La Cité Ravagée - Scott Kaelen 12 стр.


À travers les habitations, il regarda en direction des collines et des bois. Ses pensées étaient tournées vers Jalis, Oriken et Dagra, ses compagnons, avant qu'il ne fut forcé à raccrocher ses lames. Sa certitude que quelque chose clochait avait considérablement augmenté depuis qu'il avait entendu l'histoire de Jerrick. Et puis il y eut cette complication supplémentaire de Cela Chiddari qui avait passé l'arme à gauche...

"Patron."

"Agh !" Maros se retourna brusquement pour voir Henwyn debout près de lui. "Par les couilles en feu de Banael, mec ! Tu essaies de m'envoyer de vie à trépas ou quoi ?"

Le lancier vétéran réprima un sourire et inclina la tête en s'excusant. "Bonne nouvelle," dit-il. "Leaf est en route pour le quartier général et j'ai pu trouver un chariot et un conducteur. Je dis pas que deux mules nous ferons avancer plus vite mais je préfère ça que d'avoir à te porter sur mon dos si tu fatigues. Sans vouloir t'offenser, patron, mais tu es légèrement lourd même si ma force est légendaire."

"Ha !" Maros claqua une main sur l'épaule d'Henwyn, ce qui fit fléchir ses genoux d'un bon pouce. "Peu de mots plus vrais ont jamais été prononcés, Hen. Qui as-tu embauché ?"

"Le meunier. Wymar."

Maros grommela.

"Ouais, je sais. J'en ai essayé d'autres avant lui mais personne ne voulait risquer de s'aventurer au-delà des limites du Plateau avec rien de que des petits hameaux aux alentours. Wymar était le seul qui n'ait pas protesté d'office. L'appât du gain, sans aucun doute."

"Avec quelle facilité les gens d'ici oublient que les sabreurs leur facilitent la vie rien qu'en vivant dans cette ville. Par contre, quand il s'agit de rendre une faveur"

"Ce n'est pas tout, patron."

Maros émit un grondement sourd. "Quoi d'autre ?"

"Wymar est énervé, il a dû répartir sa charge de travail parmi le restant de son personnel pour ce qui semble être quelques bonnes semaines."

"Par Verragos, qu'est-ce qu'il raconte là ?"

"Renfrey," dit Henwyn en guise d'explication.

"Pfff, cette petite fouine ? Je l'ai à peine effleuré. Quel est le problème ?"

"Eh bien, on dirait qu'il est arrivé à rentrer chez lui après que je lui ai renversé un seau d'eau sale sur la tête pour le réveiller. Mais quand il s'est réveillé de son sommeil d'ivrogne, il s'est aperçu que son doigt était cassé."

"Son doigt ?"

"Et donc, il est en arrêt de travail."

"Ouais, et Wymar, il veut en tirer le plus grand profit. Je vois. L'étendue des dégâts ?"

"Il veut dix pièces d'argent pour la perte de travail."

"Dix ! Cet ivrogne de Renfrey ne doit pas gagner plus d'une pièce par semaine !"

Henwyn haussa les épaules. "C'est vrai mais le meunier prétend que la redistribution des tâches lui occasionne des coûts supplémentaires, plus la couverture des dommages pour la perte de travail qualifié, la chute du niveau de production, pour ainsi dire."

"Travail qualifié. Je lui en donnerais, moi, du travail qualifié. Bon, dix pièces d'argent pour ce sale voleur. Et le chariot ?"

"Eh bien, Wymar sera notre conducteur, et puis il parle de nourriture pour les mules, d'usure des roues du chariot"

"Par la verge poilue de Cherak !" Maros agrippa la clôture. Les muscles de son bras se contractèrent tandis qu'il serrait la poutre en bois.

"Doucement, patron," le prévint Henwyn comme la clôture commençait à se fissurer.

"Bien. Bien. Finissons-en, Hen. Je garde mon calme."

"Cinquante pièces d'argent."

La poutre fut arrachée de la clôture. Maros la jeta sur le côté. Un sourire crispé lui fendit le visage. "La violence me calme." Il leva les sourcils pour souligner le fait.

"D'accord," soupira Henwyn. "Je suis content que tu aies eu autre chose que ma pomme sous la main."

