La Cité Ravagée - Scott Kaelen 5 стр.


Jalis prit un autre carreau et le fit glisser dans l'arbalète, tout en observant la créature levant son bras et se préparant à balayer Dagra d'un coup. Armant l'arbalète en toute hâte, elle appuya sur la détente et le carreau partit s'enfoncer dans l'un des quatre yeux de la créature. Dagra s'esquiva et planta son glaive dans le bras qui s'élançait vers lui. Le cravant s'empara de son visage, arrachant le carreau de son œil.

Il n'y avait pas grand-chose que Jalis pût faire à part charger l'arbalète, mais elle avait un nombre limité de carreaux. Il n'y avait pas non plus assez de place à la fenêtre pour que les deux hommes puissent y assurer une bonne défense sans risquer de se blesser l'un l'autre. Il leur fallait une nouvelle tactique.

"Du feu !" cria Jalis. "Il y a une vieille torche sur le mur."

Oriken se précipita. Il s'empara de la torche et en plongea la tête dans l'âtre maintenant en feu. Les flammes prirent et il courut vers Dagra alors que le cravant blessé se préparait à une attaque. Alors que la bête se concentrait sur Dagra, Oriken lui planta la torche en feu dans le visage. Elle émit un hurlement perçant et se jeta dans la poussière pour tenter d'éteindre les flammes. Alors qu'elle se remettait sur pied, Jalis lui tira un carreau dans la tête. Le cravant hurla et s'éloigna en chancelant, fit plusieurs pas en titubant à travers la clairière, puis s'effondra au sol. Les hurlements se firent plus rares, de même que les mouvements de la créature, ce qui permit aux flammes de se propager.

Les autres cravants se recroquevillèrent dans les ténèbres, leurs yeux noirs scintillant comme des billes de feu. L'un d'eux tenta de s'approcher et Oriken brandit sa torche en sa direction. Les flammes lui léchèrent le bras et le cravant balaya la torche d'un coup, faisant tomber la tête et expédiant le brûlot rouler sous la palette fourrée de foin.

Alors que la puanteur de pelage brûlé et de chair rôtie s'engouffrait à travers les ouvertures, Dagra planta son glaive dans l'épaule de la créature. Elle alla s'affaler en arrière contre son compagnon à terre. Les flammes qui consumaient la première s'emparèrent de la seconde et, dans un cri d'agonie, elle sauta sur ses pattes et partit en bondissant vers le reste de la meute, les envoyant tous vers les bois. Le cravant en feu boita autour du chalet et les cris de la meute s'évanouirent alors qu'ils disparaissaient vers les profondeurs des bois.

La palette était en feu, de la fumée envahissait la pièce. Oriken avait sauvé son paquetage et son matelas juste à temps et il s'occupait du reste de leur équipement.

"Par les volets," cria Dagra, en hurlant en direction de Jalis et d'Oriken. "Maintenant !"

Ils s'emparèrent de leur paquetage et Jalis grimpa à travers les volets derrière Dagra. Il n'y avait aucun signe de la meute de prédateurs, à l'exception de celui qui était maintenant immobile au sol, quelques flammes parsemant son dos. Oriken se hissa à travers les volets ouverts, haletant de douleur alors qu'il glissa son sabre dans son fourreau.

"Tu saignes," dit Jalis.

Il jeta un coup d'œil à la déchirure de sa chemise sur son avant-bras. Attrapant la manche, il la déchira de l'épaule et se l'attacha autour de sa blessure. "Je m'occuperai de ça plus tard. Pour l'instant, il faut qu'on s'éloigne d'ici."

Alors que les trois couraient vers la Route du Royaume, Jalis pensa avec amertume : Une balade à la campagne. Au-dessus d'eux, le ciel brillait de pans étoilés pendant que, derrière eux, l'enfer du chalet en flammes rugissant dans la nuit s'éloignait dans le lointain et qu'ils s'enfuyaient à travers la bruyère.

Chapitre Trois

Tout À Moi


"C'est ça," dit Wayland en s'accroupissant à côté de Demelza. "Contrôle ta respiration. Suis le lapin avec ton arc. Là, tu retiens, tu armes et tu vises. Et une fois que tu es sûre, tu lâches."

