Vous a-t-elle déjà demandé un téléphone portable ?
Oui.
Vous voyez bien que javais raison ! Elle essaie de vous rouler!
Elle nous a simplement demandé de vous appeler, à plusieursreprises, répliqua le médecin.
Mappeler, moi ?
En effet. La psychologue soutient qu'une sorte de dépendance àvotre égard sest créé à cause du seul souvenir qui lui reste.Kendra Palmer souffre terriblement, elle se sent seule etabandonnée. Elle na personne et subit péniblement cette amnésiequi la frappée. Notre conseil est de revenir la voir, de luiparler en vous efforçant de mettre de côté la rancune que vous luivouez, à moins que vous ne vouliez lui dire toute la vérité.
Je ne rentrerai pas dans ses jeux tordus.
Je ne crois pas quelle soit en train de jouer mais, si vousvoulez des réponses, je pense que vous êtes le seul à pouvoir lesobtenir. Vous êtes à lorigine dun premier souvenir chez elle. Quisait si votre voisinage nen ferait pas ressortir dautres.
4
ALEKSEJOù est-elle ?, dis-je les dents serrées pour contenir macolère.
Javais cédé sous la contrainte à ce chantage et à présentjétais là.
Arrivé dans la chambre de cette sale menteuse, pour la guérisonde laquelle et pour garder ce lieu secret et sous surveillance jedéboursais des milliers de dollars, je trouvai son lit vide.
Je ne comprends pas Elle ne peut pas marcher toute seuleNous lavons raccompagnée ici il y a quelques minutes, après laséance de scanner, me répondit linfirmière.
Cherchez-la et ramenez-la ici tout de suite, ordonnai-je,avant de perdre toute patience.
Jessayais de deviner comment elle avait pu séchapper lorsquejentendis du bruit provenant de la salle de bain privée de lachambre.
À lintérieur, je trouvai immédiatement Kendra.
Elle se tenait au rebord du lavabo pour éviter de tomber et seregardait dans le miroir.
Elle était encore plus pâle et plus maigre que lors de madernière visite.
Cest moi, celle-là ?, me demanda-t-elle, désespérée, pointantson image réfléchie.
Je mapprochai avec précaution et me plaçai à côté delle.
Daprès toi ?
Elle murmura avec tristesse, les larmes aux yeux : Je Jenen sais rien. Je ne me reconnais même pas.
Tu ne devrais pas te lever du lit seule, lui reprochai-jequand je vis les difficultés quelle éprouvait pour se déplacer, aupoint que je dus la soutenir pour la reconduire au lit.
Elle me demanda : Qui suis-je, Alexej ?
Donc tu es décidée à continuer avec ce petit jeu.
Pourquoi supposes-tu que je suis en train de jouer ? Suis-jedune telle mesquinerie pour tattendre et agir ainsi avec toi?
Oui, répliquai-je, surpris par sa question et par son regardinquiet.
Quel mal tai-je fait pour mériter une telle réponse de ta part?
Je le lui rappelai : Tu mas trahie et menée en bateau, mepenchant vers elle et la regardant fixement.
Je ne me rappelle pas Excuse-moi Je ne sais même pas quije suis et tu sembles être la seule personne qui me connaisse.
En effet. Une connaissance chèrement payée.
Je suis désolée Je ne sais pas quoi te dire.
Lorsque tu es venue vers moi et que tu as choisi de me suivre,je tavais avertie de ne jamais tenter de me rouler.
Quand cela est-il arrivé ? Depuis quand nous connaissons-nous?
Huit mois, lui répondis-je, mefforçant de cueillir le moindresigne de tromperie dans son regard et dans sa voix.
Ça ne fait pas longtemps.
Question de point de vue.
Tai-je parlé de moi pendant tout ce temps, qui jétais avantde te connaître ?
Je le lui rappelai : Tu as toujours été très évasive quant àton passé, omettant les recherches que javais effectuées sur soncompte.
Pourquoi ?
Peut-être à cause de ton passé criminel. Ma réponse la fitsursauter de frayeur. Je lobservai avec attention : elle semblaitsincère.
Moi, une criminelle. Oh mon Dieu ! Ai-je tué quelquun ?,bégaya-t-elle mal à laise, les joues rouges de honte.
Cela je nen sais rien. Mais tu as passé deux années enprison.
Kendra pâlit entièrement.
Déçu par lincrédulité que je lisais dans son regard, jepoursuivis : Pour vol de bijoux. Je mattendais à une riposte desa part ou de lindignation pour mes dires. Mais au lieu de cela,rien.
Je suis une mauvaise personne, dit-elle, commençant à pleurer.Pourquoi es-tu resté auprès de moi pendant ces huit mois ?
