Giovanni Mongiovì
Le Ciel de Nadira
Giovanni MongiovìLE CIEL DE NADIRA
Regnum
En couverture: les yeux de Luana (avec son aimable permission) ; bouclier normand, Athènes, Musée de la Guerre.
giovannimongiovi.com
Copyright © 2019 Giovanni Mongiovì
Copyright © 2020 Loretta Barbarossa (traductrice)
Il nest pas nécessaire que jécrive l'indescriptible, que jose la description de l' immensément parfait, la conscience à laquelle je m'élève est déjà de la poésie, la plus haute et propre , écrite par des mains intangibles , conçue par dexcellents esprits, inspiréepar un cœur incommensurable ; mon amour, nous nous sommes re-trouvés dans l'art de Dieu :" quun être en aime un autre damour de plus en plusindissolubleQue je t'aime plus chaque jourA Valentina et Tommaso.lustru dê me òcchii
Avant-propos
Même les milles fleuves qui se jetteront en mer ne porteront jamais le nom des eaux dans lesquelles ils aboutissent, pour la simple raison que la mer ne peut être la raison dun fleuve. De la même manière, le principe ne peut décalquer la définition du but, ni en dépasser son importance. Que lon regarde la source dun fleuve sur les hautes falaises doù il se lève, quon en goûte ses eaux, et sur cette base quon lui attribue un nom.
Ce nest pas laction qui fait lhomme, ce nest pas la main qui accompli lacte, mais le cœur, là doù sélève le motif, la raison de tout. Lessence du péché originel ne fut pas le fruit cueilli mais tout ce qui déplaça ce geste .
Cest ainsi que la cupidité peut se cacher dans toute chose, dans la chair succulente, dans la rougeur du vin, dans les formes dune jeune fille où de cette façon, au moins, elle justifie celui qui cède. La vérité est quelle se cache exclusivement dans les yeux et dans le cœur de celui qui sent ce feu qui consume, cette flamme dévorante quest la concupiscence.
Parmi les illustres de ces peuples de lantique lignée grecque, une histoire était racontée, une de ces histoires qui ont résisté au baptême du christianisme et à lépée de lIslam. Penthésilée, une puissante amazone, fut appelée à se battre pour la défense des chevaux de Troie. Cétait une très belle femme et comme cela arrive souvent dans les mythes grecs, les déesses lenviaient. Pour cette raison, Aphrodite voulu la punir par la plus terrible des peines : tout homme qui laurait vue aurait éprouvé un désir si irrésistible de la posséder quil aurait sans aucun doute tenté de la violer. Penthésilée se cacha sous son armature autant quelle pu, sauf que durant une bataille, Achille la tua et la dépouilla de ses armes. A ce moment seulement, il fut évident que la peine de Penthésilée dépassait même la mort Achille ne pu lui résister
Au delà de ce mythe, peut-il vraiment exister quelque chose de si extraordinairement irrésistible et maudit quil secoue irrémédiablement le désir de celui qui regarde ? Une beauté dune telle puissance capable de faire émerger la malice des cœurs, mais ambivalente au point de faire ressortir les nobles vertus dans lâme des méritants.
Lhistoire suivante est la première parmi tant dautres histoires, dhommes et femmes et du sang qui lie chacun deux à leur passé et au futur à venir. Cest lhistoire de cette terre, de ses peuples, de ses guerres, de ses vices et de ses qualités dormantes
Toutefois lhistoire qui suit est vraiment la première histoire et en tant que telle est loriginale en tant quoriginale elle ne peut que parler de ce même désir qui porta, en principe, lhomme à son premier péché.
PARTIE 1 LÉTRANGER LIÉ AU POTEAU
Chapitre 1
Hiver 1060 (452 de lhégire), Raba di Qasr Yanna
Là, dans cette vallée où les norias1 ne cessent de tourner là où le mont Qasr Yanna pose ses racines là sur cette plaine où se trouve le Ra-ba2
La vallée aux pieds de lantique Enna se perdait vers lorient ; des siècles dengagement arabe lavaient rendue plus fertile quelle naurait pu lêtre. En regardant vers louest, Qasr Yanna3, le nombril de la Sicile se profilait au dessus du mont. Vers lest, en bas du plateau, le regard se perdait sur des dizaines de collines, bois, prairies, pâturages et torrents.
Mais aussi sur les hautes roues hydrauliques, capables de soulever leau de la vallée et des canaux creusés pour la transporter vers les potagers. Le village avait peu de maisons, peut-être une trentaine, et seulement une petite mosquée, comme pour témoigner combien le lieu avait peu dim-portance.
Midi était à peine passé et au travers dun terrain destiné à la culture des potirons, deux hommes traînaient par les aisselles un jeune homme denviron trente ans.
