La Cité Ravagée - Scott Kaelen 4 стр.


Oriken rejoignit Dagra. Il rigola et tapa son ami sur l'épaule. "Dag, si quelqu'un vit ici, leurs provisions doivent être exceptionnelles. Cette porte n'a pas été ouverte depuis des années." Du doigt il pointa les pissenlits qui croissaient en touffes sur les bords de la porte, ainsi que le lierre intact qui cheminait le long du cadre et à travers la porte. Il tendit la main vers la poignée et la tourna ; la porte sentre-bailla d'un pouce vers l'intérieur et une puanteur de moisi s'en échappa. Dagra froissa le nez de dégoût.

"Ça a besoin de prendre un peu d'air," remarqua Oriken. "Tout ira bien." Il enfonça la porte d'un coup d'épaule. Les branches de lierre cassèrent et la porte racla sur le plancher, les gonds gémissant jusqu'à ce que la porte heurte le mur. Ils furent accueillis par l'obscurité, imprégnée d'une odeur fétide et nauséabonde qui fit reculer Oriken d'un pas. "Ou peut-être que non," dit-il avec un haussement d'épaules.

Sur la droite de la pièce vide et poussiéreuse se trouvait une entrée vers une deuxième pièce. Oriken s'y rendit et jeta un coup d'œil à l'intérieur. "Hmm."

Jalis s'arrêta au centre de la première pièce. "Qu'est-ce que tu vois ?"

Oriken clignait des yeux dans l'obscurité. Puis, il eut l'air décontenancé. "Oh."

"Par la Fosse, qu'est-ce que tu veux dire Oh ?" Dagra grommelait alors qu'il se réfugia derrière Jalis. "Qu'est-ce qu'il y a là-dedans ?"

"Des toiles d'araignée." Oriken se tourna vers un jeu de volets derrière lui et ouvrit celui de gauche, faisant ainsi pénétrer un peu de la lumière du soir.

Jalis ne pouvait apercevoir ce qu'Oriken voyait mais quand elle le vit sortir de la deuxième pièce, les yeux plissés et secouant la tête, elle sut qu'ils ne passeraient pas la nuit là.

"On devrait aller voir une autre maison," suggéra Oriken, un regard appuyé en direction de Dagra.

"Allez, sois pas une mauviette." Dagra passa devant lui.

"Euh, Dag, à ta place"

Dagra entra dans la pièce et jeta un coup dœil sur le côté. Un air horrifié envahit son visage et il recula contre le cadre de la porte. "Par les dieux de lAu-Dessus et de lEn-Dessous !" Il s'éloigna en titubant et sengouffra entre Oriken et Jalis pour disparaître par la porte d'entrée. "Bordel !" cria-t-il. "Tu aurais pu me prévenir !"

"J'ai essayé !"

"Le prévenir de quoi ?" demanda Jalis.

Oriken haussa les épaules. "Comme je l'avais dit, il y a des toiles partout. Je ne les ai vues qu'après avoir ouvert le volet. Il y en a sur le cadavre, ça le recouvre comme un linceul."

"Oriken ! Tu sais comment est Dagra avec ça !"

"Oh, oui ? Et moi alors ? Il y avait une grosse araignée qui rampait sur le visage du cadavre." Il s'éloigna en frissonnant. "Je déteste les araignées !"

"Et je déteste les surprises !" cria Dagra de l'extérieur.

Tout en souriant, Jalis jeta un coup dœil dans la pièce adjacente. Son sourire s'évanouit quand elle aperçut un morceau de parchemin sur le bras de la chaise où le cadavre était affaissé. Elle s'en approcha et brossa les morceaux de toile qui y étaient accrochés, prit le papier et souffla la poussière accumulée dessus. Après avoir lu le morceau de papier, elle le replaça à côté du cadavre et regarda le visage desséché avec une touche de sympathie.

"Nous vous laissons en paix," dit-elle à voix basse. "Désolée de vous avoir dérangé." Elle quitta le bâtiment et observa ses compagnons qui se disputaient. "Vous savez," fit-elle remarquer, "j'ai parfois l'impression d'être une nourrice dans un orphelinat plutôt qu'une femme d'épée chez les Sabreus de la Guilde." Alors que les deux hommes marmonnaient leur désaccord, elle pointa la porte ouverte de son pouce par-dessus son épaule. "Ce gars-là est resté alors que tous ses voisins avaient décidé de partir. Il a refusé de se joindre à eux. Au lieu de cela, il est resté ici et est mort seul en toute dignité, ou du moins ce qu'il en croyait. C'est si triste de constater que quelqu'un se soucie plus de son petit lopin de terre que d'une meilleure chance de survivre ailleurs."

