Son frère Iain avait maintenu une présence à Londres. Les réformes sociales le passionnaient, tout comme créer des lois permettant de meilleures conditions pour la classe ouvrière pauvre. Gavin voulait continuer le travail dIain, mais il navait aucune idée de comment atteindre ce but. Si Lady Margaux restait en Écosse, peut-être cela ne la dérangerait-elle pas de le guider sur les subtilités de la société londonienne.
Il ne serait pas contre être ami avec Lady Margaux. Elle était intelligente et navait pas peur dexprimer le fond de sa pensée. Elle avait certainement été franche avec lui la nuit précédente, au lieu de battre des cils comme tant de femmes avaient tendance à faire. À quoi pensait-il ? Ils ne pouvaient pas être amis, nest-ce pas ? Il se devait de penser différemment désormais. En tant que docteur, il lui avait été permis un accès inhabituel aux maisons des gens, de brefs aperçus de ce quil se passait en privé. Désormais, toutes les règles avaient changé, et pas de manière positive.
Il se leva et se rendit vers le bureau, résolu à sattaquer aujourdhui aux comptes du domaine. Il ne pouvait plus le remettre à plus tard. Il avait probablement besoin denvoyer le vieux Wallace à la retraite et dengager un nouveau gestionnaire du domaine, mais dabord il avait besoin de comprendre la condition et la magnitude de ce dont il était maintenant responsable. Lord Ashbury lui avait proposé son aide. Il accepterait loffre dAshbury une fois quil se serait familiarisé avec sa propriété et la situation dans laquelle ils se trouvaient.
Lodeur du bureau et de vieux livres envahit ses sens avec nostalgie. Il se tint un moment immobile, se souvenant tendrement de lenfance quil avait passé ici ; et, plus tard, des conversations captivantes quil avait eu avec son père et son frère. Il ignora son chagrin et savança vers le bureau : un bureau qui croulait sous un énorme tas de courrier jamais ouvert. Il secoua la tête. Son frère navait jamais été organisé, et apparemment les responsabilités de lintendant ne comportait pas louverture du courrier. Il sassit face au bureau en chêne massif, ne se sentant vraiment pas à sa place. Il se souvint de son frère et son père, assis ici face à lui. Comme sa vie avait changé, presque en un battement de cil.
« Papa Craig ! »
Gavin entendit son nom résonner à travers la maison, suivi par le bruit de petits pieds dégringolant les escaliers et traversant le couloir, avant quune petite fée fasse irruption dans la pièce.
« Bonjour, Maili », dit Gavin, levant les yeux tendrement vers la petite fille.
Elle grimpa sur ses genoux pour le câliner et lembrassa sur la joue. Les deux petites semblaient avoir un besoin constant dêtre rassurées.
« Maili ! » entendirent-ils Catriona appeler, et elle descendit ensuite les escaliers en courant, cherchant sa sœur. Lorsque Catriona atteignit la porte, elle sarrêta net à la vue de Maili, assise innocemment dans les bras de Gavin.
« Catriona. Je ne pense pas que vous devriez courir à travers la maison, criant sur votre sœur », réprimanda-t-il doucement.
« Mais mais.. » Son menton et sa lèvre du bas commencèrent à trembler, et elle éclata en sanglots.
Oh, par tous les cieux. Il navait pas la moindre idée de comment soccuper dune jeune fille en pleurs. Il tenta de la réprimander gentiment.
« Quil y a-t-il, Catriona ? » demanda-t-il.
« M-M-Maili a coupé les cheveux de ma poupée ! » Elle brandit le jouet, qui avait le crâne couvert de bouts de mèches de cheveux, comme preuve.
« Est-ce vrai, Maili ? »
Il baissa les yeux vers Maili, dont le visage répondit pour elle immédiatement.
« Je pensais quelle serait jolie avec les cheveux courts », répliqua-t-elle naïvement.
« Ce nest pas ta poupée, ce nétait pas à toi de décider ! » Catriona pleura à chaudes larmes. « Ma mère me la donnée, et maintenant elle est détruite ! » Elle senfuit, en pleurs.
Gavin ne pouvait pas la blâmer. Cela ne laurait pas dérangé de senfuir lui-même à cet instant. Il devait vite trouver une gouvernante.
« Maili, va dans ta chambre jusquà ce que je décide quoi faire. Tu devras offrir tes excuses à ta sœur. »
Tête baissée, la petite fille glissa de ses genoux. Elle le regarda avec des yeux bordés dénormes larmes puis lui tourna théâtralement le dos pour suivre lordre quil lui avait donné. Il lâcha un lourd soupir et prit sa tête entre ses mains. Tous les parents se sentaient-ils aussi incompétents ?
Il décida quune visite à Braconrae serait une diversion bienvenue. Si les filles pouvaient trouver quelque chose dutile à faire là-bas et peut-être même se faire quelques amis, cela serait une bénédiction.
Il y eut un coup à la porte, et son vieil intendant apparut devant lui.
