À Genoux - Shanae Johnson 2 стр.


« Maggie, dépêchez-vous de boucler. Je suis attendu sur le green à 14h pour un tee time. »

Le docteur Art Cooper était le propriétaire du théâtre sur les planches duquel Maggie jouait. Il avait un scénario pour ce genre de moments, et lhistoire se terminait toujours de la même façon.

« Piquez-moi donc ce clébard, que je puisse fermer. »

Il avait prononcé ces paroles sans même un regard pour elle ou pour lanimal dont la vie se terminait.

Un bruit de lautre côté de la porte força le docteur Cooper à relever les yeux. Il plaqua une expression dintérêt sur son visage alors que lune des nouvelles infirmières traversait la pièce. Bien entendu, il lui adressa un sourire. Il fallait bien quil donne limpression dêtre quelquun de bien.

Quelques secondes plus tard, son expression dintérêt se transforma en enthousiasme quand une cliente lui présenta son chat âgé, arthritique et malodorant. Cétait une très bonne cliente ; elle ne manquait aucun des examens quil lui suggérait, achetait chaque mois la marque de nourriture la plus chère dont il faisait la promotion, et était toujours prête à jeter un œil aux nouvelles formules dassurance pour son matou. Son expression animée disparut à peine la dame et son chat sortis, vite remplacée par un air de dégoût.

Maggie détestait cet homme. Comment pouvait-on travailler avec des animaux sans avoir la moindre affection pour eux ? Ils ne représentaient rien dautre à ses yeux quune source de revenu. En tant que technicienne vétérinaire, elle avait la chance de ne pas gagner suffisamment pour la rendre aussi insensible.

Enfin, pas vraiment. Ce nétait en aucun cas une chance, étant donné que cela ne lui permettait pas de prendre en charge un autre animal blessé. Maggie baissa de nouveau les yeux vers le chien endormi sur la table. Elle vit quune unique larme coulait le long dune de ses joues, et le barrage céda.

Maggie releva les yeux vers le docteur Cooper, plaquant sur son visage un sourire tout aussi faux que le sien.

« Vous pouvez y aller, ne vous mettez pas en retard. Je finis de moccuper de ça, et je fermerai à votre place. »

Le docteur Cooper lui jeta un regard méfiant avant dobserver le chien.

« Nous nallons pas ravoir le même problème, pas vrai ? Vous avez déjà reçu un avertissement. Un de plus et ce sera terminé. »

Voilà le problème avec les médecins : ils sont plus intelligents que la moyenne. La dernière fois quon avait demandé à Maggie deuthanasier un chien, elle lavait emporté par la porte arrière de la clinique. Il vivait désormais confortablement chez elle. Probablement dans son placard, sur une pile de chaussures, à lheure actuelle.

« Cet animal naura pas une vie confortable, lui expliquait le docteur Cooper. Rien que son entretien coûterait plusieurs centaines de dollars par mois. »

Mais toute vie ne valait-elle pas au moins ça ? voulait-elle répondre. Mais elle ne dit rien. Elle choisit plutôt de dire la vérité.

« Je comprends. Jai bien retenu la leçon. Jai besoin de ce travail pour prendre soin des animaux que jai déjà. »

Elle avait quatre chiens, souffrant chacun dune blessure ou dune maladie qui lui coûtaient chaque mois plus cher que son loyer. Si elle perdait ce travail, elle naurait plus dargent ni pour prendre soin deux, ni pour leur offrir un toit.

Maggie ramassa laiguille et lui donna quelques pichenettes de lindex.

Le docteur Cooper regarda lhorloge, puis Maggie. Son tee time lemporta, comme elle sen était douté. Il fit demi-tour dans ses bottes en crocodile et sortit.

Maggie poussa un soupir de soulagement et reposa laiguille. Elle mit quelques pansements au chien. Sa blessure nétait pas toute neuve et avait déjà commencé à cicatriser. Maintenant, il ne lui restait plus quà soigner son esprit en plus de son corps.

Maggie enroula le chien dans une couverture et se dirigea vers larrière de la clinique. Elle était presque à la porte quand, au détour dun couloir, le docteur Cooper releva les yeux de sa montre, droit vers elle. Et, bien sûr, cest ce moment que le chien choisit pour se réveiller du sommeil dans lequel les médicaments lavaient plongé et aboyer.

Cétait un aboiement faible, pas tout à fait réveillé, quelle aurait pu faire passer pour un grondement de son estomac. Elle avait encore sauté le déjeuner. Mais pour le filet de liquide qui sécoula de la couverture droit sur les bottes hors de prix du docteur Cooper, elle navait aucune excuse. En fait, elle en était même plutôt satisfaite.

Cétait un bon petit chien. Elle nétait pas sûre de savoir comment elle allait le nourrir et sen occuper maintenant quelle navait plus de travail, mais elle allait le garder.