Les hommes la regardèrent avec un air absent avant de reprendre leur dispute. Avec un soupir, Jalis les planta là. "Je vais aller vérifier la maison d'à côté. Araignées ou cadavres, restez derrière moi les garçons. Maman vous protégera."

"Tes un enfoiré," entendit-elle Dagra dire à Oriken alors qu'elle se dirigeait vers la demeure la plus éloignée.

"J'ai essayé de te prévenir," rétorqua Oriken. "Mais, non, il a fallu que tu débarques en héros. Tu croyais que c'était juste des araignées, cest ça ? Tu voulais me faire passer pour un trouillard. Espèce de nain stupide."

"De nain ? Je peux te mettre sur le cul en moins de temps qu'il ne faut pour le dire, espèce de bâtard dégingandé."

"Ah ouais ? Et pourquoi pas tout de suite ?"

"Les enfants !" leur cria Jalis alors qu'elle atteignait l'autre chalet. "Vous allez vous tenir mieux que ça, sinon je vous jure que je vous la mets, cette fessée !" Elle observa leurs expressions abasourdies, puis se tourna vers le chalet et, d'un coup de talon, en fit céder les portes. Les charnières cédèrent et les battants s'ouvrirent vers l'intérieur. Les mains à portée de ses poignards, elle s'avança dans l'obscurité et attendit que ses yeux s'ajustent. Les sombres contours de quelques meubles se dessinaient dans la pièce simple ; il y avait une cheminée sur le mur opposé, une palette sur un côté et un garde-manger de l'autre. Elle vérifia rapidement que rien de mort ne traînait dans les coins à l'exception d'un squelette de rat dans la cheminée et qu'il n'y ait pas trop de toiles d'araignée.

Dagra et Oriken entrèrent, lair penaud.

Elle leur lança un regard impavide. "La voie est libre. Vous êtes en sécurité."

Quelques minutes plus tard, alors qu'Oriken s'affairait à allumer un feu dans la cheminée, Jalis s'assit sur une chaise branlante et regarda Dagra. L'homme barbu se tenait debout au milieu de la pièce, les yeux baissés sur le sol couvert de poussière. Il était visiblement encore secoué.

Il leva les yeux et croisa son regard. "N'y a-t-il donc rien qui te dérange ?" demanda-t-il. "Mêmes les hommes ou les femmes les plus coriaces ont une faiblesse. Ça fait cinq ans qu'on te connaît et je ne t'en connais aucune."

"Il y a une chose dont j'ai peur," admit-elle. "C'est de perdre."

"Perdre quoi ?"

Elle le regarda tout droit. "Les gens que j'aime."

Il poussa un grognement et sa barbe se fendit d'un sourire forcé mais chaleureux. "Eh bien, il est peu probable que tu ne nous perdes de sitôt. Pas à moins qu'une araignée monstre ne descende par la cheminée et n'avale Orik."

"Ou," dit Oriken tout en frappant un silex contre une pierre à feu, "à moins que le cadavre dans la maison là-bas ne vienne dans la nuit pour réclamer Dag à la porte."

Dagra s'emporta contre lui. "Il a fallu que tu le dises, hein ?"

"Je suis sérieuse," leur dit Jalis. "Nous allons vers l'inconnu et je déteste ne pas savoir. On a failli perdre Maros cette année. La formidable équipe de quatre est passée à trois et nous pouvons nous considérer chanceux de nous en être sortis."

"C'est vrai," acquiesça Dagra. "Ça, nous le sommes."

