Ndura. Fils De La Forêt - Javier Salazar Calle 6 стр.


Jétais tellement épuisé que je mendormis de suite. Ma dernière pensée fut lespoir de pouvoir savourer au réveil un petit déjeuner composé dun grand bol de lait au miel et dune ou deux tartines avec beaucoup de beurre et de confiture de fraises ou de mûres.

4ème JOUR

LA TEMPÊTE TROPICALE

Un bruit très proche me réveilla et je tombai presque sur le coup de la peur. Maintenant oui, ils mavaient trouvé, cétait fini. Tant defforts pour rien, je métais laissé prendre par surprise, par inattention et maintenant jallais le payer cher. Je maccrochai fortement à la branche et regardai tout autour, terrorisé, cherchant les rebelles en criant « Ne tirez pas, ne tirez pas! » Mais je ne vis rien. Si ça avait été eux, ils auraient tiré ou, du moins, mauraient obligé à descendre de larbre. Cétait donc une fausse alerte. Allez savoir quelle sorte danimal était passé par là, cétait un peu mon idée fixe.


 Je ne peux pas me réveiller un seul jour tranquillement?, rouspétai-je à haute voix Vous ne pouvez pas me laisser tranquille un moment?


A vrai dire, ça métait égal. Je descendis et métirai en baillant. Javais dormi une bonne poignée dheures à la suite, mais le dos me faisait extrêmement mal. De plus, lorsque je fus un peu plus réveillé, je recommençai à sentir les piqûres continuelles aux bras et aux jambes, là où fourmis et moustiques avaient planté la dent. Dormir sur une branche ne devait pas être si bon que cela pour le corps, mais parfois je préférais cela au sol où lon était à portée de toute personne ou animal de passage. Jauscultai mes bras et mes jambes et je vis que certaines plaies étaient infectées, surtout celles dues au contact avec les plantes. Il ne me manquait que ça. Je perçus un gargouillis croissant, cétait mon estomac. Javais une faim de loup et il ne me restait rien à manger. Ma priorité du jour était de trouver de la nourriture, leau nétant plus un problème pour le moment puisque javais retrouvé la trace du fleuve. Jaurais aimé avoir Alex à mes côtés, toujours raisonnable, pour pouvoir entendre ses conseils sages et réfléchis. Mais jétais seul, Alex était mort, Juan était mort et jétais tout seul. Par ma faute. Tout était ma faute.


Je mapprochai du fleuve pour me débarbouiller et pour boire. Je remplis aussi la bouteille. Je bus tellement que jarrivai à étancher ma soif, mais cela durerait peu. Je massis sur une pierre et méditai au meilleur moyen dobtenir de la nourriture. Tandis que jessayais de trouver une solution, mon regard se posa sur un arbre proche de moi et me rappela quelque chose. Je lobservai avec attention. Je savais quun détail méchappait, je lavais sur le bout de la langue et je ne savais pas ce que cétait. Cest alors que je me souvins. Cétait sur un arbre comme celui-ci que javais vu le perroquet manger les fruits. Lampoule salluma, lidée brisa les barrières de loubli, la nécessité anéantit lankylose de mon esprit. Si les animaux mangeaient ces fruits je le pourrais sûrement moi aussi. Javais lu que certains avaient un métabolisme leur permettant de digérer les fruits vénéneux mais la majorité de ce quils mangeaient devait forcément être comestible aussi pour moi, surtout si un singe le mangeait : cétait lanimal habitant ces lieux le plus proche de lhomme.


Je me levai et marchai jusquà larbre. Jy grimpai ensuite en passant entre les branches et cueillis deux ou trois fruits, ceux qui me parurent le plus appétissant. Je descendis ensuite en les tenant et ouvris le premier par la moitié à laide du couteau. Lintérieur me rappelait les cheveux dange de par sa forme et sa texture, mais rouge. Je pelai une moitié et mordit légèrement dedans. Je mastiquai lentement, comme si je suçais le morceau. Le goût était étrange, mais cétait bon. Je mangeai voracement les deux moitiés et pelai un deuxième fruit que je mangeai aussi. En coupant le troisième par la moitié, je vis quil était rempli de petites bestioles et je le jetai. Je grimpai à nouveau à larbre et en cueillis une demi-douzaine de plus. Cinq plus durs que les autres, pensant les mettre dans mon sac pour les manger les jours suivants. Lautre serait mangé sur linstant.


Je finis mon petit-déjeuner et me sentis pleinement satisfait, aussi bien davoir pu manger que par le fait même davoir pu trouver de la nourriture. Je me fixai comme objectif de rester très attentif à partir de maintenant pour pouvoir trouver dautres sources de nourriture, quil sagisse dautres fruits ou de tout autre chose puisque je ne pouvais pas me nourrir uniquement de ce fruit. Je décidai de prêter attention aux oiseaux et aux singes. De plus, je devais penser à une façon de manger de la viande sans la faire cuire: bien que jaie un briquet, je ne pouvais pas me risquer à allumer un feu par peur des rebelles, à moins que je ne trouve le moyen de faire du feu sans fumée. Peut-être quen mangeant la viande en tout petits morceaux ce serait moins difficile. Quelque chose ressemblant au carpaccio des restaurants italiens.


En regardant le fleuve à la recherche dun poisson en apparence comestible, je remarquai des plantes qui poussaient sur la rive. Elles faisaient plus de 50 centimètres de haut, les feuilles vertes ou rouges, pour les plus jeunes. Leur tige était couverte de poils hérissés. Les feuilles étaient ovales, le bord dentelé, avec de petites dents14. Cest leur odeur qui attira vraiment mon attention. Une intense odeur de menthe. Je pensai que ça pourrait peut-être mêtre utile et je pris une bonne poignée de feuilles. La jungle narrêtait pas de me surprendre. Peut-être bien que jarriverais à survivre. Leuphorie, à nouveau.


