Kendra se laissa tomber sur moi.
La tête me tourne, murmura-t-elle en passant ses bras autourde mon cou.
Je la soulevai et elle se serra fort contre moi, comme si ellecraignait de choir dans le vide.
Je la reconduisis au lit et, lentement, ses mains se détachèrentde mon cou, me glissant sur les épaules et le long de mes bras.
Si elle navait pas été aussi bouleversée et tremblante,jaurais pu croire quelle me provoquait afin de me séduire.
Son touche léger et délicat avait quelque chose dintime et detendre, mais je ne me laissai pas émoustiller.
Jallais me retirer lorsque sa main droite sempara de lamienne.
Son tremblement cessa instantanément.
Je la fixai.
De son côté elle mexaminait. Son expression était perturbéemais ses yeux me regardaient fixement comme si elle espérait ytrouver une réponse.
Et maintenant, te souviens-tu de moi ?, demandai-je.
De nouveau confronté à son silence, je me détachai delle mais,à peine ma main abandonna la sienne, Kendra, effrayée, sursauta etse souleva brusquement pour la reprendre.
Un geste qui lui engendra une nouvelle douleur à lapoitrine.
La douleur la fit hurler et cela lempêcha de se pencherdavantage pour matteindre.
***KENDRAJavais la tête qui palpitait sourdement et je ne comprenaisrien.
Mon cerveau était vide de tout souvenir et ombre de raison, ilnétait plus que douleur et confusion.
Cet homme devant moi meffrayait mais, en même temps, il merassurait un peu. Était-ce dû au fait quil semblait me connaître ?Mais son regard et son attitude, sévères et implacables,résonnaient comme une sirène dalarme pour moi.
Une partie de moi-même voulait senfuir tandis que lautre mesuppliait de rester et de lui demander de laide.
Je ne savais pas quoi faire et, quand une nouvelle vague de peuret de douleur me submergea, ce ne fut quentre ses bras que jeperçus quelque chose de vaguement familier.
Peut-être était-ce le parfum de sa peau ? Une essence de bois,fraîche et chargée darômes. Intense et virile. Elle me rappelaitconfusément quelque chose mais quoi ?
Et ce visage
Je lavais déjà vu, mais tout était si confus dans mon esprit,du moins jusquà ce que mon regard fût attiré par le sien.
Je percevais quelque chose dans ces yeux dun noir débène. À lafois quelque chose de sauvage et de maîtrisé. Puissant etmagnétique mais également élégant, à limage des habits quilportait.
Tout de suite, javais ressenti une certaine timidité face à ceregard qui me fixait, comme si javais lhabitude de reculer pouréviter de déchaîner son côté agressif, qui semblait prêt à jaillirhors de lui pour détruire quiconque se fût trouvé dans lesparages.
Cette voix enfin Oui, je la connaissais. Jen étais sûre.Cétait cette voix qui mavait tant déconcertée parce que jétaissûre de lavoir déjà entendue ; mais cétait ce ton grave, rude etavec un accent étranger, qui mavait rendue nerveuse.
Même ses paroles mavaient effrayée.
Javais recherché leur signification, la raison pour laquelle ilétait autant en colère contre moi, mais je ne lavais pastrouvée.
Cette pensée mavait fait perdre mon calme et jétais prête àfuir ce danger que je sentais planer au-dessus de moi, telle uneépée de Damoclès.
Jétais terrorisée et toujours plus affaiblie, tant et si bienque mes jambes ne me portaient plus, mais, prise de vertige,javais pu reprendre mon souffle entre ses bras, rassurée parlodeur de sa peau.
Toutefois, il mavait laissée et, tandis que mes mainsparcouraient ses bras jusquà la pointe de ses doigts, je sentis àlimproviste la panique me submerger et métouffer.
Quand je vis sa main se séparer de la mienne, je fus envahiedune peur inexplicable.
Je me voyais de lextérieur, comme une spectatrice, pendant quemon corps tendait vers ce qui semblait être la seule issue avant detomber définitivement dans le néant.
Je bondis en avant quand, à limproviste, une douleur à lapoitrine, un peu en dessous de lépaule gauche, me transperça commesi on me poignardait.
Cela ne dura quun bref moment et, linstant daprès, le monderéel sobscurcit autour de moi.
Je me sentis déconnectée de la réalité, comme si javais étéparachutée dans un autre univers.
Jétais au sommet dun grand escalier, ample et élégant.
La main de cet homme était devant moi.
Elle était tendue vers moi et je pouvais sentir mon corps tendrevers elle, mais la douleur dans ma poitrine revint encore plusforte quauparavant.
Jeus la respiration bloquée dans la gorge pendant que mon corpstombait en arrière, basculant dans le vide.
En vain je mefforçai de contraster cette force invisible quimentraînait dans le gouffre, sans y parvenir.
Devant moi il ny avait que cet homme penché en avant pour merattraper.
Je vis sa main tendue vers moi mais je ne pus leffleurer quunefraction de seconde.
