- Nicky, je taime. Peu importe ce que tu choisis, tu peux rester ici avec moi jusquà retomber sur tes pieds. Mais, Nicky, il faut que tu choisisses de vivre ! Je ne veux pas te perdre, et ça me fait mal de te voir comme ça.
- Je taime aussi, Mel, répondit-il.
Il la serra fort contre lui et commença à pleurer dans ses cheveux. Elle lui rendit son étreinte et ils restèrent ainsi pendant un petit moment.
Nicholas prit deux jours pour réfléchir à ses options. Il discuta avec Marcus et celui-ci lui arrangea un entretien avec Joey Justice. Le travail dont parlait Justice était un job de débutant.
- Mais seulement jusquà ce que vous me montriez que vous pouvez être digne de confiance pour plus de responsabilités, lui dit Justice. Je ne peux pas vous donner une affaire de haut niveau jusquà ce que je sois convaincu que vous ne craquerez pas sous la pression. Certains de nos clients demandent quelquun qui peut supporter de hauts niveaux de stress, et qui se contrôle en permanence. Ce nest pas personnel, Mr. Turner. Je vous confierais ma vie, et mon entreprise. Mais jusquà ce que vous me montriez que vous pouvez gérer, vos missions seront extrêmement basiques.
Nicholas apprécia lhomme, mais sa fierté ne le laissait pas accepter un travail pour débutant, même si le salaire était deux fois plus élevé que celui quil se faisait en étant policier. Il voulait être son propre patron, même si les perspectives de revenus étaient limitées à la clientèle quil pourrait attirer.
Il devint alors détective privé. Il trouva un bureau et le meubla avec laide de Mélissa.
Marcus tint parole. Il aida Nicholas à passer un contrat avec le FBI pour réaliser des vérifications dantécédents non classifiés. Nicholas fut engagé par deux compagnies dassurance pour enquêter sur des déclarations douteuses. Au fil des années, il fut aussi amené à seconder plusieurs enquêtes de police... et deux dentre elles étaient de haut vol, impliquant des enfants disparus. Joey Justice lappela et lui offrit un poste mieux placé dans lentreprise de sécurité. Nicholas refusa poliment loffre.
Il déménagea son bureau dans un plus grand bâtiment, et lendroit avait une pièce située au fond, équipée dune salle deau, dune kitchenette et de beaucoup despace pour les meubles. Il décida dy vivre plutôt que de louer un appartement ou dessayer dacheter une autre maison. Il pensa quil payait déjà le loyer pour le bureau et que cela lui ferait économiser de largent. Pour lui, la meilleure chose concernant ce nouveau bureau, bien quil ne lait dit ni à Mélissa ni à Marcus, était le verre dépoli sur la porte du bureau. Il laimait car cela lui donnait limpression dêtre dans un film noir des années 40. Humphrey Bogart navait quà bien se tenir. Il paya deux cents dollars pour que son nom soit peint discrètement sur le verre.
Il avait du succès en tant que détective privé.
Il se soûlait aussi toutes les semaines.
Ces souleries étaient supposées laider à oublier Jane et le bébé, mais elles étaient en réalité faites pour se souvenir. Quelque chose lui revenait à lesprit pour lui rappeler, et cela déclenchait la soûlerie. Il se sentait comme sil avait un énorme trou dans le cœur qui ne pourrait jamais être rempli, et les souleries ne le faisaient jamais se sentir mieux.
Cependant, avec le temps, il remarqua que parfois, les souvenirs nentraînaient pas de soûlerie. Elles sespacèrent de deux semaines, puis de deux autres, puis, finalement, juste occasionnellement... généralement quand une affaire impliquait des violences familiales graves. Il ne comprendrait jamais la mentalité des personnes qui pouvaient maltraiter ceux qui les aimaient.
Laffaire quil venait de terminer impliquait lenlèvement dun enfant par un parent nayant pas la garde. Le père avait enlevé sa fille de cinq ans et était parti dans un autre État. Puisque le père avait franchi la frontière de lÉtat, le FBI avait été appelé et Marcus avait été lagent en charge de laffaire. Quand Nicholas avait traqué le père, il avait appelé Marcus. Mais, avant que celui-ci ne puisse arriver, le père, utilisant lenfant comme bouclier, avait accidentellement tiré sur la petite fille. Nicholas avait accouru dans la maison, avait tiré sur le père trois fois et avait emmené la fillette à lhôpital le plus proche. Elle avait survécu, mais ce nétait pas passé loin.
Quand Nicholas était rentré chez lui la veille, il avait commencé à boire.
Mais bon Dieu, quest ce qui lavait réveillé ?
Nicholas regarda autour de lui, encore à moitié endormi. Une petite fille se tenait dans lencadrement de la porte qui menait à la zone dédiée au bureau.
Elle devait avoir dix ans, portait un jean, une blouse sans manches rose et des tennis aux pieds. Ses cheveux étaient bruns et lui arrivaient aux épaules, et elle avait des yeux bleus ornant un visage vraiment mignon. Elle lui sourit, le salua de la main et pointa un doigt vers le bureau.