Chapitre trois

Dylan retourna vers les écuries après sa séance avec le docteur Patel. Le bon docteur navait pas insisté sur les faux cauchemars. Il navait pas non plus insisté sur la question des rendez-vous galants. Non, il avait fait pire que ça. Il avait encouragé Dylan à lui parler de ses fiançailles brisées.

Hilary Weston avait été la fille dà côté. Il savérait simplement que son « à côté » était situé à létage inférieur du penthouse de lun des immeubles les plus huppés de New York. À force de vivre juste au-dessus delle, de la voir se pomponner juste en-dessous de lui, il était inévitable que Dylan finirait par lavoir à son bras.

Hilary avait été toutes les premières fois pour Dylan. Son premier béguin. Sa première petite amie. Sa première tout.

Elle navait pas été ravie dapprendre quil comptait sengager dans larmée. Entre largent de sa famille et ses propres investissements, Dylan aurait pu se reposer sur ses lauriers pendant plusieurs vies. Mais il sétait senti appelé.

En partant, il avait promis de ne faire quune seule période de service avant de revenir pour un mariage aussi grandiose quelle voudrait. En plaisantant, ils sétaient dit quil faudrait bien à Hilary lintégralité de sa période de service pour préparer la soirée mondaine de la décennie. Mais quand Dylan était revenu couvert dhématomes et avec une jambe en moins, Hilary avait changé de plan.

Héritière elle aussi, elle navait jamais accordé la moindre importance au fait quil puisse subvenir à ses besoins financiers. Ni à son statut de héros de guerre. Hilary était la coqueluche de leur milieu, une habituée des pages des magazines people. Les apparences lui importaient, et un guerrier blessé, avec ses hématomes et son moignon, nétait pas du meilleur effet.

Elle avait laissé claquer derrière elle la porte de la chambre de lhôpital militaire. En lespace des six derniers mois, elle sétait fiancée à un autre homme et lavait épousé. Dylan avait entendu dire que ce type était une star de la télé-réalité, et quHilary létait donc devenue, elle aussi.

Il aurait aimé se dire quil lavait échappé belle, mais il avait échappé à bien pire pendant la guerre. Son rejet nen était pas moins douloureux.

Mais cette vie était derrière lui. Sa réalité était ici désormais. Et il sy épanouissait.

Dylan chassa ces souvenirs amers et balaya le ranch du regard. Il avait renoncé à la haute société pour curer des écuries et labourer la terre. La meilleure décision de sa vie.

Dylan chassa ces souvenirs amers et balaya le ranch du regard. Il avait renoncé à la haute société pour curer des écuries et labourer la terre. La meilleure décision de sa vie.

Le ranch battait de laile avant quil ny injecte ce qui correspondait à une toute petite partie de son héritage. Ses parents avaient dabord rechigné à cette idée avant de se rendre compte que leur fils difforme serait ainsi camouflé aux yeux de la société, ainsi quaux leurs. Comme Hilary, les Banks tenaient à préserver les apparences. Un soldat décoré au service de son pays avait fière allure. Un amputé clopinant, beaucoup moins.

Pour la deuxième fois ce jour-là, le bruit des sabots lui rappela celui de lartillerie. Mais le stress post-traumatique de Dylan ne laffectait pas comme les autres. Il avait été bien plus traumatisé par le rejet de sa famille que par la guerre. Il ne put donc que sourire en voyant Sean Jeffries arriver au trot.

Sean était rentré de la guerre avec tous ses membres. Mais, comme tous les hommes qui vivaient au ranch, il avait laissé une part de lui-même au front. Sean salua Dylan dun hochement de tête, abaissant son chapeau de cow-boy sur son front à la peau brune. Des lunettes de soleil noires cachaient son visage, obscurcissant presque toute sa personne du haut de sa monture. Sean naimait pas que les gens voient les cicatrices qui barraient son visage.

Pourtant, il se tenait bien droit, la tête haute. La vie prenait un nouvel aspect depuis le dos dun cheval. La thérapie naidait pas seulement à guérir les blessures physiques ; elle rétablissait aussi léquilibre, la précision des mouvements et la coordination. Diriger un animal aussi imposant et regagner le contrôle de son corps augmentait lestime que les soldats avaient deux-mêmes et leur redonnait une part de liberté.

Le ranch ne proposait pas uniquement de lhippothérapie. Le jardinage était très utile pour les fonctions sensorielles et tactiles. Les tâches du quotidien, comme pousser une brouette, ratisser, bêcher, désherber, planter et même arranger des fleurs participaient au rétablissement des fonctions motrices.

À genoux dans le jardin, Reed Cannon déplaçait la terre pour planter des fleurs quil espaçait régulièrement. Dune main, il travaillait le terreau fertile, tandis que lautre reposait, raide, dans la terre. La main raide était une prothèse. Il avait perdu la vraie dans la même explosion qui avait emporté la jambe de Dylan.

