Eh, tu es toujours vivant ?
Son gros acolyte ne devait pas être en meilleur état que lui. Après le vol plané que lui avait fait faire Pétri, un gros hématome avait surgi sur son genou droit, il avait une belle bosse sur le front, son épaule droite lui faisait un mal de chien, et son poignet droit était gonflé comme un ballon.
Je crois que oui, répondit-il dun filet de voix, marmonnant lui aussi à travers son bâillon.
Encore heureux. Ça fait un moment que je tappelle. Je commençais à minquiéter.
Jai dû mévanouir. Jai la tête cassée en deux.
Il faut absolument nous tirer dici, dit le maigre, déterminé.
Mais toi, ça va ? Rien de cassé ?
Jai peur davoir des côtes cassées, mais ça devrait aller.
Mais comment on a fait pour se faire avoir par surprise comme ça ?
Laisse tomber, on ny peut rien. Essayons plutôt de nous libérer. Regarde à ta gauche, là où le rayon de soleil arrive.
Je ne vois rien, répondit le gros.
Il y a quelque chose dà moitié enterré. On dirait un objet métallique. Regarde si tu peux y arriver, avec ta jambe.
Le bruit soudain de la fermeture éclair de la tente qui souvrait interrompit lopération. Laide qui était de garde passa la tête à lintérieur. Le gros fit semblant dêtre toujours évanoui, et lautre resta absolument immobile. Lhomme jeta un ou deux coups dœil, sattarda distraitement sur léquipement éparpillé à lintérieur, puis, lair satisfait, retira la tête et referma.
Ils restèrent immobiles un instant encore, puis le gros reprit le premier :
C'était moins une.
Alors, tu las vu ? Tu y arrives ?
Oui, oui, ça y est. Attends, jessaie.
Le corpulent pseudo Bédouin se mit à osciller légèrement du buste, essayant de détendre un peu les cordes qui limmobilisaient, puis il allongea autant quil le put sa jambe gauche vers lobjet. Il le touchait à peine. Il commença à creuser du talon jusquà ce quil parvienne à en déterrer une partie.
On dirait une truelle.
Ça doit être une Trowel Marshalltown. Cest linstrument favori des archéologues pour gratter le sol à la recherche de vieux bouts de poterie. Tu arrives à la prendre ?
Non.
Si tu arrêtais de te goinfrer avec toutes ces cochonneries, tu arriverais peut-être à bouger un peu plus, espèce daffreux gros plein de soupe.
Mais quest-ce que mon physique puissant a à voir avec ça ?
Bouge-toi un peu, physique puissant , tâche de récupérer cette truelle, sinon, en prison, ils trouveront bien le moyen de te mettre au régime.
Le gros eut tout à coup une vision terrible de bouillies insipides et nauséabondes, qui libéra en lui une force quil ne pensait plus avoir. Il cambra le dos autant quil le put. Un douloureux élancement traversa son épaule blessée et lui parvint directement au cerveau, mais il lignora. Dun coup de reins ferme, il parvint à placer son talon au-delà de la truelle, et, repliant rapidement la jambe, il la ramena vers lui.
Je lai eue ! cria-t-il derrière son bâillon.
Mais tu vas te taire, espèce dimbécile ? Quest-ce que tu as à crier ? Tu veux que ces deux énergumènes reviennent et quils nous bourrent de coups ?
Excuse-moi, répondit le gros, humblement. Mais jai réussi à lattraper.
Tu as vu que quand tu veux, tu peux faire quelque chose de bien ? Elle devrait être tranchante. Regarde si tu arrives à couper ces maudites cordes.
De sa main indemne, le gros attrapa le manche de la truelle et commença à en frotter le bord le plus coupant contre la corde, derrière son dos.
Admettons quon arrive à se libérer, dit le gros, à voix basse, comment on va faire pour se tirer dici ? Il y a plein de monde dans le camp et nous sommes en pleine journée. Jespère que tu as un plan.
Bien sûr que jen ai un. Ce nest pas moi, le cerveau de léquipe ? sexclama orgueilleusement le maigre. Pendant que tu faisais ta petite sieste, jai étudié la situation et je crois que jai trouvé un moyen pour filer.
Je suis tout ouïe, répondit lautre en continuant à frotter la truelle.
Le type qui est de garde passe la tête toutes les dix minutes, et cette tente est la dernière à lest du camp.
Et alors ?
Mais quest-ce qui ma pris de te choisir comme associé pour ce boulot ? Tu as limagination et lintelligence dune amibe, en espérant que les amibes ne prennent pas mal la comparaison.
Je te rappellerais quen fait, cest moi qui tai choisi, vu que cest à moi quon a confié le boulot, répliqua le gros, piqué au vif.
Tu es arrivé à te libérer ? coupa court le maigre.
La conversation tournait mal et, effectivement, son acolyte avait parfaitement raison.