"Cinquante, ça fait dix pour cent du budget pour ce travail. Et tout ça va finir dans la poche de Wymar s'ils ne retrouvent pas le joyau, ou la moitié de la part qui me revient s'ils le trouvent. Par tous les dieux, mon gras, ça aurait coûté moins d'acheter deux mules pour toi et un chariot pour moi."

"J'ai essayé ça aussi." Henwyn haussa les épaules. "Tu sais qu'il y a peu de mules disponibles. Personne n'est disposé à en vendre. Si je me mets à leur place, je ne les blâme pas. Je ne peux même pas en vouloir à Wymar de vouloir garder un œil sur ses bestioles plutôt que de nous les confier."

Maros soupira. "Bah, on ferait tout pour les amis, non ? Va dire à ce voleur de meunier que pour le prix qu'il demande, on s'en va avant le coucher du soleil ce soir. Il a quatre heures pour se magner le cul et on est parti. Je ne suis pas parvenu à ce stade de ma vie sans faire confiance à mes tripes, et mes tripes me disent que Jalis et les gars sont en danger."

Chapitre Sept

Patience et Prières


Dagra et ses amis descendaient dans la vallée alors que le soleil du crépuscule plongeait dans l'horizon lointain. Les flèches et les tours fantômes de la cité au loin s'évanouirent à la vue, de même que le mur lui-même et ses créneaux. Le mur était encore à une heure de marche mais la nuit tomberait aussitôt une fois arrivés. Dagra regarda vers l'est, plissant des yeux en direction d'un gawek solitaire niché au pied d'un promontoire. Ses troncs jumeaux étaient enroulés l'un autour de l'autre, les hautes branches jetant une ombre longue sur le versant de la vallée.

"On ne met pas les pieds dans ce lieu oublié des dieux avant le lever du jour," dit-il. Voyant l'expression d'Oriken, il rajouta : "Pas de discussion. Je n'y mettrai les pieds qu'en plein jour et avec assez de marge devant nous. C'est déjà suffisant d'avoir à se promener dans une crypte au sein d'un cimetière, alors je ne vais pas passer des siècles à le faire dans l'obscurité s'il n'y a pas lieu de le faire."

Oriken haussa les épaules. "C'est désert, Dag. Je ne vois pas où est le problème."

"Dagra a raison," dit Jalis. "On ne sait pas ce qui s'y trouve. Pour autant qu'on sache, il pourrait y avoir un nid de lyakyn. Ou des cravants qui se sont adaptés à vivre dans des ruines plutôt que parmi les arbres. Ou encore d'anciens pièges tendus secrètement dans l'obscurité."

"Ça," dit Dagra d'une voix rauque, "et les esprits de tous ces païens morts qui hantent probablement les lieux. Non, non, oublie ça. Je suis d'avis de camper ici jusqu'à demain. On est bien arrivés jusqu'ici, qu'est-ce qui presse ?"

"On va aller jusqu'au point le plus haut et on trouve un endroit où camper," proposa Jalis.

"On pourrait tout aussi bien s'abriter sous cet arbre." Dagra fit un signe en direction du gawek. "Cet endroit en vaut bien un autre dans cette zone maudite."

Oriken secoua la tête. "On y est presque et tu te dégonfles."

Dagra lui lança un regard fâché.

"C'est une sage décision," dit Jalis en se dirigeant vers l'arbre. Alors que Dagra lui emboîta le pas, elle jeta un regard en direction d'Oriken. "Allez, on termine la journée ici et on attaque demain avec l'énergie du matin."

"D'accord, d'accord." Oriken tordit le rebord de son chapeau et se traîna derrière eux. En approchant du gawek, il dit : "Laissez-moi au moins explorer l'entrée avant la tombée de la nuit. Je promets de ne pas y entrer seul."

"Non. Personne ne va nulle part seul. Pas cette fois. Et puis, l'entrée est barrée. On aura besoin du grappin pour escalader." Voyant l'expression déçue d'Oriken, Jalis le regarda avec insistance. "Il y a un dicton de Vorinsia : c'est l'empressement qui a mis fin aux Edel."