Tu venais de sortir de prison et tu avais aucun endroit oùaller. Dautre part mes affaires tintéressaient. Jai choisi de tedonner une chance, tout en sachant les risques encourus, mais jetai crue sur parole lorsque tu mas jurée que jamais tu nemaurais trompé.
Tai-je volé ?
Tu as essayé et puis tu es allée au-delà.
Tai-je fait du mal ? Est-ce pour cette raison que tu es sifâché contre moi ?, sefforça-t-elle de me demander, commençant àgémir à cause dun mal de tête.
Cest à toi de me donner des réponses, répliquai-je avecsévérité, indifférent à sa migraine.
Mas-tu poussée dans les escaliers ?
Non. Jallais me lever pour partir mais je fus retenu par lamain gauche.
Je ten supplie, ne me laisse pas seule, me dit-elle dun tonsuppliant, peu avant de sendormir.
***KENDRACe mal de tête ne mavait plus lâché depuis quAleksej étaitparti.
Jétais anéantie par ce quil mavait raconté.
Il était déjà difficile de navoir plus aucun souvenir. Maisapprendre que javais un passé aussi lourd me fit presque désirerde ne jamais retrouver la mémoire.
Je me renfermai sur moi-même, réfléchissant à cela pendant touteune journée, lorsque, le soir suivant, Aleksej apparut.
À la différence des autres fois, il portait des jeans et uneveste en daim, au lieu du costume sombre et de la chemise blanchehabituels. Ses cheveux dun noir de jais étaient toujoursparfaitement coiffés en arrière.
Il prit une chaise près du lit et sassit, mobservantattentivement.
Je mhabituais à sa présence mais ses yeux étaient comme despuits obscurs dans lesquels on risquait de tomber. Il étaitimpossible de détourner le regard. Comme si un aimant mattiraitvers lui jusquà mengloutir.
Salut, lui dis-je, masseyant aussi.
Daprès les médecins tu es en voie de guérison. Lhémorragiesest résorbée et tu peux bouger le bras de nouveau, commença-t-ilsans rendre mon salut.
Oui Je dois te remercier pour tout. Une infirmière maexpliqué que cest toi qui paies toutes les dépenseshospitalières.
Exact.
Je promets de te restituer jusquau dernier centime.
Jen doute.
Je chercherai du travail. Tu sais, jai pensé à ce que tu masdit et jai décidé, quand bien même la mémoire me reviendrait, queje nagirai plus de façon criminelle, lui dis-je décidée,déterminée à considérer ce qui métait arrivé comme un signe dudestin et à changer de vie.
Aleksej ne me répondit pas mais il semblait troublé, vu la façondont il passait continuellement les mains dans ses cheveuxnoirs.
Puis il se leva dun coup, sapprêtant à partir.
Puis il se leva dun coup, sapprêtant à partir.
Pleine despérance, je me hasardai à lui demander, Viendras-tume voir demain encore ? Mais pour toute réponse il me lança uncoup dœil fuyant et partit sans me dire au revoir. Commetoujours.
Cinq jours passèrent.
Chaque soir, à la même heure, Aleksej apparaissait à la porte,sasseyait à distance et me regardait.
Pas de salutation ni dallusion à mon état, étant donné que leneurologue le tenait au courant.
Un mur de silence se dressait entre nous, jusquau moment où jeposais une nouvelle question, à laquelle il avait toujours uneréponse prête.
Cest ainsi que javais appris ma date de naissance : le seizeoctobre, vingt-neuf ans plus tôt, à Seattle. Apparemment je navaisplus de rapport avec ma famille depuis pas mal dannées et tout cequAleksej avait pu me dire était que ma mère, Ulita Smirnov, étaitdorigine russe, alors que mon père, Jacob Palmer, était américain.Jétais fille unique.
Je navais pas de domicile fixe ni un travail digne de cenom.
Je lui avais demandé ce que je faisais pour lui mais il nemavait pas répondu.
Eh bien, quelle est la question du jour ?, commença Aleksej encet instant.
Ai-je fait des études supérieures ?
Je nen sais rien.
Ai-je des amis ?
Non.
Penses-tu que je devrais prendre contact avec ma famille ? Lefait de les voir maiderait peut-être à recouvrer la mémoire.
Jai déjà fait des recherches à leur sujet, sans résultat.Peut-être ne sont-ils plus de ce monde.
Oh, murmurai-je, accablée.
Où irai-je lorsque je sortirai dici ? Es-tu vraiment sûr queje naie pas un domicile ?
Oui.
Alors où ai-je vécu pendant toutes ces années ? Où sont meseffets personnels ?
Ils sont chez moi.
Chez toi ?!
Oui.
Pourquoi ?
Avant quAleksej répondît, linfirmière, qui mavait conduitefaire une dernière résonnance magnétique quelques heures plus tôt,pénétra dans la chambre.