"C'est un métier dangereux." Jalis se leva, dégrafa son matelas de son paquetage et le déroula sur la palette. "C'est vrai, en onze ans au sein de la guilde, je n'ai vu qu'une poignée de sabreurs mourir pendant un contrat. La plupart était des compagnons, ou moins que ça." Elle jeta une couverture sur son matelas puis se retourna vers les deux hommes. "Statistiquement, plus vous gravissez les échelons, moins vous risquez de mourir comme sabreur ; vous êtes en chemin pour devenir maîtres-lames au cours des deux années qui viennent mais bon, vous n'y êtes pas encore, alors, pas d'arrogance. Et pour l'amour du ciel, essayez de contrôler vos réactions. Dag, dans ta panique, tu aurais pu aveuglément courir depuis ce cadavre et te jeter dans les mâchoires d'une créature bien vivante. Comment expliquerais-tu ça aux Dyades dans l'au-delà ?"

Dagra gonfla ses joues et souffla. "C'est noté."

"Et Oriken, il y a peu d'araignées hostiles à Himaera. Tu devrais voir celles de Sardaya. Avec des gros corps boudinés et rayés de rouge et de blanc. Une morsure et on finit boursouflé comme un cadavre mûr." Oriken et Dagra marmonnèrent à l'unisson et, dans la sombre lumière du crépuscule, Jalis crut voir leurs visages prendre une teinte plus pâle. "Voyez comment ceci est facile ?"

"Facile et inutile." Oriken se concentra sur les outils qu'il avait à la main et recommença à frapper sa pierre à feu sur les brindilles.

"Sans parler des Danseurs de Pierre qui infestent les Terres Plates de Ghalendi," poursuivit Jalis en hochant la tête vers Oriken. "Les adultes font la moitié de ta taille. Et ils peuvent abattre une araignée d'un simple coup de leurs jambes dotées de lames. Sans armure et une bonne arme assez lourde pour les écraser, une seule de ces arachnides pourrait régler ton sort en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire."

Oriken lui tourna le dos. "Tu inventes, là."

"Alors, tu l'allumes ce feu ou non ?"

Avec un grognement, il redoubla d'effort. "Ce maudit bois n'est pas des plus secs. Et alors, tu as déjà vu une de ces créatures ?"

"Non, mais je connais des gens qui en ont vu. Il y a peut-être un tout petit peu d'embellissement autour mais je ne doute pas de l'existence des Danseurs de Pierre. Mon propos est que ta peur n'est pas naturelle. Les petites araignées d'ici ne peuvent pas te faire du mal."

"Ce n'est pas ça qui m'énerve, c'est leur façon de Voilà !" Une petite flamme se matérialisa sur les brindilles. Oriken souffla dessus doucement et le feu prit, radiant une lueur d'ambre dans la grisaille de la salle. "Ce qui m'énerve avec les araignées, c'est leur aspect et la façon dont elles bougent. Des créatures dégoûtantes." Il s'entoura de ses propres bras et se les frotta. "On peut changer de sujet ?"

"Chut !" Dagra leva la main pour faire silence.

"Quoi ?" dit Oriken, après un moment. "Je n'entends que des grincements de bois."

"Là, à nouveau." Dagra gardait sa voix basse. "Pendant que tu étais en train de parler."

Jalis attrapa son ceinturon sur la table à côté d'elle. "J'ai entendu." Encore faible mais immanquable, un cri de meute. "Des cravants. Dag, ferme la porte. Orik, aide-moi à pousser le garde-manger contre la porte." Elle attacha son ceinturon autour des hanches et s'avança vers le meuble imposant. Alors qu'Oriken prenait position à ses côtés, Dagra referma les portes du chalet ainsi que les volets en toute hâte. Jalis et Oriken s'abaissèrent derrière le garde-manger et placèrent leurs épaules contre le meuble. Puis, ils se mirent à pousser mais rien n'y fit. Plantant ses pieds plus fermement, Jalis mit tout son poids dans l'effort et sentit Oriken en faire de même. Le garde-manger racla et grinça sur le plancher, son contenu cliquetant à chaque poussée. Assez vite, ils parvinrent à le coincer fermement contre la porte.

"Il faut qu'on renforce les volets !" Dagra scanna des yeux le contenu de la pièce.

Jalis secoua la tête. "Il n'y a rien."

Oriken tordit le bord de son chapeau. "En général, les cravants laissent les humains tranquilles, mais ici, au-delà des dernières terres habitées..."

"C'est leur domaine," dit Dagra d'un air sombre. Les cris des créatures se faisaient de plus en plus pressants. Il tira son glaive. "Ils sont sortis des bois."

