Copyright © 2018, Ines Johnson. Tous droits réservés.
Ce roman est une œuvre de fiction. Les personnages, les lieux et les situations sont purement imaginaires. Toute ressemblance avec des personnes existant ou ayant existé serait fortuite ou involontaire. Toute reproduction ou distribution de cette publication sous quelque forme que ce soit, même partielle, sans lautorisation écrite de lauteur est interdite, sauf pour les distributeurs autorisés.
Imprimé aux États-Unis.
Première édition : octobre 2018.
Version originale révisée par Alyssa Breck.
Traduit de langlais (États-Unis) par Marie Viala.
TABLE DES MATIÈRES
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
Chapitre 23
Épilogue
CHAPITRE 1
Fran regardait le point sur lécran. Il formait des pics comme sil grimpait au sommet de la plus haute montagne, avant de redescendre en un instant comme un homme au parachute défectueux. Puis il remontait et le cycle recommençait.
Fran ne pensait pas pouvoir trouver une meilleure métaphore de sa vie.
Il observa les quelques battements suivants sur lélectrocardiogramme. Son pouls était stable et vigoureux. Pour linstant. Mais Fran savait, tout comme le médecin qui surveillait son cœur, que ces battements pouvaient sinterrompre à tout moment.
« On dirait bien que rien na bougé, caporal DeMonti. »
La voix du docteur Nelson était aussi stable et monochrome que le point sur lécran quil observait. Il griffonna quelques mots au crayon à papier sur son bloc-notes, son regard allant dune machine à une autre avant de revenir à sa montre. Sans jamais se poser sur Fran.
Fran avait lhabitude dêtre ignoré par ceux qui se sentaient supérieurs à lui. Quand il était caporal dans larmée américaine, il avait fait de son mieux pour atteindre un rang plus élevé. Il était passé à deux doigts dêtre promu sergent. Jusquà ce quune mission tourne très mal.
Cest pour cela que, non, lattitude peu attentive du médecin ne le dérangeait pas. Ce qui le dérangeait, en revanche, cétait quil utilise un crayon à papier au lieu dun stylo. Le graphite qui marquait la feuille manquait de permanence aux yeux de Fran. Il pouvait être effacé dun simple coup de la gomme rose à lautre bout du crayon. Tout comme la vie de Fran pouvait être effacée par un faux mouvement. Si les éclats dobus logés dans sa poitrine se déplaçaient dà peine quelques millimètres, ils lui perceraient le cœur et son existence même serait effacée. Rétractée de la page de la vie.
« Malheureusement, il est encore trop dangereux dessayer de les retirer, dit le médecin en relevant enfin les yeux vers Fran. Tout ce que nous pouvons faire, cest continuer votre traitement et prier. »
Fran était toujours choqué dentendre un médecin préconiser la prière. Il aurait cru que la plupart des hommes et des femmes de sciences préféraient le tangible au spirituel. Mais il avait souvent tort. Au moins, il était soigné à lhôpital militaire. La plupart des médecins qui exerçaient ici sétaient trouvés dans des situations dans lesquelles leur survie ne pouvait être attribuée quà un pouvoir supérieur. Cest pour cela quils nhésitaient pas à faire appel au Seigneur lorsque leurs esprits ne pouvaient résoudre un problème physique.
Fran savait très bien que le Seigneur représentait sa meilleure chance de survie. Il ne rechignait donc pas à suivre le traitement quon lui préconisait. Il aurait simplement préféré y voir un peu plus clair dans les plans du Seigneur. Prévoyait-Il de bientôt rappeler Fran à ses côtés ? Ou sa volonté était-elle plutôt de le laisser sébattre un peu plus longtemps ?
Fran préférait les plans robustes. Mais il connaissait le dicton : lhomme pense, Dieu rit.
Il ne pensait pas que Dieu se riait de lui. Il refusait de croire le Créateur capable de ce genre de blague cruelle.
Quand Fran sortit de la salle dexamen, quelques-unes des femmes présentes dans les couloirs lui sourirent, essayant de croiser son regard. À lœil nu, il avait lair en parfaite santé. Il navait pas perdu de membre ni gagné de cicatrice visible, si ce nest sur son torse. Non, sa blessure était plus profonde. Elle dépassait même le métal dans sa poitrine. Sa blessure avait touché son âme.
Tout était de sa faute.
Fran et son escadron travaillaient sur un projet destiné à améliorer les conditions de vie de femmes et denfants quand cétait arrivé. Lexplosion qui avait planté des éclats dobus dans son torse navait fait aucune victime, mais elle avait emporté six moyens de subsistance, ainsi que le kamikaze qui avait sacrifié sa vie au nom dune cause erronée.
Quant aux survivants, leurs vies en étaient sorties changées à jamais. Et, juste au moment où ils commençaient à se reconstruire au ranch du Campanule, une autre bombe avait explosé dans leurs vies. Non, vraiment, tout cela ne pouvait être une blague. Cétait bien trop cruel.
Fran quitta lhôpital militaire et traversa la ville en direction du ranch. Le paysage qui se déployait sous ses yeux lui réchauffa le cœur. Le Montana était tout bonnement magnifique.
