Le Ciel De Nadira - Giovanni Mongiovì 6 стр.


Umar sarrêta et, ayant en tête les paroles fraîches de sa femme, comme sil voulait démontrer à lui même quil nétait jaloux de personne, ordonna au garde :

Idris, laisse tomber cette pauvre malheureuse !

Mais Umar, cela fait trois fois que je lui dis de ne pas sapprocher de ce garçon.. Et il y a peu elle a profité de la alāt du coucher du soleil pour le refaire !

Ça va. Mais ne la touche pas ! Renvoie-là plutôt chez elle.

A ce point Apollonia se redressa légèrement, tout en restant pliée sur ses jambes et assise sur ses talons.

Laisse-moi au moins rester dans la cour. Je resterai tranquille près du muret.

Le pria-telle, pleine de larmes .

Fais comme tu veux ! sen libéra Umar, ennuyé de lavoir encore dans les pieds.

En montant sur la terrasse, la sentinelle dirigea immédiatement son attention sur les dernières courbes de la rue provenant de Qasr Yanna, juste à quelques pas du Raba.

Trois hommes à cheval viennent par ici.

A cette heure-ci ? Ce sont probablement des voyageurs qui se sont trompés de route. Cependant ils pouvaient passer la nuit à Qasr Yanna. Pourquoi se mettre en route durant la nuit et avec ce froid ?

Le ciel est clair cette nuit, je crains que le gel narrive.

Umar pensa une seconde au prisonnier, mais puis, il dirigea de nouveau son attention sur ces étrangers qui sapprochaient.

Umar, à en juger par ce qui me semble être des draperies, au moins un de ces chevaliers doit être quelquun dimportant.

Tu as bien fait de me prévenir, Mezyan. Sil sagit de quelquun dim-portant il est bon quil connaisse mon hospitalité.

Umar descendit dans la cour et, en regardant Corrado, il dit au garde : Idris, après ladhān de la nuit, attends quelques heures et puis laisse le partir.

En réponse, cet autre baissa la tête, en signe de consentement.

Après les dernières considérations de la météo, Umar aurait voulu libérer immédiatement Corrado, mais il pensa que démontrer une manifestation de pouvoir de cette portée, devant ces étrangers, aurait été favorable pour sa réputation.

Le collecteur dimpôts du Qāid les attendit sur lentrée et les vit arriver tandis que les dernières lueurs disparaissaient à ouest.

La sentinelle, sur la terrasse, avait bien vu; un des trois était finement habillé ; il sagissait certainement dun noble. Umar se rendit immédiate-ment compte que la lignée des trois nétait pas berbère, mais peut-être arabe. Par ailleurs, au delà de laspect, presque rien ne distinguait un homme dorigine berbère de celui de souche arabe, si non lutilisation de la langue berbère comme idiome parlé en famille aux côtés de larabe, et les vestiges dune culture ancienne et étrangère au monde islamique, im-portée par les arabes.

Celui qui semblait être un noble portait un manteau avec une capuche blanche, le tout finement damassé ; Umar nen avait jamais vu de semblable. Ils descendirent de cheval et un des trois, mais pas celui sur lequel avait été adressée toute lattention, dit :

Nous cherchons la maison de Umar ibn Fuad. Cest moi Umar. Que puis-je faire pour vous ?

Savez-vous qui se trouve devant vous, Umar ? demanda celui qui parlait, en faisant référence au gars quils accompagnaient.

Vous me le direz près de la chaleur du brasier.

Et donc, il dit à son homme dans la cour :

Idris, range ces montures !

Umar les invita donc à entrer. Il navait aucune idée de qui il avait devant lui, mais il ne voulait pas donner limpression que son hospitalité se basait sur les généralités de linvité. Il comprenait que dans tous les cas, il se trouvait aux côtés dun homme dune lignée respectable, il crut bon laccueillir chez lui avant quil ne se présenta.

Dans la même pièce décorée de tapis et de coussins, maintenant avec un brasier allumé au centre, Umar fit les honneurs de la maison en donnant le meilleur de ce quil avait.

Il pensa pouvoir faire confiance aux trois hommes, du moment quen plus des manteaux et des sacs, ils livrèrent également leurs épées à la servitude, sans que personne ne le leur ai demandé.

Maintenant, à la lumière du feu et des lampes, Umar pouvait mieux les observer. Lhomme qui semblait être le chef des deux autres avait environ quarante ans, dun aspect soigné, au visage et au nez fins ; il avait en outre lair de quelquun qui connaît sa valeur dans ce monde. Il parlait même lentement, en fermant souvent les yeux avec savoir faire. Les deux autres étaient habillés presque de la même façon, avec de longues tuniques noires et des culottes blanches, mais un des deux avait une grosse médaille en or autour du cou.

Lun en face de lautre, de longues minutes passèrent avant que quel-quun ne commença à parler. Puis Umar voulu rompre la glace pour essayer de comprendre sil pouvait cueillir une quelconque affaire :

Tu es riche ! Qui es-tu, un marchand de perles ?

