Le poste de standardiste au siège de la police de San José lui avait été confié en vertu de son affabilité envers les gens, qui malgré son accident était restée intacte.
Et ce jour-là ne fit pas exception.
« Police de San José, bonjour. Comment puis-je vous aider ?
Herreros b...bonjour, cest Castillo. Comment vas-tu ?
Salut Castillo ! Quel plaisir de tentendre, mon vieil ami ! Dis-moi tout.
Jaimerais savoir s...si quelquun de la brigade mobile est passé Calle del Tesoro ce ma...matin pour le suicide du Pè...Père Juan.
Il pleut, à ce que jentends, hein ? ».
Herreros savait qu'il pouvait se permettre ce genre de blague avec son ami, étant donné la confiance qui existait entre les deux.
« Jai entendu cette histoire du Père Juan, pauvre homme...je ne sais pas si quelquun de chez nous est intervenu, laisse-moi vérifier, je te rappelle rapidement.
Je te remercie. À plus tard, alors. À plus tard ».
Castillo fit deux pas en avant, en sautant par-dessus la flaque de sang sur le trottoir, et poussa avec la pointe des doigts la porte dentrée de limmeuble qui souvrit dans un grincement désagréable. D'un signe de tête, il invita le Slave à le suivre.
Dans le hall de limmeuble, un néon bancal illuminait sans conviction les escaliers, qui montaient à droite de lascenseur.
Une feuille de papier accrochée au mur avec du scotch indiquait au stylo rouge que lascenseur était en panne.
La loge du concierge, séparée du reste du hall par une fine paroi de verre qui sélevait à côté d'une minuscule porte de bois, était dans le noir le plus total.
Le dossier manquant de la seule chaise présente était le signe évident que personne naccueillait plus les habitants depuis cette petite pièce et ce depuis un bon moment.
Castillo en perçut latmosphère dabandon, le désordre, la lourde épaisseur de la poussière accumulée à lintérieur.
Il dépassa la loge et sengagea dans les escaliers, suivi par le Slave et accompagné par le bourdonnement du néon.
Lodeur intense durine était écœurante et linspecteur se demanda comment le Père Juan avait pu vivre pendant dans des années dans un lieu si sordide.
Montant les dernières marches deux à deux, il se retrouva sur le palier du troisième étage, celui de lappartement du prêtre, les tempes et le cœur battant à tout rompre.
« Tout va bien, inspecteur ? », demanda le Slave, regardant autour de lui à la recherche d'un interrupteur pour allumer le couloir.
« Ou...oui, plus ou moins », répondit Castillo, plié en deux les mains appuyées sur les genoux à la recherche doxygène.
Les journées passées au lit navaient certainement pas aidé ses poumons et il se promit, pour la énième fois, de commencer dès que possible un programme dentraînement pour récupérer au moins partiellement sa forme physique perdue.
Le Slave, une fois la lumière allumée, examina toutes les portes du couloir, lisant le nom du locataire sur la plaque affichée, jusquà ce quil trouve la bonne.
« Nous y sommes, cest lappartement du Père Juan », dit-il en indiquant une porte de couleur marron foncé.
Castillo se limita à faire un signe dapprobation.
Le Slave sortit de la poche arrière de son jean délavé un passepartout en métal, mais avant quil ne tente de lenfiler dans la serrure, il fut interrompu par la voix puissante de linspecteur.
« Ess...essayons de sonner, avant de faire des so...sottises. Nous navons pas lau...autorisation dentrer, et la dernière chose que je souhaite, cest dêtre accusé deffraction dans la maison dun mort. Cest clair ? »
Les yeux de Castillo ressemblaient à deux tisons de charbon prêts à alimenter la flamme du feu interne qui brûlait dans son ventre quand les personnes quil aimait bien - et le Slave appartenait à cette catégorie - se perdaient dans des idioties quil narrivait pas à concevoir.
Surpris par la violence du ton de linspecteur, le Slave se figea, avec la clé à quelques centimètres de la serrure.
Avec une démarche étonnamment féline, étant donné létat dans lequel il avait terminé la montée des escaliers, Castillo se plaça entre lui et la porte.
« Freeze, flight or fight . Toi tu as choisi freeze », susurra linspecteur, esquissant un sourire qui voulait atténuer la tension qui sétait involontairement créée.
Le Slave ne comprit pas.
Dehors, la pluie continuait à tambouriner avec une constance énervante, tombant droite comme un rideau. « Inspecteur, quest-ce que ça veut dire ?
Ce...ce sont les réponses philosophiques de lhomme dans des états de tensions aiguës. Les trois « F », selon les études américaines sur notre système nerveux soumis au stress, que les théories modernes ont tr...transformés en quatre. En général, ça commence avec le freeze : tu te figes dans un état dhypervigilance, espérant que la source de ta tension ne saperçoive pas de ta présence.
Comme quand on croise un serpent dans la montagne ?
Bravo, mon gars. Comme quand tu croises un serpent dans la montagne. Mais pourquoi tu me parles de serpent, maudis sois-tu !