Ce jour-là, je décidai de continuer comme laprès-midi précédente: marcher en longeant le lit du fleuve sans passer par la rive. Si mes souvenirs étaient exacts, la République du Congo navait pas daccès à la mer. Si le fleuve débouchait sur locéan, il le ferait donc dans un autre pays, là où il ny avait pas de rebelles et où je pourrais trouver de laide. De toute façon, la méthode alternative consistant à me guider à laide du soleil ne me mènerait vraisemblablement nulle part puisque je navais aucun sens de lorientation.


La matinée défila tranquillement. Je marchai et me reposai, avec une sensation de fatigue qui me donnait limpression que mes jambes pesaient 20 kilos chacune. Javais parfois la sensation dêtre surveillé, dyeux rivés en permanence sur mon dos, mais nimporte où que je regarde je ne voyais jamais personne, pas même des traces de vie humaine. Les chaussettes sétaient séchées, elles, à ma grande surprise. Les baskets étaient encore humides, mais au moins elles ne faisaient plus ce bruit désagréable. Mes pieds avaient attrapé une mycose, sans aucun doute, comme si je métais baigné dans une piscine à leau corrompue. Lorsque je voyais un oiseau ou un autre animal, je restais totalement immobile et observais pour essayer de découvrir ce quils mangeaient, en vain. Je ne les voyais que se déplacer dun côté à lautre, nayant apparemment pas très faim. Ils en avaient de la chance.


A moment donné, quelque chose tomba sur mon nez. Je passai la main dessus et lobservai, on aurait dit de leau. Je regardai en lair et en vis tomber une autre, puis une autre, jusquau moment où il me sembla que les nuages me tombaient dessus. Le ciel sobscurcit presque instantanément. Il pleuvait, que dis-je, un vrai déluge tombait, du jamais vu. On entendait le tonnerre au loin et, de temps en temps, jentrevoyais la lumière fugace dun éclair, des lueurs qui illuminaient les environs comme le font les lampadaires. Je cherchai rapidement un endroit où me réfugier. Mon unique option fut de maccroupir par terre sous un arbre, le sac à dos sous les jambes. Je mis mon chapeau et me couvris le corps avec la couverture. Ensuite, imitant lattitude des oiseaux dans des moments pareils, je me disposai à ne pas bouger dun pouce afin de me mouiller le moins possible, en laissant dégouliner leau toujours au même endroit.

Il plut sans interruption pendant des heures, cela me parut durer des jours. Javais faim mais je nosais pas bouger. La pluie avait complètement trempé la couverture et le t-shirt et je la sentais ruisseler sur certaines parties de mon dos. Elle tombait le long du tronc darbre passant sous moi, par endroits. De leau, du tonnerre, des éclairs de lumière, encore et toujours. Joccupais ces heures où je bougeais à peine la tête à essayer dapercevoir un petit insecte par terre et, lorsque je le trouvais, je me distrayais en voyant des gouttes deau lui tomber dessus ou comment le courant lemportait. Je vis aussi quelques vers faisant un festin, se roulant sur la superficie de la boue. Il continuait à pleuvoir et à tonner, comme si Bumba, le dieu créateur bantou, avait accumulé des forces et lâchait toute sa colère dun seul coup, au-dessus de ma tête, pour en finir avec moi. Javais froid et je commençai à grelotter, mes dents claquaient sans que je veuille, de manière incontrôlée. De petits ruisseaux sétaient formés à des endroits. Ils se dirigeaient vers linconnu, évitant les obstacles. Derrière-moi, jentendais le fleuve rugir avec plus de force que dhabitude, son niveau ayant augmenté à cause de leau supposai-je. La faim me tenaillait lestomac chaque fois davantage et il pleuvait encore et encore. Toujours plus de tonnerre, toujours plus détincelles électriques produites par les décharges du combat entre les nuages. Jétais de plus en plus mouillé. Rester sans bouger devait être efficace lorsquil sagissait de petites averses, mais pour les gros orages comme celui-là seuls un toit et quatre murs ne protégeaient, car je ne crois pas que même un parapluie empêche de finir comme si lon avait nagé dans le fleuve. Maintenant je naurais plus à me soucier du fait que mes baskets soient mouillées, maintenant je voulais seulement savoir quand est-ce que le ciel arrêterait de se vider sur ma tête sans défense.


Jétais désespéré. Je commençai à penser que cela pourrait durer des jours, voire des semaines. Je me souvins des moussons asiatiques et de leurs effets dévastateurs. Je nétais pas étonné de voir des arbres aussi grands dans la jungle, sils étaient arrosés ainsi fréquemment. Si ça durait encore longtemps, la forêt allait ressembler à un aquarium avec des singes à la place des poissons. La majorité des sons et bruits habituels sétaient tus curieusement avec la venue de la pluie. Ce devait être parce que le fracas de la pluie qui tombait éteignait tout ou que ceux qui les produisaient étaient partis se réfugier chez eux. Tous mais pas moi, moi jétais là, en plein cœur de lorage du siècle sans un maudit endroit pour mabriter, livré aux intempéries. Si mon état continuait à se dégrader de la sorte, aussi vite, je creuserais prochainement ma tombe, pour pouvoir my enterrer à ma mort, victime dépuisement physique et mental. Cela ne me paraissait pas une mauvais idée vu létat dans lequel je me trouvais, jarrivais presque à souhaiter ce repos-là.

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