Deux. Impair - Federico Montuschi 4 стр.


Et quel âge il a maintenant ?

Maintenant ? Il est mort. À quarante ans, dune tumeur aux poumons. Je ne lai jamais connu. »

Il y eut un instant de silence, pendant lequel Ronald aspira profondément une bouffée de fumée.

« Tu plaisantes, nest-ce pas ? », demanda Carmen à voix basse.

« Non, cest vrai quil est mort, mais je suis certain quil a vécu heureux, notamment grâce à ces délicieux cigarillos ...tiens, tu veux essayer ?

Jamais de la vie, Ronald ! Allez, démarre. Jai envie de bouger un peu. Et arrête de te moquer de moi, imbécile que tu es... ». Ronald mit le moteur en route, fit une manœuvre pour sortir du parking et avança tranquillement, en allumant la radio.

La musique de Coldplay enveloppa les pensées légères et parallèles des deux jeunes gens, qui ne parlèrent pas beaucoup pendant le trajet, tous deux absorbés par les mots de Chris Martin et par sa voix parfois grave, parfois aigüe.

En moins dun quart dheure, ils arrivèrent à la fête.

Nelly, la maîtresse de maison, attendait les invités en se dandinant un chandelier à la main devant le grand portail de la propriété, derrière lequel on pouvait entrevoir le majestueux jardin de la résidence secondaire de la famille.

Au centre du jardin, les jets dune vieille fontaine ronde, illuminés den bas par des projecteurs colorés, sélevaient dans le ciel, dépassant la statue placée au centre de cette même fontaine, un Éros improbable mal copié sur celui de Piccadilly Circus.

Dans la partie extérieure, située devant le portail, se trouvait un pré verdoyant que les invités déjà arrivés navaient pas hésité à utiliser comme parking, chose que fit également Ronald, en entrant en marche avant dans lespace libre mais étroit entre une Clio amarante et une Volvo bleue de grosse cylindrée.

« Merci Ronald, mais là, je ne peux pas ouvrir », dit Carmen, après avoir tenté douvrir la portière avec le plus de délicatesse possible, pour éviter dabîmer la Volvo voisine.

« Moi non plus. », répondit-il, « Mais ne tinquiète pas, la Deux-chevaux est une voiture aux ressources infinies ! ».

Il commença à tourner une manivelle qui pendait de la capote, près du miroir du rétroviseur et le toit de la voiture souvrit tout doucement.

« Génial ! En voilà une voiture moderne ! », sexclama Carmen qui, sans se faire prier, sauta avec agilité sur les sièges arrières et depuis ces derniers, atterrit en un clin d'œil sur le gazon, imitée par Ronald.

« Une façon stylée darriver à une fête, non ? »

Nelly sétait approchée, le chandelier toujours allumé entre ses mains pour éclairer le gazon. Elle affichait un sourire radieux, qui était le fruit de cinq années de soins dorthodontie et dune somme non négligeable dépensée par son père.

« Salut Nelly ! Quelle idée splendide cette fête ! On peut déjà entrer ? », demanda Carmen, en embrassant sur les deux joues son amie et se dirigeant vers le chemin daccès avant même de recevoir une réponse.

« Bien sûr, vous passez la fontaine et vous continuez sur la droite. Ensuite vous suivez les lumières, vous ne pouvez pas vous tromper, ok ?

No problem ! Jai fait des choses bien plus compliquées dans ma vie », répondit Ronald avec son habituelle ironie.

Ils sengagèrent dans le jardin en suivant le son de la musique, diffusée par le DJ à un volume assourdissant, plutôt que les lumières indiquées par Nelly ; les seuls voisins de la propriété étant les occupants du cimetière tout proche, il ny avait aucun risque quils se plaignent du bruit.

Misjudged your limits

Pushed you too far

Took you for granted

I thought that you needed me more more more!

« Boys dont cry ! Fantastique ! ».

Lémotion de Carmen surprit Ronald, qui avait pour la musique un simple intérêt superficiel.

« Comment fais-tu pour connaître une chanson qui date dil y a trente ans à partir de deux strophes entendue de loin ? », demanda-t-il en la regardant droit dans les yeux, comme pour souligner son sentiment de surprise.

Carmen répondit avec nonchalance sans se tourner vers lui.

« Cest une passion que mon père ma transmise. Il a une culture musicale infinie et il nous a éduquée ma sœur et moi au pain et au rock depuis lenfance. Et quand nous étions petites, il nous disait le titre et lauteur dune chanson, et la chantait dans son anglais approximatif, ce qui nous permettait cependant de suivre le texte beaucoup plus facilement en écoutant les versions originales, tu comprends ?

Bien sûr. Je comparerais cela à une forme de bilinguisme. Vous avez absorbé presque inconsciemment sa culture musicale, comme les enfants, dont les parents ont deux nationalités différentes, apprennent gratuitement les langues de leur père et de leur mère, sans aucun effort. Une sorte dapprentissage par osmose, voilà.

