Et qui ça peut bien être, encore ? demanda le maigre, agacé.
Le gros, boitant de plus en plus, sapprocha de lordinateur, et, après avoir rentré un mot de passe très complexe, annonça :
Cest un message de la base.
Ils veulent sûrement connaître lissue de lopération.
Laisse-moi une seconde, je le décode.
Lécran afficha dabord une suite de caractères incompréhensibles, puis, après la saisie dune combinaison de codes successifs, le message se recomposa petit à petit.
Le général a été capturé et conduit à la base aérienne de Camp Adder. Nécessité opération immédiate de récupération.
Cest dingue, sexclama le gros. Ils sont déjà au courant.
Mais comment ont-ils su ?
Eh bien, ils doivent avoir des canaux plus directs que les nôtres. Rien ne leur échappe, à ceux-là.
Et comment on devrait faire, daprès eux ?
Quest-ce que jen sais. Le message dit juste quon doit aller le délivrer.
Dans létat où on est ? On est mal partis.
Le grand maigre tira une chaise de sous la table, la fit pivoter de quatre-vingt-dix degrés, puis, laissant échapper des gémissements de temps à autres, il sy effondra.
Manquait plus que ça.
Il posa un coude sur la surface plane et laissa flotter ses regards au-delà de la fenêtre quil avait en face de lui. Il remarqua que les vitres étaient vraiment sales, et que celle de droite était fêlée sur presque toute sa longueur.
Mais tout à coup, il leva brusquement les yeux vers son acolyte, et, après avoir ébauché un petit sourire sardonique, lui dit :
Jai une idée.
Je le savais, je connais ce regard.
Va chercher la trousse de premier secours, et montre-moi la bosse que tu as sur la tête.
En fait, cest plutôt mon poignet qui minquiète. Jai peur quil soit cassé.
Tinquiète pas, je tarrange ça. Quand jétais petit, je voulais être vétérinaire.
Après un peu plus dune heure, des doses massives danalgésiques et des pommades diverses passées en plusieurs endroits, les deux acolytes étaient presque remis à neuf.
Sétant regardé dans le miroir accroché près du mur de la porte dentrée, le maigre, satisfait, estima :
On peut sy mettre, maintenant.
Il fila dans la chambre et en ressortit peu après avec deux uniformes américains impeccablement repassés.
Mais où as-tu trouvé ça ? lui demanda le gros, stupéfait.
Ça fait partie de léquipement de secours que jai emporté. On ne peut jamais savoir.
Tu es complètement dingue, commenta le gros, en secouant légèrement la tête. Et quest-ce quon est censés faire avec ça ?
Voilà le plan, répondit le maigre, content de lui, en lançant vers son acolyte luniforme XXL. Toi, tu seras le général Richard Wright, responsable dune agence gouvernementale ultrasecrète dont personne ne connaît lexistence.
Bien sûr, puisquelle est ultrasecrète. Et toi ?
Moi, je serai ton bras droit. Colonel Oliver Morris, pour vous servir, mon Général.
Donc cest moi ton supérieur. Ça me plaît.
Mais nen prends pas lhabitude, ok ? fit le maigre, lindex levé. Et voilà nos papiers, et les badges correspondants.
Dingue. On dirait des vrais.
Et ce nest pas tout, mon vieux -il lui montra une feuille de papier à en-tête signée de la main du colonel Jack Hudson- voici la demande officielle de prise en charge du prisonnier pour son transfert dans un lieu plus « sûr ».
Mais où as-tu pris ça ?
Je viens de limprimer pendant que tu étais sous la douche. Tu crois que tu es le seul roi de linformatique ?
Je suis épaté. Elle est mieux que loriginal.
On va sintroduire dans la base militaire et on se fera remettre le général. Sils devaient nous faire des problèmes, on pourrait toujours leur dire dappeler directement le colonel Hudson. Je ne pense pas que son portable capte, dans lespace.
Ils éclatèrent tous les deux dun rire bruyant.
Environ une heure après, alors que le soleil était désormais caché derrière une haute dune, une jeep militaire, avec à son bord un colonel et un général auxquels il ne manquait pas un bouton de guêtre, sarrêta à la barrière daccès de la base aérienne dImam Ali, ou Camp Adder, comme les Américains lavaient rebaptisée pendant la guerre en Irak. Deux militaires armés jusquaux dents sortirent de la guérite blindée et se dirigèrent rapidement vers le véhicule. À couvert, deux autres soldats tenaient les passagers en joue.
Bonsoir Colonel, dit le soldat le plus proche, après avoir salué militairement. Je peux voir vos papiers et ceux du général, sil vous plaît ?