Je levai brièvement les yeux avant de tomber.
Mon regard croisa celui de cet homme.
Jy perçus une ombre de peur et dincrédulité.
Je murmurai : Aleksej, à la recherche désespérée daide, alorsque sa main séloignait de plus en plus et la douleur grandissaitjusquà devenir intolérable.
Puis tout disparut dans le néant.
Une obscurité seulement déchirée par mes hurlements mêlés à ceuxde cet homme qui appelait un médecin.
Mon cœur battait à tout rompre et, le corps secoué de peur, jerouvris les yeux pour mapercevoir que je pleurais.
Jétais totalement recroquevillée sur moi-même, telle unefeuille morte avant quelle finisse à la poubelle.
Je clignai les yeux pour me libérer des larmes et je la visenfin : la main de cet homme était entre les miennes.
Je la serrais fort au point de lui enfoncer les ongles dans lapeau.
Cette image fut comme un doux réveil pour moi.
Jy suis parvenue Je tai attrapé, balbutiai-je, secouéeà la fois de pleurs de soulagement et de ce qui paraissait être unehallucination étant donné que jétais revenue dans la chambreblanche où je métais réveillée.
Que dis-tu ?, me demanda-t-il confus, la respirationsaccadée.
Je Jallais tomber. Aleksej, mefforçai-je dexpliquer,sans toutefois parvenir à lexprimer. Jétais anéantie au point dene plus être capable de construire une phrase structurée.
Tu te rappelles de moi maintenant, siffla-t-il avec une nuancede sarcasme dans la voix qui me perturba.
Aleksej.
Oui, je me souvenais de lui, même sil ne sagissait que dunnom et dun corps physique sans aucune identité pour le moment.
Une petite lueur despoir et les souvenirs dun passé lointainet encore confus.
Jébauchai un sourire de soulagement.
A ce moment-là, le médecin arriva, accompagné de deuxinfirmières.
Aussitôt jentendis lhomme se fâcher et crier quelque chose. Ilme fallut du temps pour comprendre quil sexprimait dans une autrelangue.
Une langue que, petit à petit, je me rappelais avoir connue.
Ils parlaient de choc post-traumatique, dhémorragie cérébraleen cours de résorption, danxiolytiques, tandis que lhomme à moncôté était furieux de navoir pas été informé de ce qui venaitdarriver : il hurlait quil les payait suffisamment pour obtenirdes réponses à propos de ma santé et pour me guérir.
Nous ne savons pas le temps que cela prendra mais,certainement, pas moins dune semaine, tenta de dire le médecindans la même langue.
Nous ne savons pas le temps que cela prendra mais,certainement, pas moins dune semaine, tenta de dire le médecindans la même langue.
Une semaine ?!, se fâcha lhomme.
La laisser sortir plus tôt serait risqué. Il faut du temps pourque la micro-fracture au crâne cicatrise et lhémorragie nest pasencore totalement résorbée. Vu les circonstances, lhospitalisationne peut être inférieure à deux semaines.
Je ne veux pas rester ici !, dis-je, me mêlant de laconversation, serrant contre moi cette main que je ne voulais plusquitter.
Tu parles également russe Comment se fait-il que la chose neme surprenne pas ?, siffla nerveusement lhomme, et il madressaun regard si tranchant que jen eus le souffle coupé.
Tirant dun coup sec, il dégagea sa main de mon étreinte.
Non, soufflai-je faiblement, comme sil ny avait plusdair dans mes poumons.
Gardez-la aussi longtemps que vous voulez, mais je veux quecette mascarade finisse, gronda lhomme et, se levant de mon lit,il se dirigea vers la porte. Quant à toi, Kendra, tu as jusquàdemain pour recouvrer la mémoire. Il y a belle lurette que larécréation est terminée.
Aleksej, murmurai-je, angoissée à nouveau. Mais il sen alla,me laissant livrée à moi-même et à ces médecins qui mauscultèrentimmédiatement et me noyèrent de questions.
Je meffrayai parce que, au fil des questions quils meposaient, la conscience davoir un gros trou noir dans le cerveause faisait jour.
La question qui me tourmentait était mon identité : qui suis-je?
Aleksej était la dernière chose dont javais conservé unsouvenir.
Il était lunique point dappui pour méviter de retomber danslangoisse.
Je me demandai qui jétais et je me rappelai quil mavaitappelée Kendra, mais ce nom ne me disait rien.
Je demandai plusieurs fois des nouvelles dAleksej auxinfirmières, mais elles donnaient limpression de ne pasmécouter.
Je sentis la panique monter en moi mais, avant que je puisseréagir et courir vers la seule personne dont je me souvenais, lemédecin me fit une injection et je mendormis peu après.
3
KENDRAKendra, es-tu prête à te concentrer de nouveau pour visualisertes souvenirs ?, me demanda gentiment la psychologue à laquellesétait adressé le neurologue, faisant suite à deux jours de soinspour juguler mes accès de panique et les crises de nerf qui mefrappaient depuis que je métais rendue compte davoir perdu lamémoire.