Plus ou moins... », répondit Carmen sans trop de conviction, juste avant dapercevoir, après une légère courbe du sentier sur la droite, lentrée du salon où se déroulait la fête.

La musique était forte et linstallation diffusait les basses avec une puissance singulière, qui semblaient rebondir dans le ventre des jeunes. Carmen et Ronald se jetèrent sur la piste, illuminés par un stroboscope des années soixante-dix qui lançait par intermittence des rayons de différentes couleurs, dans le plus pur style des épées Jedi de la Guerre des étoiles.

Carmen prit au passage un shot de vodka citron posé sur le plateau d'un serveur qui déambulait dans la foule et le but par petites gorgées rapides, sans sarrêter de danser.

Il lui sembla que le stroboscope augmentait progressivement la fréquence des coups dépées Jedi et cette image la fit sourire ; un sourire qui après cette dose de vodka devint rapidement un éclat de rire.

Un autre serveur avec des petites moustaches qui semblaient peintes sur son visage passa rapidement près deux et Carmen ne laissa pas échapper le verre de téquila quil transportait et quelle avala dun trait sans même y penser.

« Vas-y doucement, Carmen, tu nes pas habituée à boire », cria Ronald, sans sarrêter de suivre le rythme au centre de la piste, essayant de couvrir avec sa voix les décibels de la musique.

Mais Carmen ne sembla pas entendre et, petit à petit, elle disparut dans la cohue dansante, absorbée par lenthousiasme des fêtards.

***

Le taxi arriva sur la place située devant le grand portail de la villa peu avant onze heures.

À lentrée, les allées et venues navaient pas cessé, bien que la majorité des invités se soit déjà dirigée vers la piste de danse et vers le bar adjacent, où lalcool coulait à flot et, surtout, gratuitement.

La formule, barra libre [3] dans les fêtes privées, garantissait un pourcentage de personnes ivres bien supérieur aux normes des fêtes universitaires.

Un homme de taille moyenne descendit du taxi, paya sans demander son reste et sapprocha sans attendre de la grille.

Il savait que son arrivée serait vue par la majorité comme un fait pour le moins étrange, ou peut-être le craignait-il, mais il sefforça de se comporter de la façon la plus naturelle possible.

Il portait un t-shirt en coton bleu avec une petite étoile blanche au dos, un jean foncé moulant et des bottes noires à lacets blancs.

Il portait un t-shirt en coton bleu avec une petite étoile blanche au dos, un jean foncé moulant et des bottes noires à lacets blancs.

Sur sa tête, était posée une curieuse casquette rouge de baseball.

Nelly eut beaucoup de mal à masquer sa surprise.

« Père Juan ! Quel plaisir ! Quel bon vent vous amène ? »

Elle était certaine de ne pas lavoir invité. Il ne manquerait plus que ça, inviter un prêtre à une fête étudiante à la campagne.

Qui sait comment il avait eu connaissance de la fête, et qui sait comment lui était venue lidée dy participer.

Nelly remarqua lembarras affiché sur le visage de son interlocuteur et pour faire passer ce moment de gêne, elle préféra lui expliquer immédiatement le chemin pour arriver au salon.

« Tu passes la fontaine, tu suis le sentier sur la droite, et juste après tu trouveras la fête, ok ? Jarrive dans quelques instants, il est déjà onze heures, je crois que les invités sont tous arrivés maintenant. Et jai une envie folle de me jeter sur la piste moi aussi ! »

La jeune femme lui lança un regard dénué de toute malice, recevant pour seule réponse un sourire fuyant, tout juste esquissé.

Lhomme salluma une cigarette et se lança, légèrement vouté, sur le sentier illuminé par de petites torches parfumées.

Son arrivée dans le salon principal de la fête fut pour lui comme un coup de poing dans lestomac.

Volume de la musique très élevé.

Au milieu de la salle, des jeunes avec des rastas frappant violemment sur des bidons métalliques, en totale symbiose avec le rythme de la musique diffusée par les caissons de basse à deux mille watts, qui semblait vouloir se frayer un chemin à coups de coudes dans les viscères de chacun des participants.

Les rayons de lumière émanant du stroboscope suspendu au centre du salon et le parfum de laprès-rasage mélangé à lodeur de sueur de la foule.

Des serveurs dans des tenues visiblement informelles, mais portant tous un nœud papillon blanc comme signe distinctif, qui se déplaçaient sans cesse dans la salle brandissant sur une main placée en hauteur, juste au-dessus des têtes des invités, des plateaux argentés recouverts de boissons alcoolisées et dalcools forts, qui étaient vides quelques minutes seulement après avoir été remplis.

Il décida de rester en marge de la cohue, appuyé au montant de la gigantesque baie vitrée, qui dans les méandres de sa mémoire le ramena quelques années auparavant lorsquil étudiait la conception de larchitecture organique de Wright : elle garantissait la continuité essentielle entre le grand salon et le parc adjacent.