À une courte distance et légèrement sur le côté du Gardien et de la fille, Eriqwyn avait les bras croisés et observait Demelza et le lapin. Elle va le rater, pensa-t-elle avec agacement. Son corps est crispé et elle n'est pastotalement concentrée. Étouffant un soupir, elle secoua la tête. Je suis PremièreGardienne, je ne devrais pas avoir à perdre mon temps avec celle-ci ; ça demande trop de patience pour faire entrer quoi que ce soit dans sa tête.

Cinquante mètres plus loin, le lapin sortit de derrière le buisson qui l'avait partiellement caché. Il s'arrêta, renifla l'air et dirigea son regard droit sur Demelza et Wayland. La fille décocha sa flèche qui traversa l'air ensoleillé et se ficha dans l'herbe plusieurs mètres avant sa cible. Le lapin disparut dans un saut. Furieuse, Demelza le suivit du regard alors qu'il s'échappait dans la lande. Eriqwyn ramassa son arc posé au sol et marcha dans leur direction.

Les yeux de Wayland sécarquillèrent et il se releva. "Ah ! Tu as vu ça ? Tu ne l'as pas eu avec ta flèche mais on dirait bien que ce pauvre animal soit mort de trouille !"

Eriqwyn se retourna. Le lapin s'était rapidement éloigné mais il gisait maintenant immobile, son ventre blanc couché dans l'herbe courte. Elle marcha vers la frêle créature et la toucha de sa botte. Elle s'agenouilla et posa une main sur sa poitrine. Son cœur s'était arrêté et son œil brun pointait aveuglément vers elle. Wayland avait raison ; l'animal était mort de peur.

Elle le saisit par la queue et se dirigea vers Demelza. "Ton trophée," dit-elle à la fille en lui tendant le lapin. "Mais il ne compte pas. Tu dois te concentrer davantage. Où avais-tu la tête ? Tu pensais à ta cible ou à autre chose ? J'ai l'impression qu'une partie de ton esprit était ailleurs." Elle regarda Wayland. "Demelza a besoin de plus d'entraînement sur cibles fixes jusqu'à ce qu'elle apprenne à se concentrer totalement."

Wayland haussa légèrement les épaules et hocha de la tête. "Si tu le dis."

"Et toi ?" Eriqwyn pencha la tête en direction de Demelza. "Qu'attends-tu pour aller récupérer la flèche que Wayland t'a généreusement laissé utiliser ?"

Le regard de Demelza semblait aussi funeste que celui du lapin quand il était en vie et aussi vide que quand il était mort. Tendant son arc à Wayland, elle partit en courant récupérer la flèche.

Eriqwyn soupira ; Wayland lâcha dans un souffle : "Ah, Queenie. Tu es trop dure envers la petite. C'est vrai qu'elle n'est pas la plus futée du village mais elle n'est pas sans talent."

"Et quel talent... Je suis Première Gardienne du Ruisseau du Vairon et je ne devrais pas perdre mon temps à chercher où ses talents se cachent."

"Et qu'en est-il de moi ? Linisa et moi sommes tes seconds pour ce qui est de la protection du village. Est-ce vraiment indigne d'un Gardien d'aider un jeune à devenir chasseur ? Bien sûr que non. C'est comme ça qu'on perpétue le cycle et que le village reste fort."

Eriqwyn aspira l'air à travers ses mâchoires serrées. "Pas besoin de me sermonner, mon vieux. Je sais tout ça. Mais cette fille..." Son regard fixait Demelza alors qu'elle retournait vers eux. "Elle est maudite du jour où elle est née. Il y a quelque chose en elle... Elle n'a ni mon affection, ni ma confiance. Tu en as vu beaucoup des lapins qui meurent de frousse comme ça ?"

"Ça arrive."