- Salut ma grande, dit Nicholas. Comment tu es entrée ? Cest quoi ton nom ?
Elle ne répondit rien, mais pointa encore une fois son doigt vers le bureau.
- Daccord ma grande, donne-moi juste une minute, dit-il.
Il passa sa main sur son visage puis sassied. Mais quand il regarda en direction de la petite fille, elle était partie.
- Hé ?
Il se leva et se dirigea vers le bureau.
- Où est-ce que tu es partie, ma belle ? Où sont tes parents ?
Quand il atteignit le bureau, la petite fille ny était pas. Il regarda sous le bureau, à côté des armoires à classeurs, même derrière le ficus, mais elle était partie. Il vérifia la porte du bureau, mais elle était fermée, et la serrure avait besoin dune clé pour être déverrouillée.
- Cest quoi ce joyeux bordel ? marmonna-t-il dans sa barbe.
La fillette avait tout simplement disparu.
Il resta là, au milieu du bureau, les mains sur les hanches, se demandant si lalcool lui avait finalement donné des visions, quand quelquun frappa à la porte du bureau. Cela le surprit tellement quil mit sa main à sa hanche en quête de larme qui y était habituellement. Il se reprit et ricana. Ça devait être la petite fille.
Tandis quil déverrouillait et ouvrait la porte, il dit :
- Je me demandais où tu étais....
Il sarrêta, car ce nétait pas la fillette. Cétait une femme, et Nicholas pensa quelle était une des plus belles femmes quil nait jamais vues. Elle devait faire un mètre cinquante-cinq, avec de longs cheveux blonds et de grands yeux marron. Elle était mince mais pas maigre. Ses yeux étaient bouffis, soit davoir trop pleuré soit de navoir pas assez dormi, et elle avait des lèvres pleines et bien dessinées. Il devina quelle devait avoir près de trente ans.
- Pardon ? demanda la femme.
- Excusez-moi, répondit-il. Je me parlais à moi-même. Mauvaise habitude. Je vous en prie, entrez, madame... ?
- Richardson. Meredith Richardson.
Elle entra dans le bureau.
- Je cherche Nicholas Turner.
- Cest moi. Ou ce quil en reste. Excusez mon apparence. Jai bouclé une affaire hier soir et je me suis couché tard.
Il ferma la porte et guida la femme vers la chaise destinée aux clients, près du bureau.
- Laffaire impliquait une fabrique de whisky, Mr. Turner ?
- Laffaire impliquait une fabrique de whisky, Mr. Turner ?
Il grimaça à la remarque.
- Cétait une affaire compliquée et javais vraiment besoin de décompresser. Je nai pas eu le temps de me doucher, et je men excuse.
Elle le regarda dans les yeux et hocha de la tête.
- Compris. Un agent du FBI qui vous connaît vous a recommandé à moi. Il sappelle Marcus Moore. Il a dit que vous pourriez être... indisposé... ce matin. Je vois quil avait raison.
- Oui, mdame. Marcus est mon meilleur ami. Il me connaît bien.
- Savez-vous qui je suis, Mr. Turner ? Avez-vous par hasard entendu mon histoire dans les journaux télévisés du soir, ou lavez-vous lu dans les journaux locaux ?
- Je ne peux pas le dire. Jai été en déplacement hors de la ville durant les derniers jours, et je nai pas rattrapé les nouvelles locales.
Meredith prit une grande inspiration.
- Il y a trois jours, ma fille rentrait chez nous depuis chez une amie. Lamie en question habite à trois portes de la nôtre, dans un quartier tranquille. Elle a été enlevée, en pleine journée, entre leur maison et la mienne.
Nicholas hocha de la tête.
- Continuez.
- Quand jai appelé la police, ils ont déclenché une Alerte Enlèvement, mais sans aucun résultat. Il y a eu plusieurs faux repérages, mais rien menant à des pistes sérieuses. Jai téléphoné au FBI hier soir en leur demandant sils pouvaient aider. Lagent Moore est venu chez moi et a dit que puisquil existe la possibilité que ma fille ait franchi la frontière de lÉtat après un si grand laps de temps, le FBI reprenait laffaire.
- Attendez, vous avez appelé le FBI ? Pas la police ?
- Oui. Cest un problème ?
- Non, cest juste inhabituel. Normalement, dans un enlèvement denfant, le FBI est informé immédiatement par la police.
Meredith secoua la tête.
- Je ne sais pas, Mr Turner. Tout ce que je sais, cest que je veux que ma fille revienne, et que je demanderai toute laide que je peux avoir. Émotionnellement parlant, je suis une épave depuis quelle a disparu et je sentais que la police ne faisait rien pour la retrouver. Lagent Moore a dit que vous aviez beaucoup de réussite dans les affaires comme la mienne. Il a déclaré que vous aviez un sixième sens quand il sagissait de retrouver des enfants disparus. Il a aussi dit que vu que vous étiez un détective privé, vous aviez un avantage que les policiers navaient pas, car vous navez pas à être à cheval sur le droit constitutionnel.
