Rabel sourit et regarda lui aussi la mer.
Chaque nation, tout comme chaque peuple, croît être meilleur quune autre.
Regarde cette terre les mahométans croient avoir les faveurs de Dieu, lEmpereur de Constantinople croît être Son vicaire et le Pape croît la même chose et essaie de passer par la Giudecca dune de ces villes et demande de quel côté est Dieu. Conrad, mon fils, essaie de devenir toi même une personne meilleure, indépendamment de ton sang.
Jai vu des mahométans se battre avec plus dhonneur que les nôtres je suis sûr que Dieu les estime en gloire indépendamment du patron quils servent. Depuis que nous avons débarqué sur cette terre jai ouvert les yeux sur de nombreuses choses.
Et Roul ?
Roul est mon meilleur ami, mais nous combattons pour un bien différent.
Vous dites que vous ne combattez pas pour la récompense ?
Je suis né soldat et mon père ma élevé pour que je le devienne. De-puis que notre lignée quitta les landes froides du Jylland28 nous navons ja-mais empoigné rien de différent quune épée. Cest notre métier, et la ré-compense pour notre bataille est notre salaire. Toutefois, mon cher Conrad, la récompense peut te remplir les poches et peut te remplir le cœur ; cest à toi de décider où la mettre.
vous pensez que la récompense peut être dangereuse ?
Tout peut être dangereux si cela nous conduit à lasservissement dun vice et dune fin égoïste. Le pouvoir, largent et les femmes méfie-toi de tout cela !
Mais vous avez aimé ma mère affirma Conrad confus et douteux. Il ny a rien de mal à avoir du pouvoir lorsque tes subordonnés de-viennent tes fils ; rien de mal à largent quand il nourrit ta bouche et celle de ceux que tu commandes ; et pour rien au monde, rien de mal dans la chaleur de la femme que tu aimes. Mais moi, mon fils, jai aimé une seule femme et aucune autre na pu prendre sa place. Tu lui ressembles beau-coup tes yeux, tes cheveux, ton teint et ton nom, Conrad, hérité de sa lignée On me présenta une gracieuse jeune fille à peine deux semaines après sa mort, mais je ne voulais pas quune autre prenne sa place et que tu doives un jour appeler quelquun dautre mère ; je ne laurais pas supporté. Si une fausse mère était nécessaire il y avait déjà la nourrice. Que dois-je donc craindre ?
Le désir qui pousse à la sauvagerie, lorsque le désir dobtenir quelque chose dépasse lhonneur et toute règle de pitié humaine.
Et les femmes ? demanda perplexe Conrad, vu la curiosité typique due à son âge, et intéressé par lêtre mystérieux quest la femme, jus-qualors uniquement connue dans le sein de la nourrice.
Les femmes rien ne tempêche de les aimer, mais méfie-toi des yeux dune femme qui ne tappartient pas !
Rabel ! appela quelquun provenant des ruines juste à lextérieur du camp.
Roul, cest déjà le moment ?
Cette question présentait le personnage, Roul Poing Dur était le compagnon darmes duquel Rabel ne sétait jamais séparé. Ils étaient partis en-semble pour lItalie et sétaient toujours protégés durant les batailles. Roul était un énergumène de presque deux mètres, à la voix puissante et aux manières peu raffinées. Une barbe plus épaisse que la normale marquait son visage et ses cheveux étaient plus sombres que la moyenne, avec une longue tresse qui descendait sur le côté droit de sa tête. Sa couleur presque méditerranéen anormale, ses yeux bleus, les traits nordiques et la stature hors du commun le trahissaient. il était une mauvaise personne, tout le monde le savait, mais il était aussi un excellent soldat, un des meilleurs dans lutilisation de la hache de combat. La plupart des per-sonnes se posaient la question de savoir ce que Roul avait à faire avec lâme noble de Rabel, mais cétait sans doute, justement, le caractère miséricordieux du second qui liait cette amitié. Rabel était tolérant envers les excès de Roul, tant parce quils avaient grandis ensemble que parce que Roul savait le protéger durant les batailles.
Pas encore; ils parlent de demain matin à laube, mais le vin est arrivé et ils attendent tous le père Rabel pour faire la fête.
Père Rabel , cest ainsi que toute la compagnie normande appelaient le noble Rougeville, depuis quà trois cents, ils avaient passés le Détroit. Maintenant le vin était arrivé et ils demandaient à ce que tous soient présents.
Même si les voyageurs arabes, les plus dévoués à la mondanité sétaient vantés du vin de Sicile, il restait une chose rare à trouver. En effet, vu que les islamiques interdisaient la culture de la vigne sur les territoires quils contrôlaient, sur cette terre on voyait uniquement de modestes quantités de baies. Déjà à larrivée de Maniakès, en 1038, les chrétiens avaient vite replanté les vignes, pour réactiver la production de masse, mais les grappes nétaient pas encore suffisamment apparues et il fallait importer de grandes quantités de boissons si on voulait porter un toast à la chance.