Laisse-moi encore un peu de temps. Je crois quelle va lâcher.
En effet, peu après, la corde qui les retenait tous les deux au fût se rompit dans un claquement sec, et le ventre du gros, enfin libéré de cette contention, put reprendre ses dimensions habituelles.
Cest bon, sexclama le gros, tout content.
Parfait. Mais on va la garder sur nous jusquà ce que le garde repasse. On doit faire en sorte que tout ait lair comme avant.
Ok, partenaire. Je refais semblant de dormir.
Ils neurent pas longtemps à attendre. Quelques minutes après, en effet, la tête de laide du Professeur réapparut dans la tente. Il fit son habituel contrôle sommaire de la situation, remit la fermeture éclair en place, se replaça à lombre de la véranda et alluma tranquillement une cigarette roulée.
Maintenant, dit le maigre. Dépêchons-nous.
Vu les douleurs quils avaient tous les deux, lopération se révéla plus compliquée que prévu, mais, après avoir poussé quelques gémissements sourds et autant de jurons, ils se retrouvèrent debout, lun en face de lautre.
Donne-moi la truelle, ordonna le maigre en enlevant son bâillon.
Des élancements lempêchaient de se déplacer facilement, mais en plaquant sa main sur ses côtes, il réussit à soulager un peu la douleur. Il atteignit en quelques pas la paroi de la tente opposée à lentrée, sagenouilla et y enfila lentement la Trowel Marshalltown. La lame effilée de la truelle coupa comme du beurre le tissu léger côté est, ouvrant une petite fissure dune dizaine de centimètres. Le maigre y colla son œil et regarda quelques instants par la fente. Comme il lavait prévu, il ny avait personne. Il ne distinguait que les ruines de la ville antique, à une centaine de mètres, où ils avaient auparavant caché la jeep qui aurait dû leur servir pour senfuir avec le magot.
La voix est libre, dit-il, en prolongeant jusquau sol avec la lame de la truelle la petite fente déjà pratiquée. Allons-y.
Il se glissa en se faufilant dans la déchirure.
Tu ne pouvais pas le faire un peu plus large, ce trou, non ? grogna le gros, entre deux gémissements, alors quil essayait péniblement de se glisser lui aussi à lextérieur.
Dépêche-toi. Il faut filer le plus vite possible.
Jaimerais bien ty voir. Jarrive à peine à marcher.
Allez, grouille-toi et arrête de te plaindre. Rappelle-toi que si on narrive pas à se tirer, personne ne pourra nous éviter plusieurs années de prison.
La voix est libre, dit-il, en prolongeant jusquau sol avec la lame de la truelle la petite fente déjà pratiquée. Allons-y.
Il se glissa en se faufilant dans la déchirure.
Tu ne pouvais pas le faire un peu plus large, ce trou, non ? grogna le gros, entre deux gémissements, alors quil essayait péniblement de se glisser lui aussi à lextérieur.
Dépêche-toi. Il faut filer le plus vite possible.
Jaimerais bien ty voir. Jarrive à peine à marcher.
Allez, grouille-toi et arrête de te plaindre. Rappelle-toi que si on narrive pas à se tirer, personne ne pourra nous éviter plusieurs années de prison.
Le mot « prison » avait toujours le pouvoir de redonner des forces au gros. Il ne dit plus rien, et souffrant en silence, suivit son compagnon qui se faufilait en catimini entre les ruines.
Ce fut le bruit lointain dun moteur qui fit douter lhomme de garde. Il regarda un instant sa cigarette maintenant consumée, et la jeta dun geste vif. Il se glissa sans hésiter dans la tente et ne put en croire ses yeux : les deux prisonniers avaient disparu. Près du fût, la corde jetée en vrac, un peu plus loin, les deux bouts de tissu quils avaient utilisés comme bâillons, et une déchirure dans la toile de tente qui arrivait jusquau bas de la paroi du fond.
Hisham, les gars -hurla lhomme à plein poumons- les prisonniers se sont échappés !
Vaisseau Théos Le superfluide
La représentation de lobjet que Pétri avait placé dans linterstice entre Kodon et la Terre avait laissé les deux Humains bouche bée.
Mais quest-ce que cest que cette chose ? demanda Élisa, intriguée, en sapprochant pour mieux voir.
On ne lui a pas encore donné de nom officiel.
Pétri ramena létrange objet au premier plan et ajouta en regardant le Professeur :
Tu pourrais peut-être lui en choisir un, toi.
Je pourrais toujours essayer, si seulement tu mexpliquais ce que cest.
Ça fait longtemps que nos plus grands scientifiques se consacrent à ce projet.
Pétri se croisa les mains derrière le dos, et se mit à marcher lentement à travers la pièce.
Cet appareil est le résultat dune série détudes qui excèdent en partie mes propres connaissances scientifiques.