"D'accord, d'accord." Oriken tordit le rebord de son chapeau et se traîna derrière eux. En approchant du gawek, il dit : "Laissez-moi au moins explorer l'entrée avant la tombée de la nuit. Je promets de ne pas y entrer seul."

"Non. Personne ne va nulle part seul. Pas cette fois. Et puis, l'entrée est barrée. On aura besoin du grappin pour escalader." Voyant l'expression déçue d'Oriken, Jalis le regarda avec insistance. "Il y a un dicton de Vorinsia : c'est l'empressement qui a mis fin aux Edel."

"Je n'ai aucune idée de ce que cela veut dire."

"C'est une phrase attribuée au Premier Ascendant à l'époque où Vorinsia avait conquis les terres du sud de l'Arkh, en commençant par Sardaya, puis Khalevali. Les nobles, appelés les Edel en langue vorinsienne, de Khalevali et de ma patrie, surestimant leurs forces, avaient monté une révolte contre la mainmise des forces de Vorinsia. La haute noblesse fut écrasée mais l'Arkhus appela à la clémence, autorisant aux membres survivants des familles à quitter leurs domaines et leur fortune." Arrivant à l'ombre des grandes branches du gawek, elle ajouta : "Ne joue pas au héros, Oriken."

Il se renfrogna. "C'est toi le patron, patron."

"Arrête avec ça."

"Comme tu veux, patron."

Jalis le menaça du doigt. "Malan-gamir !"

Oriken eut un sourire narquois. "Je le ferais avec plaisir, siosa, pouvons-nous attendre jusqu'à ce qu'il fasse noir ?"

Jalis leva le bras et, d'une tape, fit voler le chapeau de la tête d'Oriken.

"Eh !"

Alors qu'il se penchait pour le récupérer, elle lui lança un regard davertissement. "La verge divine, cher Orik, pointe aussi bien vers le trésor que vers le piège. Prends bien garde où tu pointes la tienne. Et maintenant, prends un bol et va voir si tu peux nous trouver des baies fraîches."

"Je me servirai de mon chapeau." De par son ton, il était clair qu'elle l'avait froissé.

"On ne mange pas dans ton vieux machin tout abîmé," dit Dagra. "Les baies de marécage ont déjà assez mauvais goût comme ça, sans y ajouter ta sueur et tes sales cheveux."

Oriken haussa les épaules et fouilla un bol dans son sac.

"Passe-moi l'arbalète, jeune fille," dit Dagra. "Je vais aller avec lui."

Oriken le regarda pendant qu'il refermait son bardas. "C'est un peu excessif."

Dagra rigola tout en prenant l'arbalète des mains de Jalis. "T'inquiète, je ne vais pas te tirer dessus juste pour avoir désobéi au chef."

"Ne commence pas," prévint Jalis.

Dagra inclina la tête et lui fit discrètement un clin d'œil avant de suivre Oriken. Même si son humeur s'était un peu allégée, son agitation intérieure demeurait.

Dagra s'appuya sur les troncs enchevêtrés du gawek et laissa son regard courir sur le paysage du soir recouvert de lumière argentée. Quelques nuages obscurcissaient la course ascendante d'Haleth qui n'était qu'une pâle lueur dans le ciel étoilé. Au-delà des pierres qui formaient la route, les endroits où se trouvaient des bancs de marécages étaient signalés par les minuscules point lumineux des feux follets qui luisaient au-dessus de la lande. Tout était calme, à part le gazouillis et le pépiement des passereaux, le lointain croassement d'une grenouille et les ronflements discrets d'Oriken.

Dagra posa ses coudes sur ses genoux et, pour ce qui lui semblait être la millième fois depuis qu'il avait pénétré les Terres Mortes, il appela les dieux de ses pensées. Aveia et Svey'Drommelach bénis. Prophète Avato. Sage Ederron. Écoutez votre dévoué en ce moment de besoin. Protégez-le de vos ailes alors qu'il se dirige vers les ténèbres et faites que votre divine bonté chasse le mal et les ombres. Donnez-lui la force d'aller là où vous n'êtes pas et, de là,deretourner dans votre domaine. Si c'est votre volonté, guidez son retour pour qu'il continue de vous servir, ou bien, si c'est votre volonté, guidez son âme vers Kambesh pour qu'il puisse renaître.