"Ils nous ont entendus et maintenant ils ont trouvé notre odeur." Jalis sortit leur mini arbalète de son paquetage. "Si nous restons silencieux, il se pourrait qu'ils s'en aillent après un moment."

Mais les volets sans renforts constituaient le point faible de la défense du chalet. Jalis chargea et arma l'arbalète, puis se tint prête derrière les deux hommes alors que ces derniers prenaient position près des volets. Ils attendirent en silence, écoutant les cravants bondir à travers la clairière, leurs cris gutturaux résonnant vaguement comme ceux des singes propres à l'extrême sud de l'Arkh. Jalis pouvait les imaginer dehors, leurs mâchoires proéminentes armées de chaotiques amas de crocs et cette deuxième paire d'yeux plus petits, telles des billes d'obsidienne sur les côtés de leur tête. Le cravant était une bête hideuse mais en dépit de son apparence, Oriken avait raison, ces primates qui chassaient en meute avaient tendance à éviter les humains, préférant rester invisibles et à couvert dans les profondeurs des bois. Mais ici, aux confins du Plateau de Scapa, il était possible que ces cravants n'aient jamais vu d'humains, les habitations les plus proches se trouvant à une demi-journée de marche vers le nord.

Quelque chose s'écrasa à l'extérieur et Jalis imagina les créatures se précipitant dans la première des maisons, suivant l'odeur des hommes mais ne trouvant qu'un cadavre mort depuis longtemps. Le bruit étouffé des pieds et des poings martelant le sol s'approcha du chalet et, malgré elle, Jalis tressauta lorsque des poings s'abattirent contre la porte, le bois partant en éclats lorsqu'il heurta le garde-manger. Les cravants rugissaient, sentant la proximité des sabreurs.

Le meuble bougea d'un pouce. Au-delà du seuil, la créature assaillante grogna de frustration et frappa plus fort contre la porte. Une charnière explosa de son support et une étroite ouverture apparut. Au travers, Jalis vit un corps massif recouvert d'une masse de poils noirs. Le cravant était de la même taille que Dagra, un peu plus court que Jalis. Un œil noir et rond scruta à l'intérieur puis le cravant se mit à rugir.

Jalis décocha son carreau. C'était un bon tir. Le projectile traversa l'ouverture et se ficha directement dans la gueule de la créature. Elle hurla de douleur et s'éloigna en titubant. Une autre prit sa place et Jalis réarma son arbalète.

D'un regard, Oriken lui enjoignit d'attendre, tandis qu'il alla rapidement planter son sabre entre la porte et le cadre, portant plusieurs coups dans la masse du cravant. La créature rugit et frappa le cadre de la porte de son coup de poing recouvert de pelage gris. Les serres épaisses qui formaient ses doigts se glissèrent dans l'ouverture. D'un coup, Oriken abaissa son sabre, faisant une profonde entaille dans les doigts de la créature et en amputant un. La créature en furie retira sa main et lâcha un rugissement monstrueux. Oriken battit en retraite et Jalis décocha son carreau. Le primate poussa un grognement et tomba à terre. Dehors dans la clairière, de sombres masses en mouvement convergeaient vers le chalet.

Des poings claquèrent contre les volets. De la poussière s'échappa des fissures entre les planches. Dagra prit du recul et brandit son glaive alors que les volets partirent en éclats. La forme sombre d'un cravant emplit l'ouverture, sa poitrine bandée de muscles ondulait alors qu'il leva les bras et poussa un rugissement.

Jalis prit un autre carreau et le fit glisser dans l'arbalète, tout en observant la créature levant son bras et se préparant à balayer Dagra d'un coup. Armant l'arbalète en toute hâte, elle appuya sur la détente et le carreau partit s'enfoncer dans l'un des quatre yeux de la créature. Dagra s'esquiva et planta son glaive dans le bras qui s'élançait vers lui. Le cravant s'empara de son visage, arrachant le carreau de son œil.

Il n'y avait pas grand-chose que Jalis pût faire à part charger l'arbalète, mais elle avait un nombre limité de carreaux. Il n'y avait pas non plus assez de place à la fenêtre pour que les deux hommes puissent y assurer une bonne défense sans risquer de se blesser l'un l'autre. Il leur fallait une nouvelle tactique.

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