Le colonel grand et maigre, assis au volant, ne dit pas un mot. Il retira de la poche intérieure de sa veste une enveloppe jaune quil lui tendit. Le soldat prit son temps pour la lire, et pointa deux ou trois fois la torche électrique vers le visage de chacun deux. Le général sentit nettement la goutte de sueur qui, naissant sous la bosse de son front, descendait lentement sur son nez, pour tomber ensuite sur le troisième bouton de sa veste, invraisemblablement tendue par lintense poussée du gros ventre quelle couvrait.
Colonel Morris et Général White, fit le militaire, pointant à nouveau la torche sur le visage du colonel.
Wright, général Wright ! répondit le colonel maigre dun ton très irrité. Quest-ce quil y a, Sergent, vous ne savez pas lire ?
Le sergent, qui avait mal prononcé à dessein le patronyme du général, sourit légèrement et dit :
Je vous fais accompagner. Suivez ces hommes.
Dun signe, il ordonna aux deux autres soldats de les précéder en direction de la prison.
Le colonel démarra lentement la jeep. Il navait pas fait dix mètres quil entendit crier derrière lui :
Arrêtez-vous !
Le sang des deux occupants du véhicule gela dans leurs veines. Ils restèrent immobiles de très longs instants, jusquà ce que la voix reprenne :
Vous avez oublié de récupérer vos papiers.
Le corpulent général soupira si fort de soulagement que tous ses boutons de veste faillirent sauter.
Merci, Sergent, dit le maigre en tendant la main vers le soldat. Je vieillis plus vite que je ne le pensais.
Ils repartirent à nouveau et suivirent les deux soldats, qui, marchant dun bon pas, les conduisirent rapidement à lentrée dun bâtiment bas, de piètre apparence. Le plus jeune des soldats frappa à la grande porte et entra sans attendre de réponse. Peu après, un gros Noir, avec une tête de dur, se présenta sur le seuil et se mit au garde-à-vous. Il les salua militairement et dit :
Mon Général, mon Colonel. Entrez, je vous en prie.
Les deux officiers répondirent à son salut, et, essayant de faire taire les différentes douleurs qui se réveillaient petit à petit, se glissèrent dans lénorme pièce.
Sergent, dit résolument le maigre. Nous avons ici un ordre écrit du colonel Hudson qui nous autorise à prendre en charge le général Campbell.
Et il lui tendit lenveloppe jaune.
Le gros sergent louvrit et sattarda longuement à en lire le contenu. Puis, fixant le colonel de ses yeux sombres et pénétrants, il déclara gravement :
Et il lui tendit lenveloppe jaune.
Le gros sergent louvrit et sattarda longuement à en lire le contenu. Puis, fixant le colonel de ses yeux sombres et pénétrants, il déclara gravement :
Je dois vérifier.
Je vous en prie, répondit tranquillement lofficier.
Le gros Noir tira dun tiroir du bureau une autre feuille quil confronta attentivement à celle quil tenait à la main. Il regarda de nouveau le colonel, et, sans laisser paraître la moindre émotion, ajouta :
Les signatures coïncident. Pas dobjection à ce que je lappelle ?
Faites votre devoir. Mais tâchons de faire vite, sil vous plaît. Nous navons déjà perdu que trop de temps, répliqua le colonel maigre, feignant de perdre patience.
Pas le moins du monde impressionné, le sergent glissa lentement la main dans la poche de son uniforme et en tira son téléphone portable. Il composa un numéro et attendit.
Les deux officiers retinrent leur respiration jusquà ce que le militaire, après avoir appuyé sur une touche de lappareil, ne commente laconiquement :
Il nest pas joignable.
Sergent, peut-on accélérer ? sécria lofficier dun ton bien plus autoritaire que précédemment. On ne va pas passer la nuit là.
Va chercher le général, ordonna le gros sergent à lun des soldats qui avaient accompagné les officiers.
Une dizaine de minutes après, un homme complètement chauve, avec de grosses moustaches, des sourcils gris et deux petits yeux noirs et vifs, apparut sur le seuil de la porte derrière le sergent. Il portait un uniforme de général, mais une des quatre étoiles réglementaires manquait sur son épaulette droite. Il était menotté, et, derrière lui, le soldat qui lavait amené le tenait en joue.
En voyant les deux autres, le général tressaillit, puis, devinant leur plan, il resta silencieux et prit lexpression la plus triste quil put.
Merci, soldat, dit le colonel maigre en tirant son Beretta M 9 de son étui. Nous nous chargeons de cette crapule.
Vaisseau Théos Le plan daction
Tu ne trouves pas ça excitant, de savoir que nous allons sauver la Terre tous les deux, mon amour ? demanda Élisa en regardant le colonel avec des yeux de chaton enamouré et en lui prenant la main.
Mon amour ? Tu ne vas pas un peu vite ? la reprit Jack, irrité.
Élisa tressaillit, et ne comprit quil se moquait delle que lorsquil lui sourit avec douceur et lui caressa la joue.
Crapule. Ne me joue plus ce genre de tours, ou tu auras affaire à moi.
