Ndura. Fils De La Forêt - Javier Salazar Calle 5 стр.


Je marrêtai lorsque jeus de leau jusquaux genoux et me mouillai lensemble du corps à laide des mains. Leffet rafraîchissant de leau sur les innombrables piqûres de fourmis, les nombreuses griffures et sur le genou enflammé me produisit une sensation indescriptible de soulagement. Pouvoir être dans leau un bon moment, oubliant tout, profitant de chaque seconde, me relaxa profondément. Je fermai les yeux et mis la tête sous leau, retenant la respiration le plus longtemps possible, sentant la fraîcheur parcourir ma peau, lenveloppant et la caressant en douceur. Pendant un court laps de temps, tous les problèmes et les soucis sévanouirent. Je bus aussi de grandes gorgées deau, jusquà ce que ma soif soit complètement étanchée. Au sortir de leau jétais décidé à survivre coûte que coûte, javais recouvré le moral, mon esprit était disposé à lutter.


Jentendis un bruit dans un arbre tout proche et me cachai rapidement derrière lépaisseur feuillue. Ils mavaient trouvé, nu et au dépourvu, ils allaient surement me tuer, massassiner sans aucune pitié, me sacrifier tel un animal. Je ne voulais pas mourir. Navais-je pas pu les semer? Navais-je pas droit à un peu de tranquillité? Nen avais-je pas eu assez avec les fourmis ? Les images de Juan criblé de balles par les rebelles apparurent dans ma tête comme une succession de courts flashs. Le corps sans vie dAlex assis dans lavion après le choc, le sang coulant sur son front, vint me tourmenter une fois de plus. Je mimaginai saignant de divers orifices produits par les tirs des rebelles, allongé sur le sol au pied dun grand arbre, eux riant, moi agonisant. La douleur Jobservai à travers les branches des arbres et finis par découvrir lorigine du bruit: un singe mesurant à peu près 50 centimètres de haut avec une queue de la même longueur, la face bleutée, une bande de poils sombres de chaque côté entre lœil et loreille, la majeure partie du corps brun-jaune et le cou, la poitrine et le ventre blancs11. Je nétais peut-être pas destiné à mourir ce jour-là. Il en apparut dautres petit à petit et cinq dentre eux se réunirent, sautant de branche en branche et poussant des cris perçants. Ils devaient être en train de jouer : ils grimpaient à une branche et la secouaient énergiquement en criant. Peut-être était-ce la saison des amours, je ne le savais pas. En tout cas cétait un spectacle grandiose. Mon cœur recommença peu à peu à battre normalement. En dernier, jen vis un attraper au sol quelque chose ressemblant de loin à une scolopendre et la manger.


Un autre singe, dapparence similaire mais aux couleurs différentes, apparut sur lautre rive du fleuve. Celui-là avait la face noire, les pattes et la barbe blanches, de même que la poitrine et une partie des bras. Sa couleur sobscurcissait et il avait une tache rouge-orangée triangulaire sur le dos. Il était plus grand et plus trapu que le singe davant12. Il but un peu deau à laide de sa main et disparut. Je restai un peu à regarder les autres jouer et sauter, cétait une expérience unique que je naurais jamais imaginé pouvoir vivre. Je me souvins une nouvelle fois de mes deux amis décédés et pensai au plaisir quils prendraient à voir cela, surtout Alex, toujours jovial et curieux de tout. A présent, avec qui commenter ces moments ? Avec qui les partager? Personne ne les avait vécues avec moi pour pouvoir le comprendre. Non, je ne devais pas penser à cela! Cela ne maidait pas à aller de lavant et javais besoin à présent demmagasiner la plus grande quantité possible dénergie pour pouvoir survivre. Mon seul objectif devait être de sortir de cette maudite jungle. Echapper à cet enfer de verdure.


Je menlevai les baskets et les tordis un peu afin den essorer leau puis les accrochai à lextrémité dune branche pour les faire sécher. Je pris ensuite la bouteille deau et cherchai un endroit avec du courant pour la remplir, il me semblait avoir lu quil valait mieux ne pas en prendre là où leau était stagnante car il y avait davantage de possibilités quelle soit insalubre ou quelle contienne des bestioles. Jaurais pu men rappeler avant de boire. Lensemble du corps me piquait sans arrêt, mais moins quavant. Je sentais des piqûres dans la cuisse et, lorsque je regardai pour voir si jétais blessé, je vis une sangsue qui sétait collée à ma jambe pour sucer mon sang. Cétait une espèce de limace, peut-être plus mince. Je pris dabord peur mais ensuite je réagis et pensai à comment solutionner cela. Si mes souvenirs étaient bons, on enlevait les sangsues avec du sel ou en les brûlant. Je sortis le briquet et plaçai la flamme tout contre jusquà ce quelle se recroqueville, jen profitai pour la décoller avec le couteau. Il ne restait quune tache rouge à lendroit où elle avait été, une goutte de sang coulait sur le bord. Je passai la flamme sur la pointe du couteau et cautérisai la plaie avec précaution. Je ne savais pas du tout si les sangsues infectaient la plaie quelles faisaient ou pas et préférais ne pas prendre de risque. La douleur fut tellement grande que je dus faire de gros efforts pour ne pas crier de toutes mes forces. Je passai en revue le reste du corps au cas où il y en aurait eu une autre mais cétait la seule. Javais maintenant la pointe de mon couteau marquée au feu sur la cuisse. Jallais avoir une cloque énorme. Je naurais peut-être pas dû faire cette bêtise.