Et lui, en riant, répondit :

Mes agents cette année ont fait croître remarquablement mes gains, justement grâce au commerce des perles.

Je pensais que étais un qāid, mais il est vrai quun qāid voyagerait avec une escorte et avec la cour.

Salim, mon frère.. mon nom est Salim.

Bien, Salim quelle affaire ta conduit chez moi ?

En réalité Umar aurait voulu demander la raison pour laquelle ils navaient pas passé la nuit à Qasr Yanna, au lieu de se remettre en route au coucher du soleil pour faire juste quelques kilomètres. Il craint cependant que sa question ne puisse être mal interprétée, presque comme sil était en train de leur demander pourquoi ils nétaient pas restés chez eux.

Cet homme que tu as fait lier au poteau. Est-il en vente ? Car il ma semblé de voir un physique exceptionnel.

Tu es donc un marchand desclaves !

Je suis un homme qui cherche des perles rares parmi le genre humain, mon frère.

Immédiatement lesprit d Umar fut effleuré par la pensée de vendre Corrado à cet homme. Puis il pensa que les chrétiens du Raba nétaient pas des esclaves, même sils servaient sa demeure, et il ne pouvait pas être le patron de leur vie. Donc il répondit : Je crains quau Raba il ny ait aucune de ces perles. Ici, chacun cultive sa propre terre et prie sous ses propres murs. A lexception des quatre gouvernantes de cette maison.

Pourtant je sais que tu caches une perle dune rare beauté sous ce toit, et quil ne sagit pas dune de tes quatre servantes.

Umar devint très sérieux et ayant compris quil sagissait de Nadira, il répondit :

La perle dont tu parles nest pas à vendre, et ne la jamais été.

pourtant je sais que le Qāid de Qasr Yanna sest empressé de lacheter, mon frère.

Tu comprendras donc quel genre dhomme la protège

Je ne crains personne encore moins le Qāid , et cela parce que je nai aucune intention de faire du mal à qui que ce soit si jamais jen avais le pouvoir. Cependant jai entendu parler de deux pierres de saphir entourées dun merveilleux contour ; dune jeune fille aux caractéristiques célestes, dun rêve qui brise la poitrine. Le Qāid peut avoir tout ce quil veut et obtient toujours le mieux. Moi, cependant, je suis un marchand de perles comme tu as dit et je comprends que pour de telles perles, dautres qāid et seigneurs paieraient une fortune. La gloire des yeux de Nadira, si cela est son vrai nom, sest propagée dans toute la Sicile centrale, mais moi je ne demande rien uniquement de les voir. Maintenant que ibn al-awwās sest offert un don aussi précieux, les autres voudront certainement limiter, et il ne tient quà moi de trouver une telle rareté, parmi les jeunes filles de lîle et outremer.

Donc, que veux-tu ?

Uniquement voir ce bleu dont on parle tant.

Il ferma les yeux et récita avec un sourire presque moqueur :

Le ciel de Nadira, les frontières de ses yeux.

Umar se frotta nerveusement les mains. Cette requête engendrait des soupçons, même si dans le fond, elle nétait pas si difficile à satisfaire, nengendrant aucune violation de pudeur ou de morale. Le patron de la maison était soucieux, partagé entre sa jalousie envers sa sœur, et la crainte de décevoir un homme plus important que lui. Celui-ci entre autre avait compris depuis le début ou peut-être le lui avait-on dit quel était le point faible de Umar. Avec un autre, cet homme aux évidentes compétences commerciales aurait offert de largent, toutefois Umar ne donnait pas dimportance aux richesses comme laurait donnée un avare : lorgueil était la véritable clé pour le rendre vulnérable.

Umar, mon frère, maintenant que tu es le beau-frère du Qāid, tu au-ras certainement déjà pensé à comment mettre en évidence ton état, et à comment te faire respecter en tant que tel

Umar le regarda perplexe, au fond il y pensait depuis quAli ibn al-awwās avait visité le Raba.

Mon manteau, en as-tu déjà vu un semblable ? demanda Salim, sétant rendu compte que Umar lavait fixé émerveillé.

Jimagine quil provient de bien loin.

L autre homme se mit à rire, entraînant également ses hommes dans ce geste.

cela en dit long sur toi, mon frère. As-tu déjà mis les pieds hors du Raba ?

Je fréquente assidûment le marché de Qasr Yanna. Là il y a une grande quantité de personnes : beaucoup de fidèles, mais également des paysans chrétiens qui travaillent la terre à lintérieur des remparts de la ville, et même des artisans juifs provenant de Qalat an-Nisā31. On peut y trouver de tout : du souffre des mines au sel provenant des gisements, du sucre extrait de la canne au riz des rizières. Et les jardins de la ville avec ses sources Cela vaut la peine dy aller.

Mais Qasr Yanna est seulement à une demie heure de ce village ! pensa lhomme au médaillon.

Peut-être en montant, mon frère ! répondit lautre en se moquant d Umar.

mon cher Umar, létoffe de mon manteau provient des établissements de Balarm32.

Es-tu jamais allé à Balarm ?