« Bonjour, Wallace. »
« Bonjour, Lord Craig. Je nai pas pu mempêcher dentendre ce quil sest passé. »
« Oui, Wallace. Nous avons besoin de mettre plus de petites annonces cherchant une gouvernante. Même à Londres, si nécessaire. »
« Très bien. Mais ce dont vous avez besoin, Monsieur le Baron, cest dune épouse », Wallace répondit sans ménagement.
« Je vous demande pardon ? » Avait-il bien compris ?
« Vous devez vous ajuster à votre nouvelle vie. Vous marier. Avoir des enfants. Trouver quelquun pour vous aider. Je venais tout juste de prendre ma retraite quand, pas une semaine après, pauvre Lord Iain a eu son accident », dit Wallace tristement.
« Vous aviez pris votre retraite ? Pourquoi ne me lavez-vous pas dit ? » Gavin leva les bras au ciel.
« Je ne le pouvais. Mais je suis trop vieux pour être ici. Bouger me fait mal. Cela me prend des heures de sortir de mon lit le matin, votre seigneurie. »
« Je vois. Et Iain avait-il trouvé quelquun pour vous remplacer ? »
« Je ne crois pas. Je ne pense pas quil ait beaucoup cherché, cependant. »
Gavin murmura un juron et passa ses doigts dans ses cheveux.
« Ah, et bien, nous navons pas le choix, je suppose. Si vous pouviez avoir lamabilité de tout passer en revue avec moi, je ferai de mon mieux pour vous trouver un remplacement. Jécrirai à mon ami, Lord Easton. Il héberge des soldats blessés jusquà quils soient guéris et prêts à travailler. »
Wallace secoua la tête. « Je vous assisterai jusquà ce que vous trouviez quelquun, mais il y a certaines choses que je ne peux plus faire. »
« Je comprends. Je suis reconnaissant pour tout ce qui est vous possible de faire. »
« Je remettrai une annonce cherchant une gouvernante. Pour le moment, je vous suggère de faire le tour des métayers et de faire connaissance. Ils informeront votre seigneurie de ce qui doit être fait », suggéra Wallace.
Gavin acquiesça. Cela semblait raisonnable.
« Votre frère avait une très grande exploitation de whiskey et avait commencé à faire des récoltes pour lentretenir. Le saviez-vous ? » demanda Wallace sceptiquement.
« Oui, je le savais. Je suppose que je ne comprenais pas tout. Il a mentionné se battre pour la légalisation dune distillation sur une plus grande échelle », dit Gavin, sentant quil allait bientôt être à nouveau choqué.
« Oui. Il ne distribuait le produit quà quelques privilégiés, et pas publiquement, bien ce que cela ait été un de ses rêves. Il supervisait toute la fabrication de whisky lui-même », dit lintendant avec une lueur de fierté dans son regard.
« Je ne souhaite pas mimpliquer dans quelque chose dillégal », protesta Gavin.
« Je ne dirais pas exactement que cest illégal. Certaines personnes seront très déçues si vous cessez lexploitation de whisky, et un nombre important de vos travailleurs seraient sans emploi si vous souhaitiez en effet larrêter », dit Wallace. Sa voix était défiante. « Bien que certains seraient ravis de voir lexploitation échouer. »
Gavin leva un sourcil, mais lintendant refusa de donner plus de détails. « Jétudierai la question plus tard. Continuez. »
« Il y a ensuite le problème du bal du solstice. »
« Oui, cela a été une tradition dans ma famille depuis aussi longtemps que nous avons tenu la baronnie. »
« Et cest la maîtresse de maison qui lorganise », lui rappela Wallace.
« Et je nai pas de maîtresse de maison », dit Gavin, grimaçant lorsque les mots quittèrent sa bouche.
« En effet. » Le vieil homme acquiesça comme si son élève avait enfin maîtriser ses leçons.
« Ce nest que dans quelques semaines. Il y a-t-il quoique ce soit que nous puissions faire ? »
« Très peu. Peut-être demander laide dune autre dame cette année », suggéra Wallace.
Gavin semblait stupéfait.
« Lépouse du pasteur ne serait-elle pas une bonne personne à qui demander ? »
Wallace railla : « Ah. Pas pour moi, mais je ne suis pas friand des feux de lenfer et de soufre. Drôles de gens, le pasteur et sa femme, mais vous devez faire ce qui vous paraît le mieux. » Le vieil homme haussa les épaules.
« Jai besoin dune gouvernante pour mes nouveaux enfants, dun nouvel intendant pour gérer le domaine, je dois aller saluer les métayers, jai besoin dapprendre comment cultiver et faire du whisky, et jai un bal à organiser avant le solstice. Quelque chose dautre ? » demanda Gavin avec dégoût.
« Une épouse et un héritier ne feraient pas de mal », lui rappela Wallace.
« Bien sûr », dit Gavin, ne tentant pas le moindre du monde de cacher son sarcasme.
Il y eut un coup à la porte. Gavin leva les yeux et vit le visage familier de la gouvernante de maison, qui avait été au château depuis son enfance.
« Entrez, Madame Ennis. »
« Monsieur le Baron. » Elle fit une petite révérence.
Gavin tripota sa cravate. Tout ceci était si inconfortable.