Dylan traversa leur havre de paix, passant devant les campanules violettes auxquelles le ranch devait son nom. Il ny avait pas que des fleurs et des légumes dans les jardins de ce sanctuaire : un jardin de papillons offrait aux vétérans un espace paisible où se retirer. Le ranch nétait pas là pour guérir uniquement leurs troubles physiques ou psychologiques, mais aussi leurs séquelles émotionnelles. Dylan et les autres soldats avaient dégagé des chemins pour les fauteuils roulants pour rendre le tout accessible à tous.

Des vétérans plus âgés venaient parfois aussi au ranch pour soigner des blessures rapportées de guerres terminées depuis longtemps mais aux cicatrices encore fraîches. Dylan espérait pouvoir un jour ouvrir le ranch à des jeunes en difficulté pour leur offrir lattention dont ils avaient besoin pour avoir lespoir dun avenir radieux. Cest pour cela que, non, il ne regrettait pas davoir laissé la haute société derrière lui. La société dont il rêvait, cétait celle quil créait ici.

Alors que Dylan séloignait des jardins, lodeur du bétail lui envahit les narines. Francisco DeMonti traversait le troupeau de moutons. Prendre soin danimaux de taille moyenne aidait les vétérans à réapprendre à former des relations. Les animaux étaient les cobayes parfaits ; la plupart offraient un amour inconditionnel, surtout si la main qui leur était tendue contenait de la nourriture.

Fran navait aucune cicatrice visible. Ses blessures étaient toutes internes, mais ne risquaient pas moins de le tuer pour autant.

« Ta sortie de ce matin sest bien passée ? »

Fran sortit de lenclot et rejoignit Dylan sur le chemin qui menait au bâtiment principal. Dylan hocha la tête.

« Un vieux copain du centre pour les vétérans ma appelé, expliqua Fran. Ils se demandent si on pourrait héberger quelques soldats de plus ?

On a la place. »

Il y avait plusieurs logements sur le ranch, même si la plupart des soldats repartaient à la fin de leur thérapie ou de leur rééducation. Beaucoup avaient des familles à retrouver ou se rendaient compte que la vie au ranch ne leur convenait pas sur le long terme. Les cinq vétérans qui avaient fait du ranch leur foyer navaient nulle part où aller ou navaient pas envie dy retourner. Leur vie était ici désormais. Dylan réaffirma :

« On accueillera tous ceux qui ont besoin daide. »

Et ils pouvaient se le permettre à moindre coût. Entre leurs pensions, que Dylan interdisait aux autres de dépenser pour le ranch, les aides du gouvernement, que Dylan reversait en bonus de salaires aux employés, et ses propres fonds, qui absorbaient le plus gros des dépenses, ils nauraient jamais besoin de refuser qui que ce soit. Contrairement à ce que sa famille lui avait fait subir.

« Bonne soirée les garçons ! »

Le docteur Patel retournait à sa voiture, sa mallette dans une main et une Bible dans lautre. Outre son statut de psychologue agréé, le docteur était également membre du clergé.

« Vous allez à léglise ? demanda Fran.

- Tout à fait, répondit le docteur avec un sourire. Jai de la place sur le siège passager si vous voulez maccompagner.

- Une autre fois. »

Dylan ne dit rien. Il navait toujours pas retrouvé une excellente relation avec celui den haut, et nétait pas tout à fait prêt à y travailler ce jour-là. Mais le docteur Patel se contenta de leur adresser un sourire entendu. Si Dylan navait pas eu autant de respect pour cet homme, il aurait détesté son attitude perpétuellement optimiste, sa patience infinie face à ladversité, et sa confiance constante en toute chose.

Alors que le docteur Patel ouvrait la portière, une autre voiture se gara. Cétait un modèle de luxe haut-de-gamme. Pendant un instant, Dylan se demanda sil sagissait de son père. Mais il savait que son père ne quitterait jamais Manhattan pour venir dans un trou perdu au beau milieu des États-Unis.

Lhomme qui descendit de la voiture portait un costume hors-de-prix. Du prêt-à-porter, pas du sur mesure. Son père naurait jamais supporté dêtre vu vêtu dune tenue qui naurait pas été cousue main pour lui. Dylan reconnut Michael Haskell, lagent immobilier en charge du ranch.

Michael Haskell était quelquun de pragmatique qui allait droit au but, sans sembarrasser de politesses ou de détails futiles. Cela faisait presque un an que Dylan louait les terres en attendant la finalisation de la vente. Il ne restait plus que quelques détails à régler avant que lacte de propriété ne soit entre ses mains.

« On a un problème, déclara Haskell. Ces terres sont censées être à usage familial. La vente ne pourra être conclue que si des familles y vivent.

Les soldats de lunité forment une famille, répondit Dylan.

Les soldats forment un groupe dhomme, rétorqua Haskell, dont aucun nest marié. »

Dylan ne comprenait pas où était le problème. Il voulait acheter des terres, pas un parc dattraction. Quest-ce que cela pouvait bien faire, que les occupants soient mariés ou non ?

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