Observant la situation à la dérobée, il remarqua des personnes sortir parfois du cercle infernal pour prendre lair dans limmense parc de la propriété, où des groupes de garçons et de filles se formaient avec une rapidité surprenante et se défaisaient avec autant de rapidité, submergés par lappel de la musique, trop intense pour rester trop longtemps dans le jardin à discuter.

Il leva les yeux au ciel et remarqua un long nuage gris qui commençait à voiler la pleine lune qui, jusquà ce moment-là, avait incontestablement dominé cette nuit tiède costaricienne.

« Faisons un petit tour », pensa-t-il, se dirigeant à pas rapides vers le grand escalier de marbre blanc qui, partant du fond du couloir, sélevait, magistral derrière la salle de bal.

Lescalier lemmena au premier étage, exactement au-dessus du salon où se déroulait la fête ; lorsque les percussionnistes redoublaient de fougue, il pouvait sentir le sol vibrer.

Il remarqua deux portes en bois massif, lune sur la droite et lautre sur la gauche, tandis quen face des escaliers, après un salon ovale, une autre grande baie vitrée, en tout point identique à celle du rez-de-chaussée, permettait de profiter d'une vue imprenable sur le jardin.

La douce moquette bleue amortissait ses pas et cela lui donna envie de retirer ses bottes, ce quil fit, poursuivant déchaussé son petit tour dexploration.

Il traversa la pièce et profita pendant dix bonnes minutes du panorama, enveloppé par lobscurité, savourant calmement une cigarette tout juste allumée et samusant de temps en temps à observer la fumée monter vers le plafond incurvé.

Le nuage décoloré aperçu quelques minutes auparavant, avait entre-temps terminé son opération de couverture de la lune.

Ce fut pendant l'un de ces moments d'observation queut lieu, de façon inattendue, la panne délectricité ; les amplis du DJ étaient dignes dun concert de U2 et linstallation électrique de lédifice nétait pas conçue pour assumer une telle charge.

Le silence inopiné le prit par surprise, mais cela ne lempêcha pas de percevoir une sorte de râle provenant de lune des pièces qui donnaient sur le salon.

Il devait sagir dune jeune femme faisant un rêve ; le son semblait guttural mais il ne comprenait pas sil sagissait d'un gémissement de plaisir ou de douleur.

Il décida de rester immobile, tendant loreille et ne pouvant sempêcher de se sentir comme un setter qui cherche fiévreusement à localiser la source des sons perçus.

Le silence lenveloppa et, accompagné par la nuit noire, il provoqua en lui une sensation dinconfort.

Il récupéra ses bottes, sapprocha de la porte en bois massif doù provenait le bruit quil avait entendu et il baissa délicatement la poignée en laiton, qui nopposa aucune résistance.

Il ouvrit la porte et se trouva dans une grande pièce, dans laquelle, sur un grand lit, deux types en caleçons semblaient sacharner sur une femme bâillonnée, nue, attachée par les mains et les chevilles à la tête et aux pieds du lit, où les vêtements des hommes avaient été entassés.

Lun des deux était penché sur le nombril de la malheureuse, tandis que lautre semblait la caresser avec vigueur sur le visage.

Il eut limpression quil sagissait, plutôt que des caresses, de tentatives pour lui faire tourner la tête et lembrasser.

Elle résistait, bien que semblant totalement à bout de forces, émettant des gémissements confus dans un état de choc évident.

La pièce était faiblement illuminée par des bougies éparpillées ça-et-là desquelles séchappait un intense parfum de vanille, qui se mélangeait à lodeur de marijuana que deux autres hommes étaient en train de fumer, affalés sur de vieux fauteuils recouverts de velours vert.

Le courant fut rétabli quelques minutes plus tard, inondant la pièce de musique, dans laquelle personne ne semblait sêtre rendu compte de son entrée.

Les deux jeunes à moitié nus continuèrent de harceler la jeune femme, entre gloussements et regards entendus, tandis que les deux autres, les yeux mi-clos, se passèrent le joint en faisant un « check » de leur main libre.

Il croisa le regard de la jeune femme et il eut limpression quelle était sur le point de pleurer, bien que son expression soit totalement vide au point dêtre difficilement intelligible.

Il ne put sempêcher dadmirer le corps nu de la femme.

Sa peau était très blanche, ses jambes musclées.

Ses longs cheveux lisses caressaient ses épaules et couvraient partiellement son visage, décoiffés par les mains des deux jeunes au-dessus delle. Il tira une dernière bouffée de cigarette, jeta le mégot par la fenêtre ouverte et sassit sur le lit, en lui caressant les jambes.

Ce fut seulement à cet instant que les deux hommes fumant de la marijuana se rendirent compte de son entrée et, presque étonnés de cette approche inattendue, commencèrent à battre le rythme avec les mains, en criant « du sexe, du sexe ! ».

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