Fran avait grandi à New York. Ses montagnes étaient des gratte-ciels. Ses champs, de lasphalte. Il ny avait là-bas rien de comparable à la beauté majestueuse de la nature sélevant jusquaux cieux.
LAfghanistan lui avait fait le même effet. Dans ce pays supposément désertique se trouvaient des montagnes escarpées et des vallées profondes. La neige couronnait les pics aux pentes abruptes. Les vallées étaient fertiles, permettant agriculture et élevage.
Il avait été choqué de trouver de la beauté, de la générosité dans cet endroit décrit comme ignoble. Mais tout le monde ne tenait pas dans ce portrait. Les gens bien qui composaient ce peuple essayaient de se faire discrets. La plupart du temps, cependant, ils ny parvenaient pas, et le pinceau de la violence venait colorer leurs vies.
Fran tourna à lentrée du ranch. Quand son chef descadron avait acheté le ranch, les soldats lavaient bien vite renommé le ranch du Cœur Violet. Les luxuriantes feuilles violettes de la campanule ressemblaient à ce symbole décerné aux combattants blessés par lennemi. Chacun des hommes de son escadron avait été blessé et, maintenant quils étaient ici pour se soigner, un nouveau coup leur était infligé.
Fran et les hommes de son escadron devaient se marier dici quelques semaines sils voulaient rester au ranch qui avait commencé à guérir leurs blessures et leur avait rendu une raison de vivre. Le problème, cest que peu de femmes accepteraient dêtre enchaînées pour le reste de leurs jours à un groupe de guerriers blessés. Surtout si lun dentre eux ne pouvait même pas leur donner son cœur parce quil pouvait cesser de battre à tout moment.
Fran devrait donc bientôt quitter le ranch. Mais pas sans sassurer que tous les autres étaient bien installés. Puisque cétait sa faute sils avaient tous perdu une part deux-mêmes, il leur devait bien ça. Il ferait en sorte quils profitent tous de la sécurité quils méritaient. Et, qui sait, peut-être trouveraient-ils même lamour.
Cétait un joli rêve. Un rêve quil avait un jour eu. Mais dont il savait quil ne deviendrait jamais réalité maintenant que son torse cachait une bombe à retardement.
CHAPITRE 2
Éva inspira profondément pour se calmer. Pourtant, ses doigts tremblaient toujours. Elle leva le stylo du bout de papier, secoua la main et réessaya.
Elle refit les calculs mentalement. Elle navait pas le droit à lerreur au moment décrire les chiffres et le montant équivalent en mots. Cétait un gros chèque. Le plus gros quelle ait écrit de toute sa vie.
Après avoir vérifié trois fois, puis trois fois de plus, elle reposa le stylo. Il séloigna delle en roulant, mais elle le laissa faire. Elle navait plus besoin de son encre. Largent était dépensé, et son compte en banque était désormais vide. Mais cela en valait la peine.
Elle détacha le chèque du carnet avec précaution. Il portait le numéro un. Cétait la première fois quelle en écrivait un. Elle avait toujours payé en liquide. Cétait le premier compte-chèques avec lequel elle allait écrire des chèques et pas simplement les encaisser. Et elle venait décrire le premier.
Éva le tendit à la femme au regard doux et au sourire patient assise derrière le comptoir. Celle-ci vérifia le chèque.
Éva retint sa respiration. Elle ne pouvait pas se permettre la moindre erreur. Elle navait pas les moyens de mettre un centime de plus dans ce chèque.
« Tout a lair en ordre, ma grande. »
Les épaules dÉva se détendirent visiblement en entendant cette confirmation.
« Voilà votre emploi du temps. »
La responsable des admissions tendit à Éva une feuille A5 sur laquelle le numéro des salles, lintitulé des cours et le nom des professeurs étaient imprimés en lignes claires.
« Vous êtes attendue en cours lundi, madame Lopez.
Oui, répondit Éva dans un souffle. Oui, je serai là.
Profite bien de tes cours, ma puce.
Vous aussi. Enfin, merci. Passez une bonne journée. »
Éva séloigna du guichet des inscriptions, son emploi du temps serré contre sa poitrine. Derrière elle, une longue file détudiants patientait pour sinscrire. Ils avaient lair ennuyés et fatigués. Aucun dentre eux ne semblait empli du même enthousiasme quelle. Probablement parce que la plupart bénéficiaient de bourses ou daides financières, ou avaient des parents qui pouvaient payer leur scolarité.
Mais pas Éva. Elle avait mérité jusquau moindre centime quelle venait de verser. Cela lui avait pris trois ans, mais elle avait réussi. Elle avait assez économisé pour payer son premier semestre à luniversité. Pas à distance : elle aurait cours sur un véritable campus. Et pas seulement quelques cours du soir. Elle était inscrite à une université détat.
Elle ne pensait pas ça par snobisme. Enfin, si, un peu. Pour la première fois de sa vie, elle faisait partie de lélite. Elle aurait juste aimé que ses parents puissent la voir. Sans savoir comment, elle sentait quils lobservaient de là-haut, leurs regards emplis de fierté.
Elle y était arrivée. Elle avait réalisé son rêve. Ses parents le lui avaient dit dès son premier jour de maternelle : léducation était la clef de ses rêves, la clef de tous les possibles.