
Si, absolument !
4
Gong Li
Ãclair de lune
Début 1996, je venais de prendre mes fonctions de correspondant en Extrême Orient et, avec dâautres journalistes, je fréquentais John Colmey, le collègue du Time à Hong Kong. John me mit en relation avec la manager de la superbe actrice chinoise Gong Li, de qui jâobtins une interview exclusive pour Panorama , sur le plateau du film quâelle tournait, près de Shanghai.
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à Suzhou, sur les rives du Lac Tai, cent kilomètres à lâouest de Shangai, Chen Kaige sâapprêt à tourner lâune des dernières scènes de son film Temptress Moon , très attendu trois ans après le succès mondial dâ Adieu ma concubine. Ses assistants courent entre les plus de deux cents figurants en costume années vingt qui ont envahi le môle du port. Les femmes portent le traditionnel cheongsam de soie, des gentilshommes lisent, assis sur un palanquin, et, à lâarrière-plan, des dockers chargent des marchandises sur un vapeur. On tourne une grande scène dâadieu : Gong Li, Ruyi dans le film, belle et capricieuse héritière dâune richissime famille de Shangai dans laquelle on se livre à des incestes, des rites opiacés et des trahisons croisées, va partir pour Pékin avec son fiancé Zhongliang : Leslie Cheung, l'acteur de Hong Kong qui était déjà à ses côtés pour Adieu ma concubine .
Sur le quai, il y a son ami dâenfance Duanwu (interprété par la nouvelle promesse du cinéma taïwanais Kevin Lin), qui, depuis toujours, aime secrètement Ruyi : « Tu dois penser : câest la dernière fois que je la vois, la dernière fois ! On doit le lire sur ton visage, câest ça que je veux voir !» lui recommande Chen Kaige, quarante-six ans, veste de cuir et jean noir. « Bien... Yu-bei ... (prêts,ndr ) ... Action !». Quand Kevin Lin se tourne et regarde partir le vapeur, on lit la douleur dans ses yeux. « Ok ! » crie Kaige, satisfait. Câest le dernier clap de la journée.
Après avoir passé plus de deux ans à réécrire le scénario, Kaige travaille dur pour que son film soit prêt pour le rendez-vous de Cannes, en mai. Numéro un du cinéma chinois des années quatre-vingt-dix, enfant de la balle (son père, Chen Huaiâai, était un monument du cinéma dâaprès-guerre) Chen Kaige est connu pour obtenir le maximum de ses acteurs, mettant parfois leur patience à dure épreuve. Et celle du gouvernement chinois également, qui, pendant des années, a interdit, coupé et censuré ses films, avant de devoir finalement lui reconnaître la stature dâun maître du cinéma contemporain.
Ce nouveau film, Temptress Moon, qui a pour lâinstant coûté six millions de dollars, est dâune certaine façon le symbole de la situation actuelle du cinéma chinois, oscillant entre libéralisme et répression, diffusé sur les marchés internationaux, mais les pieds bien plantés dans son sol natal ; cosmopolite et chauvin à la fois. Et on croirait que le tournage du film est une version miniature de la Chine contemporaine.
Les protagonistes sont la fine fleur de ce que proposent, à lâheure actuelle, « les trois Chines » : Hong Kong (Leslie Cheung), Taïwan (Kevin Lin) et la Chine populaire (Gong Li). Le réalisateur est un intellectuel de Pékin, et la productrice, Hsu Feng, une ex-star du cinéma taïwanais, mariée à un homme dâaffaires de Hong Kong, où dans les années soixante-dix, elle avait fondé Tomson Film. Câest justement elle qui, il y a huit ans, a convaincu Kaige de porter à lâécran la nouvelle de Lilian Lee, Adieu ma concubine ).
Mais si la nouvelle Åuvre de Kaige suscite de grandes attentes, celles du public et de la critique sont encore plus fortes à lâégard de la performance dâactrice de lâincontestable star du film, Gong Li. Ãgée de trente et un ans, lâactrice est sans aucun doute la Chinoise la plus connue au monde. à son actif, des films tels que Le sorgho rouge (1987), Ãpouses et concubines (1991) et Adieu ma concubine (1993). Et une longue histoire dâamour, qui vient de sâachever, avec Zhang Yimou, son compagnon pendant huit ans, le réalisateur qui a fait dâelle une star mondiale et avec lequel elle a tourné un dernier film lâannée passée, Shanghai triad .
Mais le succès rencontré auprès du public occidental nâa pas empêché Gong Li de rester Chinoise à cent pour cent.
à la fin de sa journée sur le plateau, elle a accepté de se raconter dans cette interview exclusive pour Panorama .
Câest un autre grand film, mais câest un autre film historique, qui parle de la Chine des années vingt et pas des événements historiques récentsâ¦
Je crois que câest lié au fait que la Chine nâa ouvert que très récemment ses portes au reste du monde. Depuis, le cinéma aussi a bénéficié chez nous dâune plus grande ouverture stylistique et culturelle. La censure a certainement joué pendant des années un rôle décisif dans le choix des thèmes et dans le destin de notre cinéma. Mais il y a aussi une autre raison, plus artistique, si lâon peut dire : de nombreux réalisateurs chinois pensent quâil est bon de faire des films sur les événements datant dâavant la Révolution culturelle. Câest une façon de réhabiliter ces événements et ce passé. Et peut-être pensent-ils quâil est encore trop tôt pour porter à lâécran, à lâintention du public international, des épisodes récents qui sont encore trop frais et douloureux dans la mémoire collective.
Vous êtes la femme chinoise la plus populaire au monde. Sentez-vous la responsabilité de ce rôle dâambassadrice ?
Le terme dâambassadrice mâintimide un peu⦠je trouve que câest un titre trop lourd pour moi. Disons quâà travers mes films je me sens plutôt comme un pont entre notre culture et celles de lâOccident. Ãa oui : parce que je pense quâen effet on ne connaît pas grand chose de la réalité de la Chine contemporaine, chez vous. Et si un de mes films pouvait servir à faire comprendre un peu mieux notre vie, notre peuple, nous tous, alors je me sentirais vraiment fière.
Ces derniers temps, cependant, lâimage de la Chine nâest pas des meilleures dans le monde : exécutions de masses, orphelinats de la mort⦠Tout cela correspond à la réalité ?
La Chine a de nombreux problèmes, câest sûr. Surtout si lâon ne prend en compte que les événements négatifs, en oubliant le positif. Si on ne connaît dâun pays que les tortures, il est clair quâon en a une image incomplète. Mon pays est grand, nous sommes plus dâun milliard de personnes, et il y a donc des différences énormes à lâintérieur de la Chine. Et ce nâest pas facile dâémettre des jugements.