La paresse prit le contrôle de mon corps et je décidai de ne rien faire de la matinée. Autant démotions à la suite mavaient fatigué, jétais éreinté et javais limpression que mon corps pesait des tonnes. Je cherchai un endroit ombragé et, une fois sec, je mhabillai. Jutilisai le t-shirt souvenir de Namibie qui était dans mon sac pour protéger ma tête, visage inclus, des nombreux insectes agaçants qui jalonnaient la rive. Jobservai un arbuste proche de moi avant de mallonger. Jen avais déjà vu plusieurs comme ça, au fruit couleur carmin, plutôt voyant, avec de petits pépins bleus13. Serait-ce comestible? Jécrasai une fourmi esseulée que je navais pas encore réussi à enlever de sur les habits. Je fermai les yeux et entrai sans résister dans un état de somnolence, dassoupissement. La chaleur et lhumidité produisaient une lourdeur qui retombait sur les muscles et sur la volonté.


Un coup de feu, puis une rafale darme automatique, dautres coups de feu. Je me levai dun bond. Ils provenaient des berges du fleuve, bien quéloignés. Là ce nétait pas le fruit de mon imagination, ils allaient me trouver dun instant à lautre. Je repris conscience dun coup que ma situation ne me permettait pas de me reposer, que si je ne maintenais pas mes sens constamment en alerte je courais à ma perte certaine.


Je rangeai tout rapidement, mis le t-shirt dans le sac, enfilai mes chaussettes et mes chaussures et je pris mon bâton. Elles étaient encore mouillées, mais à ce moment-là je navais pas le temps de faire attention à ces détails. Je décidai que le meilleur chemin possible pour arriver quelque part était de continuer par le lit du fleuve, mais longer la rive me paraissait trop dangereux et je menfonçai donc dans la forêt une fois de plus pour essayer de passer inaperçu entre le feuillage et marcher quatre ou cinq mètres en parallèle du fleuve. Cétait un monde clos. Où que se posent mes yeux, je ne trouvais quun impénétrable mur de verdure sans issue. Je ne voyais tout au plus quà 3 ou 4 mètres devant moi. Je perdis bientôt le cours du fleuve et, une fois de plus, me retrouvai en route pour nulle part.

Je marchai en alternant rythme soutenu et rythme plus lent laprès-midi durant, faisant de courtes pauses. Le juste et nécessaire pour reprendre mon souffle et écouter si des coups de feu étaient tirés. A chacun de mes pas, je devais supporter en permanence le bruit de mes souliers, semblable à celui que lon produit lorsquon marche dans une flaque deau, ainsi que de sporadiques signaux de crampes dans le mollet. La densité du feuillage augmentait par moments, plongeant certains endroits dans lombre. Il y avait des moustiques partout qui narrêtaient pas de me harceler comme sil sagissait dune bataille sans fin. Ils me rappelaient parfois les kamikazes japonais de la Seconde Guerre Mondiale, fonçant en piqué sur leur objectif sans se soucier de leurs vies. Les moustiques leur ressemblaient en cela, se ruant sur mon corps en continu sans se soucier des pertes causées par les coups de mains, que jutilisais comme artillerie antiaérienne. Certains étaient tellement gros quils ressemblaient davantage à de gigantesques bombardiers quà des avions de chasse. Leur seule présence était redoutée des ennemis. Jétais tendu dès que je les apercevais, prêt à les esquiver. Il y en avait toujours un qui avait faim et mes bras et mes jambes nétaient que piqûres, là où les habits ne me couvraient plus. Certaines piqûres avaient même été faites par-dessus celles des fourmis au réveil. Cétait une bataille perdue davance, une lutte banale, futile, inutile, car ils narrêteraient pas et que jétais de plus en plus fatigué. Ils mimportunaient tellement que je décidai de recouvrir de terre humide les parties où je navais pas dhabits, formant ainsi une barrière impénétrable. Cette idée lumineuse me sauva. Ce nétait pas pratique à lheure de faire des mouvements, surtout quand ça séchait, mais les attaques continuelles de moustiques étaient pires. Grâce à cette astuce je pus oublier les implacables insectes pendant un bon moment et, bien que je nobtienne pas la victoire, jeus au moins droit à une trêve temporaire. De plus, à ma grande surprise, cela eut pour effet de soulager les piqûres de fourmis. Un peu de chance, enfin.