- Madame Richardson, je ne me connais pas de sixième sens, mais jai été vraiment chanceux. Jai même enfreint quelques lois dans certaines affaires. Je tiens vraiment aux enfants, et je pense que peu importe ce que je peux faire pour les aider, cest un petit prix à payer.
Elle regarda son sac à main.
- Monsieur Turner, ma fille na que neuf ans. Elle est soit seule soit avec des étrangers qui lui veulent du mal. Elle a peur, elle est seule et perdue, et jai peur pour elle.
Une larme roula sur sa joue.
- Je vous paierais ce que vous voulez. Sil vous plaît, aidez-moi à retrouver ma fille.
Tandis que Nicholas lui tendait une boite de mouchoirs par-dessus le bureau, il repensa à sa petite visiteuse de ce matin.
- Avez-vous une photographie de votre fille ?
- Bien sûr.
Elle ouvrit son sac à main, en sortit une photo et la tendit par-dessus le bureau.
- Elle a été prise il y a deux semaines quand Karen et moi étions au parc.
La photographie montrait un gros plan dune petite fille assise sur une balançoire, regardant lappareil photo par-dessus son épaule droite. Elle était blonde comme sa mère, avec des yeux verts. Elle était très jolie, avec un visage presque elfique. Elle ne ressemblait en rien à la fillette qui était dans le bureau, et il en fut soulagé. Il ne pouvait pas lexpliquer, mais il espérait que le soulagement ne sétait pas vu sur son visage. À lheure actuelle, il devait se concentrer sur laffaire et pas sur ses hallucinations.
- Je peux la garder ?
Meredith acquiesça.
- Ça veut dire que vous allez maider, monsieur Turner ?
- Probablement, mais jai plusieurs questions, et nous allons devoir discuter de mes tarifs.
- Largent ne devrait pas être un problème. Je ne suis pas vraiment riche, mais je pourrais payer une somme raisonnable.
Nicholas hocha la tête et sortir un carnet et un stylo.
- Dites men plus sur le père de votre fille.
- Mon mari est décédé il y a cinq ans. Et ma fille sappelle Karen, Monsieur Turner.
Il sourit.
- Karen, cest ça. Que portait-elle quand elle a disparu ?
- Un jean, un T-shirt blanc et des Reeboks roses. Et une veste bleue, aussi.
Il prit des notes.
- À quelle heure a-t-elle disparu ?
- Entre trois heures et trois heures et demi samedi après-midi.
- Étiez-vous chez vous ou au travail ?
- Je suis une artiste modérément accomplie et je travaille chez moi.
- Quel genre dartiste ?
- Je peins et je suis engagée par des agences pour fournir des illustrations pour des publicités. Je peins aussi des portraits pour des clients, et je peins différents sujets pour mon propre plaisir.
- Rencontrez-vous vos clients chez vous ou autre part ?
- Les deux.
- Alors je vais avoir besoin dune liste de vos clients qui remonte à au moins un an.
- Pourquoi avez-vous besoin de cela ?
- À cette heure, Madame Richardson, tout le monde est suspect. Votre fille a pu être enlevée par lun de vos clients, actuel ou passé, soit pour de largent soit pour dautres raisons.
- Vous insinuez que lun de mes clients pourrait être un pédophile ?
- Je ne sais pas. Cest une possibilité, car le monde est rempli de gens malades. Je comprends que la probabilité que le kidnappeur soit lun de vos clients est mince, mais je ne peux pas écarter cette possibilité. Cela inclura des questions très intrusives, pour vous et pour les personnes que vous connaissez de manière professionnelle ou privée. Il ny a tout simplement pas dautre moyen denquêter sur une affaire comme celle-ci. Je préfère écraser quelques orteils plutôt que de voir cette enfant blessée. Jespère que vous comprenez, car je ne peux pas enquêter dune autre manière.
Elle y réfléchit pendant un moment.
- Vous avez raison, bien sûr. Je vous transmettrais la liste cet après-midi. Excusez-moi, Monsieur Turner. Je ne pense pas de manière cohérente en ce moment.
Nicholas lui sourit.
- Vous tenez mieux que la plupart de mes clients, Madame Richardson. Japprécie votre force, car cela me sera dune grande aide.
Il regarda ses notes.
- Bon, on retourne aux questions. Vous avez un petit ami ?
- Non. Ça fait longtemps que je nai pas eu de rendez-vous galant, près dun an. Les hommes ont tendance à se désintéresser quand ils découvrent que jai un enfant.
- Pas tous. Et vos liens sociaux ? Des amis, des connaissances ?
- Jai deux amies proches. Elles me soutiennent énormément. À part elles, je ne fréquente personne. Je nai pas le temps. Être mère célibataire est plus épuisant que la plupart des gens ne le pensent.
- Je comprends. Je lirai les rapports de police plus tard, bien sûr, mais est-ce quun de vos voisins a remarqué quelque chose quand votre fille a disparu ?