Excusez-moi. Mademoiselle, je vous rapporte la bague que nousavions ôtée pour vous faire passer lIRM. Pardonnez-moi pour ladistraction ; elle était tombée par terre et je ne lavais pasvue, bredouilla-t-elle dun air embarrassée, regardant Aleksejavec crainte pendant quelle déposait la bague sur le bord de latable de nuit.
Au cours des derniers jours javais souvent joué avec cettebague, comme un anti-stress, sans jamais me demander quel rapportce bijou pouvait bien avoir avec moi. Mon esprit était trop confuset anxieux pour y penser.
Je remerciai linfirmière et elle disparut aussitôt.
Je me penchai en avant pour saisir le seul objet personnel quime restait mais, involontairement, de lextrémité de mes doigts, jele fis tomber par terre.
Je massis lentement, posai les pieds au sol et tentai demincliner. Mais la tête commença à me tourner et je sentais quemes jambes ne me porteraient pas si je devais maccroupir.
Heureusement Aleksej vint à mon secours et me prit le bras.
Tu as peut-être perdu la mémoire mais pas ta passion pour lesdiamants, en tout cas, sécria Aleksej dune voix tranchante,saisissant la bague pour me la tendre.
Prenant la bague de ses mains je demandai : Sagit-il de vraisdiamants ? Je fis ce geste sans le toucher car javais récemmentremarqué à quel point il gardait ses distances.
Oui.
Je la tournai entre mes doigts.
Elle était splendide et brillait dun vif éclat. Elle semblaitextrêmement précieuse.
Cétait une bague exceptionnelle, la plus belle quil maitjamais été donné de voir.
Cette phrase me traversa lesprit.
Émue et troublée par ce souvenir, je regardai Aleksej.
Il était assis à côté de moi et sa jambe droite frôlait lamienne.
Il y avait quelque chose dintime dans ce contact.
Je parcourus son corps du regard, jusquau visage.
Et je vis.
Nous nétions plus dans une chambre dhôpital mais dans unbureau luxueux, aux meubles dacajou.
Mes jambes nétaient plus à côté de celles dAleksej mais poséessur les siennes.
Jétais assise sur ses genoux.
Je pouvais entendre ma voix au loin, prononcer des paroles commeproposition et mariage.
Oui, je le veux, Aleksej. Je tépouserai.
Je sursautai, éperdue, et le flash-back sinterrompit instantanément.
Je retrouvai devant moi lhomme de mes souvenirs.
Tout va bien ?, demanda-t-il à limproviste dun ton sérieux,comme sil comprenait ce dont je me souvenais.
Jacquiesçai hésitante.
Je comprenais à présent les raisons de sa haine, mais pas aupoint de mabandonner seule et sans assistance.
Comment aurait-il pu accepter davoir épousé une criminelle?
Combien de mensonges lui avais-je racontés ?
Tu ne mas pas dit que nous étions mariés », parvins-je àarticuler malgré lembarras.
Contrarié, il réagit : Pardon ?!, séloignant brusquement.
Avons-nous des enfants également ?
De quoi diable parles-tu ?
Jai eu un flash-back où nous étions tous les deux : tu mas donnécette bague et je crois que tu mas fait une demande en mariage.Tout était un peu confus mais je me rappelle clairement tavoir ditque jen avais envie et que je tépouserais.
Passant la main dans ses cheveux avec fébrilité, au point dedéfaire sa coupe toujours parfaite, il minterrompit. Nous nesommes pas mariés.
Cela minquiéta davantage : Donc jai été victime dunehallucination.
Non, tu te rappelles bien, plus ou moins.
Et donc ?
Aleksej me fixa intensément, dune expression indéfinissable quifit battre mon cœur avec intensité.
Oui, nous devions nous marier, mais avec laccident il a fallutout ajourner, me répondit-il prudemment.
Pourquoi ne pas me lavoir dit plus tôt ? As-tu honte de moi dufait que je suis une voleuse ?
Aleksej ne répondit point mais il continua à me dévisager dunair incrédule.
Tu mas dit que je tai trahi. Cela signifie que jai couchéavec quelquun dautre, nest-ce-pas ? Cest bien ce que tu voulaisme dire ? Ou bien est-ce parce que je tavais dissimulé mon passéde délinquante ?, poursuivis-je sans broncher, décidée à obtenirdes réponses.
Je dois men aller, répondit-il sèchement, après un longsilence qui mépuisa.
Je le suppliai : Non, attends ! Aleksej !, en vain car ilétait déjà parti.
Le lendemain je ne le revis pas et jeus le pressentiment delavoir perdu pour toujours.
Lunivers entier seffondrait sur moi et je ne savais pascomment lempêcher.
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ALEKSEJJavais commencé ce petit jeu pervers, entremêlant vérité etmensonge, uniquement pour démasquer Kendra et son amnésieabsurde.