Et porte aussi Conrad ; il est temps quil samuse comme savent le faire les hommes !
Rabel fixa son fils et secoua sa tête, en lui indiquant quil était contraire à linvitation de lautre. Willaume et Dreu ?
Les frères de Hauteville29 sont déjà assis au banc de la taverne depuis une heure.
William de Hauteville, Willaume dans leur langue, aurait été surnommé Bras de Fer, car on raconte quil tua, à laide dune seule main et en brandissant la lance, un champion sarrasin qui avait fait un grand massacre de grecs et de nordiques, durant une phase avant le siège de Syracuse. Mais il était évident, malgré que la légende circulait déjà parmi les troupes, que lhistoire était improbable.
Toutefois le nom de sa caste brillait toujours plus, parmi les hommes du contingent normand déjà sous ses ordres.
Il serait plus sage de se recueillir en prière et en contemplation. Cest surtout laide du bon Dieu qui servira. Abd-Allah a recueilli lentièreté des forces de Sicile, et dautres sont arrivées de lAfrique. Vous croyez quil parviendra à enlever le siège de cette ville, et fera limpossible pour retourner doù nous sommes venus. Nous devons repousser la contre-at-taque avant que lémir narrive et nous écrase contre ce mur, mais cette fois je crains que le courage des plus courageux ne suffira pas pour entraîner larmée toute entière.
Si tu buvais plus et priais moins, tu serais plus optimiste ! Conscient davoir peu de pouvoir dans la tentative de convaincre lautre, Rabel sadressa à son fils, aussi sérieux quil pouvait.
Tu as entendu ? Le départ est pour demain à laube. Tu sais ce que tu dois faire.
Donc il suivi Roul le long du chemin vers la taverne.
Conrad savait bien ce quil devait faire, et cétait ce que désormais il faisait depuis deux ans : préparer les bagages de son père, ranger son armature, aiguiser la lame de son épée et préparer la bannière avec lemblème de la famille, une hache danoise dominée dune feuille de chêne verte insérée dans un bouclier de champ rouge emblème que Conrad aurait justement soutenu durant tout le trajet, jusquau lieu de la bataille, en marche à cheval à côté de son père.
Ces discours sur les femmes et sur le vin firent une étrange et inédite envie à Conrad le mystère de linterdit donne toujours envie aux jeunes garçons de sorte que, dès que les cavaliers quittèrent le lieu des bâtiments en ruine, il se dirigea, lui aussi, vers la taverne qui en réalité était un lieu de retrouvailles aménagé à cet usage par un paysan chrétien qui espérait spéculer sur les exigences des troupes.
Comme déjà dit, il était à peine la cinquième heure et le soleil encore une fois frappait fort sur la tête de Conrad. Il passait parmi les tentes bon-dées de soldats de toute sorte, avec partout des groupes en conversation dans leur propre idiome et parmi les prêtres qui prêchaient, debout et en position élevée, qui faisaient une grosse voix, après des décennies de prières dites à voix basse. En bénissant chaque soldat qui passait sous leurs tabourets, ils sanctifièrent également un jeune garçon quand il fut proche deux.
Conrad entra donc dans la taverne et ce fut alors quil se trouva devant le sinistre vice qui domine les adultes, calices pleins de vin, joueurs de dés à chaque table et plein de prostituées, celles qui simprovisent pour de largent et celles obligées, car maintenant les jeunes filles du peuple devaient se donner aux conquérants. Conrad senfuit craignant de trouver son père parmi ces hommes.
Chapitre 6
Hiver 1060 ( 452 de lhégire ), Raba de Qasr Yanna
Umar ferma la porte avec impatience. Les requêtes de la pauvre fille chrétienne, qui sétait même humiliée au point de lui embrasser les pieds, furent définitivement interrompues.
Je nai pas le temps pour les parasites. Si elle se représente chassez-la ! Ordonna til à la dame de la servitude qui dans un premier temps lui avait ouvert.
Les sanglots désespérés des pleurs dApollonia de lautre côté de la porte furent ignorés encore plus facilement que les requêtes verbales faites juste avant.
Nadira était restée dans un angle obscur de la pièce dentrée avec lintention dobserver la scène, qui se consommait sur la porte de la maison, mais maintenant que la porte avait été fermée, laissant la voix et les espoirs de la pauvre fille à lextérieur, elle sapprocha de son frère et fâchée, elle lui dit :
La honte de laquelle tu tes déjà couvert ne suffit pas ?
Et lui, extrêmement ennuyé par le jugement de sa sœur, déjà en colère pour la discussion de laprès-midi, et pour le fait que sa mère était intervenue pour défendre sa fille, il menaça :
Attention, Nadira attention attention car je pourrais tenvoyer chez ton Qāid sur une civière !
Je serai heureuse daller chez mon Qāid , juste pour ne plus te voir !
Pourquoi nes-tu donc pas partie quand il est venu demander ta main ? Il me semble quil voulait tamener dans son palais déjà le jour suivant. répondit Umar, en indiquant du doigt vers le haut la direction de Qasr Yanna, siège du palais de ibn al-awwās.