Salim utilisait avec succès lart du commerce, toutefois il nétait pas en train de vendre des biens matériels à Umar, mais quelque chose que le collecteur dimpôts du Qāid possédait : lorgueil. Tout comme un vendeur fait naître au client le besoin de posséder lobjet quil entend lui vendre, ainsi Salim était en train dhumilier Umar, en lui faisant comprendre la nécessité de devenir une autre personne, une personne qui démontre son lien de parenté avec le Qāid, qui exhibe avec orgueil son nouveau statut. En lui faisant peser le fait quil ne soit jamais allé à Balarm, il le rendait petit petit comme pouvait lêtre nimporte quel habitant dun village rural, même si fonctionnaire du Qāid. Maintenant Salim lui aurait proposé une solution en visant son orgueil quil avait habilement démonté, et qui nécessitait dune nouvelle vie.

Le manteau est à toi, mon frère ! Tu as vraiment besoin dun habit qui ne te fasse pas passer inobservé.

Cest quelque chose de trop précieux pour que tu en sois privé.

Tu plaisantes, Umar ? Je possède une centaine détoffes de ce genre que mes couturières sauront confectionner correctement. Dailleurs je ne te demande quun simple regard des yeux dune jeune fille Penses-y, cest lunique chose que tu possèdes et qui vaut la peine dêtre montré et tu la tiens sous-clé

Donc Umar fit un signe à la servante qui était sur la porte, et qui tenait une grande cruche en terre cuite pleine deau.

Fais venir Nadira.

La servante sortit donc de la pièce.

Les quatre restèrent durant de longues minutes en silence, en attendant que se présenta la jeune fille qui avait généré tant de curiosité chez létranger. Nerveusement Umar pris un bout de pain du plat mis au centre, et le plongea dans le miel, le portant ensuite en bouche.

Nadira, qui était restée tout le temps dans sa chambre, après la dernière dispute avec son frère, entra dans la pièce. Elle portait encore ce bel habit vert de laprès-midi, aux finitions jaunes et bleues et comme dhabitude, en présence dhommes étrangers, elle se couvrait la face.

Jala et Ghadda, perplexes et curieuses, sapprochèrent de la porte.

Cest elle, la jeune fille qui a capturé le cœur de ibn al-awwās ? Demanda Salim, en sadressant à Umar.

En personne ma sœur Nadira.

Salim se releva, tandis que les autres deux en le suivant se regardèrent lun lautre, perdus dans cette atmosphère devenue subitement enchantée.

Nadira sarrêta au milieu de la pièce, et fixa Umar en essayant de com-prendre ce que désirait delle cet invité, et quel rôle il avait dans tout cela.

Viens, jeune fille, approche-toi ! lui fit Salim, en mimant linvitation de la main.

Umar consentit de la tête et elle, comprenant de pouvoir faire confiance, fit deux pas en avant.

Maintenant les yeux de Salim se perdaient dans ceux de la jeune fille, mais il la regarda avec une telle intensité quelle dû baisser le regard avec embarras, comme si lacte dobserver une homme pouvait représenter une vraie menace.

Après quelques secondes Umar intervint :

La nuit entière ne te suffira pas pour combler ta vue.

Et en sadressant à Nadira :

cela peut suffire, ma sœur.

Donc Salim intervint :

Non, jeune fille, attend un moment ! Et toi Umar, je deviendrais fou si je ne te demandais pas une chose.

Dis moi.

Je ne vois pas desclaves noires dans cette maison, pourtant chaque homme qui se respecte en a au moins une. Tu viendras avec moi jusque dans ma ville, tu porteras avec toi tous les hommes que tu voudras, autant que tu en jugeras nécessaire, je remplirai les bras de chacun deux, et couvrirai de tout ce qui te sembleras beau, la croupe de chaque cheval ou dromadaire qui tu emporteras. Et je te donnerai même une esclave noire. Je suis un homme très riche et noble de sang ; ne renonce pas, mon frère ! On dira de toi de grandes choses, et pour sûr une mosquée portera ton nom.

Les oreilles de Umar sifflèrent en entendant cette offre excessive, et sa tête devint légère, vide, perdue dans la confusion de ce quil lui proposait. Toutefois Umar pensa bien de bloquer toute négociation avant quelle ne puisse naître, car il imaginait bien ce pouvait être la nature de la contre-partie.

Je ne manquerai pas de respect envers mon Qāid en permettant que quelquun dautre me rende riche.

Nadira sorti alors définitivement de la pièce, tout en restant avec les autres femmes dans un endroit où elle aurait pu entendre tout, sans être vue.

Salim retourna sasseoir, humilié par ce refus. Se lissant la barbe, il dit lentement :

Un jour, quand mon fils était encore un enfant, je le vis jouer avec certains robāi33 en or ; il les utilisait comme sil sagissait de petits blocs de bois, en les empilant et en les laissant tomber. La servante, contrariée, le grondait follement, très intentionnée à les lui faire déposer. Enfin je mapprochai de lui et sortis de mes poches quelques monnaies en verre coloré, je les lui proposais en échange de celles en or. Lenfant accepta promptement léchange.

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