La Main Sur Le Cœur - Shanae Johnson 2 стр.


Éva ne savait pas exactement ce quelle voulait faire de ses études ; elle savait juste quelle voulait en faire. Elle adorait suivre des cours, assise derrière une table pendant quun professeur faisait des miracles au tableau.

Les trois années qui sétaient écoulées depuis sa sortie du lycée avaient été lugubres. Mais, bientôt, elle serait de retour dans une salle de classe, là où était sa place. À ce moment-là, tout deviendrait possible.

Éva grimpa dans un autobus et commença le long trajet qui la ramènerait chez elle. Chez elle, cétait plus loin que les quartiers sympas qui entouraient luniversité. Plus loin que les résidences chics du quartier des affaires. Chez elle, cétait une cité délabrée dans un quartier tout sauf chic dont les habitants gagnaient souvent moins par heure que le minimum légal.

Le bus nallait pas jusquà sa cité. Il déposa Éva devant léglise. Elle sy était rendue plusieurs fois ces derniers mois, depuis quelle avait emménagé ici. Quel que soit lendroit où elle vivait, Éva se débrouillait toujours pour trouver une église. Même si elle ne connaissait personne, elle se sentait toujours chez elle là-bas.

« Bonjour, mademoiselle Lopez. »

Éva se retourna en entendant la voix du vieil homme. Un sourire éclaira son visage.

« Bonjour, pasteur Patel. »

Éva sapprocha en tendant la main au pasteur, qui repoussa son geste pour la serrer dans ses bras. Éva accepta son étreinte avec gratitude. Les câlins du pasteur Patel lui rappelaient ceux de son père.

« Cela fait quelques semaines que je ne tavais pas vue, lui reprocha le pasteur.

Jai fait des heures supplémentaires pour mettre de largent de côté. Mais vous me verrez plus souvent maintenant. Jaurais plus de temps libre le week-end. Jai réussi. Je suis inscrite à luniversité.

Oh ! Cest une excellente nouvelle, mon enfant. »

Il lui frotta les épaules affectueusement, comme sa mère avait lhabitude de le faire.

« Jaurais tout de même préféré que tu acceptes la bourse de léglise. »

Éva secoua la tête. Outre la nécessité dune bonne éducation, le père dÉva lui avait également appris quils nacceptaient pas la charité. Tout ce quils obtenaient, cétait à la sueur de leur front. Ils faisaient des dons à lÉglise et aux moins fortunés. Pour le reste, il y avait la famille. Cétait comme ça que les Lopez fonctionnaient.

Éva secoua la tête. Outre la nécessité dune bonne éducation, le père dÉva lui avait également appris quils nacceptaient pas la charité. Tout ce quils obtenaient, cétait à la sueur de leur front. Ils faisaient des dons à lÉglise et aux moins fortunés. Pour le reste, il y avait la famille. Cétait comme ça que les Lopez fonctionnaient.

« Bien, maintenant que tu es étudiante à luniversité, dit le pasteur Patel, tu viendras bien témoigner auprès des autres jeunes demain ? »

Éva hésita. Elle nétait pas sûre davoir quoi que ce soit à enseigner à qui que ce soit pour linstant. Elle avait déjà du mal à convaincre son frère et sa sœur découter les conseils quelle avait à leur donner. Elle savait que le pasteur Patel ne la laisserait pas refuser. Alors elle accepta. Après une dernière étreinte, il la laissa repartir.

Éva descendit la rue à vive allure. Il était facile de deviner pourquoi le bus nallait pas jusquà son quartier. Le bitume était jonché de morceaux de verre. Une puanteur émanait de certaines allées. Des hommes traînaient au coin des rues laprès-midi, bien avant la fin de la journée de travail. Lun dentre eux était dailleurs un peu trop petit pour être considéré comme un homme.

« Carlos ! » appela Éva.

Le garçon ne réagit pas, mais elle savait quil lavait entendue.

Éva se dirigea vers son frère dun pas décidé. Elle se retint de justesse de remonter le pantalon qui lui tombait sur les fesses. Où était la ceinture quelle lui avait achetée le mois précédent ? Il se retourna avec un regard méfiant. Les types autour de lui commencèrent à ricaner.

« Je suis avec des potes, dit-il.

Eh bien, cest lheure de rentrer faire tes devoirs. »

Les autres garçons ricanèrent de plus belle.

« Allez, écoute donc ta jolie sœur, gamin. Et quand tu auras fini de bosser pour lécole, jaurai du vrai boulot pour toi. »

Éva interrompit le voyou dun seul regard. Mais le mauvais œil ne fonctionnait que sur la famille.

Carlos suivit sa sœur. Elle savait quelle lui avait mis la honte. Mais il valait mieux que ces types le voient comme un fils à maman, ou plutôt comme un frère à sa sœur. Elle était prête à ruiner sa réputation si cela le protégeait de la rue.

« Tu niras nulle part en traînant dans la rue, dit-elle après avoir traversé.

Parce que lécole mamènera quelque part ? Regarde où ça ta menée. »

Carlos désigna le quartier dun geste. Tout autour delle ne se trouvaient que différentes nuances de brun, des immeubles à la poussière dans les rues, en passant par la crasse sur le visage des enfants.

« Tout ça changera bientôt, dit Éva. Un diplôme, cest une porte de sortie. Tu verras. »

Le problème, cest quil faudrait au moins deux ans pour quil voie le résultat de cette logique. Elle espérait simplement quil lui laisserait le temps de lui montrer quelle avait raison. Et en attendant, elle ne laisserait pas la rue semparer de son petit frère.