"Deux fois en deux semaines ? De la même fille ?" Elle se retourna vers Wayland et le fixa du regard, mais ses yeux s'adoucirent quand ils rencontrèrent le regard paisible de Wayland. "Continue à l'entraîner mais garde les rapports de progression pour toi. Je n'ai aucune hâte de savoir comment elle peine, ni d'entendre combien de créatures elle aura tuées d'un simple regard."

Wayland sourit et se tourna vers la fille qui arriva jusqu'à eux, la flèche dans sa main. "Qu'as-tu appris aujourdhui ?" lui demanda-t-il.

Le regard de Demelza alla de Wayland à Eriqwyn, puis d'Eriqwyn à Wayland. Sa bouche sembla fonctionner sans bruit avant qu'elle ne réponde. "J'ai appris..."

Eriqwyn fronça les sourcils. "Alors ?"

"J'ai appris à..."

Oh, pour l'amour des déesses, pensa Eriqwyn.

"Réfléchis à la question," dit Wayland, faisant montre de patience.

Demelza regarda le lapin que Wayland tenait dans sa main puis, après un long moment, elle dit : "J'ai appris qu'un lapin est moins intelligent que Melza." Eriqwyn étouffa un soupir et tourna les talons. Alors qu'elle s'éloignait, elle entendit Demelza ajouter : "Ben, il est toujours mort."


"Un marécage," grommela Oriken en libérant sa botte du bourbier dans un bruit de succion. Il jeta un coup d'œil devant lui, une plaine dégagée, des arbres épars et tordus, des touffes de roseaux et d'herbes qui parsemaient le paysage. "C'est bien ce qu'il nous fallait."

Des nuages s'étaient amassés et l'air s'était empli d'une fine brume. Le marais était infranchissable, à moins d'aller y patauger, un risque qu'Oriken ne voulait pas prendre. C'est notre sixième jour de voyage et on n'est même pas à mi-chemin, pensa-t-il, fronçant les sourcils en regardant sa botte couverte de boue. C'était leur premier obstacle, si on ne comptait pas ces putains de primates. Sous le bandage de son avant-bras, l'égratignure laissée par la griffe du cravant commençait à lui démanger.

"Il va falloir contourner," dit Jalis en s'asseyant dans les buissons qui avaient envahi les ruines de l'ancienne route pour retirer ses chaussures. "Tu as dit au sud, puis à l'ouest, c'est ça ?"

"Ouais." Oriken se frotta le menton piquant de barbe pour éviter de se gratter l'avant-bras. "La distance vers la côte est beaucoup plus courte à l'ouest qu'à l'est. À plus ou moins une trentaine de kilomètres à partir d'ici."

Dagra souffla. "Et à quoi ça nous sert de le savoir ?"

Oriken haussa les épaules, saisit son chapeau par son rebord et l'enleva. "Si on part vers l'est, ça nous rajouterait des jours, peut-être même une semaine entière, à notre voyage. Et puis, je préférerais avoir à traverser un littoral rocheux et des plages, plutôt que patauger dans une tourbière."

"Passons par l'ouest, alors," dit Jalis en retirant ses chaussures de son sac pour les enfiler à nouveau. "Ça ne nous sert à rien de savoir sur quelle distance s'étend le marais. On en suivra le bord d'aussi près qu'on le peut." Elle tendit la main à Oriken pour qu'il l'aide à se relever.

"Et si ça nous menait tout droit vers l'océan ?" demanda Dagra. "Tu parles d'une aubaine !"

Oriken passa une main dans sa chevelure abondante, puis il remit son chapeau tout en en tiraillant le bord. "Dans ce cas-là, on fera demi-tour et on repart vers l'est. Pourquoi envisager le pire, Dag ? Ce n'est déjà agréable pour aucun de nous. Faudrait que tu y mettes un peu du tien."

Dagra bougonna quelque chose dans sa barbe et lança un regard noir à travers la lande marécageuse.

"Qu'est-ce que tu dis ?"

"Rien. Rien du tout." Dagra marcha vers l'ouest en bordure du marais, un masque de contrariété plaqué sur le visage.

Se mettant en marche derrière lui, Oriken jeta un coup d'œil vers Jalis. "Il est trop crispé. S'il y avait un quelconque sanctuaire aux Dyades dans le coin, ça lui remonterait le moral en moins de deux."

