Notre coeur - Мопассан Ги Де 15 стр.


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Mais cest de la féerie, mon cher ami !

Elle en cueillit une, la baisa et la mit à son corsage. Alors ils entrèrent dans le pavillon ; et elle paraissait si contente quil avait envie de se mettre à genoux devant elle, bien quau fond du cœur il eût senti quelle aurait dû peut-être soccuper plus de lui et moins du lieu. Elle regardait autour delle, agitée dun plaisir de petite fille qui trouve et manie un jouet nouveau, et, sans trouble dans ce joli tombeau de sa vertu de femme, elle en appréciait lélégance avec une satisfaction de connaisseur dont on a flatté les goûts. Elle avait craint, en venant, le logis banal, aux étoffes ternies, souillé par dautres rendez-vous. Tout cela, au contraire, était neuf, imprévu, coquet, fait pour elle, et avait dû coûter fort cher. Il était vraiment parfait, cet homme.

Se tournant vers lui, elle souleva ses deux bras, par un ravissant geste dappel, et ils sétreignirent dans un de ces baisers aux yeux clos qui donnent létrange et double sensation du bonheur et du néant.

Ils eurent, dans limpénétrable silence de cette retraite, trois heures de face à face, de corps à corps, de bouche à bouche, qui mêlèrent enfin pour André Mariolle livresse des sens à livresse de lâme.

Avant de se quitter, ils firent un tour dans le jardin et sassirent en une des salles vertes où on ne pouvait les apercevoir de nulle part. André, plein dexubérance, lui parlait comme à une idole qui venait de descendre pour lui de son piédestal sacré, et elle lécoutait, alanguie par une de ces fatigues dont il avait vu souvent se refléter lennui dans ses yeux, après les visites trop longues de gens qui lavaient lassée. Elle demeurait affectueuse pourtant, la figure éclairée dun sourire tendre, un peu contraint, et tenant sa main, elle la serrait dune étreinte continue, plus irréfléchie peut-être que volontaire.

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Elle ne devait point lentendre, car elle linterrompit au milieu dune phrase pour lui dire :

Il faut absolument que je men aille. Je dois être à six heures chez la marquise de Bratiane, et je vais y arriver fort en retard.

Il la conduisit tout doucement à la porte quil lui avait ouverte à son entrée. Ils sembrassèrent, et, après un coup dœil furtif dans la rue, elle partit en rasant le mur.

Dès quil fut seul, quil sentit ce vide subit laissé en nous, après les étreintes, par la femme disparue, et la bizarre petite déchirure faite au cœur par la fuite des pas qui séloignent, il lui sembla quil était abandonné et solitaire, comme sil navait rien pris delle ; et il se mit à marcher par les chemins sablés, en songeant à cette contradiction éternelle de lespérance et de la réalité.

Il resta là jusquà la nuit, se rassérénant peu à peu, et se donnant à elle, de loin, plus assurément quelle ne sétait livrée à lui entre ses bras ; puis il rentra en son appartement, dîna sans remarquer ce quil mangeait, et se mit à lui écrire.

La journée du lendemain lui parut longue, la soirée interminable. Il lui écrivit encore. Comment ne lui avait-elle rien répondu, rien fait dire ? Il reçut un court télégramme, le matin du second jour, lui fixant pour le jour suivant un nouveau rendez-vous à la même heure. Ce petit papier bleu le délivra soudain de ce mal dattendre dont il commençait à souffrir.

Elle vint, comme la première fois, exacte, affectueuse et souriante ; et leur rencontre dans la petite maison dAuteuil fut toute pareille à la première. André Mariolle, surpris dabord et vaguement ému de ne pas sentir éclore entre eux lextasiante passion dont il avait pressenti lapproche, mais plus sensuellement épris, oubliait doucement le songe de la possession

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attendue dans le bonheur un peu différent de la possession obtenue. Il sattachait à elle par la caresse, lien redoutable, le plus fort de tous, le seul dont on ne se délivre jamais quand il a bien enlacé et quand il serre jusquau sang la chair dun homme.

Vingt jours passèrent, si doux, si légers ! Il lui semblait que cela ne devait pas finir, quil resterait toujours ainsi, disparu pour tous et vivant pour elle seule, et, dans sa pensée entraînable dartiste infécond, toujours rongé dattentes, naissait un impossible espoir de vie discrète, heureuse et cachée.

Elle venait de trois jours en trois jours, sans résistances, attirée, semblait-il autant par lamusement de ce rendez-vous, par le charme de la petite maison devenue une serre de fleurs rares, et par la nouveauté de cette vie damour, à peine dangereuse, puisque personne navait le droit de la suivre, mais pleine de mystère cependant, que séduite par la tendresse prosternée et grandissante de son amant.

Puis un jour, elle lui dit :

Maintenant, mon cher ami, il faut reparaître. Vous viendrez passer laprès-midi chez moi demain. Jai annoncé que vous étiez revenu.

Il fut navré :

Oh ! pourquoi sitôt ? dit-il.

Parce que, si on apprenait, par hasard, que vous êtes à Paris, votre présence ici serait trop inexplicable pour ne pas faire naître des suppositions.

Il reconnut quelle avait raison et promit de venir chez elle le lendemain. Il lui demanda ensuite :

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Vous recevez donc demain ?

Oui, dit-elle. Il y a même chez moi une petite solennité ?

Cette nouvelle lui fut désagréable.

Vous recevez donc demain ?