Jobservai tout autour de moi, javais la constante sensation dêtre suivi, dêtre à chaque fois un peu plus encerclé, traqué dans une jungle sans fin. Javais même limpression dentendre des pas et des voix derrière moi ou de voir de fugaces visages de guérilleros me regardant dun air féroce entre les arbres, surveillant sans cesse. A vrai dire, je nen vis aucun clairement, je ne pus même pas trouver une trace de leur présence dans la zone. Javais limpression que les arbres ployaient au-dessus de ma tête, memprisonnant toujours plus dans une cellule de bois vivante. Je ne savais pas si je devenais paranoïaque ou quoi, mais je devais arriver à me calmer pour pouvoir survivre dans cette jungle inconnue et mortelle.


Je tombai sur un tableau dantesque au cours de cette démente déambulation. Ce qui semblait être les membres dune famille de primates, de la taille dun chimpanzé ou dune espèce semblable, gisaient dans une clairière, au milieu de grandes flaques de sang séché et entourés par des myriades de mouches et par toute sorte dinsectes et de charognards. Ils étaient dépourvus de mains, de pieds et de têtes. La puanteur qui sen échappait était insupportable et je ne pus réprimer lenvie de vomir qui me monta instantanément à la gorge. Je rassemblai tout mon courage et regardai à nouveau. Il devait y avoir deux adultes et un plus jeune. Il ne semblait pas y avoir de petit, je ne savais pas si cétait parce quon lavait capturé, parce quil ny en avait pas ou parce quon lavait emporté pour le vendre au marché noir. Je savais que certaines parties danimaux se vendaient très bien en guise daphrodisiaques dans les pays dAsie : les cornes de rhinocéros, les os de tigres et autres choses dans ce genre. Peut-être était-ce en rapport avec cela. Je décidai de méloigner de cet endroit maudit le plus vite possible. Cette découverte ne me démontra pas seulement une nouvelle fois la cruauté humaine, mais elle me fit également comprendre que je me trouvais dans des zones fréquentées par des braconniers, sûrement peu amicaux avec les étrangers.


Tout ce qui se passait maffectait grandement. Je ressentis à moment donné une forte crampe dans le mollet droit, ce qui mobligea à marrêter pour létirer, pinçant fortement les lèvres à cause de la douleur et me tordant de douleur au sol. Je dus rester assis un bon moment avant de pouvoir me remettre en mouvement et je sentis une gêne constante tout le reste de la journée. Je crus plusieurs fois que la crampe revenait et je dus marrêter pour étirer la jambe. Jétais complètement épuisé à la tombée du jour. Je navais pas beaucoup avancé étant donné le rythme peu soutenu que javais dû prendre. Javais surtout les jambes fatiguées après avoir autant marché, le genou et le mollet me faisaient mal et mes pieds étaient comme endormis. Je regardais le côté positif: si je men sortais, jen aurais fini avec ce ventre naissant de buveur de bière que jétais en train de mettre. Cétait toujours ça. Je ne devais pas perdre le sens de lhumour, cétait ce qui pourrait me sauver. Cétait tout ce qui me restait, ça et mon envie de vivre. Elena, je donnerais tout, tout de suite pour que tu me prennes dans tes bras, pour ton sourire! Ou pour un de ces bons petits plats que tu préparais!


Je massis sur un tronc déraciné, mangeai toute la pâte de coings qui restait et bus une grande gorgée deau. Il ne me restait quun fond de bouteille et je navais plus aucune nourriture. Je passerais ma troisième nuit dans un arbre, une nouvelle fois. Je ne pensais pas arriver à mendormir après lexpérience des fourmis, bien quelles soient aussi bien sur le sol que dans les arbres. Mais javais encore moins envie de me faire attraper pendant mon sommeil par les canailles des coups de feu. Comme je le fis la première nuit, je cherchai un arbre adéquat et, après lavoir trouvé, jeus lidée de me hisser jusquà la branche choisie à laide dune plante grimpante. Dès que je posai ma main sur la plante je dus la retirer car je sentis une piqûre aigüe. Elle avait des épines. Je frottai la paume endolorie et cherchai un autre arbre auquel grimper. Après lavoir trouvé, je montai en faisant très attention et me disposai à passer une nouvelle nuit dans cet enfer. Jôtai mes baskets et mes chaussettes et priai pour que tout soit sec le lendemain, jen doutais car lair était humide presque en permanence. Javais les pieds fripés et de couleur vert-brun clair. Je les séchai du mieux possible, mais la sensation de mal-être persista malgré tout. Jessayai de me réchauffer mais je ny parvins pas, pas même avec la couverture, ni en me frottant le corps. Jétais constamment dérangé par les piqûres de moustiques et de fourmis mais je ne pouvais rien y faire. La seule chose qui me soulageait était la boue humide que jappliquais sur mon corps pour éviter dêtre piqué. La démangeaison permanente était alors remplacée par une sensation réconfortante que je ne saurais décrire. Je sentais une douleur diffuse et continue dans les jambes, de même que dans le dos. Javais le bras droit endormi de fatigue à force de donner, toute la journée, ce qui ressemblait à des coups de machette à laide du bâton.


Jétais tellement épuisé que je mendormis de suite. Ma dernière pensée fut lespoir de pouvoir savourer au réveil un petit déjeuner composé dun grand bol de lait au miel et dune ou deux tartines avec beaucoup de beurre et de confiture de fraises ou de mûres.

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