Il pointait ses pieds nus au sol, tellement il avait peur de la capture, il semblait vouloir creuser les sillons généralement fait par une charrue. Il tenait le regard baissé, et ne montrait que sa tête et ses cheveux courts à ceux qui lobservaient. Cétait lhiver et maintenant ses chevilles senfonçaient dans la boue froide que la pluie du matin avait formée.
Le jeune homme portait un pantalon et une tunique déchirée. Les autres avaient des habits très différents : colorés et dune coupe large. Un des deux avait une espèce de turban et ils portaient tous les deux une barbe et des cheveux longs.
Quand ils arrivèrent avec le misérable prisonnier dans les rues du Ra-ba, tous les curieux se rassemblèrent. Au village, tout le monde se connaissait et connaissait les habitants de la dernière maison au fond de la rue avant les potagers, la maison des chrétiens, les seuls du Raba.
On travaillait avec entrain dans toute la région pour rendre le terrain toujours plus adapté à la vie ; laire entière était vouée à lagriculture, les familles se formaient dans des villages qui se propageaient parmi les collines. Il nexistait ni noble ni guerrier, mais seulement des paysans qui travaillaient pour eux mêmes et pour le collecteur dimpôts du Qāid4 de Qasr Yanna.
La maison de ce dernier se trouvait à lopposé de la maison des chrétiens, sur le point le plus élevé. Une large cour interne partiellement clôturée apparaissait devant la grande maison, cest de là que les trois arrivèrent après avoir parcouru les petites rues en labyrinthe et les typiques cours des centres arabes. Ils lièrent le jeune malmené exactement au centre de lendroit où lon montait le marché, ils le lièrent aux mains et celles-ci au poteau. Ils tirèrent ensuite la corde vers le haut, en la bloquant à une bifurcation naturelle du bois dans la poutre située sur la tête du condamné pour quil ne puisse ni sasseoir et ni se plier.
Maintenant un homme du Qā'id entra en scène, un type trop jeune pour le rôle quil recouvrait, appelé Umar. Un homme dun bel aspect : dorigine berbère, dune peau dune couleur à peine olive, avec de beaux yeux profonds et noirs, et un nez droit bien proportionné. Sa barbe cachait son âge et le faisait ressembler à son père, Fuad, lui aussi collecteur dimpôts du Qā'id, disparu depuis presque deux ans.
En sortant du bureau des taxes, situé sur le côté de la maison, Umar tira par les cheveux la tête du prisonnier et lobligea à le regarder dans les yeux. Vu les ecchymoses que cet homme portaient sur le visage, il semblait évident que les deux hommes lavaient malmené à cœur joie.
Donc, ils furent tête à tête et rien ne séparait ces fiers yeux noirs qui fixaient les yeux encore plus fiers mais verts du prisonnier.
Ainsi tu as cru pouvoir minsulter et ten tirer comme ça dit Umar.
Mais celui-ci ne répondit pas ; non pas parce quil ne comprenait pas larabe, mais parce que nimporte quelle parole aurait été inutile.
Ça ne vaut pas la peine de perdre du temps. ajouta le collecteur dimpôt.
Puis il fit un signe de la tête à un des deux qui lavait ramené lié, et ce-lui-ci, en lui arrachant la tunique, le fouetta à laide une corde mouillée.
Les habitants du village regardaient, et personne navait le courage de mettre pieds outre la clôture de la cour. Ni les gémissements avortés, ni les saignements qui apparaissaient sur le dos de cet homme ne les impressionnèrent.
Chacun commentait avec son voisin quune telle chose nétait jamais arrivée au Raba.
La famille de celui-ci se cachait parmi la foule, en ayant le bon sens et la pudeur de ne pas parler. Les seuls absents étaient ceux de la maison du collecteur dimpôts, sa mère, sa femme et sa sœur, elles préféraient ne pas se mêler aux affaires du chef de famille.
Quand ensuite la personne chargée de cette torture termina son service et laissa à lui même le jeune homme lié au poteau, la foule retourna à ses mentions. Ils le laissèrent là, à la merci du froid, de la soirée et du gel de la nuit.
Ce nest que vers minuit que quelquun eut la pitié et la permission de lui donner une couverture. Les hommes de Umar le lui permirent, en com-prenant que passer la nuit à la rigueur du plein hiver parmi les monts de Qasr Yanna aurait été trop pour nimporte qui.
De nombreuses personnes virent ce jeune homme trembler et sauter pour rester en mouvement durant une grande partie de la nuit. Puis, au matin, quand il montèrent le marché tout autour de la cour, ils le virent sendormir pendu par les poignets ; il semblait un sac noué à un tronc darbre. Quelquun le cru même mort et alla jusquà sen assurer en lui flanquant une gifle.