Oui, dit-elle. Il y a même chez moi une petite solennité ?

Cette nouvelle lui fut désagréable.

Quel genre de solennité ?

Elle riait, enchantée.

Jai obtenu de Massival, au prix des plus grandes flagorneries, quil jouât chez moi sa Didon, que personne encore ne connaît. Cest le poème de lamour antique. Mme de Bratiane, qui se considérait comme lunique propriétaire de Massival, est exaspérée.

Elle sera là dailleurs, car elle chante. Suis-je forte ?

Vous aurez beaucoup de monde ?

Oh ! non, quelques intimes seulement. Vous les connaissez presque tous.

Ne puis-je me dispenser de cette fête ? Je suis si heureux dans ma solitude.

Oh ! non, mon ami. Comprenez donc que je tiens à vous avant tout.

Il eut un battement de cœur.

Merci, dit-il, je viendrai.

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III

Bonjour, cher monsieur.

Mariolle remarqua que ce nétait plus le « cher ami »

dAuteuil, et la poignée de main fut courte, une pression hâtive de femme occupée, agitée, en pleines fonctions mondaines. Il entra dans le salon pendant que Mme de Burne savançait vers la toute belle Mme Le Prieur que ses décolletages hardis et ses prétentions aux formes sculpturales avaient fait surnommer un peu ironiquement « la Déesse ». Elle était femme dun membre de lInstitut, section des Inscriptions et Belles-Lettres.

Ah, Mariolle, sécria Lamarthe, doù sortez-vous donc, mon cher ? On vous croyait mort.

Je viens de faire un voyage dans le Finistère.

Il racontait ses impressions, quand le romancier linterrompit.

Est-ce que vous connaissez la baronne de Frémines ?

Non, de vue seulement, mais on ma beaucoup parlé delle.

On la dit fort curieuse.

Larchiduchesse des détraquées, mais avec une saveur, un bouquet de modernité exquis. Venez que je vous présente.

Le prenant par le bras, il lentraîna vers une jeune femme quon comparait toujours à une poupée, une pâle et ravissante petite poupée blonde, inventée et créée par le diable lui-même pour la damnation des grands enfants à barbe ! Elle avait des yeux longs, minces, fendus, un peu retroussés, semblait-il, vers les tempes, comme ceux de la race chinoise ; leur regard démail

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bleu glissait entre les paupières qui souvraient rarement tout à fait, de lentes paupières, faites pour voiler, pour retomber sans cesse sur le mystère de cette créature.

Les cheveux, très clairs, luisaient de reflets argentés de soie, et la bouche fine, aux lèvres étroites, semblait dessinée par un miniaturiste, puis creusée par la main légère dun ciseleur. La voix qui sortait de là avait des vibrations de cristal, et les idées imprévues, mordantes, dun tour particulier, méchant et drôle, dun charme destructeur, la séduction corruptrice et froide, la complication tranquille de cette gamine névrosée, troublaient son entourage de passions et dagitations violentes. Elle était connue de tout Paris comme la plus extravagante des mondaines du vrai monde, la plus spirituelle aussi ; mais personne ne savait au juste ce quelle était, ce quelle faisait. Elle dominait en général les hommes avec une puissance irrésistible. Son mari également demeurait une énigme. Affable et grand seigneur, il semblait ne rien voir. Était-il aveugle, indifférent ou complaisant ? Peut-être navait-il vraiment autre chose à voir que des excentricités qui, sans doute, lamusaient lui-même. Toutes les opinions dailleurs se donnaient cours sur lui. Des bruits très méchants couraient.

On allait jusquà insinuer quil profitait des vices secrets de sa femme.

Entre Mme de Burne et elle, il y avait des attirances de nature et des jalousies féroces, des périodes dintimité suivies par des crises dinimitié furieuse. Elles se plaisaient, se redoutaient et se recherchaient, comme deux duellistes de profession qui sapprécient et désirent se tuer.

La baronne de Frémines, en ce moment, triomphait. Elle venait de remporter une victoire, une grande victoire : elle avait conquis Lamarthe ; elle lavait pris à sa rivale, détaché et cueilli pour le domestiquer ostensiblement parmi ses suivants attitrés.

Le romancier semblait épris, intrigué, charmé et stupéfait de tout ce quil avait découvert dans cette créature invraisemblable, et il ne pouvait sempêcher de parler delle à tout le monde, ce dont on jasait déjà.

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Au moment où il présentait Mariolle, le regard de Mme de Burne tomba sur lui de lautre bout du salon, et il sourit, en murmurant à loreille de son ami :

Regardez donc la Souveraine dici qui nest pas contente.

André leva les yeux ; mais Mme de Burne se retournait vers Massival, apparu sous la portière soulevée.

Il fut suivi presque immédiatement par la marquise de Bratiane ; ce qui fit dire à Lamarthe :

Tiens ! nous naurons quune seconde audition de Didon, la première a dû avoir lieu dans le coupé de la marquise.

Mme de Frémines ajouta :

La collection de notre amie de Burne perd vraiment ses plus beaux joyaux.

Une colère, une sorte de haine contre cette femme, séveilla brusquement au cœur de Mariolle, et une irritation subite contre tout ce monde, contre la vie de ces gens, leurs idées, leurs goûts, leurs penchants futiles, leurs amusements de pantins. Alors, profitant de ce que Lamarthe sétait penché pour parler bas à la jeune femme, il tourna le dos et séloigna.

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