« Jai besoin de passer en revue les menus et certains achats pour la maison avec vous, Monsieur » déclara-t-elle.
« Les menus ? » demanda-t-il, incrédule.
« Oui, votre seigneurie. Il ny a pas de maîtresse de maison pour réaliser ces tâches » Sa phrase resta en suspens.
Pas elle, aussi.
« Je suis certain que vous êtes tout à fait à la hauteur de la tâche, Madame Ennis. Vous en savez certainement plus que moi. »
« Non, Monsieur le Baron. Je ne pourrais me permettre. » Elle lobservait comme sil lavait insultée.
« Vous le pourriez. Sil vous plaît. Pour moi », implora-t-il. Si on lui donnait une tâche de plus, il en perdrait probablement la tête.
Elle avait lair terrifié, mais dût voir quelque chose dans son expression qui la fit acquiescer et quitter discrètement la pièce.
« Wallace, combien dautres responsabilités revenaient à votre maîtresse de maison ? » demanda-t-il, bien quil ne voulût pas vraiment savoir.
« Lady Craig supervisait toujours la maisonnée, les métayers, les enfants, le bal, les comptes » Wallace comptait les tâches sur ses doigts rhumatismaux en parlant.
« Assez ! Assez ! » dit Gavin, se sentant submergé. « Ce sera tout pour aujourdhui. Si cela ne vous dérangerez pas de vous occuper du courrier, jai rendez-vous avec quelquun. »
« Très bien, Monsieur le Baron », dit Wallace avec un lourd soupir.
Gavin fit savoir à la nourrice de préparer les filles pour partir dans deux heures.
Il fila par la porte dentrée et se dirige avers les écuries. Il avait besoin de réfléchir. Il espérait quune courte promenade à cheval le calmerait, car tout ce quil souhaitait était de voyager jusquau bout du monde et oublier que les derniers mois étaient jamais arrivés. Faisant pratiquer à son cheval ses différentes allures, y compris un galop farouche qui faillit bien lui couper la respiration, il sentit sa colère sapaiser. Il savait que sa mauvaise humeur était déplacée, mais il était en colère. Contre Iain. Contre Dieu. Contre ses enfants. Contre lui-même, et lépouse dont il avait désormais besoin mais ne voulait pas.
Chapitre Quatre
Margaux décida que ce jour-là, elle shabillerait en conséquence de sa nouvelle vie. Elle savait que cela mettrait sa mère en colère, mais plus Lady Ashbury la voyait dans ce rôle, plus elle shabituerait à sa réalité. Sa mère était une force parmi la haute société ; organisant des fêtes extravagantes et menant le beau monde. Revêtant une charlotte pour compléter sa robe la plus sobre, Margaux se demanda si elle avait peut-être exagéré le costume de vieille fille pour le bénéfice de sa mère. Elle avait demandé à sa domestique de relever ses cheveux en un chignon sévère, et la mousseline et dentelle impeccables cachaient complètement ses boucles lustrées. Elle eut un peu rire et réfléchit quil lui faudrait retirer la charlotte une fois ses parents partis. Elle souhaitait peut-être une vie plus simple, mais cela ne voulait pas pour autant dire quelle navait aucun goût.
Elle se demanda si Lord Craig amènerait aujourdhui les filles Douglas pour une visite, car elle prévoyait de se rendre au douaire afin de voir comment elle pouvait se rendre utile.
Elle sarrêta un instant devant la porte quand elle entendit ses parents dans la salle de petit-déjeuner. Osait-elle les interrompre et recommencer la querelle depuis le début ? Ou devrait-elle rester dans le couloir avec le tableau de son grand-père la fixant du regard ?
« Où nous sommes-nous trompés, mon cher ? Anjou a filé avec Charles à la recherche dAidan, qui est probablement mort, et Margaux veut porter des charlottes ! » dit sa mère, exaspérée.
Margaux retira sa charlotte avec un sentiment de culpabilité. Elle devrait les prévenir quelle se trouvait là, mais ne pouvait se convaincre daller plus loin.
« Cest un crime que de gâcher sa beauté », dit sa mère dun ton plaintif.
« Vous voulez quelle soit heureuse, non ? » raisonna son père.
« Bien sûr 1! Comment pouvez-vous demander une chose pareille ? »
« Elle nétait pas heureuse en société. Naviez-vous pas remarqué ? Peut-être devrions nous lui laisser un peu de temps. Une fois quelle sera loin de tout ce quelle connait et a fait une petite pause seule ici, elle changera peut-être davis. Je crois quelle nest pas sûre de ce dont elle veut. »
Dieu merci pour son père, pensa Margaux. Elle doutait quelle changerait davis, mais elle voulait plus de temps sans les radotages incessants de sa mère. Une fois quils verraient quelle était heureuse, ils auraient à laccepter.
« Je comprends ce que vous dîtes, chéri2, mais je ne peux la laisser seule ici », protesta sa mère.
« Tante Ida est ici », remarqua son père.
Margaux pouvait imaginer lexpression de sa mère à cet instant. Tante Ida était sénile et plaisante, mais ne serait pas meilleure chaperone quun chiot.