Malheureusement, malgré la psychologue, mon état ne samélioraitguère.
À chaque fois que je fermais les yeux, je revivais la même scène: moi, en train de tomber dans les escaliers tandis que jessayaisde saisir la main dAleksej.
La doctoresse mavait expliqué quil ne sagissait pas dunehallucination mais dun retour sur ce qui métait arrivé, lescirconstances qui mavaient conduites à lhôpital, grièvementblessée, avec en particulier une fracture de la boîte crânienne,une cheville déboîtée, une fissure du ménisque, une lésion au brasdroit, un bleu au visage et une vilaine blessure à la poitrine dontjignorais encore la cause.
Pour les médecins jétais une miraculée car, suite à cettechute, jaurais pu y passer ou bien rester paralysée pour lerestant de mes jours.
Au cours des deux derniers jours, javais subi tout un tasdexamens et, finalement, lhémorragie cérébrale avait disparu, àla satisfaction générale.
Aleksej, toutefois, navait pas reparu et, plus le tempspassait, plus jétais agitée.
Javais demandé de ses nouvelles à plusieurs reprises, siquelquun connaissait le motif de sa colère à mon encontre ; maistous avaient éludé mes questions avec un certain embarras.
Kendra ?, me rappela la psychologue, me ramenant à laréalité.
Je vous lai déjà dit et répété. Je ne me souviens de rien. Jene sais ni mon nom, ni où jhabite, ni comment jai fait pouraboutir ici ; et même si cet homme sappelle Aleksej, en réalité jene me rappelle rien de lui. Tout ce que je sais de lui est quil meconnaît et semble vraiment fâché contre moi Que lui ai-je fait ?Pourquoi me connaît-il ?
Revenons à toi.
Je nen peux plus de toutes ces questions auxquelles je suisincapable de répondre, éclatai-je en sentant une migraine mesaisir, comme à chaque fois où je me troublais ou mefforçais de mesouvenir.
Jessaie simplement de taider.
Eh bien, si vous voulez maider, appelez Aleksej. Je suis sûrequil sera en mesure de répondre à vos questions et jepourrai
Tu pourras ?
Je marmonnai : Rien, lair embarrassée. Je ne voulais pas luiavouer combien je me sentais seule avec mes peurs et mesquestionnements, dans ce lit dhôpital, seulement entouréedétrangers.
Bien quil me fît peur, Aleksej était le seul souvenir qui merestait. La dernière chose qui me raccrochait à cette miette deraison sans laquelle je sombrerais dans la folie.
Monsieur Vasilyev nest pas disponible pour le moment.
Êtes-vous en train de parler dAleksej ? Ce nom ne me disaitrien.
Oui.
Harassée, je mécriai : Je vous en prie, jai besoin de lui. Jene sais pas ce que jai fait de si grave pour quil me haïsse tant,si seulement je parvenais à me rappeler, et jéclatai ensanglots.
Kendra.
Je voudrais seulement lui parler et obtenir des réponses,dis-je en sanglotant, pendant que mon esprit revenait au derniersouvenir qui me restait, me faisant désirer de rejoindre Aleksejpour me sentir en sécurité.
***ALEKSEJLorsque le nom du neurologue de la clinique apparut sur lécrande mon portable, je fus saisi à linstant dun voiledirritation.
Jespère que vous mapportez des bonnes nouvelles, débutai-jesans préambule.
Ce ne sont pas celles que vous attendiez, mais
Je coupai court, irrité : Alors ça ne mintéresse pas.
Monsieur Vasilyev, je vous en prie, croyez-moi si je vous disquil y a une probabilité réelle que la patiente souffre damnésierétrograde à cause du grave traumatisme crânien qui laffecte. Ilne sagit toutefois que dune lacune mnémonique, exclusivement liéeaux souvenirs, et non aux gestes ou aux comportements. Le langagena également subi aucun dommage et la dame passe du russe àlanglais sans la moindre difficulté. Sans compter que sa mémoirede court terme, ou post-traumatique, est intacte.
Je men fiche ! Je veux savoir ce quelle a fait au cours deshuit derniers mois, memportai-je en tapant du poing sur latable.
Il y des chances que la mémoire lui revienne, bredouilla lemédecin, visiblement mal à laise.
Je nen crois rien. Vous êtes lun des meilleurs neurologuessur place mais vous êtes stupide au point de navoir pas encorecompris que cette histoire damnésie nest quune comédie.
Le médecin me répondit sèchement : Il existe encore pleindinconnues dans mon domaine de compétence. Mais je peux vousassurer quil y a eu une lésion et quelle est encore là. À votreplace, je suggérerais que vous rendiez visite à cette femme.
Si elle ne sest pas déjà échappée, bien entendu.
Séchapper ? Vous ny pensez pas ! Sa chambre est soussurveillance constante, comme vous nous lavez demandé. En outre,létat de santé de la patiente est trop précaire pour quelle soiten mesure de se déplacer seule au-delà de quelques mètres.