Laprès-midi arriva de nouveau ; maintenant le condamné ne mangeait ni ne buvait depuis un jour entier. Un troupeau de chèvres stationnait dans la cour, en bêlant et en mordant des brins dherbe. Ce chant danimaux de pâturage calma lhomme lié au pilori qui croyait ses genoux brisés et ses poux détachés Puis, à un certain moment, il avertit une sorte de présence et rouvrit les yeux ; en effet quelquun était en train de lobserver depuis un moment. A trois pas de distances une jeune fille aux yeux ébahis le fixait. De très beaux yeux, aux traits merveilleux, jamais vu par la majorité des personnes, mais que le condamné et tous les autres du Raba connaissaient. Des yeux bleus dun turquoise si intense à sy perdre sans retour ; une étrange couleur qui vers lextérieur de liris avait des nuances dun bleu foncé comme la profondeur de la mer. Des yeux capables de provoquer la confusion de lesprit et la damnation des cœurs.
La jeune fille portait un habit vert avec des décorations jaunes et bleues de formes typiques des gens de lAfrique du Nord, elle tenait étroitement sur le visage un voile qui cachait ses traits. Laspect physique du caractère exotique, si différent de ceux des indigènes de lîle, constituait la base pour lœuvre incommensurable de ses yeux qui apparaissaient de manière atypique. Une boucle rebelle séchappait de la constriction du voile rouge et révélait la tonalité brune de ses cheveux.
Quand le prisonnier la vit, il baissa de nouveau le regard et donc, en la regardant à nouveau peu après, il récita lentement :
Connais-tu, oh mon Dieu, le ciel de Nadira, les frontières de ses yeux ?
Elle le regarda perdue et demanda : Comment connais-tu ces paroles ? Depuis que Qā'id a visité ces lieux, les vers de cette poésie se sont diffusés dans tout le village et même outre. Donc, en la fixant dun regard troublé, il la supplia :
Détache-moi, Nadira, ma Dame, je ten prie !
Mais elle semblait impassible, perdue par cette demande quelle ne par-venait pas à accueillir.
Je ne connais pas les frontières de tes yeux, Nadira mais je peux ten expliquer les origines si tu le désires Cependant, donnes-moi au moins un peu deau
A cela Nadira rentra chez elle sans se retourner et sans donner dimportance à cette requête ; le cliquetis des bracelets de ses chevilles résonnait dans toute la cour pendant quelle courrait vers lentrée, toute refroidie à cause de lhabillement trop léger et inadapté pour lextérieur.
Leau narriva jamais au condamné, mais dès que Nadira arriva chez elle et vit Umar, son frère, qui comptait son argent sur une table, elle lui demanda :
Qua fait ce chrétien pour que tu lui réserves un tel traitement ? Maintenant elle ne se couvrait plus le visage et on voyait clairement comment ses lèvres charnues et son nez parfait contournaient harmonieusement ses yeux.
Qui ?
Lhomme lié au poteau là dehors
Sa famille a refusé de payer la jizya5.
Donc Umar retourna compter son argent sur la même table, croyant lavoir liquidée par une seule phrase.
Il va congeler ! Cela fait déjà deux jours quil est là lié à ce poteau. Depuis quand le sort des infidèles te préoccupe til ?
Ce matin jai vu tes enfants jouer autour de cet homme. Tu aurais dû voir comment la petite le regardait !
Je le délierais, sois tranquille mais une autre nuit fraîche ne lui fera pas de mal.
Mais enfin, Umar, cette nuit il pourrait geler plus quhier.
Nous lui donnerons une autre couverture. Tu as bien vu que je nai pas empêché ta sœur de laider ?
Umar le magnanime ! Que penses-tu de ce nom ? fit-elle sarcastiquement.
A cela il soupira et dun geste de colère donna un coup de bras à la pile de dirham6 en argent gagné par les taxes et le commerce.
Et je devrais me faire insulter par ces personnes ? lui demanda t-il, en élevant légèrement la voix.
Tu as dit quils ont refusé de payer ; sais-tu sils ont pu ? Cette famille est la plus pauvre du Raba tout entier.
Rappelle-toi comment notre père nous faisait perdre une taxe ou un hommage pour ne pas opprimer les pauvres.
Les dhimmi7 avaient toujours payé, même avec notre père.
Encore mieux ! Si tous les protégés ont toujours payés, quest-ce quune seule fois pourrait faire ?
Un tel Corrado, le rouge, quand son père sest présenté sans avoir sur soi la taxe pour la protection des infidèles croyant en Dieu, sest avancé et en me regardant dans les yeux avec un air de défi, ma dit :
Nous travaillons pour votre famille depuis vingt ans la jizya, nous vous la donnerons quand nous laurons, autrement, contentes-toi du simple fait que nous travaillons pour toi.
Puis il sen est allé dans ses potagers comme si de rien nétait. Com-ment aurais-je dû le traiter ?
Mais cela après avoir frappé son père sur la joue ! se mêla Jala, leur mère, qui, ayant entendu les tons depuis lautre pièce, ne voulait pas que la discussion entre frère et sœur ne dégénère.