Alors que Dagra finissait sa prière, Oriken renifla dans son sommeil et claqua des lèvres. Dagra regarda dans sa direction et il se figea, l'estomac noué. Une silhouette pâle, bipède, était accroupie au-dessus d'Oriken, sa tête informe penchée sur la couverture qui recouvrait le torse d'Oriken, ses bras gélatineux sans mains tapotant le tissu de laine. Dagra, paralysé, fixait cette curiosité informe.

Sortant de sa transe, il appela Oriken à voix basse. Bien que la créature ne semblât manifester aucune agressivité, il ne voulait pas la provoquant en poussant un cri. Une règle fondamentale dans la nature sauvage était de ne jamais sous-estimer une faune ou une flore inconnue. Oriken grommela et se mit à ronfler doucement.

Dagra empoigna son glaive et s'accroupit. Il avança avec précaution mais la créature semblait concentrée, la tête perdue dans la couverture. Une fois tout proche, il l'attaqua de son glaive. La lame s'enfonça profondément dans la chose mais celle-ci réagit à peine. Il retira la lame et remarqua, abasourdi, l'absence de sang sur la peau blanchâtre ; bouche bée, il observa la plaie se refermer sur elle-même.

"C'est ça, sale bâtard," murmura-t-il tout en tranchant dans la tête de la créature d'un coup de glaive latéral. Le glaive plongea dans la chair molle qui offrit peu de résistance mais la lame passa au travers et la chair sembla se cicatriser instantanément. La créature leva la tête et se tint debout. Elle s'éloigna de la couverture et tourna son visage sans trait vers Dagra, puis s'en alla.

"Orik ! Réveille-toi !" Dagra se redressa, poursuivant du regard la créature qui s'évanouit dans la nuit.

Jalis se réveilla et se mit sur son séant. Alors qu'elle scrutait l'obscurité, un couteau à lancer apparut dans sa main.

Dagra attrapa Oriken par les épaules et il le secoua violemment. "Réveille-toi, merde !"

"Hein..." Paresseusement, Oriken se frotta le visage et finit par ouvrir les yeux. "Quelqu'un a mis de la mandragore dans mon thé ?"

"Tu n'as pas bu de thé," marmonna Jalis en remettant le couteau dans sa poche.

Oriken souleva la tête et regarda autour de lui. "Alors, Dag ?" dit-il encore endormi. "T'as vu quelque chose ?"

"Oui ! Non. Je ne sais pas. Il y avait..." Mais la créature étrange avait disparu.

Jalis lui lança un regard sévère. "Tu t'es assoupi et tu as fait un rêve ?"

"Non ! Je vous jure, il y avait quelque chose..."

"Eh !" Oriken se redressa et s'assit. Il jeta un coup d'œil à sa couverture. "C'est quoi ce truc blanc dont je suis couvert ? Dag ? Je ne plaisante, tu ferais mieux de ne pas"

"Il y avait une créature !" protesta Dagra pendant qu'Oriken se débarrassa violemment de sa couverture. "C'était un... ah, je sais pas !" Il bafouillait d'exaspération.

"Dégoûtant." Oriken pinça sa chemise entre deux doigts. "C'est passé au travers."

"Laisse-moi voir." Jalis se pencha au-dessus de lui et souleva sa chemise pour exposer la peau de son torse. Il y avait trois amas de cette substance collante emmêlés aux poils de sa poitrine et des cercles rouges se dessinaient au travers.

"Qu'est-ce que..." dit Oriken en attrapant la couverture pour essuyer le liquide. "C'est engourdi."

Dagra fixait la couverture des yeux. Les parties de laine où la créature avait posé sa tête et ses mains commençaient à se désintégrer.

Jalis l'avait également remarqué. En toute hâte, elle s'empara de son sac et en sortit une serviette et une pochette et elle versa de l'eau sur la poitrine d'Oriken. Avec le coin de la couverture, elle épongea la substance collante des plaies autant qu'elle le put. De la pochette, elle prit une feuille humide et la plaça sur la plus grande des trois plaies. "Le népenthès est le meilleur traitement que nous ayons sous la main pour le moment. Peut-être cette créature n'était-elle pas venimeuse."

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