Parce que jai demandé dattendre que ta femme accouche, pour voir ton troisième fils.
Comme si Ghadda avait besoin dune fillette qui se monte la tête pour être aidée durant sa grossesse
Tu nas même pas hérité dun seul cheveux de notre père répondit Nadira, qui en sapprochant encore un peu, lui pointa le doigt sur le visage et poursuivit :
Tu es un ingrat avec moi comme avec ces pauvres citoyens qui servent cette maison depuis quils sont nés. Si tu ne létais pas tu naurais pas ignoré cette malheureuse qui pleure encore derrière notre porte.
Lappel du muezzin se leva alors sur tout le Raba ; le dernier rayon de soleil avait disparu derrière le mont de Qasr Yanna.
Cest une malheureuse, tu as bien dit, et elle le sera toujours. Explique moi pourquoi tu prends cette histoire tant à cœur.
Car si tu avais été lié à ce poteau, moi je me serais jetée aux pieds de ton bourreau avec encore moins de dignité que cette fille chrétienne.
Après ces mots Nadira seffondra en larmes, tout en continuant, tandis que Umar était bouleversé par cette inattendue déclaration de dévotion en-vers lui.
Et tu me demandes pourquoi jai demandé au Qāid de mattendre pendant trois mois
Toutefois Umar devint sérieux, et recueilli en lui toute la force quil avait pour se montrer dur.
Toi et tes pleurs, Nadira. Tu ne parviendras pas à me faire regretter ! Je me demande combien tu te désoleras puisque nous nous verrons dorénavant uniquement si Allah le voudra .
Alors, jespère alors qu Allah accueillera ma requête de téloigner de moi.
Nadira se mit à pleurer plus fort et, en lui frappant la poitrine, elle hurla : Tu nes rien Umar rien. et si tu deviendras finalement quelquun ça sera uniquement grâce à moi !
Umar, qui ne pouvait supporter ces paroles qui blessaient son orgueil comme une lame, lui flanqua une gifle et lui dit :
Nentends-tu pas quil est lheure de la alāt du coucher du soleil ? Va te purifier avant que la nuit ne tombe complètement.
Et toi vas laver même ton âme !
Ils se quittèrent en vitesse, chacun dans sa chambre, fâchés et en colère lun envers lautre.
Quand Umar termina sa prière il resta pensif, assit sur son lit, il repensait à cette gifle donnée dans un moment de colère.
Que sest-il passé il y a peu sur la porte ? Je tai entendu discuter durant ladhān30 demanda Ghadda, en venant sasseoir à ses côtés tandis quelle tenait son ventre.
Ma sœur me met en colère ! Depuis que le Qāid lui a demandé sa main elle ne cesse de critiquer mes actions.
Et toi, Umar, tu ne cesses de la provoquer Depuis que je vis sous ce toit je navais jamais vu personne lié au poteau de la cour. Nest-ce pas par hasard que depuis que le Qāid a demandé la main de Nadira, tu tiens à bien faire comprendre qui commande dans cette maison et sur le village entier ? Tout le monde parle de ta sœur, beaucoup plus quils ne laient fait de toi. Mais au fond, mon bien aimé, vous êtes semblables têtus et toujours prêts à imposer votre propre parole lun sur lautre. En plus, de-puis ce jour là vous avez changé tous les deux . elle sest montée la tête, et toi tu as oublié la route de ton père. LUmar que je connaissais me manque aussi.
Tu voudrais insinuer que je suis jaloux de Nadira ? Que je crains de perdre le rôle de personne la plus importante de cette maison ? Non seulement de la maison, mais de lentier Raba.
Moi jaloux de Nadira ; quelle bêtise ! conclut Umar, en riant ner-veusement dans la tentative de cacher son malaise face à cette vérité quil savait être exacte.
Maîtresse, la sentinelle sur la terrasse demande à vous parler. inter-rompit une domestique derrière la porte de la pièce.
Umar se leva donc et remercia la chance, du moment quelle le libérait de ce discours embarrassant.
Ghadda le retint alors par le bras et lui dit : Je tai manqué de respect ?
Mais lui sapprocha delle et, dune douce expression, lembrassa sur le front.
Après sêtre couvert la tête et les épaules dune large écharpe en poil de chameau, Umar sorti de chez lui. Il allait se rendre là doù commençait les marches qui portaient à la terrasse, quand il vit que le garde préposé au contrôle du condamné battait violemment la jeune fille chrétienne. Celle-ci était au sol, et maintenant, la tête découverte, elle se cachait la face et criait, tandis que lautre la frappait avec la même corde avec laquelle le jour avant il avait frappé Corrado. Et Corrado, au contraire, restait dans son état d inconscience.
Umar sarrêta et, ayant en tête les paroles fraîches de sa femme, comme sil voulait démontrer à lui même quil nétait jaloux de personne, ordonna au garde :