Jalis hocha la tête. "Je commence à me rendre compte combien ça lui coûte de s'être joint à nous. Je n'avais pas idée de ce que ça lui ferait quand on était à la taverne."

"Il s'en remettra. Sa foi est la plus forte que je connaisse, à mon propre agacement, je dois le dire. Je lui donnerai un coup de main."

"J'espère que tu as raison," dit Jalis, "bien qu'à t'entendre, on dirait que tu places ta foi dans la foi de Dagra."

Oriken émit un rire tranquille. "Tu m'as bien eu, là."

L'après-midi passa lentement. La pluie, bien que légère, était incessante. Jalis et Dagra avaient remonté le capuchon de leurs manteaux tandis qu'Oriken avait revêtu sa veste en cuir de nargut. Ça le tenait au chaud et il était sec. Dagra les rejoignit et marcha de l'autre côté de Jalis, tous les trois longeant les bords du marais. Ils ne parlaient pas beaucoup ; Oriken se surprit à se demander ce qui pouvait bien les attendre. Ils n'étaient qu'à deux jours de marche de toute civilisation mais, en dépit du paysage familier qu'était Himaera, le Plateau de Scapa avait une atmosphère distincte. Le paysage dégagé lui donnait un sentiment de liberté mais le mettait également mal à l'aise, comme si la terre elle-même sentait leur présence et les considérait comme des intrus. Ce qui, bien sûr, ne faisait aucun sens.

Sans doute l'humeur de Dag qui déteint sur moi, pensa-t-il, puis il secoua la tête. Voyager et se retrouver dans la nature du jour au lendemain n'était nouveau pour aucun d'eux ; mais de pénétrer chaque jour un peu plus dans une vaste région inhabitée, une région que les vivants avaient désertée et abandonnée au passé, il ne parvenait pas à faire taire l'appréhension qui s'emparait de lui. Y avait-il vraiment une cité de l'autre côté des Terres Mortes ? Si c'était le cas, alors ce devait être une coquille vide, en ruine et envahie par la végétation.

Comme il avançait péniblement, la pluie battit plus fort et martela le bord de son chapeau. Alors que Jalis et Dagra marchaient en silence à ses côtés, perdus dans leurs pensées, Oriken se prit à penser à la légende de Lachyla. L'histoire de la cité était vague et embellie de légendes mais, quatre ans plus tôt, Oriken l'avait entendue savamment racontée par un Tisseur de Contes à la Folie de l'Aulne. À l'époque où Oriken et Dagra n'étaient encore que des débutants de la guilde et de nouveaux pensionnaires de la Folie de l'Aulne, ils vivaient dans la maison de la guilde avec Maros, Jalis et le reste des sabreurs, du temps où le Camelot Solitaire appartenait encore à Alderby. Le Tisseur s'y était arrêté une nuit.

Juste après minuit, dans la grande salle de la taverne, l'air était lourd de la fumée de bois, de bière et de dur labeur. Les sabreurs étaient regroupés à leurs tables près de la seule porte d'entrée. Oriken se souvenait avec une pointe de tristesse pour son mentor et ami sang-mêlé que Maros devait se pencher pour passer par cette porte, avant même que la lyakyn n'ait attaqué sa jambe. Un étranger entra par la porte et jeta un coup d'œil autour de la grande salle. Lentement, le silence s'abattit sur la pièce. L'homme, d'âge moyen, était aussi grand qu'Oriken. Il se dirigea vers le bar, écarta d'un geste les pans arrière de son pardessus bleu et brun et, d'un saut, se percha habilement sur le comptoir.

Depuis sa barbe sel et poivre soigneusement entretenue émergea le sourire de l'énigmatique Tisseur de Contes. Son regard glissa sur les visages captivés des clients silencieux. Ses yeux étaient vivaces. Son menton, légèrement en avant, démontrait une calme assurance. Tandis que le feu crépitait dans l'âtre, il lissa les plis de son pardessus et commença à tisser un conte...

Назад Дальше