CHAPITRE 3

Fran gara sa camionnette devant le pavillon quatre pièces niché dans un coin du ranch dans lequel il sétait installé à son arrivée. Il avait été le premier à venir vivre au ranch après leur démobilisation un an plus tôt. Il pensait au départ quils sinstalleraient tous au pavillon mais, à mesure que les autres hommes étaient arrivés au ranch, leurs douleurs toujours présentes, ils avaient tous recherché leur propre espace.

Dylan avait choisi le pavillon à deux chambres voisin de celui de Fran. Reed, Sean et Xavier sétaient installés dans les maisons mitoyennes au bout de la route.

Fran leva les yeux vers lendroit quil appelait « chez lui » depuis un an. Cétait une maison confortable, mais trop grande pour lui. Il supposait quun de ses camarades y emménagerait après avoir trouvé une épouse. Qui sait, peut-être même que lun dentre eux fonderait une famille qui pourrait remplir toutes les pièces.

Voilà bien un autre rêve que Fran ne pourrait jamais réaliser. Il ne pouvait pas envisager de mettre un enfant au monde alors quil ne pourrait pas être là pour prendre soin de lui, pour la voir grandir. Alors quil devrait laisser sa femme seule avec toutes ces responsabilités. Il nétait pas ce genre dhomme.

Il lui faudrait bientôt commencer à faire ses cartons. Mais pas aujourdhui. Aujourdhui, il lui suffirait de prendre des nouvelles des autres pour sassurer quils étaient sur la voie du mariage qui leur garantirait une place au ranch.

La porte de la maison de Dylan souvrit, laissant échapper des aboiements et jappements avant tout humain. Le premier dehors fut Étoile, un carlin au dos couvert de plaques dégarnies. Ce chien avait tendance à marcher de côté, comme sil ne voulait pas que les autres remarquent ses imperfections.

Juste derrière lui se trouvait Stevie, un rottweiler à moitié aveugle à la magnifique fourrure bleu-gris. Il gardait le nez collé à Étoile pour mieux se repérer.

Bonbon, le golden retriever, passa la porte dun pas lent. Il releva la tête en repérant lodeur de Fran, dont le moral remonta en voyant le chien. Ils se rejoignirent à mi-chemin. Vu de lextérieur, Bonbon avait lair en parfaite santé. Mais il souffrait de diabète, ce qui le ralentissait de temps en temps.

Fran se pencha pour caresser la tête du chien. Ils sétaient beaucoup rapprochés depuis son arrivée quelques semaines plus tôt. Le diabète pouvait être compliqué à gérer chez un chien, mais ce nétait pas le bout du monde. Maggie, lépouse de Dylan, prenait soin de tous ses chiens blessés. En la voyant faire, tous les soldats avaient pu voir que leurs blessures ne les empêchaient pas dêtre aimés.

« Tu es rentré. »

Fran releva les yeux et vit Dylan descendre les marches du porche, un chien dans les bras. Pirouette, un terrier irlandais, avait perdu ses pattes arrière quelques semaines plus tôt. Dylan le posa par terre et attacha un fauteuil roulant à son arrière-train.

Quand Dylan se redressa, Fran aperçut sa prothèse. Cétait une vision inhabituelle. Dylan portait généralement de longs pantalons qui couvraient ses jambes et cachaient sa blessure. Mais, depuis son mariage, il avait commencé à saccepter tel quil était et à porter des shorts et des bermudas qui laissaient sa prothèse scintiller au soleil.

« Comment ça sest passé ? demanda Dylan. Quest-ce que le docteur a dit ? »

Avant que Fran ne puisse répondre, Maggie passa la tête par la porte. Tous les chiens se tournèrent vers elle, queue battante et langue pendante. Dylan suivit le mouvement. Il garda la langue dans sa bouche, mais son sourire sélargit.

« Mon cœur, noublie pas de récupérer les médicaments de Bonbon quand tu iras en ville. »

Dylan attira sa femme dans ses bras. Il déposa un baiser dans le creux entre sa joue et son nez. Maggie sourit dans son étreinte. Elle tourna la tête et son regard atterrit sur Fran.

Fran aurait voulu détourner les yeux, mais son regard sabreuvait de cette affection quil ne recevrait probablement jamais lui-même.

« Fran, tu es rentré, dit Maggie. Qua dit le docteur ? Il y a eu du changement ? »

Cétait aussi pour cela que Fran ne pouvait pas se mettre en couple. Maggie nétait même pas sa partenaire, et pourtant ses yeux brillaient despoir. Lespoir quil ait miraculeusement guéri. Il était peu probable que cela arrive un jour. Il avait déjà de la chance dêtre encore en vie.

Fran secoua la tête et se prépara à recevoir leur compassion et leur bonne volonté.

« Jai entendu parler de quelques spécialistes, dit Dylan. On ira les voir.

Et je continuerai à prier pour toi, dit Maggie. On ne va pas laisser tomber. »

Bonbon se frotta à la jambe de Fran, qui se pencha pour donner son attention au chien tandis que ses amis essayaient en vain de lui sauver la vie.

« En attendant, continua Dylan, il faut que tu commences à te chercher une épouse. Il ne nous reste plus beaucoup de temps si on veut tous rester au ranch. »

Fran ne chercha pas à discuter. Dylan était son supérieur hiérarchique et nhésiterait pas à lui donner des ordres. Même si Fran ne se sentirait pas obligé de suivre cet ordre-là. Il préféra donc hocher la tête et changer de conversation.

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