Et je peux vous assurer quelles sont remarquables, ajouta Atzakis, en tapant vigoureusement sur lépaule de son ami.
En quelques mots, il sagit dune sorte de système antigravitationnel. Il repose sur un principe qui est encore en cours détude, comme je vous le disais, mais que je peux essayer de vous résumer brièvement et simplement.
Je pense que ce sera beaucoup mieux, commenta Élisa. Noublie pas que nous appartenons à une espèce qui, comparée à la vôtre, peut tout à fait être qualifiée de sous-développée.
Pétri approuva discrètement. Puis il sapprocha de la représentation en trois dimensions de létrange objet et reprit tranquillement son explication.
En géométrie, on définit cet objet comme un tore. L'anneau tubulaire est vide, et ce quon pourrait simplement appeler son « espace central » contient son système de propulsion et de contrôle.
Jusque-là tout est clair, dit Élisa, très impatiente.
Très bien. Voyons maintenant le principe de fonctionnement de ce système.
Pétri fit pivoter limage du tore et en montra la partie intérieure.
L'anneau est rempli dun gaz, en général un isotope de lhélium, qui, porté à une température proche du zéro absolu, se transforme en un liquide aux caractéristiques bien particulières. Concrètement, sa viscosité devient pratiquement nulle, et il peut circuler sans générer aucun frottement. Nous appelons cette caractéristique « superfluidité ».
Là, je my perds un peu, dit tristement Élisa.
En deux mots : quand il est opportunément stimulé par la structure de lanneau, ce gaz, à létat liquide, peut se déplacer à lintérieur, sans aucune difficulté, à une vitesse proche de celle de la lumière, quil peut conserver pendant une durée théoriquement infinie.
Stupéfiant, ne put que dire Jack, qui navait pas perdu la moindre syllabe de toute lexplication.
Daccord, je crois que jai compris, cette fois, ajouta Élisa. Mais comment fera cet engin pour sopposer aux effets de lattraction gravitationnelle entre les deux planètes ?
Là, les choses se compliquent un peu, répondit Pétri. Disons que la rotation du superfluide à une vitesse proche de celle de la lumière génère une courbure du continuum spatio-temporel autour de lui, et cela provoque un effet antigravitationnel.
Pauvre de moi, sécria Élisa. Mon vieux professeur de physique doit se retourner dans sa tombe.
Et ce nest pas le seul, ma chérie, ajouta le colonel. Si jai bien compris ce quessaient de nous expliquer ces messieurs, là, il sagit de renverser des théories et des concepts que nos scientifiques ont tenté danalyser et détudier leur vie durant. Le principe dantigravité a été théorisé plus dune fois, mais personne na jamais réussi à le démontrer totalement. Nous avons devant nous il indiqua létrange objet- la preuve que cest réellement possible.
Je serais un peu plus prudent -dit Atzakis, refroidissant un peu lenthousiasme du colonel. Je suis en devoir de vous informer que cette chose na jamais été testée sur des corps aussi grands que des planètes ; ou plutôt, nous avons essayé il y a deux cycles, mais ça ne sest pas exactement passé comme nous le voulions. Qui plus est, des événements que nous navions pas prévu pourraient se produire et...
Tu es toujours le même oiseau de mauvais augure, réagit Pétri en coupant son compagnon. Le mécanisme a été démontré plus dune fois. Notre vaisseau lui-même utilise ce principe pour sa propulsion. Essayons dêtre optimistes.
Notamment parce quil me semble que nous navons pas vraiment dautres alternatives, sauf erreur de ma part ? dit Élisa dun ton amer.
Malheureusement, je crois bien que non, dit Pétri, désolé, en baissant légèrement la tête. La seule chose que je craigne vraiment est que, vu les dimensions vraiment réduites de notre tore, nous ne parvenions pas à absorber complètement tous les effets de lattraction gravitationnelle, et quune partie des gravitons puisse tout de même faire leur office.
Tu es en train de nous dire que cet engin pourrait quoi quil en soit ne pas suffire pour prévenir la catastrophe ? demande Élisa en sapprochant de lextraterrestre, menaçante.
Peut-être pas complètement, répondit Pétri en faisant un petit pas en arrière. Daprès les calculs que jai faits, je dirais que dix pour cent des gravitons pourraient échapper à cet espèce de piège.
Ça pourrait donc être une tentative inutile ?
Absolument pas, répondit Pétri. Nous réduirons les effets de quatre-vingt-dix pour cent. Il ne nous restera plus grand chose à gérer.
On lappellera « Newark » dit Élisa, satisfaite. Et maintenant, mettons-nous au travail. Sept jours, ça passe vite.
Base aérienne de Camp Adder L'évasion
Les deux étranges personnages, encore travestis en Bédouins, venaient tout juste de rentrer dans leur planque en ville, quand une légère sonnerie intermittente émanant de lordinateur portable laissé allumé sur la table du salon attira leur attention.