Elle frappait son buste de ses deux mains.
Du calme, du calme, lui murmura Jack en lattirant doucement à lui. Daccord, cétait une blague stupide. Je ne le ferai plus.
Cette étreinte soudaine eut sur elle un effet rassurant et relaxant. Elle sentit toute la tension accumulée jusquà alors fondre comme neige au soleil. Après tout ce qui sétait passé dans les dernière heures, cétait exactement ce dont elle avait besoin. Elle décida de se perdre dans ses bras, et, fermant lentement les yeux, appuya la tête sur son torse puissant et sabandonna complètement.
Atzakis sétait entre-temps glissé dans la cabine H^COM, toujours diaboliquement trop étroite, et attendait que la réponse à sa demande de communication lui parvienne dans la lunette holographique quil avait devant lui.
Partant du centre de lécran, une série dondes multicolores créait un effet semblable à celui dune pierre jetée dans les eaux tranquilles dune mare. Puis les ondes seffacèrent progressivement, laissant apparaître le visage creusé et marqué par les années de son supérieur Ancien.
Atzakis, dit lhomme en souriant légèrement, sa main osseuse levée en signe de salut. Que peut faire pour toi un pauvre vieux ?
Nous avons dit la vérité aux deux Terriens.
Démarche audacieuse, commenta lAncien en se prenant le menton entre le pouce et lindex. Comment lont-ils pris ?
Disons que, passée la première stupeur légitime, il me semble quils ont bien réagi.
Atzakis fit une brève pause, puis ajouta, dun ton très sérieux :
Nous leur avons proposé dutiliser le tore au superfluide.
Le tore ? sexclama son interlocuteur en se levant dun bond qui aurait fait pâlir denvie un petit garçon. Mais il ny a pas encore été soumis aux tests complets. Tu te rappelles ce qui sest passé la dernière fois, pas vrai ? On pourrait générer une fluctuation gravitationnelle avec cet engin, et il y a en plus le risque de créer un mini trou noir.
Je sais, je sais bien, répondit tout bas Atzakis. Mais je crois que nous navons pas dalternatives. Si nous nutilisons pas des moyens radicaux, le passage de Kodon pourrait cette fois-ci être fatal aux Terriens.
Quel est ton plan ?
On estime que les orbites des deux planètes se croiseront dans sept jours. Il faudrait que tu fasses préparer le tore et que tu le fasses apporter ici au moins un jour avant.
Ça ne me laisse pas beaucoup de temps, tu le sais.
Il faut que jaie un peu de marge pour le positionner, le configurer et pour la procédure dactivation.
Jai un mauvais pressentiment, dit lAncien, passant une main dans ses cheveux blancs.
Jai Pétri avec moi. Tout ira bien.
Vous êtes deux jeunes gens très capables, je nai aucun doute là-dessus, mais faites très attention. Cet engin pourrait se transformer en arme fatale.
Essaie de nous le faire avoir dans les délais, on soccupera du reste. Ne tinquiète pas.
Daccord. Je te recontacterai quand tout sera prêt. Bonne chance.
Le visage de son supérieur disparut de lécran, qui se remit à afficher les ondes multicolores.
Atzakis quitta lentement son inconfortable fauteuil et resta un moment les mains appuyées sur la surface de la minuscule console. Mille pensées tournaient dans son esprit, et, quand un léger frisson lui parcourut le dos, il eut nettement la sensation quils allaient au-devant dune infinité de problèmes.
Zak ! sécria joyeusement son compagnon daventures en le voyant sextraire de la cabine H^COM. Qua dit le vieux ?
Atzakis sétira un peu, puis répondit tranquillement :
Nous avons sa bénédiction. Si tout devait marcher comme prévu, nous aurions le tore, ou plutôt Newark, la veille du croisement.
Espérons quon y arrivera. Ça ne va pas être facile de configurer cet engin en si peu de temps.
Quest-ce qui tinquiète, compagnon ? répliqua Atzakis avec un pâle sourire. Dans le pire des cas, nous ne ferons quouvrir une distorsion spatio-temporelle qui engloutira dun coup la Terre, Kodon, Nibiru, et tous les autres satellites.
Les deux Humains, qui était restés un peu à lécart mais navaient pas perdu un seul mot de la conversation, restèrent comme pétrifiés.
Mais quest-ce que tu dis ? réussit tout juste à balbutier Élisa, qui le regardait, abasourdie. Distorsion spatio-temporelle ? Engloutir ? . Tu veux nous dire que, si ce plan devait ne pas fonctionner, nous serions à lorigine de la destruction de notre peuple et du vôtre ?
Eh bien, oui, il y a un risque minimum, commenta tranquillement Atzakis.
Un risque minimum ? et tu nous le dis comme ça, avec cette expression calme et sereine sur le visage ? Tu dois être fou, et nous encore plus.